En janvier 2019, nous vous présentions une proposition de loi d'expérimentation territoriale visant à instaurer un revenu de base dans les départements volontaires. Nous voulions débattre de la lutte contre la pauvreté, de la situation de la jeunesse, des injustices sociales qui minent le pays, parce que la crise sociale sévissait déjà. Le malaise de la jeunesse ne faisait que peu de doute pour qui voulait bien le voir. En adoptant une motion de rejet préalable, la majorité a répondu par une fin de non-recevoir.
Deux années se sont écoulées, aucune réponse n'a été apportée. Le plan pauvreté, qui aurait pu en constituer une, semble avoir disparu, comme dans un trou noir. La pire crise économique et sociale que notre pays a connue depuis 1945 s'est installée. La jeunesse est frappée de plein fouet, avec un niveau de vie qui recule, des emplois perdus pour les étudiants, moins de stages pour les apprentis, moins d'emplois à la sortie des études, des réponses tardives et partielles du Gouvernement. La crise que nous traversons projette une lumière crue sur la faillite d'une société, qui laisse pour compte ce qu'elle a de plus précieux, ses enfants. 18 ans, c'est en effet l'âge de la majorité, mais c'est aussi celui de la fragilité, de la vulnérabilité. Pourtant, la société accueille sa jeunesse par la petite porte : une majorité civique paraît bien dérisoire quand on a besoin d'une majorité sociale.
Des filets de protection, des accompagnements ont été pensés par les gouvernements successifs tout au long de l'existence, ou presque : de 18 à 25 ans, il vaut mieux compter sur la solidarité familiale lorsqu'elle peut s'exercer, que sur celle de l'État. C'est ce trou béant dans la raquette que la classe politique semble découvrir – d'une certaine manière, on peut s'en réjouir. Les congés payés, la sécurité sociale, le revenu minimum d'insertion (RMI), la couverture maladie universelle ont pour histoire commune d'être nés sur le terreau d'une crise. Qu'en sera-t-il de celle que nous traversons ? Peut-on fermer les yeux plus longtemps devant les files qui s'allongent à l'entrée des banques alimentaires, devant ceux qui concèdent n'avoir qu'un repas par jour, qui s'entassent dans des logements indignes ou qui renoncent à des soins ?
Plusieurs évidences s'imposent : la pauvreté n'a pas d'âge ; notre jeunesse vit cette épreuve comme un abandon des pouvoirs publics ; ce qui existe aujourd'hui pour elle est notoirement insuffisant. C'est pourquoi, avec mon collègue Boris Vallaud et d'autres du groupe Socialistes et apparentés, nous avons travaillé depuis deux ans à une nouvelle proposition de loi qui soit à la hauteur du défi social qui s'impose à nous. Le moment est venu de répondre de manière profonde et pérenne à une aspiration de justice et d'émancipation.
La proposition de loi s'appuie sur ce que nous dénommons le revenu de base. D'emblée, j'indique que le terme fait débat et que nous sommes ouverts à toute suggestion pour le renommer. Ce qui compte n'est pas tant le mot, que la chose. Celle-ci repose sur trois piliers.
Le premier est l'ouverture de ce droit dès 18 ans. Rien ne semble justifier la borne d'âge de 25 ans, qui n'existe que dans quelques pays européens. Elle fait des jeunes des citoyens de second rang. Contrairement à ce que l'on entend souvent, cette borne d'âge n'est pas non plus liée à un âge d'accès au travail puisque la plupart des jeunes trouvent leur premier emploi avant 25 ans – à 22 ans, en moyenne. Elle n'est pas non plus liée à l'existence de bourses puisque tant de jeunes n'en bénéficient pas ou en bénéficient peu. Dans la plupart des cas, leur niveau est bien moins élevé que le montant du revenu de solidarité active (RSA). Et puis, cette barrière d'âge est insupportable lorsqu'on la justifie par l'obligation parentale. Cela revient à répéter sans fin les inégalités de naissance, notamment pour les parents qui n'ont pas les moyens de subvenir dignement aux besoins de leurs enfants. Abolir cette frontière est donc une question de principe, d'égalité, de lutte contre un fait quasiment culturel, un rite initiatique, qui veut qu'un jeune doive en baver pour accéder à une vie émancipée.
Le deuxième pilier est l'inconditionnalité. Les logiques de contreparties, de droits et de devoirs masquent mal des réalités trop souvent méconnues ou des poncifs qui ont la vie dure. D'abord, l'emploi n'est pas une obligation mais un droit, consacré par le Préambule de la Constitution de 1946. Ensuite, il n'a jamais été démontré que le contrôle et les sanctions avaient un effet sur l'insertion professionnelle. Au contraire, certaines études montrent qu'ils aboutissent principalement à des non-recours ou à la construction de parcours professionnels chaotiques, avec des emplois mal adaptés. Enfin, les acteurs de l'accompagnement dénoncent presque unanimement les moyens administratifs qui sont destinés à rechercher d'hypothétiques fraudeurs chez les bénéficiaires, quand le vrai besoin serait d'abord de les aider à renouer avec l'emploi. Cette inconditionnalité n'est en rien un cadeau. Elle est encore moins un encouragement à l'oisiveté. Au contraire, c'est le rétablissement du sens profond d'un droit protecteur dû à ceux qui sont privés d'emplois, donc de ressources.
Nous avons parfaitement entendu les questions posées par l'articulation avec la garantie jeunes, organisée par les missions locales. Celle-ci restera la principale orientation possible proposée par les conseils départementaux, et ses bénéficiaires auront droit à une majoration du revenu de base tant qu'ils participeront à ce parcours de réinsertion intensif.
Troisième pilier : l'automatisation du versement. Le non-recours demeure considérable s'agissant des minima sociaux. Les prestations quérables n'ont plus aucun sens dans un pays qui dispose de tous les moyens techniques pour identifier les ayants droit. Nous souhaitons donc que le revenu de base soit versé automatiquement, en se fondant sur l'ensemble des informations dont dispose déjà l'État par le prélèvement à la source et la sécurité sociale, par la déclaration sociale nominative. Notre proposition consiste donc à appliquer la logique de l'« aller vers », en confiant le soin à la caisse d'allocations familiales de verser directement la prestation et aux conseils départementaux de proposer un accompagnement adapté. Le tout sera facilité par une prestation unique, qui combine le RSA et l'actuelle prime d'activité grâce à un mode de calcul simplifié et ajusté. La nouvelle prestation ne ferait aucun perdant et serait financée par l'État, sans préjudice des missions du conseil départemental en matière d'insertion et d'accompagnement.
Telles sont les dispositions de l'article 1er.