Commission des affaires sociales

Réunion du mercredi 10 mars 2021 à 10h00

Résumé de la réunion

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  • ANI
  • thématique
  • télétravail

La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 10 mars 2021

La séance est ouverte à dix heures cinq.

La commission réunit, en visioconférence, une table ronde avec les syndicats de salariés sur le télétravail :

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Nous poursuivons aujourd'hui nos travaux dédiés au suivi de la crise sanitaire, dans toutes ses dimensions, à travers une table ronde consacrée au télétravail.

Depuis le début de l'épidémie, le télétravail est au cœur de l'actualité sociale. Cette problématique renvoie à l'organisation du travail. Les salariés, comme les entreprises, qui n'y étaient pas nécessairement préparés, ont pu rencontrer quelques difficultés. Nous souhaiterions que vous procédiez à un premier bilan du développement spectaculaire du télétravail depuis un an. Quelle est votre perception de ses avantages et, bien sûr, de ses inconvénients ?

Ce premier bilan intervient à la lumière d'un événement important, à savoir la conclusion le 26 novembre 2020 de l'accord national interprofessionnel pour une mise en œuvre réussie du télétravail (ANI). Nous attendons vos appréciations sur cette négociation et sur le contenu de cet accord.

Je précise que notre commission entendra très prochainement les trois organisations patronales. Elle poursuivra ensuite ses auditions sur le télétravail en s'efforçant de recueillir les points de vue de l'administration, de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT), de l'Association nationale des directeurs des ressources humaines ainsi que d'autres praticiens et experts.

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Catherine Pinchaut, secrétaire nationale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT)

Je vous remercie de votre invitation ce jour pour évoquer le thème du télétravail. Au titre des effets positifs de la crise sanitaire figure le fait d'avoir placé le sujet du télétravail à l'agenda sociétal. En effet, ce mode d'organisation du travail s'est fortement développé depuis un an. Surtout, cette thématique a pu être inscrite à l'agenda social interprofessionnel, comme Mme la présidente l'a rappelé en introduction, avec la conclusion de l'ANI.

Globalement, le télétravail pose différentes questions : la place du travail dans notre vie, son impact dans nos équilibres de vie, la place du travail dans notre société, l'organisation du travail dans l'entreprise, enfin les modalités de mise en place du télétravail sur la base du dialogue social. À ce titre, l'ANI conclu fin 2020 offre un certain nombre d'éléments et de leviers permettant une mise en œuvre réussie du télétravail, tant dans les branches que dans les entreprises. Enfin, le télétravail interroge notre vision d'avenir des territoires comme lieu d'accueil des nouveaux télétravailleurs et pose la question de la réorganisation des territoires souhaitant devenir compétitifs et gagner des emplois de qualité.

Notre rapport au télétravail a fortement évolué depuis le premier confinement. Cette période avait mis en évidence des vécus différents, en fonction des conditions de mises en œuvre du télétravail, parfois subi cinq jours sur cinq dans des logements parfois exigus, et alors que certains devaient en même temps assurer la garde de leurs enfants. Or, ces télétravailleurs étaient globalement perçus comme des salariés relativement chanceux, puisqu'ils pouvaient conserver leur emploi tout en étant protégés du virus.

Un an après le début de la crise sanitaire, le regard porté sur les télétravailleurs a évolué. Sans perspectives visibles concernant la sortie de la crise, nous avons le sentiment que ces salariés sont ceux qui souffrent le plus de la perte du lien social et qu'ils envient parfois les salariés travaillant sur site. Nous observons également un certain nombre de difficultés, qui en réalité sont apparues dès l'automne 2020, notamment l'intensification du travail et la perte du lien social. Des télétravailleurs souhaitent retrouver des relations sociales en retournant sur leur lieu de travail.

Nous donc désormais confrontés à une quadrature du cercle. Le télétravail doit trouver toute sa place, mais se heurte à un nombre croissant de difficultés dans sa mise en œuvre, dès lors que la crise sanitaire perdure. De ce fait, certaines activités considérées comme télétravaillables durant le premier confinement ne le sont plus. Pour autant, le télétravail s'avère accessible à un nombre de salariés bien plus élevé que ce qui était imaginé initialement, à condition toutefois d'observer finement les postes de travail et les activités susceptibles d'être concernés.

Il est important de rappeler que, dans le contexte de sidération ayant caractérisé la première partie de la crise sanitaire, le télétravail a pu être déployé dans de bonnes conditions là où le dialogue social était de bonne qualité. En revanche, là encore depuis le mois d'octobre, le dialogue social semble régresser dans les entreprises, ce qui complique la mise en œuvre du télétravail.

Dans ce contexte, l'ANI signé par la CFDT à la fin de l'année 2020 permet de disposer d'un certain nombre de points de repère. Il liste notamment les éléments à mettre en œuvre en cas de circonstances exceptionnelles, ce qui auparavant n'était pas pris en compte par la réglementation. Cet accord permet par ailleurs de revisiter et de moderniser l'approche du télétravail en faisant la part belle au dialogue social et à l'organisation du travail. Cet accord, en cours d'extension, offre un cadre aux négociateurs – et plus généralement à tous les acteurs – dans les entreprises. Un certain nombre d'entreprises se sont saisies de ce texte, parfois pour revisiter leurs anciens accords relatifs au télétravail. En revanche, les branches ne se saisissent pas suffisamment de cet accord, qui permettrait pourtant d'offrir un cadre plus précis aux très petites entreprises (TPE) en fonction des secteurs et des activités.

L'ANI permet de notre point de vue d'allier les questions relatives au travail et au dialogue social, qui ont été les deux axes ayant guidé la CFDT durant les négociations. Cet accord comprend des éléments importants concernant l'organisation du travail. Or, les enjeux relatifs à l'hybridation entre travail en présentiel et télétravail devront à l'avenir trouver des réponses concrètes dans les entreprises. En particulier, la question de l'éligibilité des postes et des activités est un élément primordial pour mettre en œuvre le télétravail dans de bonnes conditions.

Enfin, l'équilibre à trouver entre télétravail et travail sur site sera un élément essentiel pour anticiper la sortie de la crise sanitaire. Il sera nécessaire d'échanger afin de procéder à des retours d'expérience. Cette thématique est mentionnée dans l'ANI. Agir ainsi permettra de gagner du temps pour réfléchir aux organisations du travail à mettre en œuvre, intégrant un volet relatif au télétravail pertinent tant pour les salariés que les entreprises. Au demeurant, ces thématiques conduisent à remettre en cause les pratiques managériales. Enfin, l'ANI mentionne un point d'attention fondamental concernant la situation des populations sensibles, en particulier des plus jeunes, et des rapports de ces derniers au travail et au télétravail.

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Béatrice Clicq, secrétaire confédérale Force Ouvrière (FO) en charge de l'égalité et du développement durable

Mon intervention fera écho à ce qu'a été mentionné par Catherine Pinchaut au nom de la CFDT. Notre constat de l'année écoulée est que l'objectif assigné au recours massif au télétravail, à savoir garantir la continuité du travail et de l'activité économique en toute sécurité, a été atteint. Pour autant, le passage précipité et imposé au télétravail n'a fait que renforcer les difficultés bien connues dans le cadre du télétravail classique, à savoir les problématiques d'hyperconnexion, de dépassement de temps de travail, ou encore d'articulation entre les différents temps de vie. Ces problèmes traditionnels ont été exacerbés et de nouveaux ont été identifiés, par exemple en matière de maîtrise des outils numériques, de fatigue résultant d'un rythme de travail totalement différent, d'isolement et de perte de lien social. Il convient également d'évoquer le cumul des tâches lorsqu'il a été nécessaire de mener de front la vie professionnelle, la vie familiale et les tâches domestiques. Enfin, je ne peux oublier la plus forte charge ayant pesé sur les femmes. Ce thème a d'ailleurs été fortement souligné à l'occasion de la journée de la femme.

Le télétravail touche aujourd'hui de nouveaux métiers et de nouveaux profils de salariés. Il entraîne des modifications très importantes en matière d'organisation du travail, notamment parce que tous les salariés d'une entreprise peuvent se retrouver dans la même situation. La situation était totalement différente lorsque le télétravail intervenait un ou deux jours par semaine et concernait essentiellement des cadres.

