Sur le soutien aux seniors, j'ai rappelé que la stratégie de lutte contre la pauvreté est surtout centrée sur les jeunes, sur l'action pour éviter la reproduction de la pauvreté donc sur une logique de prévention. La stratégie n'est pas dans une logique curative même si elle s'occupe de certains publics et de certains sujets. Malgré tout, elle est tournée vers la jeunesse et l'insertion professionnelle, plus que la gestion de la seconde partie de vie.
Il faut tout de même que vous sachiez que les personnes âgées sont globalement en France moins pauvres que les jeunes. Dans les années 1960-1970, le pauvre était une personne âgée et rurale, un homme seul isolé en milieu rural. Maintenant, c'est plutôt une famille monoparentale urbaine. Le visage de la pauvreté en France a donc changé. Cela ne signifie pas qu'il n'existe pas de personnes âgées pauvres mais les personnes entre 65 et 74 ans ont un taux de pauvreté de 8,5 % alors que le taux dans la population globale est de 15 %. C'est la raison pour laquelle ce n'est pas notre public prioritaire.
Des actions ont toutefois été menées. Le Gouvernement a revalorisé l'allocation de solidarité aux personnes âgées de 100 euros, ce qui n'est pas négligeable. D'autres mesures indirectes sont les actions en faveur du 100 % santé, qui est pour moi une des plus grandes réformes de ces dernières années en termes de santé. Elle est peu connue, peu valorisée. Pourtant, le reste à charge pour ces personnes âgées est élevé et cette réforme permet d'avoir accès à des prothèses dentaires, auditives ou des lunettes sans reste à charge. Cela peut représenter une part non négligeable des dépenses pour ce public même si cela ne répond pas à tous les problèmes. Le maintien en emploi des seniors, quant à lui, n'est pas complètement dans mon champ.
La stratégie est fondée sur une logique extrêmement territorialisée, ce qui a l'avantage de s'adapter aux besoins de terrain mais rend le bilan plus compliqué, les priorités étant définies localement.
La question des bureaux de poste a été un sujet, notamment au mois de mars, mais nous avons très vite réagi avec la direction générale de la Caisse nationale des allocations familiales, en demandant l'ouverture de bureaux de poste supplémentaires pour le versement. Nous avons d'ailleurs anticipé le versement des allocations au début avril et nous avons étalé pour éviter les ruées sur certains bureaux de poste. Nous avions demandé à La Poste de rouvrir des bureaux.
Nous nous sommes aussi beaucoup battus sur un autre sujet qui n'a été que peu relayé : des commerçants refusaient les paiements en espèces et n'acceptaient que le « sans contact », alors que les publics précaires n'ont souvent pas de carte bleue et paient en espèces. C'est un facteur d'exclusion. Nous avons fait une campagne de communication pour rappeler la possibilité de payer en espèces. Vous ne voyez plus maintenant cette angoisse de manipuler l'argent qui existait au premier confinement.
Le sujet des inégalités territoriales est géré dans le cadre des priorités régionales définies par les commissaires à la lutte contre la pauvreté en lien avec l'ensemble des acteurs. Des ajustements ont lieu grâce aux enveloppes régionales existantes, indépendantes de la partie contractualisation. Cette enveloppe est à la main des commissaires pour faire des appels à projets en fonction des priorités. Ces enveloppes étaient à la base de 9 millions d'euros et ont été abondées en 2020 par réemploi d'une sous-consommation dans d'autres actions pour atteindre un budget global de 20 millions d'euros consacrés à des actions régionales spécifiques. Certaines régions ont fait des actions sur la précarité des femmes, d'autres sur l'accès à l'emploi ou sur les mobilités.
La contractualisation est pour moi un sujet fondamental. Nous n'en sommes pas encore vraiment à deux ans : les premières conventions ont été signées au milieu de l'année 2019. Nous avons fait un bilan l'été dernier, ce qui n'a pas été très simple car le premier confinement a bloqué beaucoup d'actions. Certaines conventions ayant été signées en septembre 2019, le bilan a donc parfois porté sur deux, trois ou quatre mois de développement puisque l'action ne se fait dans la minute qui suit dans les conseils départementaux. Nous avons donc eu une approche assez souple. La logique voulue par le Président de la République était a priori de ne donner de l'argent en 2020 que si les actions avaient été réalisées, exécutées et avaient de l'impact. Compte tenu des circonstances, nous avons permis des reports de crédits même si l'argent n'avait pas été dépensé. Nous préparons actuellement la contractualisation 2021 et nous ferons le bilan avec les commissaires pour savoir comment ajuster puisque le véritable bilan sera tiré plutôt cette année.
