Intervention de Carole Grandjean

Réunion du mardi 9 février 2021 à 21h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCarole Grandjean, rapporteure :

. La présente réforme de la santé au travail a pris une nouvelle réalité dans le contexte de crise sanitaire que nous connaissons. Nous l'avons tous constaté : lors du premier confinement, les entreprises et leurs salariés ont particulièrement eu besoin d'appui. Les modes d'organisation du travail ont été totalement bouleversés. Le domaine de la santé au travail a été confronté à des questions nouvelles, qu'il faut à présent intégrer dans notre droit positif, et qui ont renforcé notre volonté de présenter une proposition de loi.

La reprise des discussions entre les partenaires sociaux à ce sujet était programmée. Désireuses de laisser toute sa place au dialogue social, nous avons d'abord soumis à l'Assemblée nationale une proposition de résolution appelant à faire de la France l'un des pays les plus performants en matière de santé au travail, qui a été adoptée le 22 juin 2020. Dès lors, nous avons préparé cette proposition de loi en complète concertation avec les partenaires sociaux que sont les organisations patronales et syndicales, ainsi qu'avec les professionnels du secteur. Ces discussions se sont poursuivies avec le ministère des solidarités et de la santé, ainsi qu'avec le secrétariat d'État chargé des retraites et de la santé au travail. Notre conviction est qu'un accord conclu entre les partenaires sociaux est une étape importante pour construire une adhésion autour de la nécessité de réforme et un levier favorisant sa mise en œuvre. Le dernier ANI en la matière remontait au mois de juin 2013. L'articulation des divers travaux sur la santé au travail a permis d'accélérer les discussions. Par le biais de cet accord, nous saluons l'engagement explicite de donner une place effective à la prévention et de favoriser le décloisonnement de la santé publique et de la santé au travail. Nous soulignons aussi la reconnaissance de la nécessité d'harmoniser l'offre de services proposée aux entreprises et aux travailleurs, ainsi que la volonté d'en renforcer la qualité. Par ailleurs, l'ANI s'attache à lutter contre la désinsertion professionnelle en portant une attention particulière aux salariés vulnérables et aménage la gouvernance des organismes de santé au travail.

La proposition de loi reprend les dispositions voulues par les partenaires sociaux, concrétisées par la signature de l'ANI. Nous sommes attachées, chacun l'aura compris, à respecter l'équilibre trouvé par les partenaires sociaux. Nous avons souhaité retranscrire l'accord en conscience d'un enjeu partagé par tous : le nécessaire renforcement de la protection des travailleurs. À cet effet, l'article 2 modifie la substance ainsi que les modalités de construction, de diffusion et de conservation du document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP), dont l'existence sera désormais prévue par la loi. Il sera également plus accessible aux travailleurs ainsi qu'aux anciens travailleurs, pour conférer sa pleine portée à l'obligation de traçabilité prévue dans l'ANI. L'article 3 consacre l'existence d'un « passeport prévention », qui retracera les formations suivies par les travailleurs dans le domaine de la sécurité et de la prévention des risques professionnels, ainsi que les attestations, certificats et diplômes qui en sont issus. Il a vocation à intégrer le compte personnel de formation pour figurer parmi les outils à disposition des travailleurs leur permettant de bénéficier a maxima des possibilités qui leur seront offertes.

L'article 8 distingue les actions que proposeront les services de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI) au titre de l'offre socle, d'une part, et de l'offre facultative de services complémentaires, d'autre part. Surtout, il crée une procédure de certification des SPSTI, portant notamment sur l'offre socle, et des modalités de tarification susceptibles de les engager dans une démarche d'amélioration de la qualité de leurs prestations en continu. L'article 14 les invite à installer une cellule de prévention de la désinsertion professionnelle en leur sein, pour mieux lutter contre ce phénomène, qui touche un grand nombre de travailleurs. L'article 16 instaure une visite médicale de mi-carrière au bénéfice des travailleurs. L'article 17 crée les conditions d'un meilleur suivi de l'état de santé des travailleurs insuffisamment ou pas du tout pris en charge – tel est notamment le cas des salariés intérimaires, des travailleurs indépendants et des chefs d'entreprise. L'article 21 autorise le médecin de ville à contribuer, dans des conditions encadrées, au suivi de l'état de santé des travailleurs qui ne font pas l'objet d'un suivi renforcé. L'article 23 dote d'un statut les infirmiers en santé au travail, dont le rôle ne cesse de croître, et les autorise à exercer en pratique avancée dans les services de santé au travail.