Un an après le début de la crise sanitaire, la situation des salariés en télétravail devient très inquiétante. Les gens n'identifient pas la fin de cette période. Nous observons des cas de détresse psychologique, des risques psychosociaux importants, de l'épuisement professionnel, une perte de sens, mais aussi des problèmes en matière d'organisation du travail, notamment en ce qui concerne la thématique des cadences. En effet, enchaîner les visioconférences à tout‑va supprime les temps de respiration que pouvaient constituer les temps de déplacement, ne serait-ce pour se rendre d'une salle à une autre. Désormais, certains salariés peuvent enchaîner dix à douze visioconférences, espacées de deux ou trois minutes uniquement destinées à changer de lien, au cours d'une même journée. Or, la suppression des temps de répits a des conséquences en matière de risques psychosociaux et de risques de burn out.

Par ailleurs, il est plus compliqué d'arrêter de travailler en l'absence de coupure entre le bureau et le domicile du salarié. Enfin, la charge de travail a explosé, puisque passer une journée entière en visioconférence impose souvent de réaliser le reste du travail en dehors des horaires classiques de travail.

Dans ce contexte, la décision du Gouvernement de modifier le protocole sanitaire et d'offrir la possibilité aux salariés volontaires de revenir travailler un jour par semaine dans les locaux de leur entreprise a constitué une très bonne initiative. En effet, ils avaient besoin de retrouver du lien social, même si le strict respect des gestes barrières génère des contraintes.

Cette situation a démontré la nécessité d'encadrer les choses. C'est pourquoi FO a demandé l'ouverture de la négociation d'un accord interprofessionnel. Le sujet doit désormais être traité dans les entreprises, en particulier concernant la thématique du télétravail exceptionnel. En effet, ce thème était simplement mentionné dans le code du travail, mais n'était absolument pas encadré. Or, l'ANI a le mérite de mentionner des pistes à explorer pour anticiper et concrétiser le télétravail exceptionnel, même si chacun espère un retour prochain à la normale.

Concernant la signature de l'ANI, FO jugeait important de fixer un cadre clair, alors que la multiplication des textes – l'accord de 2005, les ordonnances... – était source de confusion. Nous souhaitions également que l'ANI constitue la base à partir de laquelle négocier dans les entreprises et les branches, même si nous constatons que le dialogue social n'a pas été initié partout. Ainsi, certaines entreprises évoquent le contexte de crise pour retarder l'ouverture de négociations. Or, nous avons démontré avec l'ANI qu'il était possible de négocier en visioconférence, même si ce mode d'échange n'était pas très confortable.

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Jean-François Foucard, secrétaire national de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC) en charge des parcours professionnels emploi formation

La CFE-CGC a souhaité que la négociation de l'ANI permette d'actualiser l'accord signé en 2005 sur le télétravail afin de prendre en compte le changement d'échelle de ce mode de fonctionnement, mais aussi de reconnaître et d'encadrer la continuité d'activité à domicile et le télétravail forcé dans un contexte de confinement.

L'ANI explicite le caractère obligatoire ou non du passage en télétravail ainsi que la situation des salariés en situation de télétravail contraint, ou encore les droits des instances représentatives du personnel dans un environnement de télétravail. Cet accord constitue un outil de dialogue social en rappelant des droits et des devoirs éparpillés dans plusieurs sources de droit et en recommandant des bonnes pratiques. Il est possible de l'assimiler à une soft law.

À l'issue des négociations, nous avions estimé que l'accord devrait couvrir de nombreuses activités au sein des entreprises, alors que le patronat ne souhaitait pas entrer dans un cadre normatif, entendu comme des valeurs par défaut. Concernant le remboursement des frais en télétravail, la CFE-CGC préconisait un forfait. Elle demandait également que les moyens des instances représentatives du personnel en mode hybride soient définis.

Les difficultés observées au cours de l'année écoulée ont concerné la thématique du télétravail forcé. En effet, le mélange entre vie privée et vie professionnelle a été très difficile à gérer pour de nombreux salariés, notamment pour les femmes. La charge et la durée de travail ont été plus importantes, souvent en raison d'une moindre efficience. En effet, il faut plus de temps pour faire la même chose à distance qu'en présentiel. L'impact du manque d'équipement et de la problématique de la maîtrise des outils doit également être évoqué. Le télétravail forcé durant le confinement a également généré des irritants sociaux, notamment concernant la prise en charge des frais liés au télétravail et le maintien de la prise en charge des frais de restauration. En effet, la loi est claire concernant les tickets-restaurant, qui doivent toujours être attribués dans une période de télétravail contraint, sauf accord contraire. En revanche, les employeurs ne sont pas obligés de compenser l'arrêt de la prestation de restauration collective qui existait sur un lieu de travail qui n'est plus accessible.

À l'issue de mon intervention, Mireille Dispot évoquera le volet relatif à la santé au travail.

Les vraies difficultés relatives au télétravail consistent désormais à passer d'un mode de fonctionnement imposé par la crise sanitaire à un mode permanent ; à passer d'un mode temporaire qui permettait d'assurer le minimum permettant à l'entreprise de survivre à un mode efficace, efficient et pérenne respectant les lois ; enfin à passer d'un mode anarchique à un mode régulé collectivement et hiérarchiquement. Ceci nécessite d'abandonner certaines représentations et certaines habitudes issues de la période de confinement pour entrer dans quelque chose de plus régulier, voire de contraint. Souvent, le télétravail a initialement été vécu comme un droit et une liberté par les salariés. Cependant, ces derniers ont parfois oublié qu'il s'agissait bien d'un mode d'organisation du travail. Nous observons désormais des demandes très hétérogènes entre des salariés qui souhaitent continuer à télétravailler trois ou quatre jours par semaine et ceux qui ne veulent plus subir cette organisation, à l'exception au maximum d'un jour par semaine.

Les contraintes consistent à revoir l'organisation du travail pour prendre en compte un mode hybride et à se poser les questions de la plus-value pour le collectif et pour quelles activités. Le changement d'échelle concernant le télétravail et la dimension collective, donc organisationnelle, deviennent des facteurs essentiels et un sujet d'interrogation pour l'ensemble des personnes, notamment pour le management. Répondre aux attentes des salariés, tout en répondant aux attentes des directions, n'est pas une mince affaire.

Enfin, nous avons constaté un impact territorial du télétravail, par exemple une baisse de fréquentation des commerces et des transports en commun situés à proximité près des zones de bureau, un impact sur la restauration collective, qui risque de disparaître dans certains endroits, enfin une envie de déménagement chez certains salariés, ce qui renvoie à la problématique des transports et à la question de l'accès à un internet de qualité.

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Mireille Dispot, secrétaire nationale CFE-CGC en charge de la protection sociale et de l'égalité des chances

Il est important de rappeler que l'ANI du 26 novembre 2020 a réaffirmé les règles en matière de santé et de sécurité en situation de télétravail. En effet, si le télétravail permet de limiter les risques en cas de circonstances exceptionnelles, par exemple en cas de pandémie, les dispositions légales et conventionnelles relatives à la santé et à la sécurité du travail continuent de s'appliquer. Nous avons réussi à introduire cette notion dans l'accord. Il convient donc de prendre en compte cette nouvelle organisation du travail dans la démarche d'analyse des risques, ainsi que sa transcription dans le document unique d'évaluation des risques professionnels.

Nous avons réussi à mettre en place des balises permettant d'encadrer spécifiquement la continuité d'activité à domicile, en distinguant cette situation d'un recours « normal » au télétravail. Une attention particulière doit être portée par l'employeur concernant l'application des règles légales et conventionnelles relatives à la santé et à la sécurité du travail, y compris dans cette situation très spécifique.

Nous voulons souligner l'importance du rôle du dialogue social et sa déclinaison concrète au niveau de l'organisation du travail. Il convient également de spécifier le rôle des managers et la prise en compte du droit à la déconnexion. Notre préoccupation concerne tout ce qui touche les risques psychosociaux.

Nous sommes également très attentifs aux conséquences potentielles de la digitalisation du travail, notamment concernant la surveillance numérique et les conséquences pour l'état psychologique des salariés des pressions qui peuvent s'exercer sur eux. Ainsi, des outils intelligents, tels les keyloggers, permettent d'enregistrer toutes les frappes des salariés sur leurs claviers d'ordinateur. Je voulais également évoquer la thématique du brouillage des frontières, mais ce sujet a déjà été traité. Enfin, l'évolution des lieux de travail peut être un sujet de préoccupation. Le travail en flex office peut notamment générer des tensions.

Un autre point n'a peut-être pas été suffisamment mis en avant, à savoir la problématique spécifique des start up, qui reposent sur un engagement parfois sans limites de leurs salariés, sans que ces derniers bénéficient de compensations à la hauteur de leurs sacrifices. Je vous renvoie à un récent article qui, faisant l'analogie avec des harcèlements observés dans d'autres domaines, se termine par l'injonction : « Balance ta start up ! ». Il est important de souligner cet élément dans le cadre de la nouvelle organisation du travail.

