Intervention de Pr Dominique Le Guludec

Réunion du jeudi 4 février 2021 à 11h15
Commission des affaires sociales

Pr Dominique Le Guludec, présidente de la Haute Autorité de santé :

En effet, la situation est à la fois complexe et tendue. La HAS, dans le cadre de ses missions, prend part aux travaux de gestion de cette crise dans toute la mesure de ses moyens. Très tôt, nous avons mis en place un mode de gestion de crise dédié et agile permettant de s'adapter au niveau d'évidence du moment et qui a mobilisé, et continue de mobiliser, les équipes. Nos objectifs sont multiples : protéger, traiter et prévenir.

Nous évaluons et allons continuer à évaluer tous les tests de dépistage du SARS‑CoV‑2, tout en encourageant l'innovation. Nous avons tout d'abord défini les exigences en termes de performance et de fiabilité de ces tests, dès le 6 mars pour la PCR, d'ailleurs. Nous avons déterminé la place de ces tests dans la stratégie de diagnostic et la stratégie thérapeutique.

Nous évoluons en permanence dans nos avis, dès que la science nous le permet. Nous menons tout d'abord une veille sur tous les traitements, puis nous les évaluons, ainsi que leur place dans la stratégie, en vue de leur remboursement éventuel. Nous avons notamment évalué le remdesivir, ce qui a d'ailleurs conduit la France à ne pas commander ce médicament pour soigner les patients atteints de covid. Un corticoïde est actuellement en cours d'évaluation. Nous avons par ailleurs vérifié les résultats d'anciens médicaments testés dans le cadre de cette maladie. Malheureusement, ces derniers ne se sont pas avérés très efficaces. Nous surveillons évidemment les prochaines sorties attentivement et nous pensons que, dans les prochains mois, des traitements plus efficaces seront probablement proposés.

Le traitement de la maladie ne se limite toutefois pas aux médicaments. Nous avons aidé à la prise en charge de tous les patients par le biais de recommandations que nous appelons « réponses rapides ». Ces recommandations reposent sur une méthode d'élaboration un peu différente de nos méthodes habituelles et permettent d'apporter beaucoup plus rapidement une réponse aux professionnels. Elles sont élaborées dans le cadre de groupes de travail réunissant des professionnels, des représentants des usagers et des patients. Cette méthode rapide nous a permis d'aider les professionnels à prendre en charge les patients covid et les autres – patients atteints de maladies chroniques, de troubles psychiques, les femmes enceintes, etc. – durant le confinement et en sortie de confinement.

Nous avons beaucoup travaillé sur la pratique de la télémédecine dans le cadre de l'urgence sanitaire, permettant ainsi son développement. Nous nous penchons aussi sur les conditions de pratique des dentistes et des kinésithérapeutes de façon à assurer la sécurité des professionnels et des patients. Nous avons travaillé sur la nécessité d'assurer l'accès à l'interruption volontaire de grossesse et sur la protection des proches en établissements sociaux et médico-sociaux.

Je ne vais pas citer toutes les actions réalisées, mais je soulignerai simplement que nous avons beaucoup travaillé avec le Collège de la médecine générale sur la prise en charge en premier recours des patients atteints de Covid, puis sur la démarche vaccinale. Nous accompagnons tous nos avis de documents spécifiques pour les professionnels et pour les personnes. Je crois que nous comptabilisons une cinquantaine de réponses rapides à date. Ces dernières sont mises à jour régulièrement et nous en préparons chaque fois que des professionnels, le ministère ou des associations de patients nous le demandent. Là encore, nous accompagnons tous nos avis – y compris sur les tests et sur les vaccins – de ces « réponses rapides ». Elles permettent d'actualiser les connaissances des professionnels, en particulier sur l'usage des tests, qui s'avère assez complexe, et sur la façon de prendre en charge aussi bien les patients que les cas contacts, avec des documents qui ont reçu leur agrément. Ces travaux sont chaque fois coproduits avec les professionnels et les patients des associations de patients. Cela nous semble extrêmement important de coproduire dans la période actuelle.

