COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mardi 2 février 2021
La séance est ouverte à dix-sept heures vingt.
La commission procède à l'audition de Mme Marine Jeantet, déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté.
Fortement impliquée dans le suivi de la crise sanitaire, la commission des affaires sociales n'oublie pas que la solidarité fait également partie de ses compétences. C'est pourquoi notre bureau a souhaité que nous fassions le point avec Mme Marine Jeantet, déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté.
À l'automne 2018, le Gouvernement a défini une stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Cette approche nouvelle de l'action sociale à destination des plus fragiles visait à se saisir de toutes les dimensions de la question : le logement, l'hébergement, l'insertion, la santé, l'accès aux droits et aux biens essentiels. La démarche se veut innovante en se fondant sur les initiatives des territoires plutôt que sur des politiques menées d'en haut.
Plus de deux ans après son lancement, il nous revient de faire le point sur cette stratégie, de bien comprendre quel est votre rôle au regard des ministères et administrations chargés de ces politiques et de procéder à un premier bilan de votre action mais aussi de celles des hauts commissaires à la lutte contre la pauvreté, missionnés auprès des préfets de région.
Vous nous direz sans doute également comment cette stratégie s'est adaptée à la crise sanitaire durant les derniers mois, particulièrement éprouvants pour un grand nombre de nos concitoyens. Je pense particulièrement à nos jeunes.
J'ai pris mes fonctions le 11 mars dernier donc trois jours avant le premier confinement, dans un contexte assez perturbé de gestion de crise.
Il existait déjà des personnes précaires, des pauvres en France avant la crise. La France est un pays riche ; le taux de pauvreté est l'un des plus faibles d'Europe mais il se situe tout de même aux alentours de 15 %, ce qui reste toujours trop par rapport à ce que nous pourrions imaginer dans un pays riche. Notre système de redistribution fonctionne : nous serions à un taux de pauvreté d'environ 22 % sans cette redistribution par les différentes aides sociales. Notre système permet donc de réduire le taux de pauvreté de 22 % à 15 % ce qui est déjà une première marche assez conséquente.
Malheureusement, cette crise arrivée très soudainement voici un an touchera de manière massive et en priorité beaucoup de personnes précaires. Nous l'avons vu sur le plan sanitaire. Cette crise est un révélateur assez brutal des inégalités sociales qui existaient déjà mais sont devenues encore plus criantes durant le premier confinement.
Il s'agit d'abord d'inégalités dans l'accès aux soins ; elles sont liées aux conditions de vie des personnes surexposées au risque de covid dans des logements surchargés. Des personnes non éligibles au télétravail se sont retrouvées exposées en allant travailler tandis que d'autres personnes, plutôt des cadres, pouvaient travailler à domicile et donc se protéger. De plus, l'accès aux soins est réduit dans les zones difficiles puisque le taux d'offre de soins y est plus faible qu'ailleurs.
Socialement, ces personnes sont très dépendantes de petits contrats courts, précaires, à la journée ou dans des secteurs où tout s'est arrêté. C'est encore très sensible puisque des secteurs particulièrement touchés par les fermetures administratives comme l'hôtellerie et la restauration embauchent souvent beaucoup de personnes précaires. Nous sommes donc très soucieux.
Notre priorité a été, tout de suite, d'essayer d'atténuer autant que possible les effets de la crise sanitaire. La mobilisation de l'État a été sans précédent durant la période de confinement. Des moyens d'urgence assez considérables ont été débloqués très rapidement, d'abord pour l'aide alimentaire. Nous avons vu tout d'un coup les files d'aide alimentaire augmenter. Un abondement très conséquent, de 94 millions d'euros puis de 50 millions d'euros supplémentaires pour les sans-abri, a permis de dégager très vite des moyens, notamment pour acheter des tickets services aux endroits où les associations d'aide alimentaire ne pouvaient pas forcément assurer les distributions, étant elles-mêmes dépendantes des bénévoles âgés confinés. Nous avons donc débloqué très vite ces tickets services, par des marchés d'urgence.
Des aides exceptionnelles ont été versées à deux reprises par les caisses d'allocations familiales (CAF) aux familles les plus précaires, en mai et en novembre. Les jeunes ont été aidés également. Ces deux publics ont été très vite identifiés comme très fragilisés par la crise.
La mobilisation a aussi été forte pour garantir la continuité éducative. Nous avons constaté l'impact de la fracture numérique avec l'école à distance. Les publics précaires ne sont pas forcément équipés à domicile d'ordinateurs, de 3G et ne sont pas toujours capables de s'isoler pour faire les devoirs à la maison dans de bonnes conditions. Cette forte mobilisation a permis d'équiper les familles, à la fois en termes de matériel et d'accès internet. Le mentorat s'est également développé pour accompagner, suivi par les vacances apprenantes pour essayer de rattraper le retard. Nous voyons d'ailleurs que, pour les jeunes, la situation n'est actuellement pas trop dégradée en termes de décrochage scolaire d'après les premières données de l'Éducation nationale. Les chiffres sortis à la mi-décembre étaient dans les normes habituelles et ne montraient pas l'aggravation que nous pouvions craindre. Cela nous a plutôt rassurés.
30 000 places supplémentaires ont été ouvertes en urgence pour les sans-abri. Nous avons quasiment réussi à n'avoir aucune personne à la rue pendant le premier confinement, ce qui était tout de même exceptionnel. La trêve hivernale a été prolongée jusqu'au 10 juillet. Nous avons anticipé la campagne hivernale dès le début octobre et nous prolongeons à nouveau la trêve hivernale.
Je surveille la situation comme le lait sur le feu mais nous n'avons pas de tableau de bord précis pour suivre en direct l'évolution de la pauvreté. Ce serait mon rêve. Nous essayons de le construire avec les différents services de la statistique publique mais ce n'est pas si simple. Nous disposons de quelques indicateurs nous permettant de savoir ce qu'il se passe en réalité, actuellement, pour nos publics.
Le premier indicateur est le nombre de demandeurs du revenu de solidarité active (RSA) et surtout le nombre d'allocataires du RSA, puisque toutes les demandes n'aboutissent pas. D'après les derniers chiffres consolidés de novembre, l'augmentation est d'environ 9 % en 2020. Il ne s'agit pas forcément d'une arrivée de nouveaux bénéficiaires mais plutôt de personnes qui ne sortent pas du RSA. Le RSA est en effet heureusement un système qui respire, contrairement à ce que les gens pensent en croyant que ceux qui touchent le RSA un jour le touchent pour toujours. Nous voyons que tous les petits boulots qui permettaient à des gens de sortir du RSA et de s'insérer se sont fermés, ce qui empêche ces personnes de sortir du RSA.
Le chômage a également augmenté de 8,1 % environ en 2020. Grâce au système de chômage partiel, il ne s'agit pas d'une explosion mais nous ne savons pas si, lorsque nous débrancherons le système de chômage partiel, les entreprises seront capables de maintenir leurs embauches. Le chômage n'a pour l'instant pas explosé fort heureusement et cela a probablement évité que toute une population de salariés bascule dans la pauvreté.
Nous avons en revanche vu de nouveaux publics être touchés par la pauvreté : les indépendants et les commerçants n'ont pas ces filets de sécurité du chômage partiel ou autre. Nous commençons à voir des personnes arriver au RSA avec un sentiment de déclassement très fort. Ces personnes étaient entrepreneurs ou, de façon plus générale, très autonomes. Les personnes qui montent leur entreprise ont un profil très particulier. Cette situation est difficile pour elles. Les associations nous ont fait part de leurs inquiétudes sur l'état psychique de ces personnes qui ont perdu d'un coup tout ce qu'elles avaient construit, parfois le travail de toute une vie.