Notre proposition de loi revêt une dimension exceptionnelle : il s'agit de la première transposition d'un accord national interprofessionnel par un texte d'initiative parlementaire, ce qui constitue pour nous un signal fort de la possibilité d'articulation entre le dialogue social et la démocratie parlementaire. Nous sommes allées plus loin, en introduisant dans le texte des dispositions favorisant le décloisonnement entre la santé publique et la santé au travail. Ainsi, l'article 11 ouvre aux professionnels de santé exerçant dans les services de prévention et de santé au travail la possibilité d'accéder au DMP du travailleur, de telle sorte que le médecin du travail soit en mesure de remplir au mieux les missions que la loi lui confie. Nous avons l'intention d'améliorer le texte en vue de permettre aux travailleurs d'exprimer leur consentement dans les meilleures conditions et d'éviter toute conséquence pouvant résulter d'un refus de consentement. Par ailleurs, l'article 12, corollaire du précédent, permet aux professionnels de santé assurant la prise en charge des travailleurs de bénéficier d'un accès renforcé au dossier médical en santé au travail, étendu de façon sécurisée aux acteurs du soin.

Une nouvelle fois, les mesures de protection sociale ont progressé plus rapidement sous l'effet d'une crise. Nous souhaitons vraiment que la présente réforme donne les moyens à cette gouvernance tripartite d'accompagner ces progrès, demain, dans une démarche d'amélioration continue et progressive. Nous sommes convaincues que la prévention primaire doit prendre une place centrale dans notre vision réformée de la santé au travail, afin de mieux sécuriser les travailleurs.

La responsabilité de chacun doit être réaffirmée dans la lutte contre la désinsertion professionnelle. La France doit désormais être un modèle en matière de santé au travail et rattraper son retard dans ce domaine. Je rappelle que la sixième enquête européenne sur les conditions de travail (EWCS), publiée en 2015, plaçait la France au vingt-neuvième rang sur trente-cinq en matière d'évaluation des risques professionnels en Europe. Je rappelle également que 10 % des cotisations accidents du travail et maladies professionnelles financent la prévention en Allemagne, contre 3 % dans notre pays.

Loin de nous l'idée de donner l'impression de ne pas entendre les défis que nous devons relever. Nous avons travaillé en gardant toujours à l'esprit les enjeux soulevés par la pénurie des médecins, l'aggravation des pressions économiques due à la crise sanitaire et les lourdeurs des strates administratives qui composent notre organisation. En tout état de cause, le Parlement partage avec les partenaires sociaux l'idée selon laquelle réformer et faire évoluer notre système de santé au travail est une impérieuse nécessité.

La proposition de loi a été élaborée de façon partenariale avec les acteurs concernés, dans l'écoute et la concertation, pour construire un texte équilibré, proportionné et répondant à son enjeu principal : placer la santé au travail au cœur de l'économie et de la vie du travailleur, en accompagnant les entreprises et les travailleurs dans la poursuite de cet intérêt commun. J'appelle votre attention sur le fait que nous avons sollicité l'avis du Conseil d'État en amont de son examen, pour sécuriser sa construction juridique et nous assurer de son juste équilibre ainsi que de sa conformité à l'ANI, confortant ainsi la solidité de l'importante réforme sociétale que nous soumettons au débat aujourd'hui. Cet avis nous a été très précieux. Chacun pourra constater qu'il a inspiré certains de nos amendements.

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