Dans une crise, on ne triche pas, on se révèle tel qu'on est. Je trouve que la nature humaine s'est révélée être plutôt sympathique durant cette crise. Beaucoup d'initiatives individuelles et collectives ont émergé pour répondre à des problèmes que les textes n'envisageaient pas. La nature humaine a permis de trouver des solutions là où rien n'était prévu pour s'extraire des difficultés.
S'agissant du numérique, nous avons eu la chance qu'un mécène nous fasse don de 1 million d'euros. Avec cette somme, il nous a proposé de lancer un appel à candidatures pour faire émerger des innovations numériques. Nous avons adressé cet appel à innovations à l'ensemble des établissements et services publics et privés solidaires. L'appel concernait des innovations permettant de faciliter le lien entre les personnes, au-delà des dispositifs financés par l'assurance maladie. Nous avons ainsi reçu de nombreux projets portant sur le maintien du lien avec les familles, plus particulièrement grâce au numérique et aux tablettes. Je suis convaincu que les applications numériques dans le médico-social auront un impact beaucoup plus important à l'avenir. Autant le numérique était connu du sanitaire, autant il ne l'était pas du médico-social. La culture numérique n'existait pas dans le médico-social – cette culture peut émerger.
Je répondrai à vos questions concernant la loi sur le grand âge. Nous ne sommes pas associés, de quelque manière que ce soit, à quelque projet que ce soit qui pourrait s'apparenter à une loi sur le grand âge. Des groupes de travail existent sur des sujets épars. J'insiste une fois de plus sur la nécessité de valoriser les parcours professionnels et l'apprentissage. Nous pouvons, par l'apprentissage et le parcours professionnel, convaincre des personnes qui ne sont a priori pas enclines à travailler dans le secteur de la santé et de l'accompagnement.
Qu'attends-je de la loi sur le grand âge ? L'État ne doit pas décider en tout. Il faut qu'existe un niveau régional compétent, qui ne soit pas dépassé par l'État. Les élus doivent pouvoir s'exprimer dans leur niveau de compétence régional, plutôt que d'être contraints d'avoir recours au ministre pour arbitrer des conflits aux niveaux régional et départemental. Il faut construire un lien plus étroit de proximité dans les territoires. La crise a révélé un problème de défaut par inégalité entre les ARS et entre les départements. C'est cela que j'attends d'une loi sur le grand âge.
L'amélioration du lien entre les ARS et les EHPAD passera également par une meilleure implication des ARS dans leur niveau départemental. Les ARS ont connu un problème de défaut de compétences dans le pilotage de leurs délégations départementales. Certains niveaux n'étaient pas en mesure d'accompagner les établissements et services, et de prendre suffisamment d'autonomie et de compétences pour s'associer aux départements sur les EHPAD. À ce sujet, une amélioration est nécessaire.
Je suis incapable de vous apporter des chiffres sur les pourcentages de personnes vaccinées. Ces chiffres évoluent chaque jour et, de plus, les situations sont très inégales. Une députée a fait connaître que certains établissements en Moselle affichaient 0 % de personnes vaccinées. Nous expliquons très bien ces situations. Dans certains établissements de petite taille, employant en moyenne une cinquantaine de salariés, il suffit qu'un leader exprime une défiance vis-à-vis de la vaccination pour que cette opinion l'emporte. Mais à partir du moment où l'on arrive à convaincre ces leaders, les pourcentages de vaccination passent rapidement de 0 % à 50 %. Il est nécessaire de mener un travail pédagogique de terrain pour expliquer et convaincre ces personnes, sans les fustiger car elles ont parfois un parcours professionnel et personnel qui explique leurs inquiétudes. Le retour de sensibilité par rapport au vaccin peut être très rapide, car cette sensibilité est liée à la configuration locale et aux relations interpersonnelles dans l'établissement.
