Intervention de Régis Juanico

Réunion du mercredi 10 février 2021 à 14h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRégis Juanico, rapporteur :

Je souhaite vous faire part du témoignage de Pauline Oustric, jeune chercheuse en comportements alimentaires et présidente de l'association AprèsJ20 rassemblant de nombreuses personnes atteintes de formes longues de la covid-19, qui a accepté de nous parler de son expérience et des principaux symptômes de cette pathologie : « Je ne peux plus vivre une journée normalement. On m'a diagnostiqué il y a quelques mois une dysautonomie, une dérégulation du système nerveux. J'ai encore des problèmes pour digérer, des malaises post-efforts, de la tachycardie au repos, ce qui est quand même préoccupant à 27 ans. Ces symptômes durent depuis dix mois, car j'ai contracté la covid-19 fin mars, sans besoin d'hospitalisation. Je ne peux plus aujourd'hui vivre comme avant, où je travaille, et faire des choses normales à la maison. C'est une autre vie. »

La vie de Pauline, comme celle de tant d'autres, a ainsi été bouleversée depuis qu'elle souffre d'une forme de « covid long », pathologie reconnue en août par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui y consacrait hier un séminaire. Ce covid long se caractérise par des symptômes persistant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, après la contraction de la maladie.

Aux très nombreuses victimes de la covid-19 – celles qui ont été hospitalisées, celles pour qui il a été nécessaire de recourir à des soins de réanimation et celles qui sont malheureusement décédées des suites de la maladie – s'ajoutent d'autres victimes, moins connues et pas toujours identifiées, dont le quotidien a pourtant été bouleversé depuis leur infection par le virus de la covid-19.

Les séquelles de la covid-19, polymorphes et marquées par différents degrés de gravité, relèvent de trois catégories principales qu'il s'agit ici de rappeler.

De nombreux patients dont l'état a nécessité des soins à l'hôpital, souvent en service de réanimation, sont d'abord atteints de séquelles importantes résultant des formes graves de la maladie et du mode de prise en charge particulièrement lourd associé. Les personnes concernées souffrent le plus souvent de séquelles lourdes, notamment respiratoires et cardiaques – fibrose pulmonaire, insuffisance rénale aiguë –, de troubles musculo-squelettiques très invalidants et d'atteintes au système nerveux central.

Un deuxième type de séquelles de la covid-19 touche des personnes ayant contracté des formes relativement légères de la maladie, sans besoin d'hospitalisation. Ces personnes – le plus souvent des femmes et de nombreux jeunes – souffrent d'un covid long, évoqué à l'instant, caractérisé par des symptômes lancinants, persistants et particulièrement invalidants, au premier rang desquels figurent un épuisement terrassant, un essoufflement rapide, une fatigue chronique, une désadaptation à l'effort, des troubles cognitifs, une anosmie et une agueusie.

Un grand nombre de spécialistes évoquent enfin des séquelles psychiatriques de la covid-19 particulièrement alarmantes chez de nombreux patients : anxiété, insomnie, dépression, syndromes post-traumatiques, symptômes obsessionnels. Le lien entre maladie infectieuse, inflammation et déclenchement de troubles psychiatriques a été démontré de longue date. Selon la professeure Marion Leboyer, les conséquences psychiatriques de la covid-19 sont devant nous.

S'il est encore tôt pour dire avec précision combien de personnes souffrent de ces séquelles polymorphes de la covid-19, il est aujourd'hui établi qu'elles concernent plusieurs centaines de milliers de victimes. Ces victimes, ce sont d'abord nos soignants, qui ont fait et font toujours l'admiration de tous pour leur courage et leur mobilisation sans faille dans la lutte contre l'épidémie. Ce sont aussi tous ces travailleurs de première ligne qui, tout au long de la crise sanitaire, ont assuré la continuité de la nation au péril de leur santé et, parfois, de leur vie. Ce sont enfin toutes ces personnes que nous appelons « victimes environnementales » ou « collatérales », qui ont été contaminées par leurs proches, lesquels avaient eux-mêmes souvent contracté la maladie dans l'exercice de leur profession.