Les jeunes sont également un sujet d'inquiétude depuis le mois de mai, ce qui explique les aides et les travaux sur le plan « Un jeune, une solution ». Leurs difficultés seront durables. Ils ont des problèmes de précarité, de subsistance mais aussi et surtout d'avenir professionnel. Le chômage est toujours plus élevé chez les jeunes. Cela s'est aggravé, y compris pour les jeunes diplômés. Pôle emploi nous a dit avoir enregistré en septembre une augmentation de 30 % des inscriptions de jeunes diplômés. Cela ne concerne pas seulement les fameux Neet (Not in education, employment or training) sans formation mais c'est toute une classe d'âge qui est touchée. De plus, comme vous l'avez vu chez les étudiants, indépendamment de la précarité monétaire et alimentaire, un problème très grave de précarité psychique se pose. Nous nous sommes mobilisés sur le sujet.
Un autre point important des indicateurs concerne les loyers. Nous ne constatons pas d'explosion des impayés. Nous en avons vu lors du premier confinement et ils se sont résorbés. En effet, les personnes paient beaucoup leur loyer en liquide, notamment dans le parc social. Ils ne pouvaient pas aller le payer en liquide pendant le confinement et les impayés se sont résorbés après.
En revanche, nous savons que se constitue un stock d'expulsions locatives par la prolongation des trêves hivernales. 17 000 expulsions avaient eu lieu en 2019, 3 500 seulement en 2020 parce qu'elles ont été bloquées par les mesures de confinement. Nous avons actuellement 30 000 procédures d'expulsion en stock pour le 1er avril 2021. Il s'agit de procédures abouties ; normalement, ces personnes doivent être accompagnées et nous essayons de les reloger mais, lorsque 30 000 arrivent d'un coup, la vague est beaucoup plus difficile à gérer.
Enfin, en ce qui concerne l'endettement, une étude du Conseil d'analyse économique a été publiée au mois d'octobre. Nous entendons certes beaucoup parler du fait que les Français ont épargné durant cette crise. C'est exact pour les plus riches : 60 % de l'épargne se concentre sur les 20 % les plus riches mais le premier décile s'est endetté. Les 10 % les plus pauvres n'ont donc non seulement pas épargné pendant la crise mais ils se sont endettés. Le sujet du soutien du premier décile se posera donc.
De manière très surprenante, nous n'enregistrons pas d'augmentation mais une baisse du nombre de dossiers de surendettement. La Banque de France a publié récemment ses chiffres. Je pensais au début qu'il s'agissait de l'effet de la fermeture des services et qu'un rattrapage aurait lieu lors de la réouverture mais ce n'est pas le cas. Est-ce parce que les personnes ne connaissent pas leurs droits ? Sont-elles tellement désespérées qu'elles n'osent même plus faire leur demande ? Les banques nous disent aussi avoir vu moins d'incidents bancaires. Du fait de l'inquiétude, de l'incertitude, certains réduisent peut-être leurs dépenses, ce qui expliquerait la diminution du nombre de dossiers. Je m'inquiète tout de même pour les 10 % les plus pauvres qui se sont endettés.
La stratégie de lutte contre la pauvreté a été conçue dans une période où l'économie était plutôt en croissance. Cette stratégie était fondée sur la prévention et destinée à trois publics prioritaires.
Le premier est la petite enfance, l'idée étant d'éviter de reproduire la pauvreté de génération en génération, et donc d'agir très tôt. Je considère que cet objectif est plus que jamais d'actualité. Même s'il faut gérer la crise et l'urgence, il faut continuer à travailler sur le fond et préparer l'avenir. C'est tout le sujet de l'accueil des jeunes enfants en crèche, de la promotion d'une alimentation équilibrée afin qu'ils bénéficient d'apprentissages corrects.
Le deuxième public concerné est la jeunesse, afin que les jeunes sortent du système scolaire avec une formation leur permettant une insertion durable dans l'emploi. C'est une des meilleures solutions pour sortir de la pauvreté et tout l'objet de l'obligation de formation de 16 à 18 ans entrée en vigueur en septembre 2020. Vous savez que l'école est maintenant obligatoire de 3 à 18 ans. Nous sommes en pleine action avec l'Éducation nationale, les missions locales et les conseils généraux, puisque l'action a lieu localement en région pour connecter les différents réseaux et proposer des solutions à ces jeunes.
S'agissant de l'insertion professionnelle, l'idée est que les personnes sortent dignement de la pauvreté en ayant un emploi durable qui leur permette de gagner leur vie, de nourrir leurs enfants... Cet objectif est toujours d'actualité mais je suis inquiète parce que si le chômage augmente, les personnes en insertion risquent de passer en deuxième. Il faut que nous développions encore nos procédures de maintien en activité puisque nous savons que les personnes laissées durablement en inactivité resteront longtemps hors emploi.
Nous continuons donc les actions de fond déjà lancées et nous sommes toujours sur la logique de faire confiance aux territoires. Vous savez que nous avons contractualisé avec les conseils départementaux, chefs de file de l'action sociale. En 2020, nous avons aussi contractualisé avec les métropoles et les conseils régionaux en proposant des mesures de sortie de crise. Nous avons donc maintenant un outil très efficace et nos commissaires animent sur le terrain ce jeu d'acteurs.
Je pense que ce lien avec les territoires, cette mise en réseau d'acteurs qui fonctionnaient encore beaucoup en silos sont parmi les éléments les plus novateurs de cette stratégie. Pendant la crise, j'ai vu les silos se reconstituer durant les mois de mars et avril. Si nous n'avions pas créé ce lien très fort, chacun serait très vite reparti dans son couloir de nage. Il faut faire un travail de fond pour connecter le monde associatif, le réseau de l'État, les caisses de sécurité sociale, les collectivités locales. C'est un travail de longue haleine et ce n'est pas gagné.
La stratégie a été complétée par rapport à ce qui avait été annoncé en 2018 avec le Ségur de la santé, puisque le champ de la santé n'était pas très développé dans la stratégie. 100 millions d'euros ont été consacrés à la réduction des inégalités de santé, qui sont apparues de manière très forte au moment du premier confinement.
Nous avons aussi renforcé les actions en faveur des grands précaires en proposant des hébergements pour ceux qui ont des animaux, en développant l'aide aux femmes sans abri sortant de la maternité, en améliorant leur accès aux soins et à l'emploi.
Un autre volet concerne les investissements dans le secteur associatif. Dans le plan de relance, 100 millions d'euros sont consacrés au soutien aux associations, avec 50 millions cette année et 50 millions l'année prochaine. Nous avons terminé le premier appel à projets avec un succès qui nous dépasse : nous avons reçu plus de 2 600 demandes au niveau national, représentant plus de 500 millions d'euros de demandes. Cela montre le foisonnement du secteur associatif, le besoin dans les territoires. Les deux tiers de ces appels à projet sont gérés dans les régions puisque nous faisons toujours le choix des territoires. Vous voyez que nous ferons des déçus. Nous avons remis de l'argent mais les besoins sont très forts.
En ces temps de crise sanitaire et sociale où les Français sont particulièrement éprouvés, il est important de rappeler que la lutte contre la pauvreté est l'un des combats prioritaires de la majorité depuis le début du quinquennat.
Avant la crise liée à la covid-19, le taux de pauvreté en France avait diminué. C'était d'autant plus remarquable que le revenu médian à partir duquel il est calculé avait progressé de 3 %. Ce résultat était le fruit de politiques publiques menées depuis trois ans, dont le lancement par le Président de la République du plan pauvreté, doté de 8 milliards d'euros, le 13 septembre 2018. Cette amélioration avait été liée à une baisse du chômage, à une dynamique des salaires ainsi qu'à des mesures que nous avions prises pour soutenir les plus précaires, avec l'idée de favoriser l'économie tout en protégeant les plus fragiles. C'est l'équilibre que nous nous efforcions de maintenir.
Des mesures fortes avaient été prises pour aboutir à nos objectifs. Je pense notamment aux primes exceptionnelles, à l'élargissement de la prime d'activité, au soutien extrêmement fort à l'aide alimentaire, aux aides exceptionnelles. La lutte contre la pauvreté a aussi consisté à alléger les Français de nombreuses dépenses qui grèvent les finances au quotidien : le chèque énergie, le reste à charge zéro pour les lunettes et les prothèses dentaires ou auditives, la tarification sociale des cantines avec les repas à 1 euro. Je pense également à la fusion de la complémentaire santé solidaire (CMU-C) et de l'aide à la complémentaire santé (ACS), qui est une avancée sociale extraordinaire.