Je voudrais conclure mon propos en évoquant la situation spécifique subie par les femmes qui, durant le premier confinement, ont dû poursuivre leur activité tout en gardant les enfants. La situation est différente depuis que les écoles ont rouvert. Nous avons lancé une étude sur ce sujet, en réalisant un sondage auprès de nos adhérents, dont les résultats sont intéressants.

Je voudrais également évoquer une étude lancée au début du mois de mars par l'ANACT sur la thématique des risques psychosociaux. Il sera intéressant de s'emparer ses résultats dans le cadre de nos réflexions collectives.

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Fabienne Rouchy, membre de la direction confédérale de la Confédération générale du travail (CGT)

Durant le confinement, 41 % des salariés étaient en télétravail, parmi lesquels 44 % expérimentaient cette organisation du travail pour la première fois. Pour beaucoup, il s'est agi d'un télétravail en mode dégradé et improvisé, avec de fortes différences, notamment en ce qui concerne les conditions de travail, entre les entreprises qui avaient déjà négocié un accord et celles qui n'avaient pas anticipé l'encadrement du télétravail.

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Jean-Luc Molins, membre du collectif confédéral télétravail CGT

Les organisations CGT ont réalisé un certain nombre d'enquêtes. Des verbatims issus de ces enquêtes décrivent les conditions dans lesquelles ce télétravail en mode dégradé a eu lieu.

Par ailleurs, une enquête réalisée avec la CGT de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques durant le premier confinement a recueilli 12 000 réponses. Sans surprise, elle met en évidence les risques psychosociaux précédemment évoqués, confirmant ce que nous avons constaté sur le terrain. Un niveau d'anxiété très élevé a été enregistré, notamment chez les cadres. Les managers ont été encore plus impactés que les autres salariés, car ils ont éprouvé des difficultés pour jouer leurs missions de régulation du travail et de soutien des équipes. Sont également pointés une augmentation importante de la charge de travail ; l'absence de droit à la déconnexion, un sujet essentiel sur lequel nous reviendrons enfin de présentation ; l'absence de plage horaire de joignabilité, démontrant que la désorganisation ne permettait pas aux télétravailleurs de s'organiser ; l'absence de prise en charge des frais, qui a été largement médiatisée ; l'absence d'équipements ergonomiques pris en charge par les entreprises. D'autres verbatims illustrent le vécu des salariés par rapport à ces sujets.

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Fabienne Rouchy, membre de la direction confédérale de la Confédération générale du travail (CGT)

Sortir du télétravail informel et l'encadrer est absolument nécessaire pour éviter que des entreprises pratiquent une forme de dumping social au détriment de leurs salariés et en tirent un avantage compétitif par rapport aux entreprises vertueuses. Il faut par ailleurs anticiper, afin de répondre aux enjeux du travail de demain.

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Jean-Luc Molins, membre du collectif confédéral télétravail CGT

. La CGT a porté des propositions dans le cadre de la négociation interprofessionnelle. Mais elle n'a pas signé l'ANI, car cet accord n'est ni normatif, ni prescriptif, et ne peut pas apporter plus de solutions que n'en a apporté l'accord relatif à la qualité de vie au travail signé en 2013, qui a été très peu utilisé pour négocier au niveau des branches ou des entreprises.

Nous considérons que, malgré la signature de l'ANI, il convient encore d'apporter des réponses sur sept items. Ces réponses devront être apportées dans les entreprises et les branches. Ces sept sujets avaient d'ailleurs déjà été pointés dans le cadre de la concertation relative au télétravail initiée en 2017, signée par toutes les organisations syndicales et toutes les organisations patronales. Nous avons ajouté ces sept propositions, avec une focale sur des sujets très importants pour lesquels le télétravail peut apporter des solutions, mais sur lesquels il est nécessaire de progresser.

Concernant en particulier le droit à la déconnexion, nous réalisons chaque année un baromètre sur ce sujet particulièrement important pour les cadres. En 2020, l'enquête a été réalisée au cours du mois de novembre. Les chiffres sont donc très récents. Il apparaît que 64 % des cadres considèrent que les pratiques de télétravail sont insuffisamment encadrées, et que 75 % des cadres considèrent qu'elles ne protègent pas des durées excessives de travail. Encore une fois, il est nécessaire d'apporter des solutions concernant la thématique de l'équilibre entre vie privée et vie professionnelle. À ce sujet, le secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles vient de lancer deux missions pour favoriser la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. Or, le droit à la déconnexion fait partie des sujets à évoquer pour progresser dans cet objectif.

Le baromètre détaille la situation des entreprises de plus ou moins deux cents salariés. Il apparaît que, là où les organisations syndicales sont plus présentes, les durées excessives de télétravail sont moins importantes. Ceci ne veut pas dire que ces durées excessives n'y existent pas, mais qu'elles y sont moins importantes. Cette information démontre néanmoins le rôle essentiel des organisations syndicales et de la négociation sociale.

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Fabienne Rouchy, membre de la direction confédérale de la Confédération générale du travail (CGT)

Des solutions peuvent être mises en place. Ainsi, au Portugal, le télétravail est un droit opposable par les salariés. Par la volonté du législateur, le télétravail y est une mesure visant à concilier la vie privée, la vie familiale et la vie professionnelle de la personne qui travaille. Le travailleur y bénéficie d'un droit unilatéral à la conciliation. Lorsqu'il est victime de violence domestique, ou s'il a un enfant de moins de trois ans – ce qui va bien au-delà du congé parental légal – il peut choisir de télétravailler dans un lieu qu'il choisit. Ces dispositions facilitent la vie des salariés, par exemple en réduisant leur temps de trajet. L'employeur se retrouve ainsi dans une situation où il exerce sa responsabilité sociale.

En revanche, la CGT n'a pas signé l'ANI, car cet accord n'est ni normatif, ni prescriptif. À nos yeux, dans ces conditions, il n'est pas surprenant que certains employeurs et les branches ne s'en saisissent pas véritablement.

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Éric Courpotin, secrétaire confédéral de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), chef de file emploi chômage

Je partage très largement un grand nombre de choses qui ont déjà été dites, car nous étions tous présents à la table des négociations. Je vais essayer de ne pas être trop redondant et d'apporter quelques compléments.

La crise sanitaire et le confinement ont permis au télétravail de faire un bond en avant sans précédent. Cette crise a été un révélateur des avantages, mais aussi des effets indésirables, du télétravail. Si ce mode de travail était à une époque plébiscité par les salariés, ainsi que les employeurs, pour répondre à de nouveaux besoins socio-économiques et environnementaux, il ne faut pas oublier le cadre dans lequel il s'applique. Or, il existe encore de nombreuses sources juridiques sur ce sujet, ce qui constitue une source de confusion, tant en ce qui concerne les employeurs chargés de le mettre en place que les salariés vérifiant leurs droits et devoirs dans un tel cadre de travail.

L'ANI de 2005, modifié par les ordonnances de 2017, rendait les règles totalement illisibles pour les salariés des entreprises. Il était urgent de négocier un nouvel ANI que nous réclamions depuis plusieurs années et dont nous souhaitions a minima qu'il reprenne toutes les documentations législatives.

Bien évidemment, à l'image de la plupart des organisations syndicales, nous aurions souhaité un ANI plus normatif, ou plus prescriptif, mais nous étions sur une ligne rouge patronale. Cet élément s'est confirmé puisque, depuis octobre 2020, cinquante‑deux mises en demeure ont été lancées dans différents secteurs d'activités, notamment la banque-assurance et l'ingénierie-conseil. Ces secteurs ne garantissent pas des conditions sanitaires à leurs salariés et ne recourent pas suffisamment au télétravail. Malgré tout, l'ANI du 26 novembre 2020 a le mérite de réunir dans un même texte l'ensemble des dispositions relatives au télétravail et laisse une large place au dialogue social dans les entreprises. Il s'agit d'une bonne base de travail pour orienter les négociations dans les branches et les entreprises.

Nous pouvons cependant regretter que, à ce jour, alors que le ministère du travail avait exprimé son empressement pour que les partenaires sociaux négocient un nouvel accord, l'ANI du 26 novembre 2020 n'ait toujours pas été étendu par la direction générale du travail. De ce fait, de nombreux salariés ne bénéficient toujours pas des dispositions négociées.

En conclusion, le télétravail de crise sur cinq jours génère de nombreux problèmes de santé mentale. Ce point a déjà été évoqué par mes confrères. C'est pourquoi un comité commun a été publié le 9 mars afin de demander un retour sur site des salariés au moins un jour par semaine, dans la mesure du possible et en tenant compte bien évidemment des mesures sanitaires qui s'imposent.