Ces personnes, nous les avons applaudies tous les soirs, pendant de longues semaines, pour leur témoigner notre reconnaissance. La nation tout entière a reconnu leur courage et leur dévouement. Nous leur avons promis notre gratitude et notre soutien. Et pourtant, le Gouvernement n'a pas tenu ses engagements. Le dispositif de réparation des préjudices subis par les victimes de la covid-19 prévu par le décret du 14 septembre 2020 est très loin d'être à la hauteur des enjeux. Particulièrement insuffisant, il fait l'objet d'un rejet unanime de la part des associations de victimes et de l'ensemble des organisations syndicales salariées.

Pour les soignants, d'abord, contrairement à ce qui avait été annoncé à de multiples reprises par le Gouvernement, y compris dans notre assemblée, la reconnaissance de la covid‑19 comme maladie professionnelle n'est ni automatique ni systématique. Pour recevoir une indemnisation, les soignants et assimilés doivent être atteints d'affections respiratoires aiguës et avoir eu recours à une oxygénothérapie. Ces critères sont particulièrement restrictifs et peu pertinents dans la mesure où, comme on l'a vu, les séquelles cardiaques, neurologiques ou cérébrales de la covid-19 touchent de nombreux patients atteints, au départ, de formes peu graves de la maladie.

Pour les autres travailleurs et les personnes dont la pathologie ne correspond pas aux critères très stricts que je viens d'énoncer, la reconnaissance de la covid-19 comme maladie professionnelle relève d'un véritable parcours du combattant. Fin janvier, les organisations syndicales faisaient ainsi état de seulement cent reconnaissances au titre du nouveau tableau MP100 des maladies professionnelles et de quinze reconnaissances au titre de la procédure complémentaire. Ces victimes sont tenues de prouver l'existence d'un « lien direct et essentiel » entre leur travail et la contamination par le virus ; or ce lien est particulièrement difficile à établir dans le cadre d'une épidémie comme celle que nous connaissons. L'existence d'un système à deux vitesses fait, par ailleurs, l'objet d'une vive incompréhension de la part des victimes. Il témoigne d'une forme de mépris face à l'engagement de nombreux travailleurs, ces aides à domicile, hôtesses de caisse, agents des forces de l'ordre et de sécurité, pompiers, enseignants, agents de propreté et commerçants montés au front en pleine crise sanitaire. Alors qu'ils souffrent souvent des mêmes séquelles, comment expliquer qu'ils ne soient pas placés sur un pied d'égalité avec les soignants et assimilés ?

Uniquement centré sur la reconnaissance comme maladie professionnelle, le dispositif d'indemnisation existant laisse, en outre, de nombreuses victimes de côté. Je pense aux travailleurs indépendants, dont une très faible minorité seulement est assurée contre le risque accidents du travail et maladies professionnelles (AT‑MP), aux très nombreuses victimes environnementales contaminées hors du cadre professionnel, aux bénévoles venus prêter main-forte aux associations de solidarité, aux retraités – les plus de 65 ans représentent 90 % des personnes décédées –, aux résidents en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), qui ont payé le plus fort tribut à la crise avec 30 000 décès sur les 80 000 recensés à ce jour, ou encore aux proches des personnes décédées.

L'indemnisation proposée est, enfin, largement insuffisante : uniquement forfaitaire, elle ne prend pas en compte les nombreux préjudices physiques, économiques et moraux dont souffrent les victimes.

Nous devons agir face à la détresse de ces nombreuses personnes qui nous appellent à passer aux actes. La réparation des nombreux préjudices subis par ces victimes est un devoir, à plusieurs titres.

