Intervention de Charlotte Parmentier-Lecocq

Réunion du mardi 9 février 2021 à 21h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCharlotte Parmentier-Lecocq, rapporteure :

. La proposition de loi dont nous entamons l'examen vise à répondre aux enjeux contemporains et futurs de la santé au travail. Ce faisant, nous abordons un continent qui est au cœur du droit du travail depuis son origine. Nous pouvons remonter à la moitié du XIXe siècle, lorsque la loi Villermé de 1841, visant à limiter le travail des enfants, a donné naissance à notre code du travail moderne. Plus près de nous, la grande loi du 9 avril 1898 a permis de passer d'une responsabilité civile particulièrement lourde pour l'employeur, et impraticable pour le travailleur, à un principe de réparation compatible avec les relations de travail, permettant à celui-ci de bénéficier d'une réparation de son préjudice automatique et forfaitaire, donc bien plus fréquente qu'auparavant. La faute de l'employeur n'est plus une condition sine qua non pour obtenir une réparation, et elle n'est recherchée que dans les cas qui seront progressivement rassemblés sous l'appellation « faute inexcusable ».

Cette nouvelle structure du monde du travail a naturellement suscité un renforcement progressif de l'attention portée à la préservation de la santé des travailleurs sur le lieu de travail, jusqu'à l'adoption de la loi du 11 octobre 1946 relative à l'organisation des services médicaux du travail, qui oblige les entreprises à se doter de médecins du travail, dont le rôle est exclusivement préventif. Ces services ont progressivement évolué pour devenir des services de santé au travail, bénéficiant d'équipes pluridisciplinaires en vertu de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002. En 2011 et en 2016, plusieurs lois ont modernisé l'action des médecins du travail et leur rôle dans l'entreprise. À l'heure actuelle, la France peut s'appuyer sur un vaste réseau d'acteurs, au premier rang desquels les services de santé au travail, la Caisse nationale de l'assurance maladie, les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT), l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail et ses déclinaisons régionales, les agences régionales pour l'amélioration des conditions de travail, les Cap emploi et bien d'autres. Nous pouvons également nous enorgueillir d'institutions de recherche et de formation de pointe, notamment l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents de travail et des maladies professionnelles (AT‑MP), et de l'inscription récente, parmi les missions de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, de la fourniture d'informations nécessaires à la prise de décision en matière de prévention des risques professionnels et d'appui aux politiques publiques dans ce domaine.

Malheureusement, ces acteurs s'inscrivent dans le cadre d'un système en silos, et sont par surcroît isolés des acteurs du soin et de la santé publique. Cette situation entraîne de nombreux inconvénients, notamment une déperdition d'informations, une absence de coordination, et, in fine, une perte d'efficacité au détriment du travailleur. De nombreux rapports et études ont été publiés à ce sujet, justifiant les évolutions qui vous sont soumises aujourd'hui. J'ai moi-même remis deux rapports d'information au Gouvernement. L'un, rédigé avec MM. Bruno Dupuis et Henri Forest, porte sur l'évolution de la gouvernance et l'amélioration concrète des services de santé au travail ; l'autre, rédigé avec Mme Pascale Coton et M. Jean-François Verdier, porte sur la situation de la santé au travail dans la fonction publique. Plusieurs de nos collègues, dans cette assemblée et au Sénat, ont également abordé le sujet, notamment Julien Borowczyk et Pierre Dharréville, dans le cadre de la commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie (risques chimiques, psychosociaux ou physiques) et les moyens à déployer pour leur élimination. Nos collègues sénateurs Stéphane Artano et Pascale Gruny ont rendu le 2 octobre 2019 un rapport d'information sur l'instauration d'un service universel de santé au travail. À l'extérieur de nos murs, les réflexions se sont également multipliées. Citons notamment les rapports remis au Gouvernement par des experts, tels celui de M. Paul Frimat sur le risque chimique, et par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui a remis deux rapports sur l'attractivité de la profession de médecin du travail. Citons enfin le rapport d'information sur le dossier médical partagé (DMP) et les données de santé, sujet qui est au cœur de notre volonté de décloisonner médecine de soins et médecine de ville, rédigé par notre collègue Cyrille Isaac‑Sibille dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale.

Le bouillonnement intellectuel sur ces sujets ne s'est pas cantonné à la réflexion pure. Les partenaires sociaux se sont pleinement emparés du sujet par divers biais. Tout d'abord, ils ont largement contribué à la définition du troisième plan santé au travail (PST3) 2016-2020. Ce faisant, ils ont abondamment insisté sur la nécessité de placer la prévention primaire au cœur de notre politique publique de santé au travail. Depuis trop longtemps, nous nous concentrons sur la seule réparation. L'adoption d'une logique de prévention primaire doit nous permettre de changer véritablement de paradigme et d'associer chacun des acteurs de l'entreprise à l'appropriation de ces questions sur le lieu de travail. Ensuite, ils se sont engagés dans des négociations qui, si elles ont échoué en 2019, ont repris en 2020, avec succès. Ainsi – j'insiste sur ce point –, ce texte est l'aboutissement d'une co-construction et d'une alliance inédites entre la démocratie sociale et la démocratie représentative. Lorsque le Gouvernement adressait aux partenaires sociaux, au mois de juin dernier, un document d'orientation, notre assemblée adoptait une proposition de résolution appelant à faire de la France l'un des pays les plus performants en matière de santé au travail. Telle est toujours notre ambition. Nous reprenons à notre compte les objectifs de cette résolution : faire de la santé au travail une priorité des politiques publiques ; doter la France d'un système d'acteurs de santé au travail plus efficace et tourné vers la prévention des risques professionnels ; prévenir l'usure professionnelle en établissant un lien étroit entre l'exposition aux risques et les parcours professionnels proposés aux travailleurs.

Au fur et à mesure de la progression des négociations entre les partenaires sociaux, nous avons recueilli le témoignage de nombreux acteurs, par le biais d'auditions et de déplacements sur le terrain. Notre proposition de loi s'inspire de certaines propositions formulées dans ce cadre. Nous avons tenu à rester en contact avec les partenaires sociaux tout au long de l'automne dernier, jusqu'à l'aboutissement qu'a constitué l'ANI, conclu le 10 décembre. Notre proposition de loi est la première à transposer un accord national interprofessionnel. À ce propos, je salue l'esprit de coopération et de bonne entente dans lequel cette co-construction a été menée. Il détermine – j'espère que chacun le comprendra – la plupart de nos avis sur les amendements déposés sur ce texte. Il ne s'agit ni de rejouer le match des négociations, ni de bouleverser un équilibre savamment construit, dont certains points ont été pesés au trébuchet. Il n'en demeure pas moins que notre texte s'attache – comme le rappellera notre collègue Carole Grandjean dans un instant – à concilier les vœux des partenaires sociaux avec les idées développées dans les nombreux rapports que j'ai cités, au premier rang desquelles le décloisonnement entre santé publique et santé au travail. C'est l'honneur de notre travail parlementaire que d'ajouter à la transposition fidèle d'un ANI des propositions formulées à de nombreuses reprises dans le débat public. Je souhaite que nos débats soient fidèles à l'ambition de rénovation de la politique de prévention en santé au travail qui nous anime, ainsi que les partenaires sociaux signataires de l'ANI, pour permettre à la France de bénéficier enfin d'une politique transversale et cohérente en la matière, au bénéfice de tous les travailleurs.

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