Intervention de Pr Dominique Le Guludec

Réunion du jeudi 4 février 2021 à 11h15
Commission des affaires sociales

Pr Dominique Le Guludec, présidente de la Haute Autorité de santé :

La centralisation européenne constitue-t-elle un frein ? Pour rappel, la mission de la HAS porte sur la stratégie de déploiement de la campagne vaccinale en France. Nous ne sommes pas du tout en charge des commandes et des achats de vaccins, ni de l'opérationnel. Nous travaillons beaucoup avec nos collègues européens dans le cadre d'un réseau, EUnetHTA – sorte de préfiguration du règlement européen qui va permettre l'évaluation commune des produits de santé. Nous avons des partenariats et nous nous tenons largement informés les uns les autres de nos travaux respectifs. La coopération européenne et la fluidité des informations qui circulent entre les pays s'avèrent essentielles pour tous. Néanmoins, nos missions sont conduites dans un cadre national. Je ne me prononcerai donc pas sur les commandes européennes. Ces dernières sont du ressort du ministère et non pas de la HAS.

Comment mieux réguler la vaccination elle-même ? Là encore, la HAS donne des avis sur un certain nombre d'items relevant du cadre de ses missions légales. Nous avons donné en particulier des avis sur la façon de déployer la campagne, c'est-à-dire les priorités, et priorisations, et sur les principes importants à respecter. Nous avons priorisé les EHPAD dans un premier temps, dans la mesure où ces établissements pour personnes âgées sont les plus à risques. En effet, le nombre de décès parmi les personnes âgées est important. Ils comptent pour un tiers des décès dans notre pays alors qu'ils ne représentent que 1 % de la population. La situation des EHPAD avait en outre été extrêmement difficile lors de la première vague et du premier confinement. Nous les avons priorisés de façon à ce qu'ils ne soient pas les oubliés de l'histoire, tout en affirmant que cela n'empêchait pas, bien entendu, de commencer les phases suivantes, dès lors que les vaccins seraient disponibles. C'est d'ailleurs ce qui a été fait à partir de janvier. Actuellement, d'après nos renseignements, un peu plus de la moitié des résidents d'EHPAD seraient vaccinés sur 80 % désireux de l'être. Ce travail devra être poursuivi au mois de février. Nous espérons que début mars, tous les résidents d'EHPAD qui souhaitent être vaccinés le seront. En complément des EHPAD, les autres établissements accueillant des personnes âgées sont également concernés par cette priorisation, dans la mesure où l'exposition au virus est plus importante dans les lieux d'hébergement collectif.

La deuxième question portait sur le décalage éventuel de la seconde dose, que nous avons effectivement jugé envisageable. Dans le cadre de l'autorisation de mise sur le marché du vaccin, il était indiqué que la deuxième dose devait être effectuée entre la troisième et la sixième semaine, soit sous quarante‑deux jours. L'étude du rapport bénéfice/risque dans le cas où la seconde dose était donnée au taquet de l'autorisation réglementaire, c'est-à-dire à quarante‑deux jours, a donné des résultats satisfaisants. Les modélisations nous montraient par ailleurs que ce décalage permettrait de vacciner 700 000 à un million de personnes supplémentaires au mois de février. Nous savions très bien que les calendriers d'approvisionnement augmenteraient ensuite rapidement à partir du mois de mars. Cette proposition a donc été émise pour tenir compte de l'arrivée progressive des vaccins. Cependant, elle n'a pas été retenue par le Gouvernement. Certains pays, notamment en Europe du Nord – la Finlande il me semble –, ont au contraire validé une durée de douze semaines avant l'administration de la seconde dose.