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Avant de passer la parole aux représentants des groupes politiques, je voulais vous remercier pour vos interventions particulièrement intéressantes. Mais je suis certaine que les députés souhaitent vous poser de nombreuses questions. Je vous propose d'entendre les interventions de l'ensemble des représentants des groupes politiques, puis les autres membres de la commission, avant de vous laisser formuler une réponse globale.

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Je salue l'organisation de cette table ronde, qui est l'occasion de faire un point sur le télétravail, son encadrement, ses avantages et ses limites. La crise de la covid‑19, avec ses deux confinements, et la généralisation autant que possible du télétravail ont, comme chacun le sait, fortement bouleversé nos vies professionnelles.

Le télétravail constitue à mes yeux une avancée, dès lors qu'il se déroule dans de bonnes conditions. Or, c'est peu dire que les entreprises et les administrations ne pratiquaient pas ce type d'organisation avant la crise sanitaire. La présence au bureau était alors la règle, au nom d'une organisation efficace du travail. Mais la mise en télétravail de millions de salariés n'est pas un long fleuve tranquille. Nous connaissons et subissons parfois ses excès, vous l'avez tous dit : l'isolement, le stress, les mauvaises conditions de travail, les connexions internet défaillantes, les horaires à rallonge... Bref, il est très compliqué de télétravailler.

C'est pourquoi, au nom de mon groupe, je salue l'ANI conclu le 26 novembre dernier entre les organisations syndicales et patronales. Je rappelle que ce cadre se veut d'abord incitatif, et non contraignant. Le volontariat du salarié doit demeurer la règle, sauf en cas de circonstances exceptionnelles. La prévention de l'isolement doit également être une priorité pour l'employeur. Sur ce point, le dialogue social a payé et nous nous en félicitons. La question de la prise en charge des frais professionnels a également été tranchée, en prévoyant leur prise en charge par l'employeur.

Je vais m'arrêter là. Il y aurait tant à dire, mais je ne doute pas que les questions de mes collègues seront nombreuses, tant le télétravail fait l'objet d'interrogations et de controverses. Néanmoins, mon sentiment personnel, corroboré par les sondages, est que la vie en communauté est une composante essentielle du travail. Aussi, si le télétravail est utile et bienvenu, l'excès de télétravail peut s'avérer délétère pour le salarié lui-même.

Je souhaiterais enfin attirer l'attention sur les jeunes entrants sur le marché du travail. Malgré la crise sanitaire, les jeunes qui obtiennent ce premier emploi sont le plus souvent en télétravail, ce qui les prive de partages d'expérience, de rencontres physiques avec leurs collègues et d'une réelle intégration dans les milieux professionnels. Est-ce un phénomène que les syndicats ont identifié ? Si oui, quelles dispositions faudrait-il mettre en place pour les accompagner ?

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La crise sanitaire a bouleversé nos manières de travailler, vous l'avez rappelé, et nous pouvons tous nous interroger concernant la pérennisation du télétravail et la mise en place d'un véritable cadre juridique. Si près d'un tiers des salariés du secteur privé pratiquait le télétravail à temps complet ou partiel au cours du mois de décembre 2020, ils ne sont plus que 14 % environ à ce jour. Le nombre de salariés travaillant à temps complet sur site a donc augmenté.

Faute de cadre juridique et de moyen de contrôle du télétravail, les encouragements suffiront-ils ? La généralisation du télétravail reste pourtant une mesure essentielle dans la lutte contre la propagation du virus. Comment s'assurer que tous ceux qui en ont la possibilité recourent bien au télétravail ? Comment mieux encadrer le télétravail sans rendre la législation trop contraignante ?

Le respect des droits des salariés dans le cadre du télétravail est essentiel. L'un des risques est l'empiétement de la vie professionnelle sur la vie privée, et inversement. Le code du travail renvoie à un accord collectif ou à une charte d'entreprise pour définir les modalités de contrôle du temps de travail et la détermination des horaires. Mais peu de salariés sont encadrés par un accord collectif, ou par une charte d'entreprise, et le recours au télétravail peut alors être décidé par un accord formalisé par tout moyen.

Qu'en est-il aujourd'hui réellement ? La généralisation du télétravail a-t-elle permis le développement de ces accords collectifs ? Devrions-nous rendre obligatoires ces accords, afin d'assurer le respect des droits des salariés ? Le télétravailleur conserve bien évidemment les mêmes droits que le salarié qui travaille sur site, et ces droits impliquent une régulation dans l'usage professionnel des outils numériques afin de garantir aux salariés le respect de temps de repos et de sa vie privée. Y êtes-vous favorable ? Comment le mettre en place ?

Je souhaite également évoquer le confort du télétravail. Puisqu'il y a des risques particuliers sur la santé physique ou psychique des salariés – manque d'ergonomie des installations, sédentarisme excessif, risques psychosociaux, absence de soutien social... –, il faut prendre de nouvelles habitudes managériales et adapter les installations. Ceci suppose que l'ensemble des conditions matérielles soit réuni. Faudrait-il étendre les éléments à faire figurer dans un accord collectif, pour y ajouter la formation à l'utilisation des outils et l'accès à un service support informatique, les spécifications techniques requises par les installations employées par le travail, ou encore la prévention des risques spécifiques au télétravail ? Comment renforcer l'obligation de sécurité de l'employeur en ce qui concerne l'aménagement d'un espace de travail ?

Si le temps avait été suffisant – mais il ne l'est pas –, j'aurais également pu évoquer les accidents du travail en période de télétravail et, bien sûr, la manière d'adapter notre législation pour se prémunir d'un certain nombre d'effets.

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. Je remercie madame la présidente d'avoir organisé cette table ronde consacrée à un sujet ô combien important. Notre collègue Bernard Perrut a réussi l'exploit de poser à lui seul un maximum de questions en un temps record. Pour ma part, je remarque que l'expérimentation grandeur nature du télétravail, rendu obligatoire à l'occasion du premier confinement, puis dans un cadre légèrement différent lors du deuxième confinement, devra sans doute nous conduire à évaluer ces deux expériences lorsque nous serons sortis de la crise sanitaire.

Par ailleurs, j'aimerais savoir comment nos intervenants envisagent d'organiser la transition entre un télétravail subi que nous vivons et un télétravail choisi, alors que de nombreuses personnes ont découvert le télétravail à l'occasion de la crise sanitaire. Certains ont apprécié ce changement, d'autres non. Il convient donc de s'interroger concernant la transition qu'il conviendra de mettre en œuvre, et selon quel équilibre entre le travail en présentiel et le télétravail qui, comme l'a souligné mon collègue, génère de nombreux risques.

Enfin, il convient de s'interroger concernant une éventuelle évolution des missions des inspecteurs du travail dans le cadre du télétravail, un sujet qui n'a pas encore été évoqué lors de nos débats.

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L'irruption massive du télétravail à la faveur de la crise sanitaire soulève de nombreuses questions. En effet, tous ne sont pas égaux face au télétravail. Certes, il peut s'agir d'un outil utile pour faire face à un certain nombre de défis, mais nous identifions plusieurs risques, d'ailleurs évoqués dans le cadre des précédentes interventions : un risque d'individualisation outrancière des rapports sociaux dans l'entreprise ; un risque de « protocolisation » des rapports de travail ; un risque lié aux conditions de travail à domicile, mais aussi sur le lieu de travail ; un risque lié au temps de travail et à la confusion susceptible d'exister ; un risque lié à la prise en charge des frais ; enfin, un risque lié à la santé au travail.

Ces différents enjeux mériteraient d'être investigués et impliquent de vérifier si le cadre législatif est suffisant. J'ai bien noté que l'ANI n'était pas normatif et visait simplement à créer un cadre de bonnes pratiques et à rappeler les règles existantes. Le législateur doit donc se poser la question de légiférer utilement en la matière, afin de faire face aux enjeux. Ainsi, la création d'un doit au télétravail a été évoquée, sur la base de critères de déclenchement qu'il conviendrait de définir.

La manière de concrétiser réellement le droit à la déconnexion doit également être envisagée, y compris au moyen de mesures induisant un encadrement plus strict. Je partage par ailleurs la question d'Agnès Firmin Le Bodo concernant la question de l'évolution du rôle de l'inspection du travail dans un contexte de télétravail. Enfin, je me demande si la situation que nous traversons n'a pas modifié le travail en lui-même avec, pour certains salariés, des abandons de missions, ou une transformation de certains métiers. Ces réflexions mériteraient d'être traitées avec un certain recul.

