COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mardi 9 février 2021
La séance est ouverte à vingt-et-une heures.
La commission procède à l'examen de la proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail (n° 3718) (Mmes Charlotte Parmentier-Lecocq et Carole Grandjean, rapporteures).
Nous abordons ce soir l'examen de la proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail, présentée par Mmes Charlotte Parmentier-Lecocq et Carole Grandjean, et inscrite à l'ordre du jour de la séance publique à compter de lundi prochain. Avec 390 amendements à examiner, nous avons du travail en perspective ! Je précise que les dispositions des articles 40 et 45 de la Constitution, relatives à la recevabilité des amendements, s'appliquent.
La présente proposition de loi a pour objet de procéder à une transposition de l'accord national interprofessionnel (ANI) pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail, conclu le 10 décembre dernier. Il ne s'agit donc pas d'un texte relatif aux accidents du travail, aux maladies professionnelles, au compte professionnel de prévention, aux missions du comité social et économique (CSE), à l'absentéisme dans la fonction publique, au travail à distance ou au travail de nuit, pour ne citer que quelques-uns des sujets abordés par le biais d'amendements émanant de tous les groupes politiques, dont chacun aura compris qu'il n'était pas possible de les considérer comme recevables. Au demeurant, la proportion d'amendements déclarés irrecevables est significativement inférieure à celle observée en moyenne – par exemple sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République, débattu en séance publique depuis une semaine.
. La proposition de loi dont nous entamons l'examen vise à répondre aux enjeux contemporains et futurs de la santé au travail. Ce faisant, nous abordons un continent qui est au cœur du droit du travail depuis son origine. Nous pouvons remonter à la moitié du XIXe siècle, lorsque la loi Villermé de 1841, visant à limiter le travail des enfants, a donné naissance à notre code du travail moderne. Plus près de nous, la grande loi du 9 avril 1898 a permis de passer d'une responsabilité civile particulièrement lourde pour l'employeur, et impraticable pour le travailleur, à un principe de réparation compatible avec les relations de travail, permettant à celui-ci de bénéficier d'une réparation de son préjudice automatique et forfaitaire, donc bien plus fréquente qu'auparavant. La faute de l'employeur n'est plus une condition sine qua non pour obtenir une réparation, et elle n'est recherchée que dans les cas qui seront progressivement rassemblés sous l'appellation « faute inexcusable ».
Cette nouvelle structure du monde du travail a naturellement suscité un renforcement progressif de l'attention portée à la préservation de la santé des travailleurs sur le lieu de travail, jusqu'à l'adoption de la loi du 11 octobre 1946 relative à l'organisation des services médicaux du travail, qui oblige les entreprises à se doter de médecins du travail, dont le rôle est exclusivement préventif. Ces services ont progressivement évolué pour devenir des services de santé au travail, bénéficiant d'équipes pluridisciplinaires en vertu de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002. En 2011 et en 2016, plusieurs lois ont modernisé l'action des médecins du travail et leur rôle dans l'entreprise. À l'heure actuelle, la France peut s'appuyer sur un vaste réseau d'acteurs, au premier rang desquels les services de santé au travail, la Caisse nationale de l'assurance maladie, les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT), l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail et ses déclinaisons régionales, les agences régionales pour l'amélioration des conditions de travail, les Cap emploi et bien d'autres. Nous pouvons également nous enorgueillir d'institutions de recherche et de formation de pointe, notamment l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents de travail et des maladies professionnelles (AT‑MP), et de l'inscription récente, parmi les missions de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, de la fourniture d'informations nécessaires à la prise de décision en matière de prévention des risques professionnels et d'appui aux politiques publiques dans ce domaine.
Malheureusement, ces acteurs s'inscrivent dans le cadre d'un système en silos, et sont par surcroît isolés des acteurs du soin et de la santé publique. Cette situation entraîne de nombreux inconvénients, notamment une déperdition d'informations, une absence de coordination, et, in fine, une perte d'efficacité au détriment du travailleur. De nombreux rapports et études ont été publiés à ce sujet, justifiant les évolutions qui vous sont soumises aujourd'hui. J'ai moi-même remis deux rapports d'information au Gouvernement. L'un, rédigé avec MM. Bruno Dupuis et Henri Forest, porte sur l'évolution de la gouvernance et l'amélioration concrète des services de santé au travail ; l'autre, rédigé avec Mme Pascale Coton et M. Jean-François Verdier, porte sur la situation de la santé au travail dans la fonction publique. Plusieurs de nos collègues, dans cette assemblée et au Sénat, ont également abordé le sujet, notamment Julien Borowczyk et Pierre Dharréville, dans le cadre de la commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie (risques chimiques, psychosociaux ou physiques) et les moyens à déployer pour leur élimination. Nos collègues sénateurs Stéphane Artano et Pascale Gruny ont rendu le 2 octobre 2019 un rapport d'information sur l'instauration d'un service universel de santé au travail. À l'extérieur de nos murs, les réflexions se sont également multipliées. Citons notamment les rapports remis au Gouvernement par des experts, tels celui de M. Paul Frimat sur le risque chimique, et par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui a remis deux rapports sur l'attractivité de la profession de médecin du travail. Citons enfin le rapport d'information sur le dossier médical partagé (DMP) et les données de santé, sujet qui est au cœur de notre volonté de décloisonner médecine de soins et médecine de ville, rédigé par notre collègue Cyrille Isaac‑Sibille dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale.
Le bouillonnement intellectuel sur ces sujets ne s'est pas cantonné à la réflexion pure. Les partenaires sociaux se sont pleinement emparés du sujet par divers biais. Tout d'abord, ils ont largement contribué à la définition du troisième plan santé au travail (PST3) 2016-2020. Ce faisant, ils ont abondamment insisté sur la nécessité de placer la prévention primaire au cœur de notre politique publique de santé au travail. Depuis trop longtemps, nous nous concentrons sur la seule réparation. L'adoption d'une logique de prévention primaire doit nous permettre de changer véritablement de paradigme et d'associer chacun des acteurs de l'entreprise à l'appropriation de ces questions sur le lieu de travail. Ensuite, ils se sont engagés dans des négociations qui, si elles ont échoué en 2019, ont repris en 2020, avec succès. Ainsi – j'insiste sur ce point –, ce texte est l'aboutissement d'une co-construction et d'une alliance inédites entre la démocratie sociale et la démocratie représentative. Lorsque le Gouvernement adressait aux partenaires sociaux, au mois de juin dernier, un document d'orientation, notre assemblée adoptait une proposition de résolution appelant à faire de la France l'un des pays les plus performants en matière de santé au travail. Telle est toujours notre ambition. Nous reprenons à notre compte les objectifs de cette résolution : faire de la santé au travail une priorité des politiques publiques ; doter la France d'un système d'acteurs de santé au travail plus efficace et tourné vers la prévention des risques professionnels ; prévenir l'usure professionnelle en établissant un lien étroit entre l'exposition aux risques et les parcours professionnels proposés aux travailleurs.
Au fur et à mesure de la progression des négociations entre les partenaires sociaux, nous avons recueilli le témoignage de nombreux acteurs, par le biais d'auditions et de déplacements sur le terrain. Notre proposition de loi s'inspire de certaines propositions formulées dans ce cadre. Nous avons tenu à rester en contact avec les partenaires sociaux tout au long de l'automne dernier, jusqu'à l'aboutissement qu'a constitué l'ANI, conclu le 10 décembre. Notre proposition de loi est la première à transposer un accord national interprofessionnel. À ce propos, je salue l'esprit de coopération et de bonne entente dans lequel cette co-construction a été menée. Il détermine – j'espère que chacun le comprendra – la plupart de nos avis sur les amendements déposés sur ce texte. Il ne s'agit ni de rejouer le match des négociations, ni de bouleverser un équilibre savamment construit, dont certains points ont été pesés au trébuchet. Il n'en demeure pas moins que notre texte s'attache – comme le rappellera notre collègue Carole Grandjean dans un instant – à concilier les vœux des partenaires sociaux avec les idées développées dans les nombreux rapports que j'ai cités, au premier rang desquelles le décloisonnement entre santé publique et santé au travail. C'est l'honneur de notre travail parlementaire que d'ajouter à la transposition fidèle d'un ANI des propositions formulées à de nombreuses reprises dans le débat public. Je souhaite que nos débats soient fidèles à l'ambition de rénovation de la politique de prévention en santé au travail qui nous anime, ainsi que les partenaires sociaux signataires de l'ANI, pour permettre à la France de bénéficier enfin d'une politique transversale et cohérente en la matière, au bénéfice de tous les travailleurs.
. La présente réforme de la santé au travail a pris une nouvelle réalité dans le contexte de crise sanitaire que nous connaissons. Nous l'avons tous constaté : lors du premier confinement, les entreprises et leurs salariés ont particulièrement eu besoin d'appui. Les modes d'organisation du travail ont été totalement bouleversés. Le domaine de la santé au travail a été confronté à des questions nouvelles, qu'il faut à présent intégrer dans notre droit positif, et qui ont renforcé notre volonté de présenter une proposition de loi.
La reprise des discussions entre les partenaires sociaux à ce sujet était programmée. Désireuses de laisser toute sa place au dialogue social, nous avons d'abord soumis à l'Assemblée nationale une proposition de résolution appelant à faire de la France l'un des pays les plus performants en matière de santé au travail, qui a été adoptée le 22 juin 2020. Dès lors, nous avons préparé cette proposition de loi en complète concertation avec les partenaires sociaux que sont les organisations patronales et syndicales, ainsi qu'avec les professionnels du secteur. Ces discussions se sont poursuivies avec le ministère des solidarités et de la santé, ainsi qu'avec le secrétariat d'État chargé des retraites et de la santé au travail. Notre conviction est qu'un accord conclu entre les partenaires sociaux est une étape importante pour construire une adhésion autour de la nécessité de réforme et un levier favorisant sa mise en œuvre. Le dernier ANI en la matière remontait au mois de juin 2013. L'articulation des divers travaux sur la santé au travail a permis d'accélérer les discussions. Par le biais de cet accord, nous saluons l'engagement explicite de donner une place effective à la prévention et de favoriser le décloisonnement de la santé publique et de la santé au travail. Nous soulignons aussi la reconnaissance de la nécessité d'harmoniser l'offre de services proposée aux entreprises et aux travailleurs, ainsi que la volonté d'en renforcer la qualité. Par ailleurs, l'ANI s'attache à lutter contre la désinsertion professionnelle en portant une attention particulière aux salariés vulnérables et aménage la gouvernance des organismes de santé au travail.
La proposition de loi reprend les dispositions voulues par les partenaires sociaux, concrétisées par la signature de l'ANI. Nous sommes attachées, chacun l'aura compris, à respecter l'équilibre trouvé par les partenaires sociaux. Nous avons souhaité retranscrire l'accord en conscience d'un enjeu partagé par tous : le nécessaire renforcement de la protection des travailleurs. À cet effet, l'article 2 modifie la substance ainsi que les modalités de construction, de diffusion et de conservation du document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP), dont l'existence sera désormais prévue par la loi. Il sera également plus accessible aux travailleurs ainsi qu'aux anciens travailleurs, pour conférer sa pleine portée à l'obligation de traçabilité prévue dans l'ANI. L'article 3 consacre l'existence d'un « passeport prévention », qui retracera les formations suivies par les travailleurs dans le domaine de la sécurité et de la prévention des risques professionnels, ainsi que les attestations, certificats et diplômes qui en sont issus. Il a vocation à intégrer le compte personnel de formation pour figurer parmi les outils à disposition des travailleurs leur permettant de bénéficier a maxima des possibilités qui leur seront offertes.
L'article 8 distingue les actions que proposeront les services de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI) au titre de l'offre socle, d'une part, et de l'offre facultative de services complémentaires, d'autre part. Surtout, il crée une procédure de certification des SPSTI, portant notamment sur l'offre socle, et des modalités de tarification susceptibles de les engager dans une démarche d'amélioration de la qualité de leurs prestations en continu. L'article 14 les invite à installer une cellule de prévention de la désinsertion professionnelle en leur sein, pour mieux lutter contre ce phénomène, qui touche un grand nombre de travailleurs. L'article 16 instaure une visite médicale de mi-carrière au bénéfice des travailleurs. L'article 17 crée les conditions d'un meilleur suivi de l'état de santé des travailleurs insuffisamment ou pas du tout pris en charge – tel est notamment le cas des salariés intérimaires, des travailleurs indépendants et des chefs d'entreprise. L'article 21 autorise le médecin de ville à contribuer, dans des conditions encadrées, au suivi de l'état de santé des travailleurs qui ne font pas l'objet d'un suivi renforcé. L'article 23 dote d'un statut les infirmiers en santé au travail, dont le rôle ne cesse de croître, et les autorise à exercer en pratique avancée dans les services de santé au travail.
