Intervention de Chloé Le Gouëz

Réunion du mercredi 20 janvier 2021 à 15h00
Commission des affaires sociales

Chloé Le Gouëz, chargée de plaidoyer « accès aux droits » à l'association AIDES :

Nous pensons important de replacer dans son contexte ce que signifie la surévaluation par les assurances du risque que feraient courir les personnes vivant avec le VIH au système sur lequel reposent les assurances. Cette surévaluation n'est pas anodine, même pour le système, en termes de sélection du risque.

La sélection du risque est consubstantielle à l'activité des assureurs. Leur modèle économique et leur survie en dépendent. C'est de cette sélection du risque que découle le principe de libre tarification de ce risque et la possibilité qu'ils ont de proposer des contrats avec des surprimes pouvant être très importantes.

Il est assez intéressant de faire un petit retour historique et de voir combien les assureurs et les banques ont été attachés à la possibilité de discriminer sur l'état de santé. Je pense en particulier aux débats lors de la loi du 12 juillet 1990 qui instituait le principe de non-discrimination en raison de l'état de santé et du handicap. Les assureurs et les banques sont à cette époque montés au front pour pouvoir maintenir une sélection fondée sur l'état de santé. Elle a, de fait, été codifiée dans le code pénal à travers l'article 225-3, qui institue des exceptions au principe de non-discrimination : ne sont donc pas sanctionnées les discriminations fondées sur l'état de santé lorsqu'elles consistent en des opérations ayant pour objet la prévention et la couverture du risque décès, des risques portant atteinte à l'intégrité physique de la personne ou des risques d'incapacité de travail ou d'invalidité.

Il me semble important de garder en tête que les assureurs bénéficient d'une dérogation au droit commun en ayant la possibilité de sélectionner sur des données relatives à l'état de santé, à l'exception des tests génétiques ou des conséquences sur l'état de santé d'un prélèvement d'organe. C'est une dérogation au droit commun et, de ce fait, les assureurs et les banques doivent faire preuve d'une très grande responsabilité dans la manière dont ils sélectionnent et dans les critères sur lesquels ils fondent cette sélection pour qu'elle ne soit pas disproportionnée.

Cette sélection des assureurs s'opère dans un contexte très concurrentiel, de plus en plus concurrentiel, mais aussi dans un contexte d'avancées scientifiques et de progrès médicaux. Les enjeux autour des big data permettent de comprendre et prévoir le risque de façon plus fine, poussant les assureurs dans une logique de segmentation des classes de risque et à une individualisation effrénée du risque au détriment d'une logique collective et solidaire. Nous trouvons que les grilles de référence – qui ont été une avancée majeure pour l'assurabilité des personnes faisant face à un risque aggravé de santé – entrent parfaitement dans cette logique de segmentation des classes. Nous voyons même des segmentations au sein d'une pathologie puisque la grille de référence AERAS permet à certaines personnes vivant avec le VIH d'en bénéficier et pas à autres.

Je rappelle également que le Conseil national du sida et des hépatites virales, dans son avis de 1999, pointait déjà ce fait et s'inquiétait des dérives de cette individualisation du risque. Je cite le rapport, page 38 : « L'évolution en cours, avec l'interaction entre progrès médicaux et segmentation du marché par les assureurs, semble bien aboutir à une impasse logique. À mesure que les risques de santé sont plus prévisibles sur le long terme, plus il existe une segmentation entre groupes d'individus au point, qu' in fine , elle devient socialement insoutenable car illégitime. » Cette question de l'acceptabilité sociale ou du seuil de ce qui est socialement soutenable en termes de sélection des risques, de qui accède ou non à l'emprunt, est éminemment importante, encore plus dans un système conventionnel qui repose sur une acceptation a minima de ses termes qui est donc une acceptabilité sociale.

La première question qui revient lorsque nous sommes sollicités par des personnes faisant face à des refus des banques ou des assureurs est : « Dois-je mentir sur mon état de santé ? » Je pense que le fait que nous en arrivions à devoir répondre à cette question de manière récurrente montre une forme d'effritement de la confiance dans ce système assurantiel. Il me semble intéressant de repositionner la question de la surévaluation du risque dans ce système plus global puisque, de manière assez paradoxale, cette très forte segmentation à l'œuvre dans le champ assurantiel pourrait finalement entretenir le phénomène d'antisélection qui fait fuir les assureurs et aboutir à un résultat très bancal.

Les personnes vivant avec le VIH font face à une forme d'injustice puisque le surrisque est surévalué, comme le montrera avec force Dominique Costagliola en s'appuyant sur des données scientifiques et probantes. Nous rejoignons ici les demandes de l'association Les Séropotes : il faut que les grilles de référence par pathologie soient régulièrement actualisées et, en tout cas, soient actualisées à court terme et non à long terme comme actuellement. Une disproportion crée une discrimination même si le principe de discrimination en raison de l'état de santé est autorisé. La grille est tellement restrictive qu'une personne vivant avec le VIH qui remplit l'ensemble de ces critères ne fait courir aucun risque à l'assureur. Elle paie pourtant des surprimes et se voit appliquer des exclusions de garantie alors qu'elle ne les fera pas jouer.

