Intervention de Antoine Perrin

Réunion du mercredi 3 février 2021 à 9h30
Commission des affaires sociales

Antoine Perrin, directeur général de la FEHAP :

Afin de répondre à toutes les questions de manière cohérente, je suivrai le fil du parcours de la personne à partir de son domicile. Nous sommes réunis pour parler des EHPAD, mais je ne peux pas traiter ce sujet sans évoquer le domicile. L'EHPAD est d'ailleurs un domicile. Le premier domicile de la personne est son appartement, son lieu de vie. Tout doit partir de là, sans scission entre le domicile « vrai » et le domicile EHPAD.

La prévention démarre au domicile. Si l'on souhaite diminuer la perte d'autonomie, il faut d'abord intervenir au domicile. Les professionnels du domicile sont les grands absents de cette crise – ou plutôt, ils ont été très présents mais personne ne les a vus. Ils ne font pas partie des revalorisations. Les services d'aide et d'accompagnement à domicile (SAAD), qui n'interviennent pas dans le soin, n'ont pas bénéficié de la prime, ou bien de façon éparse par certains départements. Ce secteur, déjà en difficulté avant la crise, peine à maintenir ses effectifs du fait des revalorisations du « Ségur », qui ne le concerne pas. Beaucoup d'adhérents de services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) nous expliquent qu'ils ont dû fermer des unités car les infirmières et les aides-soignantes sont parties. La prévention démarre donc par la prise en compte des acteurs du domicile, de façon qu'ils soient les premiers acteurs à être reconnus et valorisés pour leurs compétences, et articulés avec les autres acteurs de la santé et de l'accompagnement.

Nous avons mené auprès de nos adhérents une enquête sur la vaccination. Lorsque la vaccination a été annoncée, les 6 000 réponses que nous avons collectées ont montré que seulement 19 % des professionnels non-médecins des EHPAD étaient adhérents à la vaccination. Si environ 10 % des effectifs étaient indécis, plus de 70 % d'entre eux y étaient opposés. Ce chiffre est considérable. L'opposition, du côté des médecins, était moindre. Nous avons donc demandé qu'une communication positive soit faite sur la vaccination. Elle a eu peine à se mettre en place, mais nous l'avons poussée dans nos établissements. Nous constatons aujourd'hui que la réticence de nos soignants par rapport à la vaccination diminue. Nous n'avons pas de remontée de défaut de doses pour la seconde injection. Nous souhaiterions qu'une véritable stratégie de vaccination se mette en place, de la manière suivante : la première injection est donnée aux volontaires, aux soignants de plus de 50 ans et aux personnes âgées ; la seconde injection concerne les personnes qui ont reçu la première injection et constitue une première injection pour les personnes non vaccinées qui ont été convaincues entre‑temps ; et ainsi de suite toutes les trois semaines, afin de créer un roulement de vaccination jusqu'à obtenir un taux de vaccination correct. J'attire votre attention sur la vaccination à domicile. Les personnes âgées à domicile ne se situent pas dans un schéma aussi construit que dans les établissements – elles ne sont pas prioritaires. Il faut être beaucoup plus vigilant et accompagnant quant à la vaccination à domicile.

Qu'attendre de la loi sur le grand âge ? Il n'y aura pas de loi sur le grand âge, ou en tout cas pas telle qu'elle avait été prévue, je me suis maintenant fait à cette idée. Que peut-on donc réaliser avant la fin du quinquennat ? J'attends beaucoup de la loi « 4D », notamment en matière de santé décentralisée. La crise l'a montré : l'État ne peut pas décider de tout. L'État doit définir de grandes orientations et laisser les régions et les départements adapter ces décisions au niveau local en fonction de leurs particularités. Il faut donc conforter le niveau régional, en y incluant les collectivités : les collectivités régionales, en ce qui concerne la formation, l'enseignement, le recours, la recherche, l'innovation et l'investissement en santé ; le niveau départemental, que je souhaiterais voir inclus avec ses compétences actuelles en matière de proximité, d'autonomie et de parcours à partir du domicile. Cela me semble essentiel.