Notre proposition de loi revêt une dimension exceptionnelle : il s'agit de la première transposition d'un accord national interprofessionnel par un texte d'initiative parlementaire, ce qui constitue pour nous un signal fort de la possibilité d'articulation entre le dialogue social et la démocratie parlementaire. Nous sommes allées plus loin, en introduisant dans le texte des dispositions favorisant le décloisonnement entre la santé publique et la santé au travail. Ainsi, l'article 11 ouvre aux professionnels de santé exerçant dans les services de prévention et de santé au travail la possibilité d'accéder au DMP du travailleur, de telle sorte que le médecin du travail soit en mesure de remplir au mieux les missions que la loi lui confie. Nous avons l'intention d'améliorer le texte en vue de permettre aux travailleurs d'exprimer leur consentement dans les meilleures conditions et d'éviter toute conséquence pouvant résulter d'un refus de consentement. Par ailleurs, l'article 12, corollaire du précédent, permet aux professionnels de santé assurant la prise en charge des travailleurs de bénéficier d'un accès renforcé au dossier médical en santé au travail, étendu de façon sécurisée aux acteurs du soin.
Une nouvelle fois, les mesures de protection sociale ont progressé plus rapidement sous l'effet d'une crise. Nous souhaitons vraiment que la présente réforme donne les moyens à cette gouvernance tripartite d'accompagner ces progrès, demain, dans une démarche d'amélioration continue et progressive. Nous sommes convaincues que la prévention primaire doit prendre une place centrale dans notre vision réformée de la santé au travail, afin de mieux sécuriser les travailleurs.
La responsabilité de chacun doit être réaffirmée dans la lutte contre la désinsertion professionnelle. La France doit désormais être un modèle en matière de santé au travail et rattraper son retard dans ce domaine. Je rappelle que la sixième enquête européenne sur les conditions de travail (EWCS), publiée en 2015, plaçait la France au vingt-neuvième rang sur trente-cinq en matière d'évaluation des risques professionnels en Europe. Je rappelle également que 10 % des cotisations accidents du travail et maladies professionnelles financent la prévention en Allemagne, contre 3 % dans notre pays.
Loin de nous l'idée de donner l'impression de ne pas entendre les défis que nous devons relever. Nous avons travaillé en gardant toujours à l'esprit les enjeux soulevés par la pénurie des médecins, l'aggravation des pressions économiques due à la crise sanitaire et les lourdeurs des strates administratives qui composent notre organisation. En tout état de cause, le Parlement partage avec les partenaires sociaux l'idée selon laquelle réformer et faire évoluer notre système de santé au travail est une impérieuse nécessité.
La proposition de loi a été élaborée de façon partenariale avec les acteurs concernés, dans l'écoute et la concertation, pour construire un texte équilibré, proportionné et répondant à son enjeu principal : placer la santé au travail au cœur de l'économie et de la vie du travailleur, en accompagnant les entreprises et les travailleurs dans la poursuite de cet intérêt commun. J'appelle votre attention sur le fait que nous avons sollicité l'avis du Conseil d'État en amont de son examen, pour sécuriser sa construction juridique et nous assurer de son juste équilibre ainsi que de sa conformité à l'ANI, confortant ainsi la solidité de l'importante réforme sociétale que nous soumettons au débat aujourd'hui. Cet avis nous a été très précieux. Chacun pourra constater qu'il a inspiré certains de nos amendements.
. Au nom du groupe La République en Marche, je suis très fière d'entamer nos travaux sur la proposition de loi visant à renforcer la prévention en santé au travail. Ce texte est le fruit d'un travail de co-construction inédit. Pour la première fois, un accord national interprofessionnel est inscrit dans la loi par le biais d'une initiative parlementaire, commune aux groupes La République en Marche, Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés et Agir ensemble. Elle est aussi le fruit d'un travail de longue haleine, jalonné par le rapport Lecocq sur la santé au travail. La négociation ayant précédé l'ANI est la première à aboutir depuis 2013. Je tiens à féliciter et à remercier nos deux rapporteures, Charlotte Parmentier-Lecocq et Carole Grandjean, qui orchestrent et coordonnent ce travail depuis plusieurs mois.
La proposition de loi incarne le « protéger » qui nous est cher et propose une démarche préventive assumée dans le domaine de la santé au travail et de la prévention de la désinsertion professionnelle. Elle se décline en quatre grands axes, qui visent des objectifs clairs et ambitieux. Premièrement, elle permet de renforcer la prévention au sein des entreprises et de décloisonner la santé publique et la santé au travail, en renforçant par exemple les dispositions du DUERP et le plan annuel d'actions de prévention, qui en fera désormais partie. Deuxièmement, elle vise à améliorer et à harmoniser la qualité du service rendu par les services de santé au travail, qui devront désormais fournir une offre socle de services à leurs adhérents et seront soumis à plus de transparence. Elle permet de mieux accompagner certains publics, notamment les publics vulnérables, et de lutter contre la désinsertion professionnelle. Troisièmement, elle étend le suivi en santé au travail aux intérimaires, aux salariés d'entreprise sous-traitantes, aux travailleurs indépendants et aux chefs d'entreprise. Enfin, elle prévoit de réorganiser la gouvernance de la santé au travail pour une action efficace, mieux articulée et au plus près des besoins, en réaffirmant l'obligation, pour le médecin du travail, de passer un tiers de son temps en entreprise.
En tant que parlementaires, nous avons une double responsabilité : respecter l'esprit et la volonté des partenaires sociaux, exprimée dans l'accord qu'ils ont su trouver, et enrichir au mieux ce texte de nos expertises et des retours d'expérience acquis sur le terrain. Dans cette dynamique, le groupe La République en Marche proposera de compléter le texte sur plusieurs points, en précisant notamment d'obliger les SPST à tenir compte des nouvelles formes de travail, telles que le travail à distance. Par ailleurs, nous serons attentifs à l'information et au consentement explicite du travailleur en matière de partage de son DMP. Nous souhaitons également prévoir une meilleure coopération entre les acteurs de la prévention et ceux de l'accompagnement des personnes en situation de handicap. Enfin, nous proposerons de renforcer et de rendre plus précoces la détection et le signalement de situations présentant des risques de désinsertion professionnelle, afin de permettre un accompagnement le plus en amont possible. Tels sont certains des sujets que le groupe La République en Marche abordera pour enrichir ce beau texte.
. La crise sanitaire doit achever de nous convaincre de faire de la prévention en matière de santé une réalité de chaque jour, traduite en actions concrètes. Dans le monde du travail, le lien entre bonne santé physique et mentale et bonne santé économique fait pleinement sens. J'en suis d'autant plus convaincu que mon expérience de chef d'entreprise et de président d'un service de santé au travail interentreprises pendant vingt ans me l'a maintes fois démontré. Il importe de renforcer la prévention en santé au travail pour le pays et nos concitoyens.
Toutefois, la prévention ne se décrète pas. Il s'agit de permettre une appropriation d'une culture de prévention dans tous les environnements de travail et dans les entreprises de toutes tailles. Les partenaires sociaux ont clairement et quasi‑unanimement affirmé leur volonté d'apporter des réponses concrètes, adaptables et en proximité des entreprises. Il nous appartient de nous assurer que la présente proposition de loi sera la traduction fidèle de ce quasi-consensus. Nous veillerons notamment au caractère applicable de ses mesures. L'application des textes doit être toujours possible. Ils doivent notamment être capables de s'adapter à des contextes d'activité et géographiques très variables. Ainsi, ils constitueront des leviers réalistes pour les employeurs et les salariés. Dès lors que notre tissu économique, dans le secteur privé, est constitué à 80 % d'entreprises de moins de dix salariés, les services de santé au travail ont une place prépondérante. Notre groupe sera donc attentif à la possibilité, pour les futurs services de prévention et de santé au travail, de fournir un service effectif et cohérent à toutes les entreprises et à tous les salariés. À cet égard, le recours aux compétences disponibles et qualifiées dans les territoires doit devenir possible sans qu'aucune disposition juridique ne fasse obstacle à leur mobilisation ni à leur organisation collective, qui est indispensable à leur efficacité.
Cela impose aussi de sécuriser la qualité des pratiques des professionnels de santé. La loi peut mieux inscrire la santé au travail dans le champ de la santé publique. Le partage d'informations maîtrisé et accepté par les professionnels de santé et les salariés, l'introduction de la télémédecine dans les pratiques, les connexions avec l'espace numérique de santé sont des enjeux sensibles, qui doivent être clairement définis et encadrés. La crise sanitaire a illustré les lacunes des textes permettant aux services de santé au travail de participer aux campagnes de tests ou de vaccination. Certaines rectifications introduites dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire doivent être pérennisées.
Dans ce mouvement d'ouverture vers la notion de santé globale, la loi doit veiller à préserver la répartition des responsabilités. Celles de l'employeur sont définies par la directive-cadre sur la santé et la sécurité au travail du 12 juin 1989 et limitées aux risques inhérents au travail. La loi doit continuer d'offrir une traduction en matière de capacité de décision sur les mesures à prendre après le temps du dialogue social. La prévention vise des résultats à long terme. Il faut arrêter des dispositions porteuses de progrès durables, qui devront nécessairement être adaptables en application dans le temps. Il sera essentiel de garantir la souplesse en matière de moyens de mobilisation. Compte tenu du fort consensus des partenaires sociaux sur l'ANI inédit, la position générale de notre groupe est favorable aux grandes lignes de la proposition de loi, qui en reprend largement le contenu. Nous demeurerons vigilants et contributifs pour amender le texte, dans la perspective de son application réaliste et utile au développement de la prévention en santé au travail.
. Nous examinons aujourd'hui une proposition de loi dont le titre est bien loin d'épuiser le sujet. S'il s'était simplement agi de renforcer la prévention en santé au travail, nous aurions eu matière à nous entretenir de longues heures autour de ses dispositions. La proposition de loi dépasse de beaucoup cette ambition. Née d'un travail constant de Charlotte Parmentier‑Lecocq depuis le début de la législature, elle est une synthèse assez aboutie, quoique toujours perfectible, des évolutions que nous souhaitons collectivement en la matière.
Elle s'attache notamment à transcrire fidèlement l'accord national interprofessionnel pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et de conditions de travail, signé le 10 décembre dernier. De surcroît, s'agissant d'une initiative parlementaire, la proposition de loi, tout en étant fidèle à l'ANI, ne s'interdit pas de faire des propositions nouvelles sur les axes qu'elle aborde, notamment le renforcement de la prévention en santé au sein des entreprises, le décloisonnement de la santé publique et de la santé au travail, la définition de la qualité des services fournis aux entreprises et aux salariés par les services de prévention et de santé au travail, l'accompagnement des publics vulnérables et la lutte contre la désinsertion professionnelle, et la réorganisation de la gouvernance de la prévention de la santé au travail. Des évolutions législatives antérieures ont permis de tirer les conséquences de la baisse des effectifs de la médecine du travail, en réorganisant leur travail au sein d'équipes pluridisciplinaires leur permettant d'assurer au mieux leur mission.
Si disparates que soient la qualité et le coût de leur offre de services, les services de santé au travail demeurent un acteur clé et bien identifié de la santé au travail, dans un écosystème complexe. L'ambition est donc de s'appuyer sur ces acteurs en renforçant les attentes à leur égard, afin de garantir à chaque travailleur et chaque entreprise, sur les trois volets que sont la prévention, le suivi médical et la lutte contre la désinsertion professionnelle, un socle de services satisfaisant. La proposition de loi entend non seulement leur donner toute leur place, mais également les certifier et les confirmer dans leur rôle central. Par ailleurs, les partenaires sociaux prendront directement part à l'élaboration des politiques publiques et de coordination des acteurs. Je salue le travail sérieux et sincère des rapporteures sur ce sujet passionnant. Je ne doute pas que nos débats seront très riches. Nous aurons l'occasion de présenter plusieurs amendements portant sur certains points qui nous semblent faire débat, parfois mentionnés par le Conseil d'État. Nous verrons de quelle façon Mmes les rapporteures proposent de faire évoluer la rédaction du texte. Le groupe Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés, cosignataire du texte et associé à sa construction, le soutiendra avec enthousiasme.
. Mesdames les rapporteures, votre proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail vise à réformer l'offre de services et la gouvernance des services de santé, en reprenant en grande partie l'accord national interprofessionnel sur la santé au travail signé le 10 décembre dernier. Elle vise aussi à améliorer le suivi médical des salariés et la prévention de la désinsertion professionnelle.
En lieu et place des propositions audacieuses que nous attendions, vous vous contentez d'une réforme très mesurée de la gouvernance, dont nous ne percevons pas vraiment l'apport, d'une obligation de formation un peu renforcée, et de quelques dispositions annexes, sans jamais aborder la question des moyens. Dans un monde du travail confronté à un enjeu sanitaire qui le percute et met en lumière les difficultés du système de santé au travail, nous ne pouvons que déplorer le manque d'ambition et d'avancées notables sur certains points essentiels.