Je vais maintenant aborder les travaux relatifs à la stratégie vaccinale que nous avons démarrés dès le printemps dernier, avec l'aide de la commission technique des vaccinations, présidée par Élisabeth Bouvet. Nous travaillons dans le cadre des missions, c'est-à-dire en préparant les délibérations du collège sur les recommandations vaccinales, le calendrier vaccinal et les mentions minimales obligatoires. Nous avons été saisis par la direction générale de la santé dès le 13 juillet pour engager une réflexion sur la stratégie vaccinale et l'utilisation du vaccin. Il était notamment attendu que la HAS précise les modalités de mise en œuvre de la campagne de vaccination ainsi que la place de chaque candidat vaccin au sein de la stratégie. Nous avons publié des recommandations préliminaires le 27 juillet, qui ont donné lieu le 27 novembre à une décision sur la stratégie de priorisation. Cette décision a été actée sur la base de toutes les données disponibles dans les revues scientifiques sur les facteurs de risque de forme grave et d'exposition au virus, sur l'évolution du contexte épidémique et sur les premières données à notre disposition sur les candidats vaccins. Nous avons ouvert cette priorisation à la consultation publique, et cette consultation publique a été extrêmement riche. Nous avons reçu plus de quatre-vingts réponses, dont une soixantaine a été publiée sur notre site avec l'accord des participants, témoignant d'une très bonne adhésion à cette priorisation.

Celle-ci avait pour but, d'une part de protéger les personnes les plus vulnérables, les plus exposées au risque de développer des formes sévères et de décéder, d'autre part de préserver les activités essentielles du pays – et en particulier le système de santé – pendant l'épidémie. Pour résumer, les facteurs de risque de forme grave sont essentiellement liés à l'âge et aux comorbidités. Nous continuons en outre à travailler sur le phénomène de comorbidité. La littérature scientifique s'est beaucoup enrichie et je pense que nous serons en mesure d'affiner encore ces facteurs de risque de forme grave dans les quinze prochains jours.

Le second facteur pris en compte, outre le facteur de risque de forme grave, est le risque d'exposition. C'est précisément pour cette raison que nous avions priorisé les hébergements collectifs des personnes âgées et les professionnels à risque, d'abord dans le secteur des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), puis très vite dans nos hôpitaux et en ville. Je ne vous décrirai pas les cinq phases de notre priorisation, dans la mesure où vous les trouverez facilement si vous le souhaitez.

Ensuite, nous avons démarré les travaux que nous poursuivons actuellement et qui consistent à évaluer chaque vaccin pour déterminer sa place dans la prise en charge. Nous le faisons habituellement pour tous les vaccins mais la méthode que nous avons dû déployer dans ce contexte est totalement différente. En effet, nous nous appuyons en général en grande partie sur le dossier transmis par l'Agence européenne des médicaments (EMA), à partir duquel nous élaborons la stratégie vaccinale. Dans le contexte actuel, nous travaillons dans l'urgence et nous nous appliquons à faire en sorte que nos avis sortent au plus tôt après l'autorisation de mise sur le marché des vaccins. Les industriels nous communiquent leurs dossiers à peu près en même temps que l'EMA. Nous conduisons donc en interne tout le travail d'analyse qui est habituellement fait par l'EMA. Nous travaillons en temps masqué par rapport à l'avis de l'EMA, puisque les discussions et les dossiers de l'EMA sont confidentiels. Je ne vous cache pas que cela représente un travail extrêmement conséquent, pour lequel nos équipes n'étaient pas dimensionnées. Nous l'avons pourtant réalisé jusqu'à présent. Force est de constater que nous avons réussi, pour chaque vaccin, à publier nos recommandations dans les jours qui suivent l'autorisation de l'EMA alors même que, en ce qui concerne par exemple AstraZeneca, le périmètre et la place de ce vaccin dans la stratégie n'étaient pas totalement en phase avec l'autorisation de mise sur le marché plus large – en particulier sans considération d'âge – formulée par l'EMA.