La crise sanitaire est malheureusement venue accroître la pauvreté de manière importante. Plus d'un million de personnes ont basculé dans la pauvreté. La situation des jeunes est particulièrement inquiétante. Notons que 19 % des étudiants travaillant durant l'année avaient en principe un emploi dans le commerce ou la restauration, aujourd'hui fermés. Dans ce contexte, nous saluons les mesures de soutien considérables apportées aux Français pour les accompagner pendant cette crise mais il faut aller encore plus loin.
Le Premier ministre avait évoqué le revenu universel d'activité (RUA) comme étant toujours une priorité de notre exécutif lors du lancement de la deuxième phase du plan pauvreté en octobre dernier. Je voudrais savoir, madame la délégué interministérielle, où nous en sommes sur ce sujet.
L'année 2020 a été l'année de tous les dangers, de toutes les inquiétudes : pandémie mondiale, crise sanitaire, perte d'emploi, de revenu, isolement dû au confinement, peur de l'avenir, absence de liens sociaux. La crise sanitaire du covid-19 est inéluctable et a engendré une crise économique grave et profonde.
Les Français les plus en difficulté ont dû et doivent encore supporter des dépenses supplémentaires induites par le confinement, notamment pour l'alimentation. Les dépenses énergétiques croîtront vu les augmentations de tarifs annoncées. Beaucoup ont également été obligés de faire face à la disparition ou à la diminution de leurs ressources et revenus. Les couples, les familles avec enfants, les familles monoparentales, les étudiants, toutes les situations familiales sont concernées.
Chiffre édifiant et vertigineux, nous avons dépassé la barre des 10 millions de pauvres, soit un Français sur six. Le nombre de bénéficiaires du RSA augmente. Notre jeunesse n'est pas épargnée, souffrant de l'isolement bien sûr mais aussi de la précarité alimentaire.
Je souhaite par ailleurs vous parler des jeunes diplômés qui n'ont pas de travail aujourd'hui, qui n'arrivent pas à trouver de stage alors que les entreprises au bord du dépôt de bilan s'inquiètent.
Le groupe Les Républicains a réfléchi à quelques propositions comme la création d'un fonds national d'aide alimentaire, l'augmentation de l'amende pour destruction alimentaire, la création d'un chèque alimentaire pour l'achat de produits frais et locaux, la création de jobs pour la maison. Quelles autres alternatives comptez-vous mettre en place ?
Madame la déléguée interministérielle, je souhaite au nom de mon groupe vous témoigner notre soutien et notre encouragement à conduire la politique ambitieuse de lutte contre la pauvreté initiée en septembre 2018.
Cette politique, initialement, reposait sur cinq piliers : l'égalité des chances dès les premiers pas pour rompre avec la reproduction de la pauvreté ; garantir au quotidien les droits fondamentaux des enfants ; garantir un parcours de formation pour tous les jeunes ; des droits sociaux plus accessibles, plus équitables et plus incitatifs à l'activité ; investir dans l'accompagnement de tous vers l'emploi.
Je tiens à saluer la démarche très active de co-construction et de pilotage au plus près des acteurs de terrain. J'ai pu participer à un certain nombre d'ateliers et je salue l'investissement des professionnels associatifs et institutionnels pour mettre en commun les réponses les plus innovantes.
Je souhaite aussi souligner l'engagement fort du Gouvernement sur les piliers 1, 2, 3 et 5. Toutefois je dois déplorer l'absence d'avancée significative sur le quatrième pilier, visant à l'accès aux droits sociaux, voulus plus équitables et plus incitatifs.
Tout en saluant les facilitations apportées durant la crise à l'accès aux droits et à leur maintien, force est de constater que nous n'avons pas pu mettre la réforme du RUA en route. Alors que le taux de non-recours au RSA est estimé autour de 30 % et que 65 % des Français pensent que l'État n'en fait pas assez pour les plus démunis, qu'attendons-nous pour concrétiser cet accès automatique aux droits ?
Par ailleurs, alors que les jeunes comptent parmi les personnes les plus frappées par la précarité et que la concertation sur le RUA a mis en lumière le souhait des Français de voir les jeunes bénéficier d'un revenu minimal dès 18 ans, quand et comment répondrons-nous à cette attente sociale ?
Je voudrais attirer plus particulièrement votre attention sur la situation des étudiants même si je n'oublie pas que tous les jeunes ne sont pas étudiants et que d'autres sont sans emploi, sans formation ou sans apprentissage et sans solution. Chacun a pu voir ces dernières semaines les nombreuses vidéos d'étudiants qui font la queue à l'aide alimentaire. Chacun a aussi pu prendre connaissance de ces nombreuses enquêtes qui montrent que ces étudiants sont les premières victimes sur le plan psychologique. Nous pourrions évoquer ces 180 000 logements des centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires alors que plus de 700 000 jeunes sont bénéficiaires d'une bourse d'enseignement supérieur. C'est le delta qui existe entre ces jeunes en difficulté et l'offre de logements, qui est insuffisante. Je pourrais évoquer ces nombreux étudiants qui ont perdu leur job et parfois même le travail qu'ils effectuaient à temps plein pour financer leurs études. D'après le rapport que nous avons voté ici en décembre 2020 à l'issue de la commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse, 38 % des étudiants qui travaillaient ont dû arrêter de le faire.
Si tout le monde souffre dans cette situation inédite et tragique, les jeunes et les étudiants sont peut-être parmi les plus touchés. Je voudrais savoir quelle est votre position dans un débat assez foisonnant qui ressemble parfois un peu au concours Lépine pour essayer de proposer des solutions à ces jeunes et quelle est votre position sur ce que certains réclament : RUA, ouverture du RSA dès 18 ans, prêt bancaire...
Malgré une entrée en fonctions contrariée par la crise sanitaire, vos propos liminaires démontrent votre investissement et apportent un éclairage utile sur la thématique de la prévention et de la lutte contre la pauvreté. Cette thématique sera sans doute, malheureusement, de plus en plus d'actualité au regard de la crise économique qui menace en sortie de crise sanitaire.
Je souhaite vous interroger sur la précarité des jeunes, sur laquelle nous avons déjà été alertés à de multiples reprises. Vous avez d'ailleurs conduit une partie de nos travaux. Les moins de 25 ans sont les plus touchés par les suppressions d'emplois précaires entraînées par la pandémie. Au sein de ma circonscription, plusieurs associations caritatives m'ont confirmé l'afflux de jeunes pour obtenir de l'aide alimentaire. De plus, les conséquences de la crise sanitaire provoquent un chômage considérable pour les nouveaux arrivants sur le marché du travail. Peu qualifiés, les jeunes sont souvent victimes de la chute brutale de l'activité économique comme le démontre une note de l'Institut national de la statistique et des études économiques publiée le 14 octobre dernier.
Plutôt que d'élargir le champ des bénéficiaires du RSA, le Gouvernement a fait le choix de valoriser le dispositif de la garantie jeunes, accessible aux jeunes de 16 à 25 ans, qui combine une allocation mensuelle et une aide à l'insertion professionnelle. Créé en 2016, ce dispositif est assez nouveau et voit donc le nombre ses bénéficiaires augmenter considérablement. J'aimerais connaître votre lecture de ce dispositif en rapport avec la crise sanitaire actuelle. Avez-vous eu des retours sur ce suivi individualisé ?
Le ministère du travail a également proposé une mise en œuvre du dispositif de garantie jeunes universelle, ouvrant ainsi ce droit à tous les jeunes en situation de précarité, en réponse aux acteurs de lutte contre la précarité qui préconisent l'extension du RSA. Pouvez‑vous nous donner également votre appréciation sur ce dispositif au regard des besoins identifiés ?