En matière de prévention primaire des risques socioprofessionnels, le texte n'apporte aucune solution au problème du suivi des travailleurs exposés à des risques chimiques, ne renforce pas la lutte contre la crise des vocations en médecine du travail et ne prévoit aucun plan d'action dans les secteurs où le nombre d'accidents du travail est important. Or les enjeux y sont massifs et les ordres de grandeur édifiants : 500 à 600 morts sur le lieu de travail, 30 000 incapacités permanentes et 600 000 arrêts de travail par an.
L'article 3 portant création du « passeport prévention » représente un motif d'inquiétude, y compris pour les syndicats signataires de l'accord, qui y voient davantage un sauf-conduit permettant aux employeurs de se dégager de leur responsabilité en matière de sécurité, au motif que le travailleur a été préalablement formé. De même, le texte ne propose rien pour faciliter le parcours en reconnaissance des maladies professionnelles, rien sur l'accompagnement des salariés reconnus inaptes au travail que leur entreprise ne peut reclasser, rien pour l'accompagnement des travailleurs les plus précaires qui sont en inter‑contrat, en recherche d'emploi, porteurs de handicap ou malades, rien sur les risques psychosociaux, rien sur les moyens de l'inspection du travail !
La question que nous devons nous poser est de savoir si ce texte sera réellement en mesure de développer la culture de la prévention et de réduire en permanence les risques qui pèsent sur la santé des salariés en raison de leur travail. Pour l'heure, nous n'en sommes pas convaincus. Nous serons attentifs au déroulement des débats et à l'évolution du texte pour déterminer notre position.
Le groupe Agir ensemble se réjouit d'examiner ce texte qui reprend les dispositions d'un accord ambitieux et novateur en matière de santé au travail, négocié par les partenaires sociaux en décembre dernier.
Je tiens à saluer le travail et l'investissement de Charlotte Parmentier-Lecocq et de Carole Grandjean. Le Conseil d'État lui-même a vu dans ce texte « un processus inédit » de coconstruction associant parlementaires, partenaires sociaux et Gouvernement. Cela démontre, si besoin était, l'importance d'un dialogue social riche pour la santé et le bien-être au travail.
Cet accord était d'autant plus nécessaire que la pandémie a montré les failles de notre système. Nous pensions notamment que la généralisation du télétravail permettrait de mieux concilier activité professionnelle et vie privée. Or nous voyons que le télétravail n'est pas la panacée, malgré la souplesse qu'il apporte : le lien avec les collègues de bureau et la sociabilité qu'apporte le travail collectif sont des cadres qui doivent être conservés pour lutter contre le sentiment d'isolement et les risques de désinvestissement.
La pandémie a donc renforcé le besoin d'une mise à jour du cadre applicable en matière de santé au travail pour mieux protéger les travailleurs. La proposition de loi contient des mesures ambitieuses permettant des avancées. Je pense en particulier à la création du risque de désinsertion professionnelle, assortie d'actions de prévention et d'un accompagnement. La traçabilité des risques professionnels est également renforcée, et il est prévu d'accompagner les services de santé au travail et les branches. La formation des élus syndicaux et de l'ensemble des travailleurs à la prévention est améliorée, avec la création du passeport prévention. Les services de santé au travail sont dotés d'outils nouveaux en lien avec le contexte sanitaire ; ils auront un rôle à jouer dans les campagnes de vaccination et de dépistage.
Il est crucial d'améliorer la complémentarité entre la médecine de ville et les services de santé au travail. À ce titre, l'intégration de la médecine du travail dans les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) est une réelle avancée. L'accès au DMP pour le médecin du travail est également un progrès qu'il convient de saluer, même s'il faut certainement sécuriser le dispositif dans le sens d'une meilleure protection du consentement des salariés.
La création de visites médicales de reprise et d'une visite médicale de mi-carrière mérite également d'être saluée. Nous proposons, de la même manière, et dans la continuité des travaux menés par les commissaires de notre groupe depuis le début de la législature, la mise en place d'une visite obligatoire en fin de carrière pour certains métiers particulièrement exposés : cela permettrait d'assurer un meilleur suivi, donc une prise en charge plus rapide de certaines maladies.
La question du sport-santé en entreprise mérite également un débat dans notre commission, tant sont connus les bienfaits de l'exercice physique pour la santé, en particulier psychique.
Nous défendrons des mesures visant à harmoniser les tâches, en particulier en ce qui concerne les infirmiers en pratique avancée, et le statut des infirmiers de santé.
Reste la question des effectifs : il faudrait 200 médecins supplémentaires dans ce secteur.
Notre groupe salue les avancées proposées par le texte et sera force de propositions en vue de l'enrichir, sans dénaturer l'équilibre issu de l'ANI.
Je remercie Charlotte Parmentier-Lecocq et Carole Grandjean pour la qualité des auditions et de leur travail. De nombreux rapports ont été remis sur le thème de la santé au travail. Cette réforme était donc très attendue, et je suis ravi de prendre part aux débats.
La lutte contre la désinsertion professionnelle et pour la santé au travail sont des enjeux importants pour notre société. Cette dernière a trop longtemps été centrée sur la réparation, au détriment de la prévention. L'ANI de décembre dernier – que le groupe UDI et Indépendants salue – traduit la volonté des partenaires sociaux de promouvoir une nouvelle forme de protection de la santé, axée sur la prévention ; le texte que nous examinons reprend ses dispositions.
Le monde du travail subit de nombreuses mutations, et la diversité des formes d'emploi doit permettre à chacun de travailler dans de bonnes conditions. Il y va de l'intérêt de l'employeur. En effet, il s'agit de poser une équation entre les conditions de la performance et celles du bien-être dans l'entreprise. Autrement dit, l'enjeu est de valoriser le travail.
Je regrette que de nombreux amendements aient été jugés irrecevables alors qu'ils portaient sur des thèmes indissociables de l'amélioration de la prévention de la santé, notamment le télétravail – que la ministre du travail, Élisabeth Borne, a incité les entreprises qui le peuvent à mettre en place –, l'adaptation de poste, ou encore les risques psychologiques. Je déplore également l'absence de propositions visant à remédier au manque d'attractivité de la profession de médecin du travail : la mesure que je défendais, inspirée par le rapport des sénateurs Stéphane Artano et Pascale Gruny, a été déclarée irrecevable car sans lien avec le texte.
Enfin, ce texte ajoute des dispositions au code du travail, alors qu'il aurait plutôt fallu des moyens humains supplémentaires.
Je salue l'esprit de la proposition de loi, mais présenterai des amendements sur des points qui me paraissent essentiels.
Mesdames les rapporteures, je salue votre persévérance, car après avoir présenté une proposition de résolution sur le sujet en juin 2020, vous nous soumettez cette proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail.
L'originalité du texte réside dans le fait qu'il transpose dans la loi les conclusions d'un accord national interprofessionnel conclu le 10 décembre 2020. On ne peut que se satisfaire de la conclusion d'un tel accord, d'autant que les négociations ont été difficiles – elles avaient d'ailleurs échoué en juillet 2019. Nous veillerons à ce que la proposition de loi respecte les équilibres trouvés par les partenaires sociaux. Nous ferons aussi en sorte de placer le curseur au bon endroit s'agissant de la santé au travail. Celle-ci doit privilégier l'intérêt sanitaire individuel et collectif des salariés et garantir à tous les travailleurs un accès rapide et de qualité aux services de santé au travail.
L'accord est d'autant plus important que le domaine de la santé au travail est en souffrance depuis de longues années. Les rapports sur la question ne manquent pas – ne serait-ce que depuis le début de l'année, on ne les compte plus. Comme dans un grand nombre d'autres domaines, la crise sanitaire a mis en lumière d'importants dysfonctionnements. Malgré l'épidémie de covid-19 et les incitations à pratiquer le télétravail, nombreux ont été les Français contraints de se rendre sur leur lieu de travail. Or la médecine du travail n'a pas été suffisamment impliquée, ce qui a confirmé les lacunes identifiées depuis de nombreuses années : pénurie de médecins du travail, système illisible et difficile d'accès, existence d'inégalités territoriales et manque de coordination avec la médecine de ville.
Nous partageons donc les grandes orientations qui sont au cœur du texte et de l'ANI, à savoir décloisonner la santé publique et la santé au travail, mettre l'accent sur la prévention, améliorer la qualité du service rendu et la gouvernance, renforcer l'accompagnement de certains publics vulnérables et lutter contre la désinsertion professionnelle. Il faudra néanmoins préciser ces orientations pour qu'elles respectent avant toute autre chose le bien‑être du travailleur.
Nous formulerons un certain nombre de propositions visant à s'assurer du consentement du salarié dans toutes les étapes de son parcours et à mieux expliciter les risques professionnels.
Il faut également prendre garde à ne pas oublier les acteurs qui œuvrent dans le domaine de l'insertion professionnelle des personnes en situation de handicap.
Par ailleurs, le texte n'aborde qu'insuffisamment un certain nombre de points, notamment la pénurie de médecins du travail – nous avons de sérieux doutes à propos de l'article 21 – et la coordination entre la médecine de ville et la médecine du travail, que l'accès au DMP ne suffira pas à lui seul à améliorer. Il faudra aussi aller plus loin s'agissant du statut des infirmiers de santé au travail, en particulier en ce qui concerne l'harmonisation de leur formation et de leurs missions. Au travers de nos amendements, nous vous proposerons donc d'enrichir le texte pour que, à l'issue de nos débats, il soit à la hauteur de ses ambitions.
Si je salue moi aussi le travail de Charlotte Parmentier-Lecocq et de Carole Grandjean, je souhaite leur faire part de mon amertume. En effet, cette proposition de loi ne fait que corriger les conséquences du premier texte du quinquennat d'Emmanuel Macron, c'est-à-dire la « loi travail », qui a supprimé les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et est revenue sur un certain nombre d'acquis sociaux des salariés en matière de conditions de travail. Nous vous avions pourtant dit, à l'époque, que vous mettiez en danger la santé des salariés.
Votre copie est correcte, mesdames les rapporteures. Ce que vous proposez est-il suffisant ? Non, car au lieu de vous contenter de corriger les conséquences, il faudrait vous attaquer aux causes.
Les soignants des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes sont les travailleurs confrontés au plus grand nombre d'accidents du travail – plus encore que ceux du secteur du bâtiment et des travaux publics. Or le projet de loi relatif au grand âge et à l'autonomie a été de nouveau repoussé. Mais, grâce à la proposition de loi, on pourra dire à ces soignants, une fois qu'ils auront 45 ans, qu'ils sont trop abîmés et ne peuvent plus exercer – alors même qu'ils ne sont pas assez nombreux... Là encore, on traite une conséquence sans chercher à s'attaquer à la cause. Vivement que quelqu'un s'en prenne aux causes pour que l'on avance !
Aujourd'hui encore, on meurt de travailler, on abîme sa vie au travail. Les corps et les esprits sont mobilisés, instrumentalisés, mis en tension au cœur d'une grande contradiction du monde où se nouent de façon structurante des rapports sociaux. Aborder la question de la santé au travail devrait être l'occasion de parler du travail en général, des relations de travail, de la manière dont on s'émancipe. L'enjeu devrait être également d'étudier comment on s'abîme en travaillant, c'est-à-dire de se pencher sur les maladies professionnelles, les accidents du travail, le « mal-travail ». Il faudrait se donner davantage les moyens de connaître et reconnaître les accidents et maladies professionnelles et de prévenir leur survenue, d'œuvrer en faveur de la santé – au sens où l'entend l'Organisation mondiale de la santé, à savoir un état de « complet bien-être physique, mental et social » – dans l'environnement de travail et de faire en sorte que le geste créateur qu'est le travail soit un moment d'émancipation pour chacune et chacun.
Certes, le texte a suivi un parcours original et inédit, mais cela suffit-il à garantir sa qualité ? Ce n'est pas sûr. Le quinquennat a démarré par une attaque frontale contre la santé au travail avec la suppression des CHSCT et des critères de pénibilité. Vous aviez donc besoin d'une séance de rattrapage, mais ce texte n'est pas suffisant. C'est même une occasion manquée. Il aurait fallu que les aspects que j'ai évoqués soient inclus dans le débat.
Comme il s'agit d'une proposition de loi, nous n'avons pas eu d'étude d'impact. Quant à la co-construction dont il a été question, elle a surtout concerné les parlementaires de la majorité. Je regrette également que nous ne puissions pas aborder d'autres questions : la manière dont le texte a été conçu nous en empêche. Je déplore aussi qu'un certain nombre de mes amendements aient été sortis du débat.
Le périmètre du texte est donc très restreint. Cela ne veut pas dire que nous nous interdisons de le discuter – d'autant que l'ANI n'a pas été unanime. Par ailleurs, la puissance publique doit pouvoir faire pencher la balance.
