Le revenu de base est complété par un droit complémentaire, conçu pour aider le jeune construire sa vie d'adulte. C'est un capital pour démarrer dans la vie et amorcer un projet de formation ou d'insertion, librement choisi et construit. Cette « dotation tremplin » constitue le second volet de l'aide individuelle à l'émancipation solidaire que nous proposons. Ensemble, l'un et l'autre forment ce que nous tenons pour un minimum jeunesse.
L'égalité de tous pour accéder à une formation, la possibilité de reprendre des études lorsque l'on a été contraint de les arrêter sont socialement déterminées, notamment par la dotation en capital de chacune et chacun. Comment payer ses frais de scolarité, une première formation qualifiante, son permis de conduire ou amorcer le financement d'un véhicule pour accéder à un premier travail ? Ces questions, qui peuvent sembler simples, sont de véritables obstacles pour de nombreux jeunes qui souhaitent se lancer, mais ne peuvent compter ni sur des bourses – insuffisantes, lorsqu'elles existent –, ni sur les solidarités familiales, qui sont le cœur des inégalités des jeunesses.
Des dispositifs d'accompagnement à la formation existent aujourd'hui, comme le compte personnel de formation, mais ils supposent d'avoir déjà acquis des droits en travaillant, ce qui n'est pas le cas lors d'une première formation ou d'un premier emploi. La situation des jeunes à cet égard est singulière.
Inspirée de l'idéal d'un capital universel parallèle au revenu de base, la dotation que nous avons imaginée viendrait compléter le compte personnel d'activité dans la logique d'un droit individuel portable tout au long de la vie. Une dotation de 5 000 euros serait versée sur le compte personnel d'activité à l'âge de 18 ans pour tous les jeunes ; elle pourrait financer des usages liés à l'enrichissement de son capital personnel – formations, mobilités, engagements associatifs ou projets entrepreneuriaux. Elle serait gérée par un fonds associatif, financé par l'État, qui associerait des représentants de la jeunesse, et pourrait venir compléter la dotation universelle pour les jeunes les plus en difficulté.
Forte d'un revenu de base et d'une dotation universelle, notre aide individuelle à l'émancipation solidaire constitue une puissante réponse à la vague de pauvreté qui déferle sur le pays. Nous voyons les rangs des banques alimentaires se grossir de nombreux jeunes, et nous ne pouvons rester indifférents à cette souffrance, qui paraît tout sauf irrémédiable dès lors que l'on en aurait la volonté politique.
Nous venons donc devant vous avec une proposition de loi très complète, à un moment où cette question semble assez mûre pour être abordée. Le débat est public, pluraliste ; les attentes, fortes. Le constat sur le terrain est fait depuis des années par les associations de lutte contre la pauvreté et celles qui représentent la jeunesse – nous les avons auditionnées. Un travail de fond a été conduit avec des chercheurs, des sociologues, des économistes, des collectifs associatifs, avec l'Institut d'études politiques de Paris et l'Institut des politiques publiques. La proposition de loi a également fait l'objet de plusieurs consultations, car elle résulte d'une longue histoire : le revenu de base était le projet de dix‑neuf départements socialistes, qui en avaient proposé l'expérimentation. Ils ont travaillé pendant près de trois ans sur le sujet et organisé des consultations publiques, qui ont donné lieu à 15 000 contributions. Malheureusement, nous n'avons pas eu le loisir d'en débattre.
Quant à la dotation en capital, elle a émergé d'une consultation de plusieurs dizaines de milliers de jeunes par la technologie citoyenne (civic tech) Make.org, durant la campagne présidentielle de 2017. La proposition avait été plébiscitée ; nous avions choisi de la reprendre à notre compte. Lors d'une mise en débat sur la plateforme Parlement & Citoyens pendant plus de deux mois, elle a recueilli 6 000 participations et 2 000 contributions, auxquelles nous ne pouvons pas rester indifférents.
La proposition de loi est désormais prête à être soumise au vote de la représentation nationale. Après la création du RMI en 1988, de la garantie jeunes en 2013, de la prime d'activité et du compte personnel d'activité en 2016, il est temps d'accomplir ce nouveau grand pas social qui peut changer la vie de millions de nos concitoyens, lesquels ne s'abîment pas dans l'oisiveté, mais s'enfoncent dans la pauvreté, l'âpreté de la vie. Comme républicains attachés à la République sociale, nous devons y prêter attention.
Il est temps aussi de renvoyer nos préjugés sur la jeunesse, la pauvreté, le travail et de faire confiance à la solidarité, pour renforcer notre socle républicain. Nous examinons en ce moment, dans l'hémicycle, un projet de loi confortant le respect des principes de la République. Or de nombreuses promesses sont démenties dès le plus jeune âge. La proposition de loi vise à y remédier en partie.
Nous ne prétendons pas avoir le monopole de cette haute conscience de l'urgence sociale. Les organisations syndicales étudiantes, les conseils départementaux, des communes, comme Grande-Synthe dont nous avons rencontré le maire, la partagent. À lire et à écouter ce qui s'écrit et se dit depuis quelques mois, cette ambition pour la jeunesse dépasse désormais les clivages et interroge les consciences au-delà des jeux de rôle habituels sur ces questions. Une sociologue que nous avons auditionnée a dit qu'en la matière, le terrain social était plus mûr que le terrain politique. Nous pouvons lui donner tort aujourd'hui.
Nous ne devons pas être dupes des contre-propositions qui fleurissent pour gagner du temps. Il y a deux ans, vous aviez repoussé notre proposition de loi d'expérimentation territoriale parce que le revenu universel d'activité devait voir le jour en 2020. Nous sommes en 2021 et avons vu ce qu'il en était. Durant la crise, nous avons été d'une prime à l'autre, comme si la pauvreté, qui nous sautait aux yeux, ne préexistait pas largement à cette brutale apparition, comme si la situation de la jeunesse, indépendamment de la crise, n'était pas déjà difficile. Avec cette proposition de loi, nous devons revenir de l'idée, trop souvent partagée, que la jeunesse est un rite initiatique, qu'elle doit être une épreuve, que chacune des difficultés, pour trouver un emploi, poursuivre des études, se soigner, se loger, se nourrir, formerait la jeunesse. Je crois surtout qu'elles l'abîment, de façon irrémédiable.
Aujourd'hui, nous serons vraisemblablement renvoyés à une hypothétique garantie jeunes universelle. Je vous demande de ne pas avoir cette bassesse. Nous ne connaissons aucun des paramètres de ce dispositif, y compris ce que le mot d'universalité signifiera en l'espèce. On nous renverra à des prêts garantis par l'État pour les jeunes, qui ont déjà bien des difficultés et ne demandent pas à s'endetter davantage.
Il faut donc engager sans plus tarder le nouveau grand chantier social de notre temps, celui qui n'oppose pas travail et solidarité, car je ne connais pas un jeune qui ne veuille pas travailler. Nous devons revenir de cette opposition entre émancipation et accompagnement, entre égalité et liberté. C'est pourquoi nous faisons nôtres les mots du grand Jean Jaurès : « Une fois émancipé, tout homme cherchera lui-même son chemin ». Ouvrons à la jeunesse le chemin de sa liberté et de son émancipation !