Intervention de Dr Déborah Sebbane

Réunion du jeudi 4 mars 2021 à 9h35
Commission des affaires sociales

Dr Déborah Sebbane, directrice du Centre collaborateur français de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la recherche et la formation en santé mentale :

Nous allons vous présenter quelques éléments que nous a communiqués l'OMS, ainsi que des constats plutôt nationaux sur des points de vigilance et des opportunités émergeant dans le champ de la santé mentale au sortir de cette crise.

Nous voulions d'abord resituer les missions du Centre collaborateur et revenir sur la façon dont l'OMS les a identifiées durant la crise.

Les centres collaborateurs ont servi d'interface entre l'OMS et les territoires nationaux. L'OMS a sollicité les centres à plusieurs reprises. Ceux-ci lui ont transmis les informations dont ils disposaient tout en se faisant les relais de ses préconisations.

L'OMS a répété à quel point la pandémie aggravait une situation déjà connue dans le champ de la psychiatrie et de la santé mentale. L'occasion lui a été donnée de diffuser une enquête réalisée sur deux mois. Il en ressort que 75 % de personnes atteintes de « troubles mentaux, neurologiques et liés à l'utilisation de substances », selon la définition même de l'OMS, ne reçoivent pas de soins.

L'OMS a une fois de plus souligné la fréquence de la stigmatisation, de la discrimination et des violations des droits de l'homme, aggravées pendant cette crise. La covid-19 a réduit l'accès aux soins de santé mentale de bonne qualité financièrement abordables.

Les risques d'infection et de contamination ont été repérés et majorés dans les établissements psychiatriques, où l'on a observé une restriction des relations en face-à-face. L'OMS a signalé aussi une contamination du personnel soignant et, parfois, des fermetures d'établissements de santé mentale, transformés en centres de soins pour les malades qui en avaient besoin.

Enfin, on a parfois constaté la réduction des soins proposés dans la communauté à cause de transferts de soins proposés en intrahospitalier.

Les résultats de l'enquête menée pendant deux mois, à partir d'avril 2020, dans cent trente pays, sont parus en octobre dernier. Ils mettent en évidence une perturbation ou une interruption majeure des services de santé mentale dans 93 % de ces pays. Ils signalent aussi des facteurs d'aggravation individuels des troubles psychiques tels que la gestion de deuils, l'isolement, des conditions socioprofessionnelles précaires, la peur de la contamination et de l'avenir ainsi que les incertitudes qui planent sur le futur. Signalons aussi une augmentation des troubles liés à l'usage de l'alcool ou des drogues, ou encore à l'insomnie et à l'anxiété.

89 % des pays ont intégré une réponse psychosociale à leur plan national de riposte à la covid-19 mais seuls 17 % d'entre eux disposaient d'un financement supplémentaire suffisant. L'OMS a lancé un plaidoyer pour le renforcement du soutien psychosocial en situation de crise. Une publication dans The Lancet la semaine dernière, rédigée par plusieurs centres collaborateurs de l'OMS, a réitéré la nécessité d'une approche psychosociale, et rappelé les liens entre les déterminants de la santé physique et ceux de la santé mentale.

Enfin, l'OMS a continué de prodiguer, à travers l'ensemble de ses écrits diffusés entre février et juin 2020, des recommandations extrêmement larges, et des conseils pour maintenir la bonne santé mentale de l'ensemble des populations. Ces écrits ont largement été traduits en français.

Nous présenterons pour finir trois actions relayées par le centre, objets d'une vigilance particulière, alors même qu'elles correspondent à des opportunités en ce temps de crise.

Concernant d'abord les droits des patients : une enquête menée par le centre auprès d'un peu plus de deux cents personnes aux profils divers, juste avant la deuxième vague, a mis en évidence l'étroitesse du lien entre les inégalités dans les soins ou l'accompagnement, et le maintien d'une bonne santé mentale. La priorité n'est absolument pas allée aux droits des patients et des usagers dans la gestion de cette crise, ce qui a donné lieu à des réclamations au sein de certains établissements de soins de santé mentale.

D'un côté, en ville, la solidarité a progressé, alors même que la stigmatisation reculait, malgré un retard notifié dans le champ de la prévention et de la promotion de la santé mentale. À l'inverse, à l'hôpital, la stigmatisation s'est aggravée et les droits ont régressé. Les mesures imposées ont été complexes à mettre en œuvre. On a pu parler d'un double enfermement psychiatrique et sanitaire, du fait des restrictions drastiques liées au risque de contamination dans les établissements. On a parfois observé un chevauchement et un recouvrement de ces deux types de limitation des libertés.

En matière de droits, on a également constaté des stratégies locales innovantes, notamment pour réduire le recours aux soins sans consentement et à des mesures privant les patients de liberté. L'OMS a jugé essentiel de développer pendant la crise de telles stratégies en matière de santé mentale.

Enfin, les conseils locaux de santé mentale (CLSM) se sont révélés des prototypes de « démocratie sanitaire ». Le Centre collaborateur a eu l'occasion de mener deux enquêtes ayant débouché sur deux états des lieux nationaux et mis en exergue l'action des CLSM durant cette crise.

D'abord, ces CLSM ont servi d'appui très fort à la transformation des pratiques locales, notamment celle de l'aller-vers. Beaucoup d'équipes mobiles se sont déployées de manière autonome auprès de populations parfois précaires et vulnérables. En deuxième lieu, les CLSM ont mené des actions exemplaires d'information et de prévention dans le champ de la santé. Enfin, ils se sont mobilisés pour maintenir les liens entre les professionnels des différents secteurs sollicités durant la crise, et pour en créer entre la population en demande d'accompagnement et ces mêmes professionnels ou encore, entre les habitants et les personnes concernées. Énormément de groupes d'entraide mutuelle ont vu le jour. Des lieux, des espaces d'échange ont été offerts à la population en demande.

Le constat établi à propos des droits et des besoins des populations présente un versant négatif, malgré tout contrasté par de nombreuses actions de prévention et des manifestations de solidarité. De grandes capacités de résilience ont été révélées. On a constaté des liens forts entre la santé mentale et les déterminants sociaux.

Une mobilisation très forte a permis une concertation de proximité entre les acteurs du sanitaire, les collectivités, les acteurs de terrain, les citoyens et les élus.

Nous voulions souligner l'une des conclusions d'une enquête nationale menée auprès des médiateurs de santé pairs, ces professionnels des services s'appuyant, dans le cadre de leur métier, sur leur parcours de rétablissement et leur savoir expérientiel. Ce savoir expérientiel de personnes au parcours de vie complexe, ou ayant souffert de troubles, s'est parfois révélé source de précieux conseils pour aider la population en général et les personnes accompagnées par les services de santé mentale en particulier à mieux gérer l'impact de la crise, l'enfermement et l'isolement, en relativisant la situation de confinement national à l'échelle individuelle.

Il est possible d'en tirer deux enseignements. D'abord, les usagers des services de santé mentale, dont certains présentaient des pathologies préalables plus ou moins sévères, n'ont pas forcément été les plus impactés par la crise. Ces usagers ont en effet eu l'occasion de s'appuyer sur leur vécu pour mieux gérer les conséquences de la pandémie.

Concernant la notion de « parcours de rétablissement », notons que les personnes déjà exposées à des parcours de vie compliqués, mais rétablies, ont pu mettre au bénéfice des autres leur savoir expérientiel.

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