Force est de constater que, pour un certain nombre de sujets – les tableaux de reconnaissance, la publicité des données, la nécessité de prendre les questions au bon niveau dans l'entreprise, la démocratie autour de la santé au travail –, les choses sont à l'arrêt. Il faudrait aussi établir un lien entre la réparation – qu'il convient d'ailleurs d'améliorer – et la prévention. J'avais moi-même proposé la mise en place d'un cadastre.
Toutes les leçons de la crise n'ont pas été tirées ; certains des débats qui ont émergé à cette occasion devraient être approfondis. Nous essaierons de formuler des propositions, même si le texte est centré sur la médecine du travail. À cet égard, la question du statut des services de santé au travail n'est pas réglée non plus.
Nous serons donc attentifs aux dispositions qui seront adoptées, d'autant qu'un certain nombre d'entre elles nous semblent problématiques – notamment l'article 8, qui marque une évolution potentiellement néfaste de la philosophie de l'intervention des services de santé, ou encore la visite de mi-carrière et les transferts de dossiers. Nous mènerons ce débat avec rigueur.
Je salue ce texte co-construit par les partenaires sociaux, le Gouvernement et les parlementaires – à commencer bien sûr par vous, mesdames les rapporteures, qui avez accompli un travail considérable. Il s'agit de renforcer la prévention en santé au travail. Le texte est largement positif, mais on peut s'interroger sur plusieurs mesures.
Vous proposez une collaboration nouvelle entre médecine du travail et médecine de ville. Seuls 5 000 professionnels sont en charge de la santé de 18 millions de salariés. Comment s'assurer que des médecins généralistes, même après avoir suivi la formation prévue, seront en mesure d'exercer les mêmes missions qu'un professionnel de la santé au travail, qui connaît bien la vie interne de l'entreprise ? Des médecins généralistes n'auront pas forcément le poids nécessaire pour peser sur les conditions de travail. Par ailleurs, quelle incidence cette disposition aura-t-elle sur l'assurance responsabilité civile professionnelle de ces généralistes ? Quelles seront les conséquences en cas d'erreur quant à l'aptitude d'un salarié ?
J'aimerais vous entendre aussi, car ces questions ne sont pas évoquées dans le texte, à propos des conditions de travail et de la pénibilité, du suivi des travailleurs précaires, du phénomène de sous-déclaration des maladies professionnelles, ou encore des inégalités en matière de santé créées par les conditions de travail ? Ce sont pourtant des enjeux importants.
Quelle sera la composition de la cellule spécifique ayant pour objet de lutter contre la désinsertion professionnelle ? De quels moyens disposera-t-elle ? Comment sera-t-elle financée, sinon par les cotisations – ce qui veut dire que celles-ci augmenteront ?
Vous proposez la création d'une visite de mi-carrière professionnelle, suivie de recommandations pour adapter le poste de travail en fonction des possibilités physiques du salarié. Envisagez-vous le même mécanisme en fin de carrière, dans un objectif de prévention systématique du vieillissement et de la dépendance ? Cela rejoindrait une autre de nos préoccupations, à savoir le vieillissement, le grand âge et l'autonomie.
Enfin, il convient de dynamiser la prévention. Êtes-vous favorables à l'organisation des services de santé au travail autour de deux pôles, l'un strictement médical et l'autre consacré plus spécifiquement à la prévention ? Cela aiderait les entreprises à rédiger le DUERP, qui ne relève pas d'un acte médical mais requiert des compétences particulières.
Merci, chers collègues, pour vos remarques à propos de notre travail. Nous nous présentons devant vous en ayant pleinement conscience du travail déjà effectué par les partenaires sociaux, qui a débouché sur l'ANI. Nous avons également construit ce texte avec vous, car vous avez été nombreux à assister aux auditions. Nous avons également mené un certain nombre de concertations territoriales. Des améliorations devront bien sûr être apportées dans le cadre du débat. De nombreux amendements – des amendements de qualité – ont été déposés : nous avons compris que vous souhaitiez modifier le texte et serons extrêmement attentives à vos propositions.
Il est important que l'équilibre trouvé au sein de l'ANI soit préservé. Certes, la démocratie représentative doit faire son œuvre, mais dans le respect du dialogue social.
Vous avez rappelé la nécessité de passer d'une culture de la réparation à une culture de la prévention. L'une ne remplace pas l'autre : nous devons continuer à œuvrer en faveur de la réparation tout en renforçant la prévention. C'est d'ailleurs l'un des axes forts de l'ANI.
Certains d'entre vous ont souligné les inégalités territoriales. Nous y sommes évidemment sensibles. L'offre socle favorisera l'harmonisation des pratiques, ce qui nous semble de nature à garantir à l'ensemble des entreprises et des travailleurs, dans l'ensemble des territoires, une même qualité de service.
Il nous paraît très important de décloisonner la santé publique et la santé au travail si nous voulons progresser réellement dans le domaine de la prévention. Il faut accompagner cette évolution en créant un certain nombre d'outils et en changeant les pratiques.
Vous avez rappelé l'organisation du dialogue social au sein de l'entreprise et son élargissement au niveau de l'interprofession et des branches. Nous aurons l'occasion d'y revenir et d'aborder la question de sa portée dans différentes instances.
Monsieur Perrut, le décloisonnement entre la médecine du travail et la médecine de ville a été abordé dans l'ANI : les partenaires sociaux se sont entendus sur ce point. Force est de constater la pénurie de médecins du travail. Cette spécialisation est longue et difficile : une fois diplômé, un généraliste doit poursuivre son parcours pour devenir médecin du travail – je salue d'ailleurs les professionnels qui font ce choix. Décloisonner la médecine de ville et la médecine du travail est une manière de faire face à la pénurie. Les médecins correspondants auront-ils les mêmes missions que les médecins du travail ? Ce n'est pas ce que nous proposons : ils n'effectueront pas certaines visites dites renforcées – par exemple quand il s'agit d'établir l'inaptitude d'un salarié. Un certain nombre de compétences spécifiques resteront donc réservées aux médecins du travail. Il était essentiel pour nous de réaffirmer ce principe.
D'autres problèmes ont été évoqués, notamment le nombre d'arrêts de travail et d'accidents du travail. Je le disais : l'un des enjeux forts de la réforme est justement de renforcer la prévention, notamment au travers du document unique, qui référence l'ensemble des risques dans les entreprises et doit permettre de les prévenir.
L'entretien de mi-carrière et les cellules de lutte contre la désinsertion professionnelle seront financés notamment par les cotisations AT-MP. Celles-ci n'abondent pas suffisamment les dispositifs de prévention : 3 % y sont consacrés, contre 10 % en Allemagne. Cette proportion doit augmenter.
La commission aborde l'examen des articles de la proposition de loi.
Titre Ier ‑– Renforcer la prévention au sein des entreprises et décloisonner la santé publique et la santé au travail
Article 1er : Renommer les services de santé au travail en services de prévention et de santé au travail
La commission adopte l'amendement rédactionnel AS 369 des rapporteures.
Elle en arrive à l'amendement AS370 des rapporteures.
Initialement, nous avions prévu que certaines dispositions s'appliqueraient au secteur agricole. Après étude, nous avons décidé d'exclure complètement ce secteur du champ de la proposition de loi, car il obéit à des règles spécifiques. Étendre le texte au secteur agricole nécessiterait plus de concertation et des mesures d'adaptation que nous n'avons pas prévues à ce stade.
La commission adopte l'amendement.
Puis elle adopte l'article 1er, modifié.
Après l'article 1er
La commission examine l'amendement AS116 de M. Paul Christophe.
L'article 1er procède à une harmonisation entre le code du travail et le code pénal s'agissant de la définition du harcèlement sexuel et sexiste. Par cohérence, il convient de préciser que, parmi les missions des services de prévention et de santé au travail, figure la lutte contre le harcèlement sexuel « et sexiste ».
La proposition de loi précise que le harcèlement sexuel inclut les comportements sexistes, mais ces derniers ne sont pas définis en tant que tels. Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Elle est ensuite saisie de l'amendement AS297 de M. Cyrille Isaac-Sibille.
Les services de santé au travail sont au quotidien les opérateurs de la santé au travail auprès des entreprises et de leurs salariés. Si leur nombre a été réduit de moitié en vingt ans, la poursuite de leur regroupement apparaît souhaitable. En effet, ces services sont très disparates, qu'il s'agisse de leur taille ou de leur périmètre d'intervention. Tous n'ont pas la même capacité à accomplir correctement leurs missions : il est difficile pour ceux qui ne disposent que d'équipes réduites d'organiser des actions d'envergure à l'échelle départementale ou au niveau des branches, en phase avec les périmètres géographiques définis par la CARSAT et la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE).
De même, dans de telles situations, la question de la capacité de ces services à organiser une véritable cellule de prévention de la désinsertion professionnelle se pose.
Le caractère pleinement pluridisciplinaire des équipes – avec un ergonome, un chimiste ou encore un psychologue – nécessite que les services de prévention en santé au travail aient une taille critique.
La place occupée en leur sein par les médecins du travail et l'évolution de la démographie de ces professionnels de santé plaident également en faveur d'un regroupement rapide. Nous demandons donc la remise d'un rapport sur cette question dans un délai d'un an.
Les services de santé au travail sont déjà engagés dans une démarche de fusion, pour les raisons que vous avez rappelées. Par ailleurs, il faut leur laisser le temps de s'approprier la réforme. Du reste, la création de l'offre socle les incitera à poursuivre cette dynamique. Il ne nous semble donc pas opportun de demander au Gouvernement de rédiger un rapport traitant de la question de la taille de ces structures, et nous vous demandons de retirer votre amendement. À défaut, avis défavorable.
C'est précisément parce que nous demandons à ces services de faire plus que le mouvement de regroupement doit se poursuivre : c'est indispensable si l'on veut qu'ils soient en mesure d'accomplir leurs missions. Il serait intéressant de voir, dans un an, si le regroupement s'est poursuivi, car si ce n'est pas le cas, la réforme n'aurait pas l'ampleur que vous souhaitez lui donner. Je retire mon amendement, mais le retravaillerai en vue de la séance, car la question me paraît importante.
L'amendement est retiré.
Article 2 : Amélioration des conditions d'élaboration, d'accessibilité et de conservation du document unique d'évaluation des risques professionnels
La commission adopte l'amendement de cohérence AS371 des rapporteures.
Puis elle examine les amendements identiques AS372 des rapporteures et AS71 de Mme Jeanine Dubié.
La commission adopte les amendements.
Elle en arrive aux amendements identiques AS24 de Mme Agnès Firmin Le Bodo, AS57 de M. Stéphane Viry, AS196 de Mme Caroline Fiat et AS233 de Mme Gisèle Biémouret.
L'organisation du travail est un facteur essentiel de prévention des risques psychosociaux observés chez les salariés. Il convient donc de l'inscrire parmi les éléments faisant l'objet d'une évaluation.
Nous ne faisons que reprendre le souhait des partenaires sociaux : dans l'ANI, il est indiqué que l'organisation du travail est un facteur de risque professionnel. À ce titre, elle doit faire l'objet d'actions de prévention et d'évaluations préalables.
Carole Grandjean et moi-même vous remercions d'apporter cette précision : cette dimension est effectivement très présente dans l'ANI. L'organisation du travail reflète la réalité des conditions de travail ; la prendre en compte participe donc à la prévention des risques psychosociaux. Avis favorable.
La commission adopte les amendements.
Elle est ensuite saisie de l'amendement AS197 de Mme Caroline Fiat.
Nous considérons qu'il est satisfait : la notion de pénibilité est prise en compte à travers les actions de prévention que les employeurs doivent mener. Avis défavorable.
Je sais bien que le président Macron ne veut pas que l'on associe le travail à la notion de pénibilité. Force est pourtant de constater que certains salariés, quand ils rentrent le soir chez eux, considèrent que leur journée a été plus que pénible... Qui oserait affirmer que les professions pénibles, cela n'existe pas ? Personne. Pourquoi donc cet amendement ne pourrait-il pas être adopté ? Nous sommes ici pour trouver des solutions aux problèmes créés par la loi « travail ». La pénibilité existe bel et bien : nous devons trouver des solutions pour les salariés qui la subissent.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle examine l'amendement AS373 des rapporteures.
Il s'agit d'un amendement de précision : le dialogue social auquel il est fait référence désigne celui qui est organisé au sein de l'entreprise.
La commission adopte l'amendement.
Suivant l'avis défavorable de Mme Charlotte Parmentier‑Lecocq, rapporteure, la commission rejette ensuite l'amendement AS360 de M. Jean-Hugues Ratenon.
Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels AS374 et AS375 des rapporteures.
La commission examine ensuite l'amendement AS280 de M. Bruno Duvergé.
Nous proposons d'octroyer des compétences et des moyens supplémentaires aux équipes pluridisciplinaires, afin de mieux accompagner les entreprises dans la prévention des risques professionnels et la santé au travail.