Pour atteindre un bon découpage territorial entre les compétences de l'État et les compétences des départements, il faut partir du principe que la santé est un tout. Elle doit être gérée ensemble : pour cela, les collectivités départementales doivent être strictement associées à l'État. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, et c'est franchement regrettable. Les ARS disposent d'un plan régional de santé, appliqué au niveau régional et décliné au niveau départemental. Parallèlement, les départements élaborent un schéma social et médico-social. Il arrive que les deux documents ne soient pas concertés. Si je forme une attente par rapport au grand âge, c'est celle d'une gouvernance unique et concertée des collectivités territoriales – régionales et départementales – avec l'État.

Je répondrai à la question de Mme Firmin Le Bodo sur le plan métiers et les présentations faites par Mme Bourguignon. Enfin ! Le rapport El Khomri date d'avant la crise. Nous avons vraiment attendu. Tout dépendra maintenant de l'élan que nous lui insufflerons. Il s'agit là encore d'une logique de parcours des personnes à partir de leur domicile. Les professionnels doivent se coordonner autour des parcours des personnes. Ces professionnels doivent être encouragés, valorisés – les professionnels du domicile, pour l'instant, ne le sont pas. Il est terrible de constater que dans certains territoires, il est difficile de convaincre des étudiants de se former aux métiers de l'accompagnement et du soin alors même que le taux de chômage est très important. Des actions d'envergure doivent être déployées par Pôle emploi, les conseils régionaux ainsi que par les fédérations – la région Grand Est connaît des initiatives significatives à ce sujet : tous les acteurs doivent travailler de façon coordonnée pour faire naître un nouvel intérêt pour ces métiers, qui doit s'incarner dans un parcours professionnel. Une personne qui souhaite s'orienter vers ce secteur doit savoir qu'il propose de beaux métiers, valorisés, à responsabilités et avec un niveau de rémunération correspondant, et qu'il offre des perspectives d'évolutions. C'est absolument essentiel. C'est par la mise en avant des parcours professionnels qu'on favorisera le plan métiers.

Nous sommes confrontés à des difficultés de recrutement, surtout depuis que nous avons constaté un décalage entre le secteur public et notre secteur dans la valorisation des métiers. En 2019, les salariés du public ont été revalorisés grâce à une prime de 100 euros nette. Cela n'a pas été le cas chez nous. À nouveau, la revalorisation du « Ségur » ne concerne pas les professionnels du domicile ni nos médecins. Nous constatons la fuite de nos professionnels non valorisés vers le secteur public. Il est ahurissant de voir que les services du domicile sont les plus fragiles et les moins valorisés, et donc les plus en difficulté en ce moment.

Très honnêtement, je ne suis pas favorable à la mise en place d'un ratio résidents/soignants. Il s'agit là encore d'un enjeu de délégation de responsabilités et de compétences à l'échelon local. En fonction du type de population à accompagner, de la configuration de leurs locaux, de leurs projets, les directeurs d'établissements doivent pouvoir, à masse salariale équivalente, adapter leurs métiers aux besoins. Je me méfie beaucoup des décrets normatifs sur le nombre et le type de professionnels.

Quel nouveau modèle pour l'EHPAD de demain ? Je plaide pour une réforme de la contractualisation. J'en reviens à mon projet de parcours des personnes à partir de leur domicile. Demain, on ne raisonnera plus en termes d'EHPAD et de services à domicile, mais en termes de compétences au profit d'une population donnée sur un territoire donné. Une association, une fondation, un établissement public ou privé devra contractualiser avec l'autorité – que j'espère rassemblée entre l'État et les départements – pour offrir un parcours de soin et d'accompagnement à une population donnée sur un territoire donné. Il ne faudra donc pas accorder des autorisations correspondant à un certain nombre de lits, mais accorder des autorisations pour telle population sur tel territoire sur la base de compétences. Ensuite, il faudra déterminer les modalités des parcours avec les personnes et les familles, et les adapter : la personne sera d'abord au domicile, peu accompagnée ; ensuite, à son domicile mais davantage accompagnée ; puis, à son domicile avec des périodes de répit en établissement, par exemple. La crise a montré qu'il était possible de mettre en place des compétences responsabilisées. Voici la réforme de l'EHPAD que je souhaite – nous devrions d'ailleurs bien plutôt l'appeler la réforme des acteurs de l'autonomie de demain.

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