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Je souhaite poser une question relativement périphérique par rapport aux précédentes interventions, même si la problématique a été évoquée par l'un des participants à notre table ronde. Il s'agit des conséquences économiques du télétravail, par exemple la fermeture des restaurants d'entreprise, la crise de l'immobilier de bureaux – par exemple à La Défense – et, enfin, le départ de salariés des grandes villes souhaitant désormais exercer leur travail depuis la province.

Ces thématiques me conduisent à poser deux questions. La première concerne les éventuelles conséquences de ces évolutions sur les salaires. En effet, aux États-Unis, le niveau de certains salaires était justifié par le fait de devoir travailler dans des lieux où le coût de la vie était élevé, et le départ de salariés vers d'autres territoires semble avoir été un prétexte pour diminuer la rémunération des intéressés. J'aimerais savoir si nos intervenants ont déjà anticipé un tel phénomène. La seconde question correspond à d'éventuelles évolutions des contrats de travail, concernant les clauses relatives au lieu d'exercice des métiers.

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Nous l'avons tous évoqué, la crise sanitaire que nous traversons depuis plus d'un an a bouleversé nos habitudes dans bien des domaines. Le monde du travail n'y a pas échappé. Pour protéger nos concitoyens de la covid-19, le télétravail s'est rapidement révélé être une mesure incontestable. En effet, c'est un mode d'organisation de l'entreprise qui participe activement à la démarche de prévention du risque d'infection à la covid-19. Mais si la mise en place du télétravail a permis à de nombreux salariés de poursuivre leur activité professionnelle tout en se protégeant du virus, cette modalité de travail à distance n'est pas sans conséquence.

Je voudrais ce matin cibler tout particulièrement les conséquences pour les jeunes, pour qui trouver un stage devient de plus en plus difficile. Nous ne pouvons que constater que, depuis le premier confinement, les étudiants vivent leurs études et leurs premières immersions professionnelles dans des conditions plus qu'inhabituelles, et souvent en leur défaveur. Aussi, mesdames et messieurs les représentants des organisations syndicales, ma question est la suivante : alors que le télétravail va probablement s'ancrer comme organisation pérenne, comment faire en sorte que les entreprises puissent continuer à accueillir des stagiaires durant des temps d'immersion indispensables à leur formation ?

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Voilà bientôt un an que le télétravail a été généralisé. S'il a permis à de nombreux salariés de pouvoir continuer leur activité durant la crise sanitaire, il paraît important en propos liminaire, même si ce n'est pas l'objet de notre table ronde, d'avoir une pensée pour tous les Français dont l'activité ne permet pas le télétravail et qui, depuis un an, sont en présentiel ou en chômage partiel. Pour ces derniers, nous devons être particulièrement vigilants, car si le télétravail a un impact négatif sur de nombreuses personnes, le chômage partiel et l'absence totale d'activité sont bien plus difficiles à vivre.

Pour en revenir au sujet qui nous intéresse, la crise sanitaire a permis une révolution en matière de télétravail. Une chose est sûre, il n'y aura pas de retour en arrière. Pour certains salariés, le télétravail se déroule parfaitement, et ils sont pleinement ravis. Pour d'autres, il est synonyme de burn out, d'isolement, de détresse psychologique. Nombreuses sont les entreprises à avoir permis un retour physique au bureau, permettant ainsi de recréer du collectif. Le « télétravail à 100 % » semble être à exclure. C'est l'après-crise sanitaire sur lequel nous devons désormais travailler et nous projeter. Car le télétravail a de nombreux avantages, non seulement pour le salarié, mais aussi pour la société et l'environnement. En Île-de-France, une journée de télétravail équivaut à 13 % de déplacements en moins.

Quel serait selon vous le meilleur modèle hybride entre le « 100 % télétravail » et le « 100 % présentiel » ? Comment trouver un juste milieu, garantissant le bien-être du salarié ?

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Pour plus d'un tiers des salariés du secteur privé, le travail est devenu le mode de fonctionnement professionnel majoritaire, si ce n'est exclusif, durant cette crise sanitaire. La construction du « chez soi au travail » révèle – notamment chez de nombreuses femmes – de la porosité entre la vie professionnelle et la vie domestique, des confusions entre temps et espace de travail et de non-travail. D'ailleurs, depuis le début de la crise sanitaire, le temps passé à réaliser les tâches ménagères est de 17 % plus élevé pour les femmes que pour les hommes. Les femmes déclarent avoir perdu en efficacité, en raison du poids de leurs occupations domestiques. C'est la double peine : assignation aux tâches parentales et domestiques, et difficultés à être performantes dans leur travail.

Le télétravail ne doit pas accroître les inégalités entre les femmes et les hommes. Face à ces constats, quelles sont vos propositions pour mieux prévenir les dérives du télétravail et éviter de faire retomber la part du travail féminin dans l'invisibilité ?

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Je remercie les partenaires sociaux pour leurs interventions. L'ANI du 26 novembre permet de reposer un cadre, pour reprendre l'expression de la représentante de FO. Je partage cette idée. Depuis la loi de 2005, il y avait un fossé à combler.

Cependant, n'y a-t-il pas un trou dans la raquette ? J'évoque ce risque, car un sondage publié le 9 mars dernier met en évidence le fait que 37 % des télétravailleurs considéraient que le télétravail est moins efficace. Surtout, ce pourcentage atteint 60 % chez les 18‑24 ans. Ce dernier élément m'a surpris, car je pensais que les jeunes auraient plus d'appétence pour le télétravail.

Ce ressenti pose deux questions. La première concerne la question des risques psychosociaux, évoqués par un grand nombre d'intervenants. La seconde concerne le statut des alternants, qui figurent parmi les 18‑24 ans, et de l'égalité de traitement entre eux et les autres salariés. En théorie, dans une entreprise, les télétravailleurs alternants doivent avoir les mêmes matériels et les mêmes possibilités que les salariés. Comment pensez-vous que la situation, notamment les liens avec les risques psychosociaux, va évoluer ? Par ailleurs, comment envisagez-vous à terme l'insertion des alternants dans le monde du travail ?

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Il est évident que le télétravail, qui a pris un réel essor à la suite de la pandémie, représente une mutation de notre société et présente un réel intérêt. Il s'est révélé un outil précieux pour le maintien de l'activité de bon nombre de secteurs en garantissant la protection des salariés.

Je ne rappellerai pas les avantages et les inconvénients du télétravail, que vous avez tous énoncés. Simplement, tout le monde ne maîtrise pas l'outil télénumérique. Par ailleurs, je rappelle les actions en faveur du déploiement de la fibre, notamment dans le département de l'Aisne.

Je tenais surtout à souligner l'implication des salariés des entreprises qui, face à la pandémie, font tout pour limiter les flux et endiguer la propagation du virus. Cependant, les entreprises et les salariés ne sont pas tous placés à la même enseigne. Tout le monde ne peut pas recourir au télétravail. Par ailleurs, si quatre Français sur dix y ont recours, le déploiement du télétravail est plus contraint pour les TPE et les petites et moyennes entreprises (PME). J'observe ce phénomène dans le département de l'Aisne, où les TPE-PME sont les premiers acteurs économiques.

En partenariat avec les branches et les représentants syndicaux, le ministère du travail a développé de nombreux outils à destination des entreprises. Le réseau ANACT‑ARACT a été évoqué précédemment et il existe un numéro vert 0 800 130 000 dédié au soutien des salariés. Cependant, quels sont les retours des participants à la table ronde concernant les usages ? Quels sont points de vigilance relèvent-ils ? Quelles mesures clés proposeraient-ils pour améliorer l'organisation du télétravail, voire en pérenniser l'usage à l'issue de la pandémie ?

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Le premier confinement, décidé en mars dernier, a considérablement modifié nos représentations relatives au travail, concernant en particulier l'idée selon laquelle un travail implique un lieu d'exercice. Certes, le télétravail se révèle une réponse évidente à la crise sanitaire que nous traversons. Il contribue à la maîtrise des chaînes de contamination de la covid-19. Il s'est imposé dans le quotidien de chacun dans les entreprises et est devenu la règle lorsque les tâches sont réalisables à distance.

Cependant, cette nouvelle organisation soulève plusieurs interrogations. Je pense en particulier à la question du lien entre le travail et le lieu de travail, et à la problématique de la fixation des emplois sur un territoire donné. En effet, le télétravail pouvant se pratiquer partout, je m'interroge, en cas de généralisation de cette pratique, concernant le devenir à long terme des bassins d'emplois existant dans nos territoires. Je pense également aux conditions de travail à domicile – qui se sont certes améliorées au cours des derniers mois, mais pour lesquelles il reste encore à travailler – et à l'isolement ressenti par certains salariés.