Des chartes de partenariat et de coopération pourraient être signées entre les services de prévention et de santé au travail autonomes et interentreprises et les CARSAT mentionnées à l'article L. 215‑1 du code de la sécurité sociale, pour faciliter la prévention au bénéfice des salariés suivis et des entreprises.
Je suis tout à fait d'accord avec vous sur la nécessité de coordonner davantage les acteurs de la prévention, mais cet amendement est satisfait. Les services de santé au travail ont déjà la possibilité de collaborer avec les CARSAT.
L'amendement est retiré.
La commission examine les amendements identiques AS26 de Mme Agnès Firmin Le Bodo, AS137 de M. Pierre Dharréville et AS235 de Mme Gisèle Biémouret.
Il est proposé d'approfondir le rôle du CSE dans l'analyse des risques professionnels, afin que le DUERP contribue réellement au dialogue social sur cette analyse. L'amendement AS26 prévoit que le CSE soit consulté sur le document unique et sa mise à jour.
Cette proposition faisait partie des préconisations de la commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie dont j'étais le rapporteur. Il ne s'agit pas de dégager l'employeur de sa responsabilité. Il est responsable du contenu du document unique : il le dépose, il le signe et il doit l'assumer. Cet amendement permet aux instances représentatives du personnel d'y porter un regard.
Comme les syndicats en attestent, les enjeux de santé dans l'entreprise ne sont pas toujours pris en considération au bon niveau dans les structures actuelles.
J'ai déposé un second amendement sur cet article, qui n'a pas été retenu. Il portait sur le lieu d'archivage des documents uniques. C'est un autre enjeu soulevé dans le rapport de la commission d'enquête : il est essentiel que les documents uniques ne soient pas archivés par l'employeur. Le texte devrait apporter une précision supplémentaire pour que ces documents soient archivés par la puissance publique ou la puissance sociale.
Le second amendement que vous mentionnez n'a pas été jugé recevable en application de l'article 40 de la Constitution.
Nous sommes favorables à ces amendements. Ils s'inscrivent dans l'esprit de notre proposition de loi, tendant à impliquer le CSE dans la construction du document unique et sa mise à jour.
La rapporteure pourrait-elle préciser son avis sur le second amendement que j'avais déposé ? Faute de précision, il revient à l'employeur d'archiver le document unique, ce qui ne garantit pas sa disponibilité dans la durée pour les salariés. Il est important de renforcer l'importance donnée à ces documents uniques, qui ne sont d'ailleurs pas toujours rédigés dans les entreprises.
Vous avez raison, monsieur Dharréville, c'est un point particulièrement important sur lequel nous avons réfléchi. Nous vous proposerons un amendement pour apporter des précisions sur ces points, la difficulté consistant à assurer la bonne durée de conservation.
La commission adopte les amendements.
Puis elle est saisie de l'amendement AS105 de M. Vincent Thiébaut.
Il s'agit de préciser les étapes méthodologiques d'élaboration du document unique, car cette analyse de risques conduit à l'identification des actions de prévention nécessaires.
Cet amendement est satisfait car les principes de prévention prévoient la démarche et la méthode d'élaboration du document. Les textes nous semblent suffisamment précis aujourd'hui.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite l'amendement AS236 de Mme Agnès Firmin Le Bodo.
Nous sommes défavorables à cet amendement, car il est important que les 80 % des salariés qui travaillent dans des petites et moyennes entreprises (PME) de moins de cinquante salariés bénéficient du programme de prévention de l'entreprise. Nous avons bien conscience des difficultés que cela peut entraîner pour les plus petites entreprises, mais c'est tout le sens de ce texte. L'offre socle doit précisément s'orienter principalement vers ces plus petites entreprises. Nous souhaitons également inciter les branches à se mobiliser pleinement pour accompagner les entreprises dans la définition des programmes d'actions de prévention. J'ai rappelé qu'un grand nombre d'acteurs peuvent effectuer cet accompagnement. Nous préférons donc que les entreprises soient accompagnées plutôt que réduire les actions de prévention pour les salariés concernés.
La commission rejette l'amendement.
Elle adopte ensuite l'amendement rédactionnel AS376 des rapporteures.
Puis elle est saisie de l'amendement AS195 de M. Jean-Hugues Ratenon.
Alors que la disparition des CHSCT voulue par La République en Marche a porté un coup majeur à la sécurité et à la santé des salariés au travail, cette proposition de loi est largement insuffisante pour réparer ce qui a été détruit.
Le document unique pour recenser les risques professionnels dans l'entreprise n'aura un effet important qu'à condition que le CSE contribue systématiquement et préalablement à son élaboration. Aussi, l'application du programme qui en découle doit se faire selon un calendrier strict et précis et faire l'objet d'un suivi, sous peine de ne formuler que de bonnes intentions qui ne verront jamais le jour. C'est l'objet de cet amendement, qui nous a été soumis par la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés.
Demande de retrait, à défaut avis défavorable. La proposition de loi est suffisamment précise sur ces différents aspects.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle est saisie de l'amendement AS367 de M. Jean-Hugues Ratenon.
En quoi est-il satisfait ? Le suivi de la mise à jour est organisé par l'employeur lui-même, qui dépose le document. L'intervention d'un tiers est nécessaire, la proposition de loi ne la prévoit pas.
La mise à jour annuelle permettra de suivre les progrès de l'évaluation des risques professionnels dans l'entreprise. Cet article ajoute une obligation de conservation du document unique à la charge de l'employeur, pour permettre aux anciens travailleurs d'accéder à l'ensemble des documents qui auront été publiés par l'entreprise. Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Elle est ensuite saisie des amendements identiques AS46 de M. Stéphane Viry et AS72 de Mme Jeanine Dubié.
Nous proposons de préciser, par voie réglementaire, le contenu et les modalités de mise à jour du DUERP, afin d'assurer une procédure harmonisée pour tous les employeurs.
La précision que vous proposez n'est pas utile.
Le contenu du document unique est prévu par le futur article L. 4121-3-1 du code du travail : « I – Le document unique d'évaluation des risques professionnels répertorie l'ensemble des risques professionnels auxquels sont exposés les travailleurs, organise la traçabilité collective de ces expositions et comprend les actions de prévention et de protection qui en découlent, regroupées dans un programme annuel de prévention. »
Je ne vois pas ce qu'un décret pourrait utilement apporter à cet égard. Les modalités de mise à jour nous semblent également suffisamment précisées par la proposition de loi.
La commission rejette les amendements.
Puis elle est saisie de l'amendement AS73 de Mme Jeanine Dubié.
Nous proposons de prendre en compte l'avis des représentants du personnel de l'entreprise lors de la mise à jour du DUERP par l'employeur, afin que le programme annuel de prévention des risques professionnels et d'amélioration des conditions de travail soit bien adapté aux besoins des salariés.
L'amendement est retiré.
La commission examine l'amendement AS336 de Mme Michèle de Vaucouleurs.
Nous proposons de ne pas rendre obligatoire la déclinaison du document unique en programme annuel de prévention des risques professionnels et d'amélioration des conditions de travail dans les très petites entreprises (TPE).
Cette déclinaison est souhaitée, mais l'ANI affirme la nécessité d'accompagner ces petites structures. Selon l'avis du Conseil d'État, le calendrier de mise en œuvre de cette proposition de loi pourrait être différent en ce qui les concerne. Si cette possibilité était retenue, je suis disposée à retirer cet amendement.
Nous en revenons à la nécessité de doter ces entreprises d'un programme annuel de prévention : ma position est inchangée à ce sujet.
Par ailleurs, il est déjà possible de prévoir des délais spécifiques pour les plus petites entreprises.
L'amendement est retiré.
La commission examine l'amendement AS241 de Mme Agnès Firmin Le Bodo.
Suivant l'avis défavorable de Mme Charlotte Parmentier‑Lecocq, rapporteure, la commission rejette l'amendement.
Puis elle est saisie de l'amendement AS114 de M. Vincent Thiébaut.
Il s'agit de renforcer la prise en compte de la suppression des causes de risques, plutôt que de traiter leurs effets.
L'amendement est retiré.
La commission examine l'amendement AS106 de M. Vincent Thiébaut.
Cet amendement précise les objectifs du plan d'action qui découle de l'évaluation des risques. Il devra notamment évaluer l'efficacité des mesures appliquées.
Une mise à jour du programme de prévention est prévue chaque année. L'amendement est donc satisfait.
L'amendement est retiré.
La commission examine l'amendement AS279 de M. Cyrille Isaac-Sibille.
Il faut associer pleinement les branches professionnelles à l'élaboration du programme annuel de prévention des risques professionnels et d'amélioration des conditions de travail. Le groupe MoDem et Démocrates apparentés propose que le programme annuel de prévention soit décliné par chaque branche professionnelle selon les spécificités de son secteur. La branche professionnelle constitue un levier d'action puissant pour mettre en œuvre des actions de prévention ciblées, adaptées aux spécificités des métiers.
Cette proposition pourrait être mise en œuvre par paliers, en commençant par les branches sectorielles considérées comme prioritaires, selon des modalités précisées par décret.
Nous partageons l'objectif de faire s'investir les branches professionnelles pour aider à bâtir des programmes de prévention. Mais prévoir que les branches bâtissent, ou mettent à jour, elles-mêmes des programmes destinés à s'appliquer directement dans les entreprises pose le problème de leur adaptation dans chaque entreprise.
Par ailleurs, cette proposition ajoute des dispositions qui ne sont pas prévues par l'ANI, ce que nous ne souhaitons pas. Nous demandons le retrait de cet amendement ; à défaut, avis défavorable.
L'amendement est retiré.
La commission est saisie de l'amendement AS377 des rapporteures.
Cet amendement répond aux questions soulevées par M. Dharréville et Mme Dubié sur la procédure de conservation et de mise à disposition du document unique.
Nous prévoyons que la durée de sa conservation soit renvoyée à un décret, pour permettre la plus longue conservation possible des données, le DUERP ayant aussi une fonction de traçabilité collective.
Il est également proposé d'autoriser la consultation du DUERP par les personnes et instances qui peuvent se prévaloir d'un intérêt particulier, à l'instar du médecin du travail, des agents de l'inspection du travail ou encore des agents des services de prévention des organismes de sécurité sociale. Cette liste sera définie par décret.
L'adoption de cet amendement ferait tomber l'amendement AS294 de Mme Michèle de Vaucouleurs, qui porte sur la transmission du document unique d'un service de santé au travail à un autre. Dans cette hypothèse, il serait intéressant de le présenter en séance publique.
Les dispositions que vous proposez sont intéressantes, mais pour garantir aux salariés l'accès permanent à ces documents, il faut prévoir leur transmission aux services de santé au travail. Je retiens votre invitation à retravailler à cette disposition en vue de la séance.
Cette proposition améliore le texte, mais elle ne règle pas tout le problème. Le document unique doit être conservé dans l'entreprise, puisqu'elle doit l'appliquer et le mettre à jour régulièrement, mais il serait utile de prévoir aussi sa conservation au sein des DIRECCTE ou de la CARSAT. Des services spécifiques doivent archiver ces documents de manière officielle, pour que les salariés puissent les retrouver si besoin. Ces services pourraient même en faire un autre usage au service de la santé au travail. La question posée est plus large.
La commission adopte l'amendement.
En conséquence, les amendements AS242 de Mme Agnès Firmin Le Bodo, AS294 de Mme Michèle de Vaucouleurs ainsi qu'AS108 et AS109 de M. Vincent Thiébaut tombent.
La commission examine l'amendement AS253 de M. Bernard Bouley.
L'employeur ne doit pas se faire reprocher de ne pas avoir conservé l'ensemble des anciennes versions du DUERP, puisque les règles actuelles ne prévoient pas cette obligation. L'archivage du document unique doit donc commencer à l'entrée en vigueur de cette proposition de loi.
La loi n'est pas rétroactive : cette disposition s'appliquera donc à compter de son entrée en vigueur. L'amendement est satisfait.
L'amendement est retiré.
La commission adopte l'article 2, modifié.
Après l'article 2
La commission examine l'amendement AS292 de M. Cyrille Isaac-Sibille.
Nous nous félicitons que cette proposition de loi insiste sur la prévention. Celle-ci peut être de deux natures : individuelle ou collective. Nous souhaitons qu'un entretien collectif soit proposé aux salariés en fonction du type d'expositions auxquelles ils sont soumis. La médecine du travail pourrait jouer un rôle important de prévention collective et populationnelle.
Dans l'année qui suit l'embauche d'une personne exposée au bruit, le médecin du travail ou le service de santé lui détaillera les dangers encourus, mais cet entretien ne dure que quelques minutes. Si nous voulons vraiment éduquer à la santé, il faut prévoir des séances collectives durant lesquelles les répercussions d'une exposition soutenue seraient expliquées. Elles permettraient le développement d'une approche de santé publique populationnelle et collective, et pas seulement individuelle.