Nous sommes une association communautaire qui se fonde sur l'expérience des personnes vivant avec le VIH. Je trouve donc intéressant de me faire le porte-voix d'une personne très emblématique et significative qui a rencontré des difficultés pour emprunter : « Je suis porteur du VIH depuis 2010 avec une charge virale indétectable. J'ai 41 ans. Je souhaite faire un crédit immobilier. J'ai préféré être franc et ne pas cacher mon problème de santé, ce qui m'a inquiété car je ne savais pas si j'étais assurable. J'ai eu un retour d'une étude où je me retrouve assurable mais uniquement sur le décès. Ils ne prennent pas en compte l'incapacité temporaire ou totale de travail, ni les pertes irréversibles d'autonomie. En fait, si je comprends bien, sous prétexte que j'ai le VIH, je n'ai pas le droit d'avoir un accident de travail ou de circulation ou tout autre pépin de la vie qui n'a aucun rapport avec ma pathologie. Conclusion : je suis couvert pour rien et je paie un max. Alors, quitte à ne pas être couvert, autant ne pas payer autant ! » Ce témoignage est très emblématique de ce que nous entendons régulièrement.

Que les grilles de référence par pathologie ne suivent pas de manière beaucoup plus rapide et fine les données actualisées en termes médicaux, scientifiques et biologiques est un des problèmes de la convention AERAS. Encore une fois, la dérogation au droit commun concédée aux assureurs leur donne l'obligation d'être à jour sur les données scientifiques et médicales. Or, ce n'est pas le cas aujourd'hui.

Un autre problème sur lequel nous rejoignons Les Séropotes est la difficulté à évaluer et contrôler les pratiques des assureurs, notamment l'effectivité et l'applicabilité de cette convention AERAS. Nous rejoignons aussi les conclusions de la mission de l'Inspection générale des affaires sociales de 2015 ainsi que différentes études de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) qui pointe cette difficulté à évaluer, d'une part parce que nous manquons d'indicateurs de suivi partagés et d'autre part parce que des différences de traitement dans l'instruction des dossiers existent et ont des effets sur les niveaux d'assurabilité des personnes. Par exemple, si un assureur examine un dossier au premier niveau et ne propose qu'une assurance décès, il peut considérer cela comme suffisant et ne pas passer au deuxième niveau tandis qu'un autre assureur essaiera de passer au deuxième niveau pour voir si l'assurabilité de la personne est meilleure notamment en ce qui concerne l'incapacité ou l'invalidité. Ces différences de traitement peuvent paraître arbitraires et avoir des effets très concrets sur l'assurabilité des personnes. Nous devons être vigilants sur ce sujet. Des indicateurs de suivi partagés permettraient d'objectiver les faits et de savoir où sont les leviers d'action. Enfin, nous constatons un manque de confidentialité et de respect du secret médical.

Parmi les pistes d'amélioration, il faut d'abord réussir à faire appliquer l'existant donc avoir des moyens de contrôle. Puisque nous sommes devant la commission des affaires sociales, peut-être serait-il utile d'ajouter un onzième alinéa à l'article L. 1141-2-1 du code de la santé publique, qui établit la convention AERAS, afin d'étendre le champ de la convention à ces modalités de contrôle. Cela donnerait une assise législative qui serait importante en termes d'application et de signification du contrôle.

En ce qui concerne l'élargissement de l'assurabilité des personnes, il faut faire évoluer la grille de référence. Nous y travaillons avec Mme Costagliola, qui nous représente au sein du groupe de travail. Il faudrait revoir les conditions d'âge, peut-être découpler l'assurance et l'emprunt avec une durée d'assurance réduite par rapport à celle du prêt. Nous devons mener une réflexion sur la nécessité de sortir de la logique d'individualisation du risque et peut-être mettre en place un fonds de solidarité qui pourrait être abondé sur les bénéfices techniques et financiers des assureurs. Les assureurs font un chiffre d'affaires énorme avec l'assurance emprunteur.

Ce point est important en termes de santé publique pour les personnes vivant avec le VIH, qui peuvent ressentir cette impossibilité d'accéder à un emprunt comme une double ou triple peine. Les logiques de santé publique amènent à ce que les personnes se fassent dépister le plus rapidement possible pour être mises sous traitement le plus rapidement possible et atteindre une charge virale indétectable. Elles le font, elles sont suivies et le couperet tombe : elles ne peuvent pas s'assurer. C'est pour nous une forme de prime à la séro-ignorance qui est problématique pour la santé publique.

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