Alors que la France, sixième puissance économique du monde, connaît actuellement un record de pauvreté jamais atteint depuis la Seconde Guerre mondiale, il est un séparatisme dont nous ne parlons jamais, dont nous ne pouvons d'ailleurs pas débattre dans l'examen du projet de loi renforçant les principes républicains : le séparatisme social.
Souvent, lorsque nous parlons de richesse et de pauvreté en France, nous entendons des réactions assez convenues du genre « je n'ai pas de problème avec le fait qu'il existe des riches mais c'est insupportable de voir autant de pauvres ». Pourtant, la pauvreté ne tombe ni du ciel ni de l'épidémie. Madame, vous qui êtes déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté, vous n'ignorez pas le lien direct entre la concentration de richesses entre quelques mains et l'extension de la pauvreté.
Nous comptons 10 millions de pauvres en France, 4,1 millions de mal logés, 300 000 personnes sans abri. Avant même la crise de la covid, un jeune sur cinq vivait déjà sous le seuil de pauvreté en France.
Toutefois, vous le savez, ce n'est pas la crise pour tout le monde. Dans le même temps, les milliardaires français viennent d'engranger 175 milliards d'euros en 2020, soit deux fois le budget de l'hôpital public. En France, sept personnes possèdent autant que les 30 % les plus pauvres et les 10 % les plus riches possèdent 50 % des richesses. À titre d'exemple, l'organisation non gouvernementale Oxfam propose cette comparaison édifiante : si quelqu'un avait pu économiser l'équivalent de 8 000 euros par jour depuis la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, il n'arriverait aujourd'hui qu'à 1 % de la fortune de Bernard Arnault.
Il y a urgence à partager désormais les richesses produites qui sont le fruit du travail humain. Si une petite poignée accapare tout le gâteau, il ne reste de fait que des miettes pour le plus grand nombre car la richesse est un stock.
Voici trois propositions urgentes sur lesquelles je souhaite recueillir votre avis : étendre sans plus attendre le RSA aux jeunes de moins de 25 ans, dont nous voyons qu'ils sont de plus en plus nombreux à gonfler les files d'attente des banques alimentaires ; rehausser les minima sociaux afin que personne ne vive en France sous le seuil de pauvreté ; étendre la gratuité dans les transports mais aussi pour les premières quantités de ces biens communs que sont l'eau, l'électricité et le gaz.
Pour financer ces mesures, il suffirait de revenir sur toute une série de cadeaux aux plus riches réalisés depuis le début de ce quinquennat et d'envisager une contribution exceptionnelle face à la pandémie, comme beaucoup le réclament.
Tout d'abord, le chiffre de 10 millions de pauvres n'est absolument pas validé. Des associations ont donné ce chiffre et j'en ai discuté avec elles. Nous avions environ 9 millions de pauvres et « 10 millions de pauvres » est sorti dans un titre du Monde un soir, sans que ce chiffre soit étayé. Nous n'avons hélas pas de chiffre précis ; je vous ai donné tous les indicateurs avec lesquels nous essayons d'évaluer l'évolution de la pauvreté mais nous ne pouvons pas en conclure pour l'instant que le nombre de pauvres a augmenté d'un million. Même les associations qui l'ont dit en sont conscientes. Je ne dis pas pour autant que la pauvreté n'augmente pas. Je dis simplement qu'il faut être prudent avec les chiffres et que ce chiffre n'est actuellement pas étayé.
Les jeunes sont clairement particulièrement touchés lors de cette crise. S'agissant du RUA, les travaux ont été stoppés au moment du premier confinement ; les reprendre n'a pas été la priorité au moment du déconfinement et durant l'été. La reprise des travaux techniques a été actée par le Premier ministre à l'automne et nous essaierons de produire un rapport capitalisant sur tout ce qui a été fait durant dix‑huit mois. Nous n'avons actuellement pas les ressources nécessaires puisque nous sommes toujours en gestion de crise : les personnes chargées de ces travaux s'occupent de la gestion de crise. Les travaux ont été extrêmement riches et je souhaite à la fin de l'année la publication d'un rapport public, technique, qui n'engagera pas la Gouvernement. Ce rapport présentera les différentes options possibles en les chiffrant pour alimenter le débat public. Pour en avoir discuté avec beaucoup d'associations qui ont participé à ces travaux, je pense que nous sommes toujours surpris, dans un sens comme dans l'autre, par certains impacts. Il faut lever des regards un peu dogmatiques et essayer d'objectiver le sujet.
Les travaux du RUA avaient montré que le sujet des jeunes est compliqué. Il existe de nombreux types de jeunes. Des solutions ont été proposées pour les étudiants. Je me fais aussi la porte-parole des jeunes très précaires, qui n'ont pas de syndicat pour se faire entendre dans les journaux, qui sont dans les centres d'hébergement... J'ai lancé des travaux sur ces jeunes très précaires, qui sont souvent en rupture familiale et cumulent des problèmes d'accès au logement, d'accès à l'insertion professionnelle et, en général, de santé mentale et d'addictions.
Il faut segmenter les jeunes selon leur typologie. Ils ont besoin de réponses différentes et c'est la raison pour laquelle un RSA jeunes global ou – car je n'aime pas le terme de RSA, qui est très connoté – une allocation de soutien monétaire à tous les jeunes n'est pas forcément justifiée. Il existe aussi des jeunes qui bénéficient de beaucoup de soutiens intrafamiliaux, dans tous les milieux, comme l'ont montré les travaux sur le RUA. Il est intéressant de voir que ce phénomène existe dans tous les milieux, évidemment avec des niveaux différents selon les milieux. En moyenne, un jeune bénéficie d'une aide de ses parents de 250 euros par mois.
Même si ce n'est pas forcément retenu par le Gouvernement, je maintiens que la proportion des jeunes qui ont vraiment besoin de ce soutien monétaire est une petite minorité mais qu'en revanche, beaucoup d'autres jeunes ont des moyens de transfert. Il faut faire attention pour que les décisions soient acceptables par l'ensemble de la population. Il est clair que le sujet ne fait pas l'unanimité. Nous avons tous connu des personnes qui bénéficiaient des aides personnalisées au logement (APL) alors que leurs parents auraient très bien pu payer leur loyer tandis qu'il était absolument essentiel pour d'autres de les avoir. Ces transferts intrafamiliaux ne sont pas objectivables facilement et le diable se cache dans les détails. Un RSA pour tous les jeunes de moins de 25 ans coûterait 13 à 14 milliards d'euros. Ce sont des choix sociétaux. Tout le problème est d'identifier les jeunes ayant vraiment besoin de ce soutien monétaire de manière essentielle.
Le sujet ne concerne pas que le soutien monétaire des jeunes mais surtout leur accompagnement. Toutes les associations avec lesquelles nous avons travaillé le disent. En plus de la survie au quotidien, ces jeunes sont perdus, n'arrivent pas à trouver leur voie et ont besoin d'un accompagnement. C'est tout l'enjeu des dispositifs renforcés dans le cadre du plan jeunes. 6,7 milliards d'euros y sont consacrés. De nombreux dispositifs sont renforcés ; ils correspondent à la diversité des besoins des jeunes. Cela concerne la garantie jeunes par exemple, mais tous les jeunes n'en ont pas besoin.
Les jeunes diplômés en recherche d'emploi, suivis par l'Association pour l'emploi des cadres ou par Pôle emploi dans le cadre de l'accompagnement intensif des jeunes, ne bénéficiaient jusqu'à présent pas de soutien financier. Nous avons mis en place durant le premier semestre 2021 un dispositif transitoire exceptionnel qui peut aller jusqu'à 500 euros, soit à peu près l'équivalent du RSA, pour leur permettre passer cette période difficile du tunnel de la crise sanitaire.
Le problème des jeunes est donc compliqué, avec des situations très différentes. Il faut accepter que nous ayons des regards et des réponses très différenciés. C'est aussi l'objectif de la garantie jeunes universelle, qui essaiera d'agréger tous ces dispositifs. Des travaux sont en cours pour savoir comment faciliter l'accès à ces mesures puisque la difficulté, dans le cas de nombreuses actions différentes, est que les jeunes sont perdus. Il faut organiser un guichet unique d'entrée.