Nous savons que le télétravail est vécu comme un élément positif lorsqu'il est choisi et qu'il correspond aux besoins des salariés, mais je pense que proposer de retourner sur le lieu de travail un ou plusieurs jours par semaine pourrait être pertinent. Par ailleurs, alors que le télétravail repose essentiellement sur un lien de confiance entre l'employeur et ses salariés, des rendez-vous quotidiens en ligne entre les équipes, des points réguliers sur les travaux en cours, ou encore des espaces permettant d'évoquer les éventuels problèmes rencontrés, vous paraissent-ils des outils pertinents pour permettre aux salariés d'effectuer au mieux leur mission ?

Dans la même veine – cela vous concerne au premier chef – comment est-il possible d'assurer la pérennité de la représentativité syndicale et de vos organisations syndicales avec une potentielle généralisation du télétravail impliquant un éloignement des salariés que vous représentez de leur lieu de travail habituel ?

Enfin, j'ai évoqué le développement intensif du télétravail lors des travaux que j'ai menés en commun avec notre collègue Gilles Lurton, désormais maire de Saint-Malo, sur la thématique de la politique familiale. Le télétravail constitue une réponse évidente au fait qu'une femme sur deux cesse de travailler, ou passe à temps partiel, dès l'arrivée du premier enfant. Il permet aux salariés de concilier vie professionnelle et vie privée. Nombreux sont nos voisins européens qui pratiquent déjà un télétravail flexible. Pourriez-vous nous donner votre avis sur ce sujet ?

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. La crise a offert l'occasion d'une expérimentation à grande échelle du télétravail dans les conditions les moins favorables. En effet, le télétravail n'était pas choisi, les domiciles n'étaient pas aménagés et, parfois, les équipements n'étaient pas satisfaisants.

Je vous remercie pour vos premières remontées concernant les conséquences psychosociales de cette nouvelle désorganisation du travail. Mme Catherine Pinchaut a estimé que nous nous trouvions sans doute face à une révolution du management au travail. Pour sa part, Mme Béatrice Clicq a parlé de détresse psychologique et la CGT a présenté des verbatims. Je les remercie pour ces interventions.

Je veux pour ma part simplement demander aux différents intervenants s'ils convergent concernant leurs préconisations, et quelles sont leurs recommandations pour réguler cette nouvelle organisation du travail à l'avenir, en maintenant la qualité de vie au travail, y compris à domicile, et les avantages dont bénéficient les salariés.

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Passer en dernier me fait courir le risque d'un certain nombre de redondances. Je vais donc essayer d'intervenir de manière courte et simple.

Je veux rappeler en premier lieu que le Parlement a voté un droit à la déconnexion. Il s'agit d'un très important, alors que le télétravail peut générer des plages de travail débordant le cadre classique. Ce droit à la déconnexion a-t-il été respecté au cours de l'année écoulée ?

Par ailleurs, allez-vous porter vos préconisations au niveau des accords de branche, alors que l'adhésion des salariés au télétravail a diminué dans certains secteurs ? L'expérience grandeur nature que nous venons de vivre vous permettra-t-elle de formuler des préconisations au plus près des entreprises et des collectivités, qui elles aussi sont concernées par le télétravail ?

Enfin, certains collègues ont déjà fait référence au fait que la période que nous avons traversée a particulièrement mis en évidence le déficit d'usage des outils numériques par certains. Ne pensez-vous pas qu'il faille renforcer de manière significative la formation en la matière, y compris en allant jusqu'à envisager un cadre contraint ? En effet, plus les salariés sont à l'aise avec les outils numériques, plus le télétravail est agréable et plus l'efficience est au rendez-vous, tant en ce qui concerne les employeurs, entreprises comme collectivités, que les salariés.

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Comme l'a dit ma collègue Michèle de Vaucouleurs, certains envisagent, ou ont déjà décidé de profiter du télétravail pour partir habiter en province, tout en sachant qu'ils devront ponctuellement revenir au siège de leur entreprise situé dans la grande ville qu'ils habitaient auparavant. Ces évolutions vont peut-être induire une baisse des salaires, mais aussi une augmentation des frais de déplacement et de logement pour les salariés devant revenir ponctuellement travailler dans une grande ville. Comment ces différentes évolutions sont-elles prises en compte dans vos discussions ?

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Catherine Pinchaut, secrétaire nationale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT)

Je vous remercie. Je vais centrer mes réponses sur quelques éléments, sinon mon intervention serait trop longue.

Je vous remercie pour ces échanges, qui démontrent qu'un travail conséquent reste à accomplir. Je partage ce qu'un certain nombre de députés ont souligné, à savoir que nous expérimentons depuis un an, dans des proportions extraordinaires, cette nouvelle organisation du travail. Dans mon propos liminaire, j'évoquais l'intérêt de procéder à des retours d'expérience dans les entreprises. Plus globalement, il serait nécessaire de réaliser régulièrement de tels retours d'expérience. En effet, alors que nous avons le sentiment que nous sommes passés d'un télétravail généralisé il y a un an à une volonté de revenir travailler sur site, il convient de s'interroger concernant l'équilibre à trouver à l'avenir entre travail en présentiel et en distanciel.

L'ANI fixe un cadre qui n'est pas forcément normatif et prescriptif, car il n'est pas possible de l'être sur le sujet du télétravail. C'est pourquoi l'enjeu consiste désormais à mettre en œuvre ce cadre dans les entreprises et les branches, afin de vérifier ce qu'il sera possible de réaliser en tenant compte des réalités professionnelles, des réalités du travail, enfin des envies et des besoins des salariés et entreprises.

L'ANI permet d'engager les discussions dans les entreprises. Un certain nombre d'entre elles ont déjà initié cette démarche. Ainsi, une grande entreprise du secteur agroalimentaire a ouvert des discussions dans l'ensemble de ses collectifs de travail en vérifiant les avantages et les inconvénients du télétravail pour chaque activité et pour chaque équipe, et en vérifiant comment le télétravail pourrait à l'avenir trouver une juste place dans l'entreprise, ses différents sites et ses différents métiers. Or, une telle démarche peut se faire uniquement en engageant le dialogue avec les salariés. À ce sujet, la recommandation de la CFDT, en particulier de ses militants fortement engagés sur le terrain, consiste à mettre en place – ou à les réactiver s'ils existent déjà – des lieux de dialogue permettant de trouver les bonnes réponses spécifiques à chaque situation.

Il convient également de rappeler que le télétravail est une organisation du travail comme une autre et a pu modifier le contenu du travail dans certaines activités. Les tâches et les missions prioritaires, ou essentielles, ont parfois été redessinées. Seules des discussions dans les entreprises permettront de se projeter vers l'avenir.

Les objectifs de certains salariés ont été revus par leurs managers, ce qui constitue une bonne chose. En réalité, nous avons vécu une révolution managériale. Certains managers ont pris conscience qu'ils pouvaient faire confiance à leur équipe. Des salariés non-cadres ont pris des initiatives et ont souhaité être responsabilisés. Ces décisions ont été couronnées de succès. Cette plus grande autonomie des équipes, ainsi que ces prises d'initiatives, pourront perdurer lors du retour en présentiel. Les solutions à déployer devront donc se construire en prenant en compte ces différents éléments.

Cependant, ce futur modèle hybride pourra se construire uniquement à travers des discussions relatives au contenu du travail, aux modalités d'exercice des métiers et aux appétences des uns et des autres. En effet, si certains salariés seront volontaires pour bénéficier de plages conséquentes de télétravail, d'autres souhaiteront limiter ces plages de travail à domicile, et d'autres enfin ont découvert que cette modalité de travail ne leur convenait absolument pas, alors même que leur poste de travail se prête parfaitement au télétravail.

Je tiens par ailleurs à souligner que si, depuis le début de cette table ronde, nous évoquons la situation dans les entreprises, puisque seules ces dernières sont concernées par l'ANI, il existe également un enjeu majeur dans les administrations et la fonction publique. En effet, certains agents des fonctions publics ont goûté au télétravail, mais il y a globalement été plus compliqué de mettre en place ce mode de fonctionnement en raison d'une culture managériale différente de celle prévalant dans le secteur privé.

Une véritable révolution managériale devra donc être menée sur le long terme afin de modifier les relations professionnelles, les relations sociales et les pratiques managériales encore trop centrées sur le présentiel. Certains encadrants pensent que les salariés qu'ils ne peuvent pas observer ne travaillent pas et, même en présentiel, ont une approche reposant exclusivement dans le contrôle. Or, le télétravail a démontré l'inverse.