Je comprends l'utilité d'une démarche collective. De telles actions de sensibilisation collectives sont déjà menées sur le terrain par de nombreux services de prévention. Elles permettent de sensibiliser aux mêmes risques plusieurs salariés en même temps, et de créer une culture de prévention.
Votre amendement impose cependant une visite supplémentaire un an après l'embauche, qui vient s'ajouter à la liste des actions que doivent obligatoirement mener les services de santé au travail, c'est pourquoi nous y sommes défavorables.
Au lieu de prévoir que le médecin du travail consacre à chacun deux ou trois minutes qui ne sont pas toujours utiles, car le travailleur ne comprend pas forcément l'exposition à laquelle il est soumis, nous suggérons de rassembler l'ensemble des personnes concernées dans l'année qui suit leur embauche. Cela n'induit pas nécessairement un coût supplémentaire, c'est une approche différente.
Il est essentiel d'adopter une approche populationnelle pour les personnes soumises à un même risque, afin de créer une démarche de santé publique et de prévention.
Prenons l'exemple des personnes soumises au bruit : ce n'est pas parce qu'on leur a dit qu'il fallait porter un casque de protection qu'elles le feront. Si on leur explique les éléments de manière détaillée, dans un cadre collectif, elles comprendront mieux l'intérêt de la mesure. Une simple phrase prononcée lors d'une consultation individuelle n'apporte pas grand-chose.
La santé au travail se joue sur le poste de travail, et son intégration à l'organisation du travail. Elle ne tient pas au bon comportement d'un individu. De ce point de vue, cette proposition ne me semble pas satisfaisante. Une approche individualisée est nécessaire.
Monsieur Dharréville, le poste de travail est effectivement un élément important, mais je souhaite témoigner de ce qui se passe dans les TPE. Je regrette d'ailleurs que les travailleurs agricoles aient été écartés de cette proposition de loi.
Pour le chef d'exploitation d'une petite entreprise, il est parfois compliqué de faire passer un message à un salarié, qui a parfois besoin de temps pour l'intégrer. Les postures sont importantes dans l'agriculture, et ne sont pas toujours liées au poste de travail. Une démarche collective à ce sujet, ou à propos du port des équipements de protection, pourrait avoir un impact différent.
Une démarche de groupe peut être organisée dans les grandes entreprises, mais dans les TPE, le dialogue parfois paternaliste ne facilite pas toujours la pleine prise de conscience des éléments de risque. Le poste de travail joue un rôle, mais il faut aussi amener le salarié à prendre pleinement conscience des gestes qu'il peut faire pour limiter les risques auxquels il est confronté.
Vous donnez le sentiment que le salarié est responsable de l'environnement de travail. Ce n'est pas le cas, c'est la responsabilité de l'employeur.
Je parle d'éducation à la santé.
Je vais vous donner un autre exemple : pour les personnes amenées à porter des charges lourdes, l'entretien du médecin du travail va durer quelques minutes. Or certaines attitudes et positions qui doivent être adoptées ne peuvent pas être expliquées en quelques minutes.
Certes, mais pas toujours. Pour les déménageurs, des explications dans le cadre d'un entretien collectif leur permettraient de mieux comprendre les bons gestes. La notion de santé publique et de prévention doit être considérée sous un angle populationnel. La prévention individuelle est importante, mais un message populationnel permet une éducation aux bons comportements et aux bons gestes.
Je comprends l'intérêt d'une sensibilisation à certains risques et de la construction d'une culture commune dans l'entreprise, mais je réitère mon avis défavorable à cet amendement, car il impose un entretien dans l'année qui suit l'embauche. Il est plus cohérent d'organiser une action collective autour d'un groupe d'individus d'un même service, ce qui est déjà possible. Les services de prévention ont les compétences pour construire eux-mêmes leur démarche pédagogique.
Il serait bon d'inscrire cette approche populationnelle dans la loi. Mon amendement prévoit qu'une séance d'information est organisée dans l'année, mais elle pourra tout aussi bien l'être dans la semaine suivant l'embauche des travailleurs.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite l'amendement AS63 de M. Stéphane Viry.
Dans une démarche de prévention, il est nécessaire que les salariés soient informés et sensibilisés aux problématiques de santé et de sécurité au travail, par le biais d'outils dont la mise en place incombe à l'employeur. Je propose que soit créée, au sein de la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation, une sous‑commission qui aurait cet objet. Concrètement, nous demanderons aux branches de se saisir de ce sujet et d'organiser l'instauration d'outils de sensibilisation à ces questions essentielles. Dans le cadre du dialogue social, nous encouragerons ainsi la mise en place d'un écosystème qui ne pourra que rassurer les salariés comme les employeurs.
Je comprends votre intention ; vous savez d'ailleurs à quel point j'aurais aimé instaurer un système plus structuré et intégré permettant la bonne diffusion de l'ensemble des outils existants. Cependant, vous proposez de modifier la gouvernance des branches, ce qui ne nous semble pas compatible avec l'objectif de préservation de l'équilibre de l'ANI, auquel nous sommes très attachés.
Avis défavorable.
Je comprends que cette proposition de loi ait pour objet de transcrire l'ANI, dont il faut respecter l'esprit et les grands équilibres. Or mon amendement ne les modifie pas ; il ne vise qu'à donner à l'accord une ambition et une portée quelque peu supérieures. Je vois que vous en avez envie, madame la rapporteure. Allons-y !
La commission rejette l'amendement.
Puis elle est saisie de l'amendement AS141 de M. Pierre Dharréville.
Il reprend la recommandation n° 7 du rapport de l'IGAS de décembre 2017 relatif à la prévention de la désinsertion professionnelle des salariés malades ou handicapés. Il s'agit d'intégrer à la négociation annuelle d'entreprise sur la qualité de vie au travail la discussion de mesures permettant de prévenir la désinsertion professionnelle des travailleurs.
Là encore, ce n'est pas l'envie qui manque ! Nous avons examiné votre amendement avec beaucoup de bienveillance, mais nous estimons qu'il ajouterait un thème nouveau dans les obligations de négociation des branches.
Avis défavorable, afin d'assurer le respect de l'équilibre de l'ANI.
La commission rejette l'amendement.
Article 2 bis (nouveau) : Possibilité d'intégrer aux négociations annuelles de l'entreprise la qualité des conditions de travail
La commission examine, en discussion commune, les amendements identiques AS44 de M. Stéphane Viry, AS138 de M. Pierre Dharréville et AS304 de Mme Michèle de Vaucouleurs ainsi que l'amendement AS78 de Mme Jeanine Dubié.
J'ai retenu la leçon, madame la rapporteure : je me cale donc sur l'ANI, dont l'article 2.2 stipule que la négociation obligatoire sur la qualité de vie au travail « peut prendre [...] des aspects qui recoupent le domaine de la santé et de la sécurité au travail ». Mon amendement vise à intégrer cette possibilité dans les dispositions supplétives relatives à la négociation sur l'égalité professionnelle et la qualité de vie au travail. Je conviens qu'il va au-delà de l'ANI, mais il s'inscrit tout à fait dans l'esprit de cet accord.
Nous souhaitons transcrire dans la loi une mesure débattue dans le cadre des négociations sur l'ANI. Notre attention a été appelée sur cet enjeu par des organisations syndicales ayant participé à ces discussions.
Il s'agit de reprendre une disposition issue d'un travail de concertation avec les partenaires sociaux, dans l'esprit de l'ANI.
Ce texte vise à transcrire l'ANI dans la loi : nous ne devons donc pas omettre de tenir compte des sujets sur lesquels les partenaires sociaux se sont mis d'accord. L'ANI rappelle que la notion de qualité de vie au travail « fait partie des thématiques de négociation obligatoires prévues par le code du travail » ; aussi mon amendement vise-t-il à l'intégrer dans la loi en indiquant que la négociation obligatoire sur l'égalité professionnelle et la qualité de vie au travail porte également sur « la qualité des conditions de travail, notamment sur la santé et la sécurité au travail ».
Là encore, nous avons veillé à respecter l'équilibre de l'ANI. Nous avons identifié une légère différence entre les amendements identiques de M. Viry, M. Dharréville et Mme de Vaucouleurs, qui instaurent une possibilité et n'imposent donc pas aux branches une obligation nouvelle, et celui de Mme Dubié, dans lequel le caractère obligatoire de cette négociation est explicite, ce qui ne nous paraît pas tout à fait dans les clous de l'ANI. C'est pourquoi nous sommes défavorables à ce dernier amendement, tandis que nous nous en remettons à la sagesse de la commission sur les trois premiers.
La commission adopte les amendements AS44, AS138 et AS304.
En conséquence, l'amendement AS78 tombe.
Après l'article 2
La commission en vient à l'amendement AS76 de Mme Jeanine Dubié.
Dans le même esprit, il s'agit d'introduire dans la loi la notion de prévention primaire des risques professionnels, qui constitue un axe fort de la première partie de l'accord national interprofessionnel du 10 décembre 2020. La prévention primaire vise à s'attaquer en amont aux causes profondes des risques professionnels avant qu'ils ne produisent leur effet. Cette approche préventive doit être considérée, aux termes de l'ANI, comme « un investissement aux effets durables, qui contribue à la performance individuelle et collective ».
Vous souhaitez que les salariés puissent être associés, à un moment donné, à la définition de la politique de prévention et d'évaluation des risques. Nous partageons votre préoccupation mais craignons que votre amendement n'entraîne une atténuation du principe de responsabilité de l'employeur, ce qui n'est certainement pas l'objectif que vous poursuivez. Cette mesure n'est pas non plus prévue par l'ANI ; or les partenaires sociaux, que nous avons auditionnés et avec lesquels nous avons beaucoup échangé, ont souligné que ce n'était pas un hasard si certaines choses n'avaient pas été inscrites dans l'accord – cette situation peut résulter de leurs discussions.
Avis défavorable.
Je maintiens mon amendement car c'est un partenaire social qui me l'a suggéré. J'ai du mal à imaginer que cette mesure ne s'inscrive pas dans l'ANI.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle examine, en discussion commune, les amendements AS70 de Mme Jeanine Dubié et AS251 de M. Stéphane Viry.
Il s'agit d'inscrire dans la loi les différentes familles de risques professionnels, telles qu'elles ont été retenues par les partenaires sociaux et précisées dans l'ANI.
La rédaction actuelle de l'article L. 4121-1 du code du travail manque de précision. Il me semble utile de dresser précisément la liste des risques professionnels, afin d'éviter toute ambiguïté et d'empêcher toute application subjective de cet article. Mon amendement est donc, en quelque sorte, un amendement rédactionnel que vous auriez pu déposer vous-mêmes, mesdames les rapporteures...
Nous aurions pu le déposer mais nous ne l'avons pas voulu ! Nous craignons qu'une telle liste à la Prévert puisse comporter certains oublis ou certains manques, d'autant que de nombreux risques émergent actuellement. Nous préférons donc nous en tenir aux « actions de prévention des risques professionnels » qui incombent à l'employeur : cette expression nous semble couvrir l'ensemble des risques existants et à venir. Il s'agit plutôt d'une précaution pour les salariés.
Ce sujet est important. Si les partenaires sociaux se sont mis d'accord sur une classification des différents risques professionnels, il est dommage de ne pas la reprendre dans la loi : nous créerons ainsi une distorsion entre la législation et ce qui a été acté par les partenaires sociaux, qui sont des organisations aussi bien patronales que syndicales. En d'autres termes, nous atténuerons la portée du travail accompli dans le cadre de l'ANI. Je ne comprends pas votre explication et maintiens donc mon amendement, qui ne manquera pas de susciter de longs débats en séance publique.
Je m'interroge sur votre méthode. L'ANI semble être l'alpha et l'oméga de cette proposition de loi : aussi, n'aurait-il pas fallu s'en tenir au contenu de l'accord et déposer des amendements à chaque fois que vous souhaitiez le raboter ou l'enrichir ? Nous aurions ainsi pu discuter de l'opportunité de s'éloigner de l'ANI – c'est, en somme, la seule question qui se pose dans notre débat. Nous risquons de tourner en rond. À quoi servent vraiment nos échanges de ce soir ?
La transposition de l'ANI est un exercice assez ardu, qui donne matière à interprétation. Nous avons eu besoin de nombreux échanges avec les partenaires sociaux afin de bien cerner leurs intentions. Il nous a aussi fallu déterminer ce qui devait être inscrit dans la loi et ce qui pouvait ne pas l'être. De notre point de vue, il est préférable que les familles de risques ne soient pas précisées dans la loi. De nouveaux risques peuvent émerger, et il serait dommage qu'ils soient exclus de ce texte. Une définition beaucoup plus large permettra de les englober.
Cette législature n'est pas la dernière : la législation doit être adaptée en permanence. Il ne s'agit pas de graver dans le marbre des dispositions qui ne pourront plus être modifiées. De nouveaux risques apparaîtront certainement et nécessiteront une évolution de notre arsenal législatif.
La commission rejette successivement les amendements.