Le bilan n'est pas encore public car ce sont des sujets extrêmement sensibles dans les conseils départementaux. Vous n'êtes pas sans savoir que des élections approchent. Nous avons mis en place des indicateurs. Nous partions de très loin car ce n'est pas dans la culture des conseils départementaux. J'ai travaillé dans la mise en place d'indicateurs au sein des caisses de sécurité sociale et il a fallu dix ans, avec des audits des caisses pour vérifier. L'État ne fait pas d'audit des conseils départementaux pour vérifier les données qui nous ont été remontées. Nous avons donc des choux et des carottes, des données très hétérogènes. Sur le RSA par exemple, 40 % des bénéficiaires du RSA sont orientés en moins d'un mois en moyenne nationale mais cela ne veut rien dire du fait de la dispersion entre les conseils départementaux. Je ne sais pas quelle est la réalité.
Avec les commissaires, nous demandons une analyse beaucoup plus qualitative au sein de chaque département. Nous promouvons des échanges de bonnes pratiques. Nous voulions le faire en 2020 mais cela n'a pas été possible à cause des différents confinements. Nous sommes partis sur un temps long sur ces sujets et nous ne parviendrons pas au but en deux ans. Il faut maintenir la pression. Cela progresse, même si les conseils départementaux protestent avec l'augmentation du nombre d'allocataires du RSA.
Nous voyons bien que certains départements ont fait un énorme travail et d'autres non. 99 départements ont contractualisé pour l'instant. Nous pouvons ne pas contractualiser en 2021 avec certains départements qui ne jouent pas le jeu. Le sujet est de savoir si, politiquement, cette orientation sera prise. De toute façon, il était prévu que le bilan soit public à terme et il faudra le rendre public mais nous sommes dans une période un peu sensible.
Les cantines à 1 euro sont un sujet qui me tient à cœur. Nous avons vu durant le premier confinement le poids des repas pour les familles lorsque les écoles et les cantines ferment. Entre nous, pour l'instant, le système des cantines à 1 euro ne fonctionne pas. Sur 4 000 communes éligibles, 200 le font. Nous ne sommes donc pas du tout au niveau attendu et nous y travaillons. Nous avons déjà augmenté la dotation de l'État pour les communes, en passant de 2 à 3 euros. J'entends l'inquiétude sur l'après 2022. Nous ne pouvons pas préjuger de ce qu'il se passera mais, si cela fonctionne, je ne vois pas pourquoi l'État se désengagerait d'une mesure essentielle et efficace. Nous travaillons activement à l'élargissement des critères car nous sommes bien conscients que le calibrage a été trop serré. Plus de communes pourront y accéder, sans que nous ne puissions encore nous engager pour après 2022. Ce sera plus clair à la fin février.
Que font les collectivités territoriales ? Je ne suis pas chargée d'évaluer toute l'action des collectivités territoriales en matière de politique de jeunesse. Il s'agit d'un champ décentralisé, ce n'est pas le rôle de l'État. Dans le cadre des contractualisations, nous nous intéressons aux jeunes de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Le suivi des jeunes de l'ASE est extrêmement hétérogène avec une culture de suivi de ces jeunes dans certains départements. En Bretagne par exemple, 100 % des jeunes ont un contrat jeune majeur tandis que d'autres départements n'ont pas du tout cette politique. S'agissant d'une politique décentralisée, l'État n'a pas compétence pour imposer quoi que ce soit. Nous pouvons suggérer aux collectivités certaines actions, promouvoir les bonnes pratiques qui existent dans d'autres départements et montrent que c'est possible. Nous ne pouvons pas aller plus loin, puisque les collectivités disposent sur ce sujet d'une autonomie qu'il faut respecter.
Vous parliez des secteurs industriels mais les métiers du soin sont également en tension. Nous avons de nombreuses actions pour les favoriser. Il est exact que les métiers industriels ne sont pas très attractifs et beaucoup de besoins ne sont pas couverts. Nous pouvons agir, notamment auprès des jeunes de l'ASE qui sont intéressés lorsque nous leur proposons des métiers avec une garantie d'emploi. C'est aussi une manière de faire découvrir ces dispositifs.
