Aujourd'hui encore, on meurt de travailler, on abîme sa vie au travail. Les corps et les esprits sont mobilisés, instrumentalisés, mis en tension au cœur d'une grande contradiction du monde où se nouent de façon structurante des rapports sociaux. Aborder la question de la santé au travail devrait être l'occasion de parler du travail en général, des relations de travail, de la manière dont on s'émancipe. L'enjeu devrait être également d'étudier comment on s'abîme en travaillant, c'est-à-dire de se pencher sur les maladies professionnelles, les accidents du travail, le « mal-travail ». Il faudrait se donner davantage les moyens de connaître et reconnaître les accidents et maladies professionnelles et de prévenir leur survenue, d'œuvrer en faveur de la santé – au sens où l'entend l'Organisation mondiale de la santé, à savoir un état de « complet bien-être physique, mental et social » – dans l'environnement de travail et de faire en sorte que le geste créateur qu'est le travail soit un moment d'émancipation pour chacune et chacun.
Certes, le texte a suivi un parcours original et inédit, mais cela suffit-il à garantir sa qualité ? Ce n'est pas sûr. Le quinquennat a démarré par une attaque frontale contre la santé au travail avec la suppression des CHSCT et des critères de pénibilité. Vous aviez donc besoin d'une séance de rattrapage, mais ce texte n'est pas suffisant. C'est même une occasion manquée. Il aurait fallu que les aspects que j'ai évoqués soient inclus dans le débat.
Comme il s'agit d'une proposition de loi, nous n'avons pas eu d'étude d'impact. Quant à la co-construction dont il a été question, elle a surtout concerné les parlementaires de la majorité. Je regrette également que nous ne puissions pas aborder d'autres questions : la manière dont le texte a été conçu nous en empêche. Je déplore aussi qu'un certain nombre de mes amendements aient été sortis du débat.
Le périmètre du texte est donc très restreint. Cela ne veut pas dire que nous nous interdisons de le discuter – d'autant que l'ANI n'a pas été unanime. Par ailleurs, la puissance publique doit pouvoir faire pencher la balance.
Force est de constater que, pour un certain nombre de sujets – les tableaux de reconnaissance, la publicité des données, la nécessité de prendre les questions au bon niveau dans l'entreprise, la démocratie autour de la santé au travail –, les choses sont à l'arrêt. Il faudrait aussi établir un lien entre la réparation – qu'il convient d'ailleurs d'améliorer – et la prévention. J'avais moi-même proposé la mise en place d'un cadastre.
Toutes les leçons de la crise n'ont pas été tirées ; certains des débats qui ont émergé à cette occasion devraient être approfondis. Nous essaierons de formuler des propositions, même si le texte est centré sur la médecine du travail. À cet égard, la question du statut des services de santé au travail n'est pas réglée non plus.
Nous serons donc attentifs aux dispositions qui seront adoptées, d'autant qu'un certain nombre d'entre elles nous semblent problématiques – notamment l'article 8, qui marque une évolution potentiellement néfaste de la philosophie de l'intervention des services de santé, ou encore la visite de mi-carrière et les transferts de dossiers. Nous mènerons ce débat avec rigueur.