Article 2 ter (nouveau) : Prise en compte des situations de polyexpositions chimiques et amélioration du suivi des travailleurs ayant été affectés à des postes à risque
La commission est saisie des amendements identiques AS77 de Mme Jeanine Dubié et AS250 de M. Stéphane Viry.
L'ANI prévoit que le DUERP améliore la « traçabilité des expositions » aux produits chimiques afin de « permettre le repérage des salariés devant faire l'objet d'un suivi post-professionnel et post-exposition ». Mon amendement vise donc à introduire des mesures permettant une meilleure protection des travailleurs en situation de polyexposition, c'est-à-dire exposés cumulativement à plusieurs agents chimiques dangereux ou à un agent chimique dangereux et à un autre risque professionnel dont l'effet combiné est particulièrement nocif pour la santé.
Mon amendement présente le même dispositif mais sa motivation est différente. En 2018, un rapport d'enquête de Pierre Dharréville sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie et les moyens à déployer pour leur élimination a mis en évidence des phénomènes de polyexposition jusqu'alors sous-évalués et insuffisamment pris en compte dans le cadre des mesures de réparation. Fort de ce travail parlementaire, je souhaite saisir l'occasion offerte par la présente proposition de loi pour muscler notre dispositif en la matière et assurer une meilleure protection des travailleurs polyexposés aux produits chimiques dangereux dans le cadre de leur carrière professionnelle. Mon amendement permettrait également de renforcer le suivi individuel de ces personnes.
La polyexposition est une notion importante, que nous souhaitons intégrer à cette proposition de loi. Avis favorable aux deux amendements identiques, sous réserve de la correction d'une coquille : au deuxième alinéa, il convient de remplacer le mot « par » par le mot « à ».
La commission adopte les amendements rectifiés.
Après l'article 2
La commission examine, en discussion commune, les amendements identiques AS43 de M. Stéphane Viry et AS318 de Mme Sylvie Charrière ainsi que l'amendement AS303 de Mme Michèle de Vaucouleurs.
Mon amendement vise à demander aux partenaires sociaux de réaliser un état des lieux paritaire de la santé au travail. Il s'inscrit dans l'esprit de l'ANI, qui appelle à la mobilisation des branches en matière de santé et de sécurité au travail.
Mon amendement relève du même esprit que celui de M. Viry mais sa rédaction est un peu différente : il prévoit que les branches « sont tenues de développer la pratique des états des lieux de la santé au travail ». Il me paraît difficile d'imposer aux branches de réaliser un tel état des lieux dans toutes les entreprises, car elles ne sont sans doute pas en mesure de le faire.
Comme vous avez pu le constater, nous souhaitons véritablement inciter les branches à mener ce type d'actions – leur engagement est nécessaire, car c'est à elles que revient le soin d'apporter aux TPE et PME un certain nombre de réponses. Toutefois, nous ne sommes pas allées jusqu'à inscrire des obligations dans la proposition de loi. Encore une fois, nous voulons préserver l'équilibre de l'ANI, qui résulte de négociations ardues.
Avis défavorable.
Je retire mon amendement, que je retravaillerai en vue de la séance publique. Il n'est déjà pas très directif, mais peut-être pourrait-il l'être encore moins. L'essentiel est d'impliquer davantage les branches professionnelles et de les inciter à développer la pratique des états des lieux.
L'amendement AS303 est retiré.
La commission rejette les amendements AS43 et AS318.
Article 3 : Création du « passeport prévention »
La commission est saisie de l'amendement AS378 des rapporteures.
Nous souhaitons préciser le fonctionnement du « passeport prévention » destiné à retracer l'ensemble des formations suivies par le salarié dans ce domaine. Ce document imaginé par les partenaires sociaux vise aussi à éviter un certain nombre de redondances. Il s'agit là d'une innovation majeure contenue dans l'ANI. Notre amendement répond à toutes les préoccupations exprimées dans les amendements que vous avez déposés à cet article et que l'adoption du nôtre ferait tomber. Il tient également compte des recommandations formulées par le Conseil d'État.
Constatant une carence dans la gestion de ce nouvel outil, j'ai déposé un amendement AS48 visant à clarifier et sécuriser les dispositions de l'article 3. Mais l'amendement des rapporteures va dans le même sens, si bien que je pourrais retirer le mien.
La commission adopte l'amendement.
En conséquence, l'article 3 est ainsi rédigé et les amendements identiques AS48 de M. Stéphane Viry et AS74 de Mme Jeanine Dubié, AS199 de M. Adrien Quatennens, AS301 de Mme Gisèle Biémouret ainsi qu'AS325 et AS327 de M. Thierry Michels tombent.
Après l'article 3
La commission est saisie de l'amendement AS272 de M. Cyrille Isaac-Sibille.
Il vise à ouvrir aux médecins du travail la possibilité de prescrire avec remboursement, dans le cadre des missions de prévention qui leur sont confiées, des actes de diagnostic et des produits préventifs.
L'article L. 4622‑3 du code du travail précise que « le rôle du médecin du travail est exclusivement préventif ». À ce titre, il est primordial que les médecins du travail puissent prescrire des actes de prévention – séances de kinésithérapie, substituts nicotiniques, vaccins –, dont la liste doit être déterminée par décret. Or, à l'heure actuelle, les médecins du travail sont exclus du droit de prescription. Face à la pénurie de médecins, une telle mesure permettrait de renforcer l'accès aux soins et de lutter contre les inégalités territoriales ; elle s'avérerait également source d'économies en ce qu'elle éviterait aux patients de solliciter une consultation payante et de s'engager dans des circuits compliqués. Pourquoi refuser aux médecins du travail une possibilité récemment accordée aux médecins scolaires ?
Nous avons effectivement l'intention de décloisonner la santé publique et la santé au travail, mais vous allez beaucoup trop loin : le droit de prescription outrepasse les missions des médecins du travail.
Avis défavorable.
Je ne comprends pas cet avis. Le médecin du travail, qui joue déjà un rôle en matière d'aptitude et de réparation, voit ses missions élargies à la prévention. Cette nouvelle compétence doit s'accompagner de la possibilité d'exercer les actes y afférents, notamment de prescrire des actes de prévention.
La commission rejette l'amendement.
Article 4 : Extension des missions du médecin du travail
La commission adopte successivement l'amendement rédactionnel AS379 et l'amendement de cohérence AS380 des rapporteures.
Elle examine ensuite l'amendement AS58 de M. Stéphane Viry.
À l'article 4, nous avons une divergence, madame la rapporteure. Votre proposition de loi vise à remettre les questions de santé au travail au cœur des missions des SPSTI ; ce faisant, vous leur donnez une mission de santé publique. Cela ne doit pas être une priorité, pour plusieurs raisons. Premièrement, le rapport de l'IGAS a déjà déploré l'hétérogénéité des tâches des SPSTI, qu'il faudrait recentrer sur leur mission première. Deuxièmement, dans un contexte de pénurie de médecins du travail, il ne paraît pas opportun de confier à ces derniers de nouvelles attributions. Troisièmement, il ne me semble pas que les partenaires sociaux aient expressément prévu, dans l'ANI, un élargissement des missions des services de santé au travail. C'est pourquoi je propose la suppression des alinéas 4 et 5.
Les médecins du travail remplissent déjà des missions de santé publique : ils participent parfois à des campagnes de vaccination, par exemple contre la grippe. Nous souhaitons clarifier et renforcer cette dimension de leur travail. La crise sanitaire que nous traversons montre à quel point il est nécessaire de pouvoir mobiliser les services de santé au travail, dans le cadre de campagnes de vaccination, de lutte contre les addictions ou de promotion de messages de santé publique, notamment en faveur du sport-santé. Tout cela fait déjà partie de leurs missions, qui revêtent donc une dimension de santé publique ; ce n'est pas incompatible avec l'objectif de maintien d'une bonne santé au travail. Il est possible de faire de l'entreprise un terrain de santé publique, tout en veillant à préserver l'équilibre que vous avez rappelé.
Avis défavorable.
Je ne comprends pas, madame la rapporteure : tout à l'heure, vous refusiez de permettre aux services de santé au travail de connaître de la santé collective des personnels d'une entreprise, mais vous souhaitez maintenant consacrer leur mission de santé publique. Ce n'est pas cohérent.
L'amendement suivant étant dans le même esprit, je me permettrai de le défendre maintenant. Les arguments de Stéphane Viry sont pertinents : vous ajoutez des prestations alors que les services de santé au travail, déjà surchargés, doivent être pleinement mobilisés sur leur mission et que les médecins, comme vous l'avez expliqué, doivent conserver un tiers-temps de terrain. La situation exceptionnelle actuelle ne justifie pas que nous tirions de telles conclusions : au contraire, il nous faut renforcer la capacité d'action de ces services sur les enjeux propres à la santé au travail.
Par ailleurs, il serait problématique que les données liées à la vaccination ou au dépistage, qui relèvent du médecin personnel, soient utilisées à d'autres fins.
La commission rejette l'amendement
Suivant l'avis défavorable de Mme Charlotte Parmentier‑Lecocq, rapporteure, la commission rejette ensuite l'amendement AS135 de M. Pierre Dharréville.
Elle en vient à l'examen de l'amendement AS184 de Mme Valérie Six.
Je pars du principe que la prévention – mission que ce texte vient renforcer – dépend de la sensibilisation des salariés et des employeurs. Je propose d'ajouter aux actions de promotion les campagnes de lutte contre les addictions. Dans son rapport remis en octobre, la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives a montré que les addictions pouvaient être à la fois le symptôme et la conséquence des dysfonctionnements dans l'organisation du travail et le management du personnel. La prévention des conduites addictives a d'ailleurs été introduite dans le troisième plan santé au travail 2016-2020.
Votre amendement est satisfait puisque les missions des services de santé au travail visent déjà à « prévenir la consommation d'alcool et de drogue sur le lieu de travail ».
L'amendement est retiré.
La commission est saisie de l'amendement AS381 des rapporteures.
Conformément à l'avis du Conseil d'État, nous proposons de préciser que les actions de dépistage et de vaccination menées par les services de santé au travail s'inscrivent dans le cadre de la stratégie nationale de santé.
La situation des services de santé au travail, qu'il s'agisse de leur présence sur le lieu de travail ou de leur capacité d'action, est très hétérogène. Il faudrait aller jusqu'au bout, questionner leurs missions et leur place dans le dispositif de santé global. Mais comme vous avez décidé de ne pas toucher à leur structuration, je doute que cet amendement ait une quelconque efficacité.
Vous précisez que les services de santé au travail participent à la stratégie nationale. En matière de vaccination, cela signifie-t-il qu'ils peuvent prescrire la vaccination et stocker les vaccins dans les locaux de l'entreprise ?
J'imagine que les modalités opérationnelles dépendent des vaccins. Pour la grippe saisonnière, les médecins et les infirmiers en santé au travail se rendent à l'entreprise avec les vaccins et vaccinent les salariés qui le souhaitent. Cette organisation, qui fonctionne bien, constitue un levier de santé publique. Cet amendement rappelle que ces actions doivent s'inscrire dans un effort national cohérent.
La commission adopte l'amendement.
Puis elle examine l'amendement AS201 de Mme Caroline Fiat.
Si le burn-out est tabou pour les directions d'entreprises, il ne doit pas l'être pour les SPST. Ce syndrome est identifié depuis des décennies ; la recherche en psychiatrie et en psychologie a montré qu'il concernait tous les secteurs, et les métiers de services plus particulièrement – santé, grande distribution, assurances, banques, téléphonie, police, éducation, associations. Les SPST doivent aussi sensibiliser les salariés aux risques psychosociaux.
Avis défavorable : les services de santé au travail accompagnent déjà les entreprises dans la prévention des risques, y compris psychosociaux. La proposition de loi vient renforcer ce volet de leur action. J'ajoute que nous avons adopté en début de séance un amendement qui vise à inclure la question de l'organisation du travail dans les démarches de prévention.
Nous avons tous été choqués par les suicides à France Télécom et nous sommes régulièrement alertés par les difficultés vécues sur le lieu de travail. Les employeurs, à commencer par les députés, ont à gérer les nouveaux risques psychosociaux induits par la crise sanitaire et liés au télétravail. Ils se trouvent souvent démunis, ignorant vers qui se tourner pour obtenir de l'aide. Ne dites pas que les actions de prévention sont encadrées : Santé publique France même a admis que les outils manquaient pour appréhender ces nouveaux risques. L'organisation de campagnes de sensibilisation sur ce thème répondrait aux besoins actuels.
Je répète que la prévention des risques psychosociaux est bien prévue dans les missions des services de santé au travail.
La commission rejette l'amendement.
Puis, suivant l'avis défavorable de Mme Charlotte Parmentier‑Lecocq, rapporteure, elle rejette l'amendement AS200 de Mme Caroline Fiat.
Elle est ensuite saisie, en discussion commune, de l'amendement AS308 de Mme Annie Chapelier ainsi que des amendements identiques AS33 de Mme Laurence Trastour-Isnart et AS64 de M. Stéphane Viry.