Pour les étudiants, de nombreuses mesures ont été prises : le restaurant universitaire à 1 euro, la création du soutien par des tuteurs, la création de postes de travailleurs sociaux dans les universités pour suivre et soutenir ces étudiants, le forfait qui permet d'avoir accès à trois consultations de psychologue. Je rappelle aussi que les étudiants, contrairement aux autres jeunes, ont accès aux bourses. Il existe des dispositifs de soutien financier spécifiques pour les étudiants.
L'accès aux droits sociaux est un de mes grands combats. Nous mettons actuellement en place l'exploration de données – data mining – déjà testée dans plusieurs CAF. Nous faisons des simulations avec les données de personnes que nous connaissons pour vérifier si elles ont accès à toutes les aides auxquelles ils pourraient prétendre. Cela ne peut évidemment toucher, pour l'instant, que des personnes déjà connues des CAF. Cela permet de voir, par exemple dans le cas de quelqu'un qui a les APL, s'il pourrait en fait bénéficier du RSA ou d'allocations familiales et n'y recourt pas.
Nous avions fondé beaucoup d'espoirs sur ce système qui n'est pas si rentable que cela. Nous récupérons une partie des personnes mais ce n'est malheureusement pas un capteur important. Le véritable enjeu, à mon avis, est « l'aller vers » que nous développons. À l'issue du premier confinement, j'avais demandé aux équipes des CAF et des caisses primaires d'assurance maladie d'aller dans les centres d'hébergement d'urgence à la rencontre des personnes. Cette démarche innovante a très bien fonctionné. La culture de la sécurité sociale est d'avoir de nombreuses actions d'ouverture de droits mais les gens doivent venir à la sécurité sociale. Il faut donc inverser la démarche et aller au contraire vers les gens.
Ce système a très bien fonctionné notamment pour l'ouverture des droits maladie, moins bien pour les droits RSA ou autres, à cause en particulier de questions de domiciliation. En tant qu'élus locaux, vérifiez que vos centres communaux d'action sociale (CCAS) assurent bien leur mission obligatoire de domiciliation. Ce n'est pas toujours le cas, loin de là, et ce défaut de domiciliation pose problème car c'est une condition pour l'ouverture des droits.
Monsieur Ramadier, vous parliez de l'accès à des chèques alimentaires. Nous y réfléchissons pour concevoir des circuits courts puisque ces sujets ont été annoncés par le Président de la République. Le diable se cache dans les détails de la mise en œuvre ; l'idée est intéressante mais il faut définir quels produits sont éligibles, en créant un système simple pour que ce soit lisible mais, s'il est trop simple, cela comprend aussi des cas qui ne correspondent pas à tous les objectifs.
Par ailleurs, les moyens en termes d'aide alimentaire ont été considérablement augmentés. Les fonds européens augmentent de 48 % pour la période 2021-2027. Je pense donc que, sur l'aide alimentaire, nous avons énormément fait. Le sujet est maintenant plutôt de savoir comment mailler l'accès aux droits.
Ma question porte sur la précarité économique des seniors qui n'ont ni emploi ni retraite. Les Français âgés de 53 à 69 ans se retrouvent parfois dans une situation paradoxale : trop jeunes pour toucher une retraite, ils peinent à trouver un emploi en raison de leur âge. Ils connaissent souvent le chômage de longue durée et vivent dans des conditions économiques précaires. Un tiers d'entre eux vit même en dessous du seuil de pauvreté, avec moins de 1 015 euros par mois. Cette population présente un profil particulier : elle est composée aux deux tiers de femmes peu diplômées, présentant des problèmes de santé parfois importants.
Deux questions se posent. Comment permettre le maintien en emploi des seniors ? Comment faciliter leur retour sur le marché du travail ? Madame la déléguée interministérielle, pouvez-vous nous préciser si ce public des seniors sans emploi ni retraite est bien pris en compte dans le cadre de la politique de prévention et de lutte contre la pauvreté ? Quels sont les dispositifs mis en œuvre pour cibler ce public en transition entre activité et retraite ?
Madame la déléguée interministérielle, je confirme votre constat concernant les difficultés des indépendants après avoir visité vendredi dans ma circonscription un centre local des Restos du cœur qui a observé une hausse de 15 % du nombre de repas servis. Ils ont aussi accueilli un nombre croissant de retraités qui ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts.
Je voudrais vous interroger sur l'angle territorial de cette lutte contre la pauvreté qui connaît, comme d'autres politiques publiques, des fractures territoriales aggravées et révélées par la crise sanitaire. Par exemple, la fermeture des bureaux de poste pendant le confinement dans de nombreux territoires a rendu difficile l'accès au versement des allocations lorsque les bénéficiaires n'ont pas de carte bancaire. Ainsi, des territoires ont été complètement oubliés. C'est la double peine pour des citoyens dans la précarité habitant des intercommunalités sans aucun bureau de poste ouvert. D'une certaine manière, l'injustice territoriale a généré de l'injustice sociale.
Les dispositifs en matière d'éducation – réseaux d'éducation prioritaire (REP) et réseaux d'éducation prioritaire renforcés (REP+) – et les dispositifs en matière de logement abordable avec la taxe sur la valeur ajoutée réduite ou les dispositifs économiques, avec les emplois francs propres aux quartiers prioritaires de la politique de la ville, semblent réservés aux quartiers de grandes agglomérations alors que de nombreux concitoyens hors ces quartiers vivent dans la précarité dans des territoires périurbains ou ruraux. Quelles préconisations portez-vous pour y remédier afin que nous n'oubliions aucun pauvre dans notre pays ?
La pauvreté vous colle à la peau et le combat face aux pauvretés, au pluriel, est un combat de longue haleine que mènent avec énergie les associations, les collectivités, les acteurs économiques, éducatifs et les gouvernements successifs. Le Président de République, fidèle aux valeurs de notre République, a fait des inégalités de destin l'une des priorités de son quinquennat.
Si nous assistons effectivement à un recul de la pauvreté avec les mesures prises depuis trois ans, nous ne pouvons toutefois pas nous en satisfaire car la crise a accentué le fossé. Elle renforce l'idée que les riches sont toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres. Nous en avons vu les effets ravageurs aux États-Unis.
Les mesures complémentaires prises par le Gouvernement pour les personnes âgées ou isolées, pour les étudiants, pour les « invisibles » parce que sans emploi, sans formation, sans diplôme ou pour les familles monoparentales ont freiné ces effets ravageurs.
Heureuse nouvelle dans cette période d'incertitude, Mme Borne, la ministre du travail, a rappelé dans l'hémicycle que 450 000 jeunes se sont engagés dans la voie de l'apprentissage pour un avenir meilleur.
La pauvreté est d'autant plus un scandale qu'elle touche bon nombre d'enfants d'où ma question : avez-vous un retour d'évaluation sur les dispositifs « repas à 1 euro » dans les écoles, sur les classes à douze élèves et le dispositif « devoirs faits » face au décrochage scolaire ?
J'ai bien entendu vos propos, madame la déléguée interministérielle, mais le plan pauvreté du Gouvernement n'a rien ou peu produit. À chaque fois que la question est abordée, vous débarquez avec des chiffres mais vous oubliez que nous parlons d'humains, c'est-à-dire d'hommes, de femmes, d'enfants, de familles. Pourquoi un aussi grand pays que la France refuse-t-il de mener une politique d'éradication de la pauvreté ? Comment la France refuse-t-elle le bien-être des gens ? Pourquoi le Gouvernement n'écoute-t-il pas les propositions constructives de l'opposition ? Cela ne signifie pas que vous êtes à court d'idées mais bien à court de volonté, d'humanité.