La responsabilité de l'État dans la situation de ces victimes est indéniable. Qu'il s'agisse de la question des masques, des lourdeurs dans le déploiement d'une véritable stratégie de dépistage ou du retard important dans la prise de mesures protectrices à l'égard de nos aînés dans les EHPAD, la façon dont les pouvoirs publics ont répondu à la crise sanitaire s'est caractérisée par de nombreux errements et n'est pas étrangère à la propagation rapide et massive de l'épidémie. Notre but n'est pas ici d'établir une liste exhaustive des manquements constatés dans la gestion de la crise sanitaire – les commissions d'enquête parlementaires s'en sont chargées, et ce travail est loin d'être achevé. Au-delà de la recherche des responsabilités, la mise en place d'un système ambitieux d'indemnisation des victimes de la covid-19 relève avant tout de la solidarité nationale.

Il s'agit d'abord de reconnaître l'engagement de tous ceux qui ont pris de nombreux risques pour assurer la prise en charge des malades et la continuité de la vie de la nation.

Il s'agit aussi de prendre en compte la souffrance insupportable vécue par ces victimes, nombreuses à dépendre aujourd'hui de leurs proches pour l'ensemble des gestes du quotidien. À la douleur physique s'ajoute souvent, pour ces personnes, une difficulté à faire reconnaître leur pathologie, dont les formes demeurent encore peu connues. La fatigue physique et intellectuelle intense, caractéristique de cette pathologie, les empêche bien souvent de poursuivre leur travail et constitue pour un grand nombre d'entre elles un risque majeur de désinsertion professionnelle, voire de désocialisation.

Pour toutes ces raisons, nous vous proposons, avec Christian Hutin et les députés du groupe Socialistes et apparentés, la création d'un fonds d'indemnisation des victimes de la covid-19, outil aux objectifs ambitieux et aux nombreux bénéfices.

S'adressant aux laissés-pour-compte du dispositif existant, ce fonds a pour vocation d'offrir une réparation des préjudices subis par toutes les victimes présentant des séquelles temporaires ou définitives de la covid-19, qu'il s'agisse de séquelles lourdes résultant de formes graves de la maladie ou de symptômes persistants caractéristiques du covid long. La réparation que nous envisageons s'adresse aussi aux ayants droit des personnes malheureusement décédées des suites de la maladie ; nous ne les avons pas oubliées. Nous proposons la mise en place d'une réparation intégrale, qui permette à la victime de vivre dans des conditions aussi proches que possible de la situation antérieure à la maladie.

Le fonds d'indemnisation des victimes de la covid-19 s'inspire du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA), dont le modèle est aujourd'hui largement éprouvé. La création d'un tel fonds présente de nombreux avantages.

Elle permettrait, tout d'abord, de limiter considérablement le risque de contentieux, qui suscite inquiétudes et incertitudes pour des victimes déjà fortement éprouvées par leur maladie. Le dispositif du fonds est, par ailleurs, particulièrement protecteur : dès lors que la victime fait état d'un dommage pris en compte par le fonds, elle peut obtenir une indemnisation sans qu'il soit nécessaire pour elle de prouver une faute.

L'intérêt de la mise en place d'un fonds d'indemnisation réside aussi dans la rapidité et la simplicité de la procédure. Le fonds assure une indemnisation à titre principal, sans que la victime ait à faire valoir son droit d'indemnisation par une action en responsabilité individuelle. Le fonds est, par ailleurs, tenu de présenter une proposition de réparation dans les six mois suivant la réception de la demande.

Le mode de financement du fonds que nous proposons est particulièrement équilibré : principalement fondé sur une contribution de l'État et de la branche AT-MP, il fait participer les employeurs et l'État, qui agissent au titre de leurs responsabilités respectives et de la solidarité nationale.

Telles sont les principales modalités de fonctionnement du fonds d'indemnisation des victimes de la covid-19 que nous vous invitons à mettre en place. Le principe de la création de ce fonds recueille le soutien des organisations syndicales salariées et des associations de victimes que nous avons entendues et qui nous ont fait part de leur grande attente. Il est également soutenu par l'Académie nationale de médecine. Ne restons pas dans les incantations. Agissons vite pour ces victimes, qui comptent plus que jamais sur notre soutien et notre mobilisation !

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