Concernant la place des jeunes, l'ANI comprend des dispositions relatives aux alternants et des nouveaux embauchés. Il s'agit effectivement d'un véritable enjeu. En effet, les jeunes commençant leur vie professionnelle ont besoin d'être présents physiquement dans les locaux professionnels pour bénéficier de certains apprentissages se déroulant parfois de manière informelle. Ils ont besoin d'être accompagnés par leurs tuteurs, et plus généralement par leurs managers et par leurs collègues de travail. Or, seul le présentiel permet un accompagnement dans de bonnes conditions afin de leur permettre de monter en compétence.

Là encore, nous savons que certaines entreprises ont trouvé des modalités permettant d'être le plus possible présent dans les locaux avec leur tuteur, leurs managers ou leurs collègues. Contrairement aux idées reçues selon lesquelles les jeunes sont plus à l'aise avec le numérique et la digitalisation, donc avec le télétravail, il convient de noter qu'ils ont autant, sinon plus, besoin d'être présent dans les locaux de travail que les autres salariés.

Je souhaite enfin évoquer deux points complémentaires. Tout d'abord, l'ANI signé mentionne la nécessité de mener un dialogue social entre les acteurs économiques, sociaux et politiques des territoires. En effet, il existe des enjeux de réaménagement des territoires au niveau des services publics, des commerces, ou encore des infrastructures. Certains territoires se sont saisis de cette problématique. Des militants CFDT nous ont indiqué que les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux d'Île-de-France et de Nouvelle‑Aquitaine ont lancé des réflexions sur cette thématique. Par ailleurs, un projet de fonds d'amélioration des conditions de travail porté par l'ANACT est en cours et prévoit des expérimentations entre territoires, entreprises et représentants des salariés. Il s'agit d'un enjeu majeur, car la thématique de la qualité des emplois, des territoires et du travail doit être traitée au niveau des bassins d'emploi.

Je voulais enfin confirmer que le télétravail a également bouleversé nos pratiques syndicales. Une partie de nos équipes avaient déjà adapté leur militantisme au contexte du télétravail avant la crise sanitaire. Cependant, dans la mesure où il conviendra de trouver les modalités de télétravail les plus adaptées au niveau de chaque entreprise, nos militants devront être en contact avec les salariés afin d'identifier leurs besoins et leurs attentes. Les organisations syndicales doivent donc pleinement s'emparer de ce sujet.

En conclusion, je dirais que l'ANI ne représente que le début de la démarche. Chacun doit désormais se mettre autour de la table afin de rechercher les leviers à activer pour permettre à chacun de réussir sa manière de télétravailler.

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Jean-Luc Molins, membre du collectif confédéral télétravail CGT

Nous allons tenter de répondre aux multiples questions posées.

En premier lieu, il est évident que la loi relative au droit à la déconnexion est insuffisante. En effet, dans la mesure où les entreprises peuvent se doter unilatéralement d'une charte, elles n'ont aucune obligation de négocier un accord garantissant un réel droit à la déconnexion. Nous avons formulé des propositions écrites afin de réécrire le code du travail sur cette thématique, mettant en particulier l'accent sur le forfait jours.

Il convient en effet de rappeler qu'en Europe, seule la France prévoit un dispositif permettant de ne pas comptabiliser les heures de travail. Notre pays a d'ailleurs été condamné à plusieurs reprises sur ce sujet, car le forfait jour contrevient à certains articles de la charte sociale européenne. L'un de nos recours relatif à ce sujet est en cours d'examen. Cependant, la conclusion de l'accord européen sur le numérique en juin 2020 va constituer un point d'appui pour nous permettre de faire évoluer la situation. En effet, cet accord, qui devra être retranscrit dans les États européens dans un délai de trois ans, est un texte normatif. Il fait d'ailleurs partie des sujets inscrits à l'agenda social et économique autonome de négociations en cours entre organisations syndicales et organisations patronales.

De nombreuses questions ont par ailleurs été posées concernant les lieux d'exercice professionnel. Il convient de préciser que, souvent, la question du télétravail est traitée dans le cadre de projets d'organisation en flex office, qui renvoient en réalité à des stratégies immobilières plus larges. Ainsi, Orange, l'entreprise au sein de laquelle je travaille, porte le projet Bridge, qui prévoit le transfert du siège et le développement du flex office. En réalité, ces stratégies immobilières visent essentiellement à réaliser gains financiers non négligeables.

Concernant la pratique du télétravail, il a été indiqué que la solution du « télétravail à 100 % » est à exclure pour diverses raisons évidentes, notamment la perte du lien social. Il convient également de rappeler que, y compris dans le cadre du télétravail, l'activité s'exerce dans le cadre d'un collectif de travail. Selon le baromètre Malakoff Humanis, les salariés qui pratiquaient le télétravail avant le début de la crise sanitaire travaillaient en moyenne uniquement sept jours par mois à leur domicile. Ce chiffre moyen est désormais de 3,6 jours par semaine. Or, selon différentes études, la moyenne idéale, pratiquée avant la crise sanitaire dans de nombreuses grandes entreprises, dont Orange, correspond à deux jours de télétravail par semaine.

Concernant les sujets importants de l'égalité entre les hommes et les femmes et de la réalisation des tâches ménagères, nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer la législation portugaise. Par ailleurs, le congé parental vise à équilibrer les charges entre hommes et femmes. Enfin, il convient d'évoquer l'organisation du télétravail en tiers‑lieu, alors qu'il est actuellement organisé à 90 % au domicile du salarié. Or, exercer le télétravail en dehors du domicile favorise le partage des tâches ménagères au sein d'un couple. À ce sujet, il convient de noter que la situation n'a pas évolué depuis l'étude réalisée par l'ANACT en 2017.

Nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer l'utilité de l'ANI dans notre intervention. Cependant, si tous les salariés et les entreprises ne sont pas logées à la même enseigne en matière de télétravail, il n'en demeure pas moins nécessaire d'instaurer des garde-fous et des règles de base afin de permettre aux négociations menées dans les entreprises de construire un cadre plus protecteur prenant en compte les spécificités de l'activité. En effet, nul n'imagine un code de la route différent selon les agglomérations. De la même manière, permettre une trop grande disparité en matière de déploiement du télétravail ne serait pas une bonne chose. Un tel schéma ferait notamment peser le risque que certains recherchent à gagner en compétitivité au moyen du dumping social.

Concernant les lieux d'exercice du télétravail, il convient de rappeler la responsabilité politique en matière d'aménagement du territoire. En particulier, en tant que cadre d'une entreprise du secteur des télécommunications, je veux souligner que le très haut débit permet d'apporter de l'activité économique dans certaines régions qui en sont dépourvues. Des décisions, visant notamment à maintenir des services publics de proximité, sont nécessaires pour revitaliser certaines régions et permettre aux habitants de demeurer dans leur lieu de vie et lutter contre la désertification.

Par ailleurs, la CGT travaille depuis longtemps sur la thématique de l'organisation du travail dans le futur. Ainsi, nous avons créé un site internet intitulé « Le numérique autrement », qui recense différentes propositions. Nous avons par ailleurs publié un guide relatif à la thématique de l'influence de l'intelligence artificielle sur le travail de demain, abordant notamment des questions sociétales, et pas uniquement l'organisation du travail.

Je souhaite enfin confirmer la baisse de l'adhésion des salariés, et notamment des managers, au principe du télétravail. Ainsi, le baromètre Malakoff Humanis publié le 9 février démontre que le taux d'adhésion des managers est passé de 55 % à 50 % en un an. Cette dégradation s'explique sans doute par les modes actuels d'organisation du télétravail, qui font peser une très forte pression sur les épaules des encadrants.

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Fabienne Rouchy, membre de la direction confédérale de la Confédération générale du travail (CGT)

Mon intervention permettra de conclure les interventions formulées au nom de la CGT en soulignant la nécessité de mener des négociations dans les entreprises, mais aussi en regrettant que les incitations soient insuffisantes pour inciter les employeurs et les branches à se saisir de la thématique du télétravail afin de répondre aux défis de cette nouvelle modalité de travail. L'ANI a eu le mérite d'ouvrir le débat et de poser des questions indispensables dans la période actuelle, mais ses effets sont insuffisants. En effet, il est indispensable de négocier des accords normatifs, afin d'harmoniser les pratiques.

L'autre option consisterait à légiférer, à l'image de la démarche mise en œuvre au Portugal, par exemple afin de garantir une réelle mise en place du droit à la déconnexion et une réelle évaluation de la charge de travail des salariés. A contrario, il s'est avéré très difficile dans de nombreuses entreprises de comptabiliser les heures supplémentaires réalisées en télétravail, ce qui équivaut quasiment à du travail dissimulé.