Vous évoquez les « bras nécessaires » dans le cadre de la campagne vaccinale. C'est précisément la raison pour laquelle nous avons élargi la possibilité de vacciner, dans le cadre du vaccin AstraZeneca – et nous sommes en train d'étudier cette possibilité pour les autres vaccins –, aux sages-femmes et aux pharmaciens dès que les doses pourront être distribuées en pharmacie. Là aussi, cette distribution ne relève pas de nos missions. Le rôle du médecin reste toutefois primordial. Nous avons demandé la prescription obligatoire des médecins pour les vaccins ARN messager dans les premières phases de la vaccination, qui concernaient les personnes vulnérables. Ces vaccins étaient encore peu connus et pouvaient comporter des effets secondaires de type allergique. Aussi souhaitions-nous nous assurer que cette vaccination se déroulerait sans complications avant d'ouvrir la prescription et la vaccination en pharmacie. Dans le contexte actuel, le vaccin AstraZeneca présente un mode de vaccination plus familier et peu d'effets secondaires de type allergique. Nous avons donc proposé d'ouvrir la prescription et la vaccination aux pharmaciens, qui ont d'ailleurs été très actifs dans le cadre de la vaccination antigrippale. Nous avons cependant recommandé, en parallèle de cet élargissement de la prescription, que les personnes présentant des comorbidités ou se trouvant dans des conditions particulières – femmes enceintes ou qui allaitent, personnes ayant déjà contracté le covid‑19, etc. – se dirigent vers leur médecin généraliste.

D'autres espoirs existent bien sûr en termes de traitement. Malheureusement, les traitements évalués en dehors des corticoïdes ne se sont pas avérés efficaces à date. Nous n'avons pas de « solution miracle » à proposer aujourd'hui, pas de protocole particulier qui aurait fait ses preuves. De nombreux produits sont encore à l'étude. Les Canadiens ont évalué un traitement à la colchicine mais les données ne sont malheureusement pas satisfaisantes.

Quant aux variants, votre question s'adresserait davantage à un épidémiologiste qu'à la HAS. Cependant, nous savons tous qu'un virus évolue pour s'adapter à nos failles dans la défense contre les virus. C'est un véritable problème. Pour le moment, les vaccins de type ARN semblent conserver une grande partie de leur efficacité sur les variants anglais et sud‑africain. Bien que nous ne disposions pas encore de toutes les données, nous sommes plutôt rassurés.

S'agissant de la question de Mme Firmin Le Bodo sur le cancer, nous avons très vite essayé d'aider les médecins à prendre en charge les patients atteints de pathologies autres que la covid‑19 en période de confinement et de distanciation sociale. Ces réponses rapides avaient pour but de faciliter et d'encadrer la téléconsultation et de préserver les soins hors covid. Les patients atteints de cancer évolutif font en outre partie des populations prioritaires pour la vaccination.

S'agissant des tests salivaires, nous avons rendu plusieurs avis, à l'automne dernier puis la semaine dernière. Un nouvel avis sera également rendu prochainement. La HAS tente actuellement d'examiner les problèmes techniques observés sur les tests RT-PCR salivaires afin de garantir leur qualité. Nous travaillons beaucoup avec EasyCoV, qui nous communique ses données au fur et à mesure qu'il les produit pour nous permettre d'élargir les indications. Pour le moment, ces tests n'ont été autorisés que pour les patients symptomatiques car nous n'avons pas de données pour les patients asymptomatiques.

Concernant Spoutnik, nous ne disposons d'aucune donnée à ce jour. Nous n'écartons toutefois aucune piste. Tous les vaccins qui bénéficieront d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) seront examinés et pourront être recommandés par la HAS.

La vaccination obligatoire des professionnels de santé est un vaste problème sur lequel nous travaillons. Une enquête chez les soignants a été menée l'été dernier. C'est un sujet sur lequel il faudra probablement revenir.

La place des traitements dans la stratégie est bien entendu fondamentale. De nombreux travaux de recherche internationaux sont consacrés à la recherche de traitements ciblés. Dès lors que des industriels déposeront des dossiers, la HAS fera tout son possible pour se prononcer dans les meilleurs délais.

Une remarque portait sur le délai – jugé peu réactif – sous lequel nous rendons nos avis. J'ai expliqué que nous travaillons en temps masqué avec l'EMA. Nous ne pouvons en aucun cas rendre un avis avant une AMM. C'est illégal. L'EMA s'est prononcée vendredi dernier sur le vaccin AstraZeneca. Nous nous sommes réunis lundi et nous avons rendu un avis mardi. Je n'ai pas l'impression d'un décalage honteux. Les équipes de la HAS travaillent nuit et jour, week-ends compris. Elles sont absolument épuisées. Je suis un peu gênée de ce reproche au vu des efforts terribles qu'elles consentent depuis un an. Nous ne pouvons pas, je crois, leur reprocher une lenteur.

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