Comme je vous l'ai indiqué, tous ces avis sur les vaccins s'accompagnent de réponses rapides pour les médecins et de documents d'aide à la décision partagée pour les personnes. Ces documents évoluent et continueront d'évoluer chaque fois que nous aurons des données supplémentaires, notamment sur l'efficacité - par exemple sur certaines populations - ou sur la transmission – données que nous n'avons pas à ce jour et que nous attendons impatiemment. Nous avons également, dès le début, insisté sur la nécessité d'une information claire et accessible des publics ainsi que sur la nécessité d'une mise à disposition de la vaccination au plus près des personnes, qui soit le plus souple et dynamique possible. Nous avons insisté dès l'été sur le fait qu'il fallait favoriser la prescription et la dispensation de l'acte de vaccination dans le même temps, en un même lieu. Plus récemment, en ce qui concerne le vaccin AstraZeneca, nous avons ouvert la vaccination aux infirmières mais également aux sages-femmes et aux pharmaciens, y compris pour la prescription. Je rappelle pour finir que nous ne préconisons pas à ce stade de rendre la vaccination obligatoire.

Je ne dirai que quelques mots sur les tests. Nous avons évalué dès le 6 mars les spécifications des tests PCR. Nous avons exigé un minimum de deux cibles alors que les Américains utilisaient des tests à une cible. Ces derniers leur ont valu des défauts de spécificité importants et ne permettent d'ailleurs pas de détecter les variants, alors que les tests à plusieurs cibles le permettent. Nous avons également travaillé sur les tests de dépistage qui sont successivement arrivés, sur les différentes matrices (nasopharyngée, œsopharyngée, salivaire), sur les différentes techniques (PCR, tests antigéniques, tests combinés, etc.) ainsi que sur les modalités de dépistage des patients en établissement de santé au mois de mai. Les avis sur les tests sont également très nombreux et nous avons voté deux forfaits innovation. Concernant les tests salivaires, nous sommes parvenus à clarifier une situation qui en avait besoin. Nous avons été l'un des premiers pays à autoriser les tests salivaires lorsque le test nasopharyngé n'était pas possible, par exemple pour les enfants ou pour des patients atteints de troubles psychiatriques, mais avec des résultats hétérogènes selon les études. Petit à petit, nous avons compris que la technique nécessitait d'être adaptée pour les tests salivaires en PCR. Autrement dit, les éléments du tandem traitement préanalytique de la salive et réglage de la plateforme de PCR devaient être calibrés l'un avec l'autre, ce qui expliquait que dans certains sites, les résultats étaient excellents alors qu'ils ne l'étaient pas dans d'autres. Nous constituons actuellement un document que nous espérons bien sortir dans les dix jours qui viennent, afin de donner des instructions très précises au biologique – sur quel couple préanalytique/analytique on doit se baser pour obtenir des résultats performants chez tout le monde avec des tests salivaires. Ces derniers simplifieront beaucoup les dépistages ciblés et pourront par exemple être utilisés dans les écoles, dans les universités et dans les EHPAD. Par ailleurs, nous attendons encore l'arrivée de données sur les patients asymptomatiques, dans la mesure où de nombreux tests ou études ont essentiellement inclus des patients symptomatiques et contacts. Les performances sur les patients asymptomatiques pour les autres techniques PCR demeurent extrêmement ténues. Enfin, nous venons de voter aujourd'hui un forfait innovation sur le dépistage du SARS-CoV-2 dans le sang, ce qui permettrait là aussi, à terme, d'envisager des techniques de dépistage beaucoup plus souples pour le patient.

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