Nous regrettons beaucoup la manière dont ont été conduites les revalorisations décidées par le « Ségur ». Il était nécessaire de revaloriser les professionnels français, qui sont moins valorisés que les professionnels des autres pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques. Nous regrettons que la focale ait été mise sur le public. Nous avons lancé une revalorisation des salariés du public, avec une négociation strictement publique, qui s'est focalisée – au début en tout cas, et on peut le comprendre – sur le secteur sanitaire et les EHPAD. Le problème est que nous n'avons pas été associés à la négociation. Nous avons été simplement informés, à la fin des négociations, du fait que la revalorisation concernerait nos professions non-médicales. Nos médecins n'ont donc pas été revalorisés. Certains autres secteurs ont été oubliés. Y compris même dans le secteur sanitaire, par défaut réglementaire, les personnels travaillant dans un groupement d'intérêt économique, dans un groupement d'intérêt public, dans les centres de santé, n'ont pas été revalorisés. Prenons l'exemple suivant : les personnels travaillant dans un centre de dépistage des cancers qui n'est pas rattaché à un établissement de santé ne bénéficient pas de la revalorisation. En revanche, les personnels travaillant dans le même centre de dépistage des cancers rattaché à un établissement de santé en bénéficieront. Nous marchons sur la tête. Cela explique la fuite des salariés qui n'ont pas été valorisés.
Il reste maintenant à s'occuper du secteur du handicap, des services à domicile, et de toutes les compétences des départements. Nous avons engagé des négociations sur le secteur du handicap : tous les métiers du public bénéficieront a priori de la revalorisation ; mais pour le secteur privé solidaire, la revalorisation ne concernera que les métiers du soin. Nous sommes à nouveau face à une inégalité. À partir du moment où nous nous sommes saisis de la pelote de la revalorisation et que nous avons commencé à en tirer le fil, il faut aller jusqu'au bout. Sinon, certains métiers et certains secteurs seront dévalorisés et nous assisterons au départ des professionnels de ces secteurs vers d'autres secteurs davantage valorisés.
Les GHT sont publics. La décision de se réorganiser en GHT appartient à l'hôpital public. En revanche, les GHT ne doivent pas l'emporter sur l'organisation globale territoriale de la santé. Les GHT sont un des acteurs de l'organisation territoriale de la santé ; ils constituent certes un acteur de taille, mais d'autres existent autour d'eux. La tendance a émergé qui consiste, pour les vaccinations, à se concentrer sur les établissements publics. Ainsi, les EHPAD publics bénéficient de la vaccination avant les EHPAD privés ; cela se fait quasiment logiquement. Cela conduit à des inégalités. On confond l'acteur public, qui s'est réorganisé et qui est important, avec l'organisation territoriale de la santé, qui est globale et doit considérer de la même manière tous les acteurs.
Je répondrai à vos questions sur la prise en charge des décès. Je peux en parler malheureusement très directement car mon père est décédé du covid en EHPAD au début du mois d'avril, juste après que le décret du 1er avril eut instauré les mesures draconiennes sur la mise en bière. Étant médecin moi-même, j'ai eu la possibilité d'accompagner mon père jusqu'à son dernier souffle. À partir du moment où il est mort, j'ai dû sortir et cela a été une mise en bière rapide et brutale. Elle a été très bien faite par les acteurs d'un EHPAD très humain et très empathique. Il n'empêche, la mesure en elle-même a été très violente – et pourtant, j'en étais averti. Je me mets à la place des familles qui n'ont pas eu l'avertissement dont je disposais, ni la possibilité d'accompagner leurs proches avant le décès. J'essaye de comprendre cette décision car on ne connaissait pas, au début de la crise, l'impact de ce virus ; on avait donc besoin de décisions nationales. J'en reviens à la nécessité de permettre aux directeurs, en lien avec les familles, de prendre les bonnes décisions et de les adapter à leurs configurations propres. La normativité descendante est catastrophique.
Je reviens à l'éthique. La démocratie sanitaire a disparu en début de crise. Des décisions très descendantes et très brutales ont été prises. Le dialogue avec les personnes et les familles a été coupé. Cela a entraîné une sidération, contre laquelle les personnes et les familles ne se sont pas révoltées au début. Cette sidération est désormais levée. Les personnes et les familles exigent que cette démocratie sanitaire soit rétablie. Elles exigent que, lorsque des mesures de confinement sont décidées, celles-ci puissent être discutées. Elles exigent qu'un dialogue puisse avoir lieu sur les modalités d'accompagnement et de soin des personnes, qui ne peuvent pas être normées du niveau national, mais doivent être adaptées localement.