Il n'y a pas de compétition dans la souffrance. Toute la société est sidérée et souffre. Nous-mêmes qui participons à cette table ronde ressentons, à n'en pas douter, les conséquences de la peur de l'épidémie, du couvre-feu et du confinement.
Il n'en faut pas moins hiérarchiser nos capacités d'action, vu que nous ne sommes pas en mesure de tout traiter simultanément.
J'aimerais revenir sur la situation des étudiants et des jeunes adultes, auxquels s'applique une forme de cruauté ; non pas du fait de la société, bien sûr, mais du fait de l'épidémie. Tout de même, chez les jeunes, on n'observe en réalité pas d'épidémie liée à la covid mais une épidémie de troubles de la santé mentale. Ils souffrent peu de l'infection. On dénombre très peu de morts parmi eux par rapport aux catégories de population plus âgées.
Les chiffres indiquent – Santé publique France pourrait nous les fournir – que l'on compte moins de morts de la covid parmi les jeunes que de morts par suicide chaque année. Ils ne sont donc pas confrontés à une maladie physique mais à un problème de santé mentale.
Il faut améliorer la communication, comme l'a dit le Pr Franck. Encore faut-il qu'elle atteigne ces jeunes. Les vecteurs habituels de communication fonctionnent très mal auprès d'eux : ils recourent à d'autres réseaux, au sens général de ce terme, et ont d'autres habitudes. Il faut expérimenter. Tout le monde avance pour l'heure dans le brouillard. D'abord parce que l'on disposait d'assez peu d'éléments pour apprécier la santé mentale de la population, en général. Ensuite, parce que l'on manque aussi de pistes pour améliorer les connaissances la literacy de même que de la capacité à les transformer en actions.
Nous tentons, au travers de nos cohortes i-Share et CONFINS, de réaliser des expérimentations, au moyen par exemple d'un escape game, à présent disponible sous forme numérique, permettant de mieux connaître les symptômes de la dépression, ou encore par le biais d'une minisérie aidant à appréhender, par l'identification à ses personnages, la réalité des risques suicidaires. De tels éléments contribuent à une meilleure appropriation de la maladie mentale et, en un sens aussi, à sa banalisation, qui me semble d'ailleurs une bonne chose puisqu'il ne s'agit au fond que d'une maladie comme une autre touchant en pratique énormément de personnes. Mieux les jeunes adultes le comprendront, plus ils iront chercher de l'aide en cas de besoin et seront en mesure d'aider leurs semblables.
Je ne voudrais pas dire de mal des « chèques psy ». Je suis tout à fait favorable à cette initiative mais il faut aussi s'appuyer sur les étudiants, les jeunes, qui ne demandent que cela. En dépit de leurs défauts, dont je ne prétends d'ailleurs pas cacher la réalité, nous avons la chance d'avoir affaire à des générations très altruistes, dotées d'un véritable sens de l'aide et de la solidarité. Nous voyons sur le terrain, dans les campus universitaires, des étudiants mettre en place spontanément des activités telles que des groupes de parole, de façon à prendre soin les uns des autres. D'autres appellent par rotation leurs camarades de promotion pour savoir comment ils vont. Nous devons soutenir de telles actions.
L'initiative baptisée « premiers secours en santé mentale » permet en deux jours de former de tels problèmes demeurant malgré tout compliqués à gérer, vu le faible niveau de conscience qu'ils engendrent un certain nombre d'étudiants référents à ce qu'est la santé mentale, aux principaux symptômes et maladies, et à la manière d'aborder, sans déni ni catastrophisme, quelqu'un qui en souffre.
Nous avons nous aussi, bien sûr, observé dans nos cohortes une aggravation du binge drinking et des addictions, notamment aux écrans. Je rapproche ce constat de la diminution des naissances, montrant à quel point toute la population est saisie. Il s'agit là, avant tout, de symptômes. Le retour à la normale de la situation s'accompagnera, j'en suis à peu près certain, du retour à un étiage habituel, qui n'est pour autant pas satisfaisant. Je n'affirme pas que d'ordinaire, tout va bien. Néanmoins, ce retour vers la normalité marquera une étape importante.
Une mesure simple, je le répète, soulagerait les étudiants : rouvrir les universités. Le risque qu'elle suppose, faible sur le plan épidémiologique, mérite qu'on le prenne. L'étude ComCor du Pr Fontanet, comme celle que nous avons menée à Bordeaux, montre que les universités ne sont pas des lieux de contamination mais, au contraire, de protection par rapport à l'épidémie. Bien sûr, il faut réfléchir à la manière de prévenir les contaminations entre les jeunes adultes et d'autres personnes plus à risque avec lesquelles ils sont en contact. Un peu d'imagination est nécessaire. Il faut que vous, les politiques, et nous, en tant que membres de la société, y prêtions une attention accrue.
Je m'inquiète du risque qu'une fracture s'opère. Un ressentiment est en train de naître, selon moi en partie légitime, puisque les écoles ont rouvert sans problème et qu'on s'enquiert beaucoup des personnes âgées, ce que j'estime d'ailleurs très bien. Néanmoins, qu'en est-il des jeunes ? L'impression leur vient qu'on leur a ordonné de rester dans leur coin sans bouger pour éviter de contaminer tout le monde, ce qui relève d'une forme d'injustice et presque de cruauté. Il me semble qu'il existe un vrai danger, non pas de sacrifier une génération mais de générer en elle, vis-à-vis du reste de la société, un ressentiment d'autant plus grave qu'il sera éprouvé par les futurs cadres de cette même société. Il faut absolument renouer une alliance avec les jeunes, leur tendre la main et leur faire comprendre qu'en effet, ils jouent un rôle essentiel dans le contrôle de l'épidémie et que la collectivité partage le souci que tout se passe le moins mal possible pour eux.