Aujourd'hui, des personnes âgées, des étudiants, des familles, des jeunes, des travailleurs connaissent des jours difficiles pour se soigner, s'alimenter, faire face aux factures courantes, créer les meilleures conditions pour la réussite de leurs enfants notamment à l'école, pour payer leur logement... Certains n'hésitent plus à sacrifier certaines dépenses essentielles pour essayer de vivre dignement. À la souffrance matérielle s'ajoute la souffrance psychologique, le mal-être dans un climat de déprime, d'incertitude. D'après une étude publiée lundi dernier, plus d'un million de Français pourraient basculer dans la pauvreté.
Un journal de La Réunion, mon département, a révélé hier le témoignage d'une femme de 60 ans qui vit avec 531,94 euros par mois. Sincèrement, pourriez-vous vivre avec cette somme ? La réponse est sûrement non alors pourquoi laisser des gens dans cette situation ?
Quel espoir pouvez-vous donner à la population ? Comment comptez-vous redonner du pouvoir d'achat aux plus pauvres, aux plus modestes, aux retraités, aux personnes âgées ? Le Gouvernement prévoit-il d'agir concrètement notamment sur le terrain de l'emploi, une des solutions pour sortir la population de la pauvreté ?
De pistes existent pour garantir l'emploi dans les métiers de la reconstruction écologique, notamment du lien social, ce qui pourrait sortir des centaines de milliers de chômeurs de longue durée de l'exclusion. Êtes-vous favorable à un droit opposable à l'emploi ? Des solutions justes existent. À vous, les membres du Gouvernement, d'être justes dans vos actions.
Je me permets de corriger vos propos, monsieur Ratenon. Mme la déléguée interministérielle n'a pas « débarqué », elle a simplement répondu à notre invitation avec beaucoup d'amabilité.
Je souhaite revenir sur la question de la précarité de notre jeunesse. Au-delà du rôle considérable de l'État qui a déjà été rappelé, que ce soit au travers du plan de lutte contre la pauvreté ou des aides spécifiques dans le cadre de la crise covid-19, que pouvez-vous nous dire des actions menées par les différentes collectivités territoriales pour soutenir notre jeunesse ? Qu'en est-il de la nécessaire cohérence et de la coordination de l'action sur le terrain de ces différents acteurs ? Quelles bonnes pratiques territoriales méritant d'être généralisées pouvez-vous partager avec nous ?
Par ailleurs, 6,7 millions d'euros seront mobilisés pour aider les jeunes à construire leur avenir au sortir de la crise. Parmi les trois priorités retenues dans le plan « Un jeune, une solution », l'une vise à orienter et former 200 000 jeunes dans les secteurs et les métiers d'avenir.
Le secteur industriel représente un vivier d'emplois considérable malgré la crise. Pourtant, comme j'ai pu le constater en tant que corapporteur d'un rapport parlementaire sur la politique industrielle de l'État, l'appétence des jeunes pour les métiers industriels est faible. Ils en ont souvent une image défavorable et obsolète.
Madame la déléguée interministérielle, pouvez-vous nous éclairer sur vos attentes quant au rôle des entreprises dans la crise, en particulier celles du secteur industriel ? Comment mettre à profit les dispositifs d'aide déployés par le Gouvernement pour permettre à notre jeunesse l'entrée dans le marché du travail, en particulier pour les jeunes les plus éloignés de l'emploi ?
La lutte contre la pauvreté est la préoccupation de chacun de nous et, à défaut de l'éradiquer, nous essayions collectivement de l'endiguer.
D'après les informations que j'ai lors des réunions avec les services de l'État, je suis quelque peu surprise de constater que des fonds disponibles sont attribués par le biais des subventions d'État à certaines associations qui ne démontrent pas forcément une réelle efficacité dans les priorités liées aux problèmes auxquels un grand nombre de Français sont actuellement confrontés. Les associations reconnues, qui sont pour moi prioritaires, sont débordées et les financements manquent.
Avez-vous une visibilité de l'utilisation des fonds déconcentrés ? Existe-t-il une coordination sur les actions à financer ?
L'alimentation constitue une part importante du budget des ménages. La cantine à 1 euro est une mesure phare de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté. Cependant, nous avons relevé des freins. Le premier frein identifié est le niveau de financement, jugé quelquefois insuffisant. Le deuxième est l'inquiétude des communes, qui pensent que l'État se désengagera peut-être une fois qu'elles seront engagées dans cette mesure. Enfin, le ciblage des communes éligibles est jugé restrictif puisque ce sont parfois de toutes petites communes qui sont éligibles alors qu'elles n'ont pas d'école.
Depuis le 1er janvier, le soutien de l'État est passé de 2 à 3 euros par repas. C'est une première réponse mais il n'en reste pas moins le débat sur l'élargissement de la cible à des communes rurales un peu plus grandes, c'est-à-dire des communes de 2 000 à 10 000 habitants. Dans ces communes se trouvent également des familles qui mériteraient de bénéficier de cette mesure. Pouvez-vous nous dire si ce sujet est d'actualité ? Cela permettrait une accélération du déploiement de cette mesure.
J'entends le débat sur le nombre de pauvres en France. Pour ma part, quand une association annonce que nous franchissons en 2020 la barre des 10 millions, j'ai tendance à la croire, encore plus lorsqu'il s'agit du Secours catholique, reconnu d'utilité publique depuis 1962. Une certitude est qu'aucun chiffre objectif ne nous permet d'annoncer une baisse de la pauvreté pendant l'année 2020.
Madame la déléguée interministérielle, vous avez parlé d'un volet « grands précaires ». J'ai une question sur la précarité menstruelle. J'ai été alerté à ce sujet par plusieurs associations de ma circonscription qui mènent des actons volontaristes en faveur de l'égalité femmes-hommes. La précarité menstruelle est un vrai révélateur de ces inégalités. 1,7 million de femmes en sont victimes et le phénomène tend à s'accentuer avec la crise. Selon ces mêmes associations, les femmes dépensent en moyenne entre 5 et 7 euros par mois en protections hygiéniques. Il s'agit d'un budget conséquent pour les plus démunis, pour les femmes sans abri, les femmes incarcérées, les travailleuses pauvres ou certaines étudiantes et j'en passe. Ces femmes en sont réduites à se protéger comme elles le peuvent avec des protections hygiéniques de fortune ce qui pose de véritables problèmes sanitaires et de dignité. C'est un réel sujet, malheureusement trop peu mis en exergue, par tabou peut-être, à cause de notre société patriarcale certainement, à cause de son invisibilité j'en suis convaincu.
Pourtant, les citoyennes et les citoyens alertent les pouvoirs publics. Je pense à la pétition de Rebecca Amsellem ou à l' hashtag #StopPrécaritéMenstruelle. Pourriez-vous nous indiquer, madame la déléguée interministérielle, quelles mesures vous préconisez de mettre en place afin de permettre l'accès à ces produits de première nécessité pour toutes les femmes ? Je crois qu'il en va de la dignité humaine.
Je voudrais d'abord rendre hommage à toutes ces associations caritatives qui mènent un travail indispensable sur le terrain. Nous le voyons dans les communes, en milieu urbain comme en milieu rural. Je rends aussi hommage bien sûr aux collectivités locales, aux CCAS et à tous les personnels qui s'investissent dans ce domaine.
Ne faut-il pas dans l'urgence, madame la déléguée, un véritable plan contre la pauvreté et pour l'aide alimentaire ? Nous mesurons combien une crise économique et sociale s'est ajoutée à la crise sanitaire, touchant une population de plus en plus étendue avec ce que nous appellerons les « nouveaux pauvres » à qui nous devons le respect : des étudiants, des intérimaires, des artisans, des autoentrepreneurs... La liste est longue ce qui fait franchir la barre des plus de 10 millions de pauvres dans notre pays. L'ensemble des associations nous alertent.
Quelles mesures faut-il mettre en œuvre pour soutenir toutes ces familles ? Que pensez-vous de l'idée d'instaurer un plancher social qui protège toute personne des accidents de la vie, qu'elle soit jeune – dès 18 ans – ou à la retraite ?