Plus globalement, nous ne valorisons pas tous les métiers de l'artisanat. Nous disons toujours que nous augmentons le nombre de personnes qui vont jusqu'au baccalauréat. C'est bien mais nous avons besoin de tout le monde pour faire société et il faut aussi valoriser les autres métiers. Mieux vaut avoir un emploi que d'être au chômage.
Ceux qui s'occupent d'insertion disent avoir du mal à capter et à fidéliser les jeunes. Même ceux qui sont très intéressés disparaissent des dispositifs sans que nous comprenions pourquoi. C'est un sujet générationnel à traiter avec des sociologues pour comprendre comment toucher ces jeunes, les repérer, aller les chercher. Nous prévoyons de tester des maraudes numériques : il faut aller chercher ces jeunes là où ils sont, sur les terrains où ils vont et en particulier sur des sites internet. Il faut valoriser des actions dans leur monde, avec leurs mots. Nous n'avons peut-être pas assez pratiqué cette démarche « marketing » en allant vers leurs modes de fonctionnement au lieu de leur demander de se plaquer sur nos modes de fonctionnement.
La précarité menstruelle est un sujet important que nous partageons. Des dispositifs expérimentaux ont été testés en 2020. M. Véran et Mme Moreno ont décidé de les généraliser et ce sujet est donc bien pris en compte. 5 millions d'euros y seront consacrés en 2021, notamment pour les femmes sans abri, les femmes incarcérées...
L'automaticité des droits sociaux est un sujet compliqué, car le code ne prévoit actuellement pas d'automaticité de droits. Il faut faire une demande car il faudrait que nous connaissions les ressources des personnes, en permanence et en temps réel, pour pouvoir rendre ces droits automatiques. Nous mettons en place dans les CAF les dispositifs de ressources mutualisées, ce qui permettra de connaître une partie des ressources. Malgré tout, l'organisation en France n'est pas encore totalement celle de Big Brother et nous ne connaissons pas toutes les ressources. Nous ne pouvons pas être sûrs que les données dont nous disposons sont complètes. Lorsque les employeurs le déclarent, nous avons les données des salariés mais nous n'avons pas en temps réel les données des indépendants et autres. C'est un frein majeur.
Par ailleurs, la complémentaire santé solidaire (CSS) est proposée automatiquement lors d'une demande de RSA, mais nous ne pouvons pas l'ouvrir automatiquement, tout simplement du fait du droit de la concurrence. Elle peut être proposée par l'assurance maladie ou par des complémentaires santé privées. Rien que cela empêche de donner de droit la CSS aux bénéficiaires du RSA et nous nous rendons compte qu'une grande partie des personnes ne cochent pas la case sur le formulaire.
Nous pouvons passer sur une logique d'automatisme dans l'autre sens, avec des risques d'effet d'aubaine et d'inéquité de traitement. Nous essayons d'ajuster en fonction des conditions de ressources mais nous n'avons pas le suivi en temps réel des ressources des gens.
Je ne connais pas bien la politique du logement, les PLAI... Je pense que vous devriez auditionner Mme Wargon, qui connaît cela sur le bout des doigts et est très impliquée sur les sujets de pauvreté. Des solutions sont proposées mais n'entrent pas dans le champ de la stratégie pauvreté, sinon j'embrasserais toute la politique du Gouvernement. Nous travaillons en lien avec la ministre du logement, surtout sur l'hébergement d'urgence mais pas sur le suivi des PLAI.
Je ne sais pas de quelles associations parlait Mme Levy en signalant que des fonds arrivaient dans des secteurs non essentiels, puisque je ne coordonne pas tous les fonds des ministères. Nous avons un plan massif de 100 millions d'euros de soutien aux associations et nous voyons bien qu'il existe un vrai besoin. Un tel plan de soutien est inédit. Une coordination a lieu au niveau des préfectures mais pas uniquement dans le champ de la pauvreté. Je ne sais pas de quoi vous vouliez parler précisément.
En ce qui concerne la pauvreté, nous essayons grâce aux commissaires placés auprès des préfets de région d'avoir une coordination, notamment sur les appels à projet du plan de relance.