Il s'agit d'ajouter aux actions de promotion de la santé les actions de sensibilisation à la lutte contre les violences conjugales et sexuelles.
Les violences conjugales et sexuelles sont un fléau ; dans la mesure où elles peuvent avoir des conséquences graves sur la santé de l'individu, elles constituent un problème de santé publique. Il faut faire de la prévention et sensibiliser l'ensemble des personnels de santé à ces questions.
Cette proposition de loi est l'occasion de nous raccrocher à des thèmes évoqués depuis le début de la législature : les pathologies dans l'industrie, auxquelles Pierre Dharréville a consacré un rapport, les violences conjugales et sexuelles. Il paraît opportun de se servir de ce véhicule législatif pour renforcer autant que faire se peut la prévention.
Je le dis en préambule : nous partageons tous, quelle que soit notre couleur politique, cette préoccupation majeure ; nous nous efforçons de faire avancer, dans les textes, la lutte contre les violences conjugales et sexuelles.
Il existe cependant un principe de réalité : le médecin du travail a une mission de prévention, à laquelle nous ajoutons les actions de promotion de la santé – campagnes vaccinales, sport-santé. Mais alors que ces dernières concernent un large public et sont relativement aisées à mener, la lutte contre les violences conjugales et sexuelles exige une formation spécifique et du temps pour accompagner et suivre les salariés qui en sont victimes.
Il est évident que le médecin du travail, s'il est alerté, peut orienter la personne vers d'autres professionnels, mais son rôle s'arrête là. Lui demander d'incarner cette mission dépasserait le champ de ses possibilités et lui assignerait un objectif impossible à atteindre.
Avis défavorable.
Les conjoints violents exercent une telle emprise qu'ils peuvent aller jusqu'à vérifier les dépenses de santé et accompagner leur victime chez le médecin. Le fait d'avoir un interlocuteur sur le lieu du travail pourrait aider ces femmes à révéler des faits de violence.
Le raisonnement est implacable tant il est vrai que ces femmes vivent sous le joug de leur bourreau. Vos arguments, madame la rapporteure, ne tiennent pas : nous demandons que les médecins mènent des actions de sensibilisation, nous ne leur demandons pas d'exercer une compétence qui n'est pas la leur. Du reste, lorsqu'ils sont confrontés à une telle situation, ils font déjà ce que leur déontologie leur commande de faire.
Je ne comprends pas non plus la façon dont vous motivez votre avis, madame la rapporteure. D'abord, le médecin du travail est entouré d'une équipe pluridisciplinaire et les actions de sensibilisation ne reposent pas sur sa seule personne. Ensuite, ce n'est pas une question de formation, mais de déontologie. Enfin, il est étonnant que vous établissiez une hiérarchie des priorités en considérant que les actions de sensibilisation aux violences conjugales et sexuelles sont moins importantes que d'autres.
Ce débat me surprend. Je ne considère pas qu'il soit nécessaire d'apporter une telle précision car la déontologie impose aux médecins du travail d'accompagner une personne qui révélerait être victime de violences – il est vrai que l'entreprise peut être un sanctuaire. Accueillir, écouter, orienter fait partie de leur travail. Par ailleurs, rien ne les empêche de participer aux actions de sensibilisation organisées par les CPTS, auxquelles ils seront intégrés.
Le rôle du médecin du travail consiste d'abord à évaluer les risques liés au travail et à mesurer correctement les expositions. Il doit pour cela bénéficier de tout le temps nécessaire. Je ne dis pas que ce sujet n'est pas fondamental, mais si des violences venaient à être évoquées dans le cadre du colloque singulier médecin-patient, le médecin du travail pourrait en informer le médecin traitant. N'ajoutons pas des missions supplémentaires, qui relèvent du médecin généraliste. Si l'on dévoie la spécialité du médecin du travail, son action risque de perdre en efficacité.
Nous sommes très sensibles à ce problème : il ne s'agit pas de le minimiser ou de méconnaître l'intérêt qu'aurait une personne à trouver une écoute attentive dans un milieu serein et protégé. Les médecins et les infirmiers de santé au travail peuvent accompagner et orienter une personne victime de violences. Mais leur imposer d'organiser des actions de sensibilisation – qui relèvent peut-être d'autres acteurs –, c'est aller un peu loin. D'ailleurs, je ne crois pas que cette disposition ait été concertée avec les représentants de ces professions.
La commission rejette successivement les amendements.
Puis elle examine, en discussion commune, l'amendement AS202 de M. Jean-Hugues Ratenon et l'amendement AS75 de Mme Jeanine Dubié.
Les données obtenues lors des campagnes de dépistage et de vaccination ne doivent pas être communiquées à l'employeur. Celui-ci n'a pas à savoir, par exemple, si la personne est enceinte ou compte l'être prochainement, ou si elle souffre d'une maladie auto-immune – des informations qui peuvent être demandées aux personnes souhaitant se faire vacciner.
Dans le contexte sanitaire actuel, il paraît normal d'étendre les missions des SPST aux actions de promotion de la santé, comme la vaccination et le dépistage. Mais il faut des garde-fous. Les données de santé des salariés, même si elles sont obtenues sur le lieu du travail, ne doivent pas être communiquées à l'employeur.
Je partage pleinement votre préoccupation. Vos amendements sont satisfaits puisque le médecin du travail est soumis au secret professionnel.
Nous voyons bien que l'épidémie de covid-19 a une incidence sur l'organisation du système et la gestion des données : les personnes contaminées peuvent être détectées et isolées. J'extrapole peut-être, mais il ne me semble pas inutile d'apporter cette précision.
L'employeur aura toute sa place dans l'organisation de ces campagnes vaccinales : il pourra participer à la rédaction du formulaire, décider du lieu où seront rangés les dossiers et éventuellement être présent.
Lorsqu'une disposition est inédite, il faut verrouiller les choses. Vous nous invitez souvent à le faire. Dans ce cas précis, vous refusez de poser les limites : ne nous dites pas que notre demande est satisfaite puisqu'il s'agit d'une nouvelle mission !
La particularité de ces campagnes, c'est qu'elles se dérouleront sur le lieu du travail. Non seulement l'employeur ne doit pas prendre connaissance des données de santé, mais il doit aussi se garder d'inviter ses salariés à prendre part à la campagne et ignorer qui est allé se faire vacciner ou dépister. Vous connaissez les critiques sur l'indépendance des services de santé au travail : dans la mesure où la disposition est nouvelle, il faut poser un cadre clair.
La commission rejette successivement les amendements.
Puis elle examine l'amendement AS176 de M. Pierre Dharréville.
Dans le prolongement de l'obligation de prévention qui incombe aux employeurs, l'amendement vise à permettre le suivi post-professionnel des salariés licenciés pour inaptitude. Comme le montrent plusieurs études, se retrouver au chômage peut fortement altérer la santé : ce dispositif permettrait de mieux accompagner ces personnes déjà fragilisées par l'usure professionnelle.
Le suivi de ces personnes ne peut incomber à des services dont le rôle concerne uniquement les travailleurs, et qui sont déjà surchargés. Il faudrait créer un dispositif spécifique pour les demandeurs d'emploi.
Je retire l'amendement pour le retravailler. Je précise que cette disposition concerne les salariés licenciés pour inaptitude, donc leur ancien employeur.
L'amendement est retiré.
La commission examine l'amendement AS177 de M. Pierre Dharréville.
J'ai déjà défendu cet amendement, inspiré d'une recommandation du rapport Frimat, dans le cadre d'un autre texte. Il prévoit l'organisation d'un suivi post-professionnel des salariés exposés à des agents chimiques dangereux.
Je tiens à souligner la qualité du rapport Frimat sur la prévention des risques chimiques. Mais comme l'amendement précédent, celui-ci concerne des personnes qui ne sont plus employées par l'entreprise.
Avis défavorable.
Le risque est identifié et présente cette particularité que les effets ne se manifestent qu'après un délai de latence. Le suivi doit être assuré dans la mesure où l'exposition dans le cadre de l'activité professionnelle est reconnue et que la responsabilité de l'employeur est engagée au-delà de la fin du contrat de travail. La proposition du Pr Frimat me semble juste.
Je garde un souvenir dramatique de la façon dont se sont soldés nos débats sur la pénibilité au travail il y a quelques mois. Il nous faut agir sur la question des agents chimiques, très sensible dans une circonscription comme la mienne. Nous ne pouvons pas en rester là, compte tenu des dégâts que causent les expositions simples, a fortiori les polyexpositions.
La commission rejette l'amendement.
Puis la commission aborde l'amendement AS178 de M. Pierre Dharréville.
Il vise à préciser que les services de santé au travail ont pour mission d'assurer la traçabilité des expositions subies par les salariés.
Avis défavorable : ce n'est pas aux services de santé au travail que doit incomber cette mission ; il s'agit d'une obligation de l'employeur, que nous renforçons par l'obligation de conserver les différentes versions du document unique.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements AS281 de Mme Perrine Goulet et AS120 de Mme Aina Kuric.
L'article 4 précise que les services de prévention en santé au travail participent à des actions de promotion de la santé sur le lieu de travail. L'amendement AS281 tend à leur confier dans ce cadre la promotion de la pratique sportive.
Il a été clairement démontré, en effet, que l'activité physique régulière contribue à réduire le risque de maladies cardio-vasculaires et d'hypertension artérielle. C'est un facteur de prévention essentiel qu'il convient de diffuser. On le fait déjà à l'école ou à propos des pratiques de loisir ; il semble nécessaire que le sport en entreprise se développe également.
Le sport en entreprise est déjà expérimenté, notamment grâce à un accord entre le Comité national olympique et sportif français et le Mouvement des entreprises de France, et une étude portant sur les entreprises y ayant recours témoigne d'effets très favorables pour les salariés et l'entreprise : pour le salarié, 5 à 7 % de dépenses de santé en moins pour le salarié, trois ans de gain d'espérance de vie, 6 à 9 % de productivité supplémentaire ; pour l'entreprise, 1 à 14 % d'augmentation de la rentabilité nette.
L'amendement AS120 vise à permettre au médecin du travail de prescrire une activité sportive adaptée aux besoins du patient afin de prévenir les risques liés à son activité professionnelle et le maintenir en bonne santé toute l'année !
Aussi enthousiaste que Paul Christophe quant à l'intérêt de la pratique sportive, je serai donc favorable à l'amendement AS281, mais défavorable à l'amendement AS120, car il parle de prescription, ce qui nous semble un peu trop compte tenu de toutes les missions déjà confiées au médecin du travail.
La commission adopte l'amendement AS281.
En conséquence, l'amendement AS120 tombe.
La commission aborde alors l'amendement AS347 de Mme Mireille Robert.
Le télétravail, en constante progression, s'est brusquement massifié avec la crise sanitaire. Pourtant, 42 % des salariés ayant exercé leur activité au moins en partie à distance lors du second confinement ont eu un sentiment d'isolement.
Dans la mesure où le télétravail est appelé à être pérennisé dans de nombreuses entreprises, y compris après la crise épidémique, il apparaît essentiel de préserver pour les télétravailleurs un environnement professionnel collectif et équilibré.
Notre amendement tend donc à ajouter aux missions de conseil des services de santé au travail à l'égard des employeurs celle portant sur l'amélioration des conditions de télétravail.
Votre amendement traduit une préoccupation précédemment exprimée par plusieurs de nos collègues, mais le fait de manière plus adaptée aux missions des services de santé au travail.
Avis favorable.
La commission adopte l'amendement.
Puis elle adopte l'article 4, modifié.
Après l'article 4
La commission examine l'amendement AS167 de Mme Agnès Firmin Le Bodo.
Suivant l'avis défavorable de Mme Charlotte Parmentier‑Lecocq, rapporteure, la commission rejette l'amendement.
Suivant l'avis défavorable de Mme Charlotte Parmentier‑Lecocq, rapporteure, la commission rejette ensuite l'amendement AS203 de Mme Caroline Fiat.
Puis elle aborde l'amendement AS34 de Mme Laurence Trastour-Isnart.
Il prévoit que les médecins du travail suivent des formations spécifiques pour accueillir les femmes victimes de violences conjugales ou sexuelles.
Les addictions, citées précédemment, font déjà l'objet d'une prévention aux termes de la proposition de loi. Or les violences conjugales sont aussi graves, voire davantage ; de plus, les deux sont souvent liées. Elles devraient donc relever également du dispositif de prévention. Certaines entreprises y pourvoient déjà, en lien avec les médecins et autres professionnels de santé ; malheureusement, la démarche n'est pas généralisée. Il aurait été bon qu'un texte visant la prévention en matière de santé le permette, pour toutes les femmes victimes.
Suivant l'avis défavorable de Mme Charlotte Parmentier‑Lecocq, rapporteure, la commission rejette l'amendement.
La séance est levée à zéro heure cinq.