Nous mesurons aussi combien l'alimentation est importante pour la santé. La crise sanitaire a mis en exergue les inégalités d'accès à une bonne alimentation, c'est-à-dire à une bonne santé. Par conséquent, nous avons proposé un certain nombre de mesures à travers un plan pour l'aide alimentaire : l'octroi de chèques alimentaires, une meilleure organisation pour éviter tous ces produits alimentaires qui chaque jour « périssent » en quelque sorte dans des commerces ou des lieux où ils ne sont pas utilisés, notamment les cantines. Il faudrait proposer ces produits à celles et ceux qui en ont besoin.
Pourquoi enfin ne pas créer un fonds national d'aide alimentaire dont la gestion pourrait être confiée aux départements ? Pensez-vous ces propositions crédibles ? Comment aller plus loin, madame la déléguée interministérielle ?
Par ailleurs, les solitudes sont de plus en plus nombreuses. Elles ne touchent pas seulement les personnes âgées comme par le passé mais aussi de nombreux jeunes. Comment faire face à l'explosion de l'isolement et de la précarité de la jeunesse, de toutes les strates de la population en général ?
Beaucoup de jeunes ont perdu leur emploi. Comment leur assurer un retour à l'emploi, même partiel ? Est-il envisageable de mettre en place des emplois pour ces jeunes entre 18 et 25 ans dans nos collectivités, nos administrations, nos associations d'utilité publique ou nos universités ? Ils ont besoin de reprendre toute leur place dans notre société.
Je voudrais vous interroger sur la montée en puissance des conventions avec les départements. Elles ont été signées voici environ deux ans, en 2018, et concernaient notamment le suivi et l'accompagnement des allocataires du RSA. Il s'agissait de les accompagner plus efficacement vers l'emploi. Comment les informations vous remontent‑elles ? Existe-t-il un bilan que vous pourriez éventuellement nous communiquer ?
Ma seconde question porte sur l'automaticité. Nous entendons beaucoup dire que les minima sociaux devraient être versés de manière automatique. Quelles sont les difficultés réelles rencontrées maintenant depuis des années pour que ceci ne puisse pas se faire ?
Je voudrais vous interroger sur la question du logement en partant de deux constats. Le premier est la difficulté de produire des prêts locatifs aidés d'intégration (PLAI) et des logements sociaux dédiés aux plus pauvres dans les programmes de logements sociaux. Le seconde constat est le coup du foncier, qui rend impossible l'accession à la propriété dans les milieux urbains proches des services à des ménages qui travaillent avec de faibles revenus. De ce fait, la concentration des très pauvres dans les quartiers très populaires et des un peu moins pauvres dans les zones périurbaines ou rurales engendre des situations défavorables pour tous.
Il en va de même lors du passage de l'hébergement au logement autonome, quasiment toujours concentré sur un des segments peu favorisés du parc. Quelle pourrait-être une stratégie de réinvestissement de la part de l'État et de ses partenaires pour agir de manière systémique et durable et enrayer les trappes à pauvreté que constitue souvent l'offre de logement ?
Ma question porte sur la contractualisation avec les départements. Elle avait été lancée pour établir une équité sur l'ensemble du territoire et une égalité d'accès aux enveloppes allouées dans le cadre de la lutte contre la pauvreté. Il s'avère que, lors de la phase de signature des avenants aux conventions, certains départements peinent à obtenir des enveloppes ou à les dépenser. Pourriez-vous nous indiquer quels sont les freins et pourquoi certains départements n'ont pas accès à ces enveloppes ?
Sur le soutien aux seniors, j'ai rappelé que la stratégie de lutte contre la pauvreté est surtout centrée sur les jeunes, sur l'action pour éviter la reproduction de la pauvreté donc sur une logique de prévention. La stratégie n'est pas dans une logique curative même si elle s'occupe de certains publics et de certains sujets. Malgré tout, elle est tournée vers la jeunesse et l'insertion professionnelle, plus que la gestion de la seconde partie de vie.
Il faut tout de même que vous sachiez que les personnes âgées sont globalement en France moins pauvres que les jeunes. Dans les années 1960-1970, le pauvre était une personne âgée et rurale, un homme seul isolé en milieu rural. Maintenant, c'est plutôt une famille monoparentale urbaine. Le visage de la pauvreté en France a donc changé. Cela ne signifie pas qu'il n'existe pas de personnes âgées pauvres mais les personnes entre 65 et 74 ans ont un taux de pauvreté de 8,5 % alors que le taux dans la population globale est de 15 %. C'est la raison pour laquelle ce n'est pas notre public prioritaire.
Des actions ont toutefois été menées. Le Gouvernement a revalorisé l'allocation de solidarité aux personnes âgées de 100 euros, ce qui n'est pas négligeable. D'autres mesures indirectes sont les actions en faveur du 100 % santé, qui est pour moi une des plus grandes réformes de ces dernières années en termes de santé. Elle est peu connue, peu valorisée. Pourtant, le reste à charge pour ces personnes âgées est élevé et cette réforme permet d'avoir accès à des prothèses dentaires, auditives ou des lunettes sans reste à charge. Cela peut représenter une part non négligeable des dépenses pour ce public même si cela ne répond pas à tous les problèmes. Le maintien en emploi des seniors, quant à lui, n'est pas complètement dans mon champ.
La stratégie est fondée sur une logique extrêmement territorialisée, ce qui a l'avantage de s'adapter aux besoins de terrain mais rend le bilan plus compliqué, les priorités étant définies localement.
La question des bureaux de poste a été un sujet, notamment au mois de mars, mais nous avons très vite réagi avec la direction générale de la Caisse nationale des allocations familiales, en demandant l'ouverture de bureaux de poste supplémentaires pour le versement. Nous avons d'ailleurs anticipé le versement des allocations au début avril et nous avons étalé pour éviter les ruées sur certains bureaux de poste. Nous avions demandé à La Poste de rouvrir des bureaux.
Nous nous sommes aussi beaucoup battus sur un autre sujet qui n'a été que peu relayé : des commerçants refusaient les paiements en espèces et n'acceptaient que le « sans contact », alors que les publics précaires n'ont souvent pas de carte bleue et paient en espèces. C'est un facteur d'exclusion. Nous avons fait une campagne de communication pour rappeler la possibilité de payer en espèces. Vous ne voyez plus maintenant cette angoisse de manipuler l'argent qui existait au premier confinement.
Le sujet des inégalités territoriales est géré dans le cadre des priorités régionales définies par les commissaires à la lutte contre la pauvreté en lien avec l'ensemble des acteurs. Des ajustements ont lieu grâce aux enveloppes régionales existantes, indépendantes de la partie contractualisation. Cette enveloppe est à la main des commissaires pour faire des appels à projets en fonction des priorités. Ces enveloppes étaient à la base de 9 millions d'euros et ont été abondées en 2020 par réemploi d'une sous-consommation dans d'autres actions pour atteindre un budget global de 20 millions d'euros consacrés à des actions régionales spécifiques. Certaines régions ont fait des actions sur la précarité des femmes, d'autres sur l'accès à l'emploi ou sur les mobilités.
La contractualisation est pour moi un sujet fondamental. Nous n'en sommes pas encore vraiment à deux ans : les premières conventions ont été signées au milieu de l'année 2019. Nous avons fait un bilan l'été dernier, ce qui n'a pas été très simple car le premier confinement a bloqué beaucoup d'actions. Certaines conventions ayant été signées en septembre 2019, le bilan a donc parfois porté sur deux, trois ou quatre mois de développement puisque l'action ne se fait dans la minute qui suit dans les conseils départementaux. Nous avons donc eu une approche assez souple. La logique voulue par le Président de la République était a priori de ne donner de l'argent en 2020 que si les actions avaient été réalisées, exécutées et avaient de l'impact. Compte tenu des circonstances, nous avons permis des reports de crédits même si l'argent n'avait pas été dépensé. Nous préparons actuellement la contractualisation 2021 et nous ferons le bilan avec les commissaires pour savoir comment ajuster puisque le véritable bilan sera tiré plutôt cette année.
