Intervention de Catherine Pinchaut

Réunion du mercredi 10 mars 2021 à 10h00
Commission des affaires sociales

Catherine Pinchaut, secrétaire nationale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) :

Je vous remercie. Je vais centrer mes réponses sur quelques éléments, sinon mon intervention serait trop longue.

Je vous remercie pour ces échanges, qui démontrent qu'un travail conséquent reste à accomplir. Je partage ce qu'un certain nombre de députés ont souligné, à savoir que nous expérimentons depuis un an, dans des proportions extraordinaires, cette nouvelle organisation du travail. Dans mon propos liminaire, j'évoquais l'intérêt de procéder à des retours d'expérience dans les entreprises. Plus globalement, il serait nécessaire de réaliser régulièrement de tels retours d'expérience. En effet, alors que nous avons le sentiment que nous sommes passés d'un télétravail généralisé il y a un an à une volonté de revenir travailler sur site, il convient de s'interroger concernant l'équilibre à trouver à l'avenir entre travail en présentiel et en distanciel.

L'ANI fixe un cadre qui n'est pas forcément normatif et prescriptif, car il n'est pas possible de l'être sur le sujet du télétravail. C'est pourquoi l'enjeu consiste désormais à mettre en œuvre ce cadre dans les entreprises et les branches, afin de vérifier ce qu'il sera possible de réaliser en tenant compte des réalités professionnelles, des réalités du travail, enfin des envies et des besoins des salariés et entreprises.

L'ANI permet d'engager les discussions dans les entreprises. Un certain nombre d'entre elles ont déjà initié cette démarche. Ainsi, une grande entreprise du secteur agroalimentaire a ouvert des discussions dans l'ensemble de ses collectifs de travail en vérifiant les avantages et les inconvénients du télétravail pour chaque activité et pour chaque équipe, et en vérifiant comment le télétravail pourrait à l'avenir trouver une juste place dans l'entreprise, ses différents sites et ses différents métiers. Or, une telle démarche peut se faire uniquement en engageant le dialogue avec les salariés. À ce sujet, la recommandation de la CFDT, en particulier de ses militants fortement engagés sur le terrain, consiste à mettre en place – ou à les réactiver s'ils existent déjà – des lieux de dialogue permettant de trouver les bonnes réponses spécifiques à chaque situation.

Il convient également de rappeler que le télétravail est une organisation du travail comme une autre et a pu modifier le contenu du travail dans certaines activités. Les tâches et les missions prioritaires, ou essentielles, ont parfois été redessinées. Seules des discussions dans les entreprises permettront de se projeter vers l'avenir.

Les objectifs de certains salariés ont été revus par leurs managers, ce qui constitue une bonne chose. En réalité, nous avons vécu une révolution managériale. Certains managers ont pris conscience qu'ils pouvaient faire confiance à leur équipe. Des salariés non-cadres ont pris des initiatives et ont souhaité être responsabilisés. Ces décisions ont été couronnées de succès. Cette plus grande autonomie des équipes, ainsi que ces prises d'initiatives, pourront perdurer lors du retour en présentiel. Les solutions à déployer devront donc se construire en prenant en compte ces différents éléments.

Cependant, ce futur modèle hybride pourra se construire uniquement à travers des discussions relatives au contenu du travail, aux modalités d'exercice des métiers et aux appétences des uns et des autres. En effet, si certains salariés seront volontaires pour bénéficier de plages conséquentes de télétravail, d'autres souhaiteront limiter ces plages de travail à domicile, et d'autres enfin ont découvert que cette modalité de travail ne leur convenait absolument pas, alors même que leur poste de travail se prête parfaitement au télétravail.

Je tiens par ailleurs à souligner que si, depuis le début de cette table ronde, nous évoquons la situation dans les entreprises, puisque seules ces dernières sont concernées par l'ANI, il existe également un enjeu majeur dans les administrations et la fonction publique. En effet, certains agents des fonctions publics ont goûté au télétravail, mais il y a globalement été plus compliqué de mettre en place ce mode de fonctionnement en raison d'une culture managériale différente de celle prévalant dans le secteur privé.

Une véritable révolution managériale devra donc être menée sur le long terme afin de modifier les relations professionnelles, les relations sociales et les pratiques managériales encore trop centrées sur le présentiel. Certains encadrants pensent que les salariés qu'ils ne peuvent pas observer ne travaillent pas et, même en présentiel, ont une approche reposant exclusivement dans le contrôle. Or, le télétravail a démontré l'inverse.

Concernant la place des jeunes, l'ANI comprend des dispositions relatives aux alternants et des nouveaux embauchés. Il s'agit effectivement d'un véritable enjeu. En effet, les jeunes commençant leur vie professionnelle ont besoin d'être présents physiquement dans les locaux professionnels pour bénéficier de certains apprentissages se déroulant parfois de manière informelle. Ils ont besoin d'être accompagnés par leurs tuteurs, et plus généralement par leurs managers et par leurs collègues de travail. Or, seul le présentiel permet un accompagnement dans de bonnes conditions afin de leur permettre de monter en compétence.

Là encore, nous savons que certaines entreprises ont trouvé des modalités permettant d'être le plus possible présent dans les locaux avec leur tuteur, leurs managers ou leurs collègues. Contrairement aux idées reçues selon lesquelles les jeunes sont plus à l'aise avec le numérique et la digitalisation, donc avec le télétravail, il convient de noter qu'ils ont autant, sinon plus, besoin d'être présent dans les locaux de travail que les autres salariés.

Je souhaite enfin évoquer deux points complémentaires. Tout d'abord, l'ANI signé mentionne la nécessité de mener un dialogue social entre les acteurs économiques, sociaux et politiques des territoires. En effet, il existe des enjeux de réaménagement des territoires au niveau des services publics, des commerces, ou encore des infrastructures. Certains territoires se sont saisis de cette problématique. Des militants CFDT nous ont indiqué que les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux d'Île-de-France et de Nouvelle‑Aquitaine ont lancé des réflexions sur cette thématique. Par ailleurs, un projet de fonds d'amélioration des conditions de travail porté par l'ANACT est en cours et prévoit des expérimentations entre territoires, entreprises et représentants des salariés. Il s'agit d'un enjeu majeur, car la thématique de la qualité des emplois, des territoires et du travail doit être traitée au niveau des bassins d'emploi.

Je voulais enfin confirmer que le télétravail a également bouleversé nos pratiques syndicales. Une partie de nos équipes avaient déjà adapté leur militantisme au contexte du télétravail avant la crise sanitaire. Cependant, dans la mesure où il conviendra de trouver les modalités de télétravail les plus adaptées au niveau de chaque entreprise, nos militants devront être en contact avec les salariés afin d'identifier leurs besoins et leurs attentes. Les organisations syndicales doivent donc pleinement s'emparer de ce sujet.

En conclusion, je dirais que l'ANI ne représente que le début de la démarche. Chacun doit désormais se mettre autour de la table afin de rechercher les leviers à activer pour permettre à chacun de réussir sa manière de télétravailler.

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