Le bilan n'est pas encore public car ce sont des sujets extrêmement sensibles dans les conseils départementaux. Vous n'êtes pas sans savoir que des élections approchent. Nous avons mis en place des indicateurs. Nous partions de très loin car ce n'est pas dans la culture des conseils départementaux. J'ai travaillé dans la mise en place d'indicateurs au sein des caisses de sécurité sociale et il a fallu dix ans, avec des audits des caisses pour vérifier. L'État ne fait pas d'audit des conseils départementaux pour vérifier les données qui nous ont été remontées. Nous avons donc des choux et des carottes, des données très hétérogènes. Sur le RSA par exemple, 40 % des bénéficiaires du RSA sont orientés en moins d'un mois en moyenne nationale mais cela ne veut rien dire du fait de la dispersion entre les conseils départementaux. Je ne sais pas quelle est la réalité.
Avec les commissaires, nous demandons une analyse beaucoup plus qualitative au sein de chaque département. Nous promouvons des échanges de bonnes pratiques. Nous voulions le faire en 2020 mais cela n'a pas été possible à cause des différents confinements. Nous sommes partis sur un temps long sur ces sujets et nous ne parviendrons pas au but en deux ans. Il faut maintenir la pression. Cela progresse, même si les conseils départementaux protestent avec l'augmentation du nombre d'allocataires du RSA.
Nous voyons bien que certains départements ont fait un énorme travail et d'autres non. 99 départements ont contractualisé pour l'instant. Nous pouvons ne pas contractualiser en 2021 avec certains départements qui ne jouent pas le jeu. Le sujet est de savoir si, politiquement, cette orientation sera prise. De toute façon, il était prévu que le bilan soit public à terme et il faudra le rendre public mais nous sommes dans une période un peu sensible.
Les cantines à 1 euro sont un sujet qui me tient à cœur. Nous avons vu durant le premier confinement le poids des repas pour les familles lorsque les écoles et les cantines ferment. Entre nous, pour l'instant, le système des cantines à 1 euro ne fonctionne pas. Sur 4 000 communes éligibles, 200 le font. Nous ne sommes donc pas du tout au niveau attendu et nous y travaillons. Nous avons déjà augmenté la dotation de l'État pour les communes, en passant de 2 à 3 euros. J'entends l'inquiétude sur l'après 2022. Nous ne pouvons pas préjuger de ce qu'il se passera mais, si cela fonctionne, je ne vois pas pourquoi l'État se désengagerait d'une mesure essentielle et efficace. Nous travaillons activement à l'élargissement des critères car nous sommes bien conscients que le calibrage a été trop serré. Plus de communes pourront y accéder, sans que nous ne puissions encore nous engager pour après 2022. Ce sera plus clair à la fin février.
Que font les collectivités territoriales ? Je ne suis pas chargée d'évaluer toute l'action des collectivités territoriales en matière de politique de jeunesse. Il s'agit d'un champ décentralisé, ce n'est pas le rôle de l'État. Dans le cadre des contractualisations, nous nous intéressons aux jeunes de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Le suivi des jeunes de l'ASE est extrêmement hétérogène avec une culture de suivi de ces jeunes dans certains départements. En Bretagne par exemple, 100 % des jeunes ont un contrat jeune majeur tandis que d'autres départements n'ont pas du tout cette politique. S'agissant d'une politique décentralisée, l'État n'a pas compétence pour imposer quoi que ce soit. Nous pouvons suggérer aux collectivités certaines actions, promouvoir les bonnes pratiques qui existent dans d'autres départements et montrent que c'est possible. Nous ne pouvons pas aller plus loin, puisque les collectivités disposent sur ce sujet d'une autonomie qu'il faut respecter.
Vous parliez des secteurs industriels mais les métiers du soin sont également en tension. Nous avons de nombreuses actions pour les favoriser. Il est exact que les métiers industriels ne sont pas très attractifs et beaucoup de besoins ne sont pas couverts. Nous pouvons agir, notamment auprès des jeunes de l'ASE qui sont intéressés lorsque nous leur proposons des métiers avec une garantie d'emploi. C'est aussi une manière de faire découvrir ces dispositifs.
Plus globalement, nous ne valorisons pas tous les métiers de l'artisanat. Nous disons toujours que nous augmentons le nombre de personnes qui vont jusqu'au baccalauréat. C'est bien mais nous avons besoin de tout le monde pour faire société et il faut aussi valoriser les autres métiers. Mieux vaut avoir un emploi que d'être au chômage.
Ceux qui s'occupent d'insertion disent avoir du mal à capter et à fidéliser les jeunes. Même ceux qui sont très intéressés disparaissent des dispositifs sans que nous comprenions pourquoi. C'est un sujet générationnel à traiter avec des sociologues pour comprendre comment toucher ces jeunes, les repérer, aller les chercher. Nous prévoyons de tester des maraudes numériques : il faut aller chercher ces jeunes là où ils sont, sur les terrains où ils vont et en particulier sur des sites internet. Il faut valoriser des actions dans leur monde, avec leurs mots. Nous n'avons peut-être pas assez pratiqué cette démarche « marketing » en allant vers leurs modes de fonctionnement au lieu de leur demander de se plaquer sur nos modes de fonctionnement.
La précarité menstruelle est un sujet important que nous partageons. Des dispositifs expérimentaux ont été testés en 2020. M. Véran et Mme Moreno ont décidé de les généraliser et ce sujet est donc bien pris en compte. 5 millions d'euros y seront consacrés en 2021, notamment pour les femmes sans abri, les femmes incarcérées...
L'automaticité des droits sociaux est un sujet compliqué, car le code ne prévoit actuellement pas d'automaticité de droits. Il faut faire une demande car il faudrait que nous connaissions les ressources des personnes, en permanence et en temps réel, pour pouvoir rendre ces droits automatiques. Nous mettons en place dans les CAF les dispositifs de ressources mutualisées, ce qui permettra de connaître une partie des ressources. Malgré tout, l'organisation en France n'est pas encore totalement celle de Big Brother et nous ne connaissons pas toutes les ressources. Nous ne pouvons pas être sûrs que les données dont nous disposons sont complètes. Lorsque les employeurs le déclarent, nous avons les données des salariés mais nous n'avons pas en temps réel les données des indépendants et autres. C'est un frein majeur.
Par ailleurs, la complémentaire santé solidaire (CSS) est proposée automatiquement lors d'une demande de RSA, mais nous ne pouvons pas l'ouvrir automatiquement, tout simplement du fait du droit de la concurrence. Elle peut être proposée par l'assurance maladie ou par des complémentaires santé privées. Rien que cela empêche de donner de droit la CSS aux bénéficiaires du RSA et nous nous rendons compte qu'une grande partie des personnes ne cochent pas la case sur le formulaire.
Nous pouvons passer sur une logique d'automatisme dans l'autre sens, avec des risques d'effet d'aubaine et d'inéquité de traitement. Nous essayons d'ajuster en fonction des conditions de ressources mais nous n'avons pas le suivi en temps réel des ressources des gens.
Je ne connais pas bien la politique du logement, les PLAI... Je pense que vous devriez auditionner Mme Wargon, qui connaît cela sur le bout des doigts et est très impliquée sur les sujets de pauvreté. Des solutions sont proposées mais n'entrent pas dans le champ de la stratégie pauvreté, sinon j'embrasserais toute la politique du Gouvernement. Nous travaillons en lien avec la ministre du logement, surtout sur l'hébergement d'urgence mais pas sur le suivi des PLAI.
Je ne sais pas de quelles associations parlait Mme Levy en signalant que des fonds arrivaient dans des secteurs non essentiels, puisque je ne coordonne pas tous les fonds des ministères. Nous avons un plan massif de 100 millions d'euros de soutien aux associations et nous voyons bien qu'il existe un vrai besoin. Un tel plan de soutien est inédit. Une coordination a lieu au niveau des préfectures mais pas uniquement dans le champ de la pauvreté. Je ne sais pas de quoi vous vouliez parler précisément.
En ce qui concerne la pauvreté, nous essayons grâce aux commissaires placés auprès des préfets de région d'avoir une coordination, notamment sur les appels à projet du plan de relance.
L'audition s'achève à dix-huit heures quarante.