Un cadre réglementaire obligatoire s'avère donc nécessaire concernant le télétravail, mais aussi l'évaluation des risques. Il convient également de résorber le déficit d'inspecteurs du travail. Enfin, la thématique de l'évaluation de la mise en œuvre du télétravail, mais aussi du contenu des accords négociés, évoquée par plusieurs élus, serait particulièrement utile.

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Béatrice Clicq, secrétaire confédérale Force Ouvrière (FO) en charge de l'égalité et du développement durable

Je vais tenter de regrouper au mieux différentes thématiques dans mon intervention.

Tout d'abord, afin de répondre à Mmes Nicole Trisse, Agnès Firmin Le Bodo et Monique Limon, ainsi qu'à MM. Alain Ramadier et Gérard Cherpion, concernant la thématique du télétravail à l'avenir, je souhaite rappeler que nous vivons une situation exceptionnelle qui n'a pas vocation à se pérenniser, même si nous éprouvons des difficultés pour savoir avec précision quand nous sortirons de la pandémie. Dans ce contexte, il est important d'anticiper la transition qu'il sera nécessaire de mener, notamment en prévoyant les modes de retour dans l'entreprise pour des salariés ayant travaillé durant des mois à leur domicile. Surtout, FO estime que le retour à un mode de vie classique ne devra pas conduire des salariés à continuer de travailler intégralement depuis leur domicile, alors qu'un tel mode de fonctionnement a montré ses limites, en particulier en matière d'isolement et de difficulté à s'inscrire dans un collectif de travail.

À nos yeux, le télétravail doit se pratiquer au maximum deux à trois jours par semaine. Un tel cadre permet en effet de recréer des liens et de travailler dans un cadre collectif, donc de renforcer le sentiment d'appartenance à l'entreprise qui a tendance à se déliter dès lors que les salariés sont éloignés.

Par ailleurs, la situation des jeunes a été abordée dans le chapitre 4 de l'ANI. Concernant les alternants, il est exact qu'il convient d'adapter les règles relatives au télétravail afin de garantir les liens avec leur tuteur et faire en sorte de garantir un suivi de qualité.

Ces différentes thématiques imposent de négocier. Cependant, afin de répondre à MM. Bernard Perrut, Marc Delatte et Philippe Vigier, je veux rappeler que l'ANI permet déjà de cadrer les choses. En effet, alors que certains estiment que cet accord n'est ni normatif, ni prescriptif, il convient de préciser qu'un accord signé contient par nature des normes. Ainsi, l'ANI contient des éléments importants concernant le formalisme à respecter afin de mettre en œuvre le télétravail, la notion de réversibilité, ou encore la prise en charge des frais. Par ailleurs, un chapitre entier est consacré au télétravail exceptionnel. Enfin, l'ANI évoque la thématique de la santé. Cependant, afin de répondre à un point particulier soulevé par M. Bernard Perrut, je souhaite souligner que le patronat a tenté de minimiser le champ des accidents du travail en situation de télétravail. Il convient donc de fixer un cadre clair afin d'éviter un risque de remise en cause de la notion de présomption d'accident de travail en situation de télétravail.

Il est important que la négociation soit ouverte en première intention dès lors que le télétravail doit être organisé dans une entreprise. Cette démarche doit alors permettre d'aborder l'ensemble des thèmes évoqués dans l'ANI, afin d'apporter des réponses adaptées au contexte de chaque entreprise. Dans ce cadre, le formalisme est indispensable. Il est en effet important de disposer d'un accord écrit pour définir des règles pour protéger les salariés, mais également les patrons.

Ce nouveau contexte impose de réinventer le rôle des organisations syndicales et des représentants du personnel. Ce travail a été lancé il y a un an, puisque nous avons réussi à conserver un lien avec les salariés, même si les entreprises ne facilitent pas toujours les choses. Des moyens doivent donc être accordés aux représentants du personnel pour que ces derniers puissent pleinement jouer leur rôle.

Concernant la question des bassins d'emploi, évoquée par Mme Michèle de Vaucouleurs et par M. Guillaume Chiche, la migration de salariés suivant un mouvement inverse à l'exode rural va impacter les territoires où des entreprises sont actuellement implantées. Cependant, nous souhaitons souligner que le télétravail est également susceptible de faire apparaître un risque de délocalisation. En effet, dans le cadre d'un « télétravail à 100 % », rien n'interdit à des entreprises dont les salariés travaillent à 400 kilomètres de ses locaux de faire appel à des salariés travaillant à 4 000 kilomètres. Cette problématique doit être encadrée dans le cadre d'un accord afin d'éviter des conséquences trop négatives sur le marché de l'emploi national.

Je souhaite ensuite évoquer la thématique de la situation spécifique des femmes, évoquée par Mme Mireille Robert et M. Guillaume Chiche. Je souhaite tout d'abord rappeler que, même si les écoles et les crèches sont restées ouvertes depuis la fin du premier confinement, la situation n'est pas toujours simple à gérer. En effet, dès qu'un enfant enregistre une petite augmentation de température, il est demandé aux parents de le retirer de l'école ou de la crèche afin de limiter le risque de propagation du virus. Ces mesures génèrent une progression des absences imprévues au travail. Par ailleurs, de nombreux établissements scolaires sont uniquement ouverts à mi-temps, parfois à des moments différents pour les enfants d'une même famille. Cette situation est une source majeure de complication.

Surtout, dans le cadre d'un retour à la normale à l'issue de la pandémie, il sera nécessaire d'être attentif à ce que la conservation d'une part de télétravail n'aboutisse pas « remettre les femmes à la maison ». En effet, une telle situation rendrait les femmes invisibles et serait de nature à contrarier les progrès attendus en matière d'égalité salariale et de progression de carrière.

Enfin, concernant la thématique du télétravail flexible, nous avons observé durant le premier confinement que certaines entreprises avaient tenté de déployer certaines mesures destinées aux parents, par exemple de conserver leur rémunération tout en travaillant à 70 % D'autres ont proposé aux salariés concernés de respecter une coupure dans l'après-midi tout en reprenant le travail en fin de journée. Cependant, ces solutions doivent uniquement être envisagées durant un confinement. En effet, pérenniser un temps de travail prévoyant une coupure au milieu de la journée reviendrait à renforcer la problématique de la double journée de travail des femmes. C'est pourquoi la réponse doit à nos yeux relever du partage des tâches entre les membres d'un même foyer, notamment au moyen du congé parental, mais aussi et surtout viser à développer les modes de garde d'enfants, alors que les places en crèche sont insuffisantes.

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Jean-François Foucard, secrétaire national de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC) en charge des parcours professionnels emploi formation

Il me semble que les débats doivent bien distinguer le télétravail en période de confinement et en période normale, car les deux situations sont très différentes.

Par ailleurs, puisque nous nous exprimons devant des députés, je veux rappeler que, d'un point de vue juridique, depuis les « ordonnances Macron », un accord conclu au niveau d'une branche ou au niveau interprofessionnel a, en application du principe de subsidiarité, une valeur normative par défaut. D'ailleurs, dans un certain nombre de domaines, par exemple en matière d'emploi, l'accord d'entreprise prime. Conclure un accord au niveau d'une branche ne pourrait donc pas interdire à une entreprise d'agir comme elle l'entend, excepté concernant les dispositions d'ordre public inscrites dans la loi. Ne pas prendre en compte cet élément conduit à prendre ses désirs pour des réalités.

Je rappelle par ailleurs que le télétravail est un simple mode d'organisation permettant aux salariés de gagner en souplesse en leur évitant de se déplacer. Une logique comparable avait été suivie lors de la mise en place des trente‑cinq heures en 2000, avec la création des horaires variables permettant aux salariés de mieux concilier les contraintes personnelles et les contraintes professionnelles. Pour autant, les salariés en télétravail restent obligés de travailler et de respecter le collectif de travail. Le défi consiste à intégrer cette contrainte sans pénaliser l'efficience du collectif. Or, la situation est extrêmement hétérogène selon les entreprises, voire même selon les différents services d'une même entreprise. Enfin, il convient d'avoir conscience que, dans un mode hybride dans lequel seule une partie des salariés aura recours au télétravail, les salariés travaillant dans les locaux de l'entreprise se retrouveront de facto dans une situation équivalente au télétravail dès lors que les autres salariés de son équipe travailleront depuis leur domicile.

Je souhaite ensuite confirmer le propos d'un précédent intervenant en soulignant que la CFE-CGC privilégie la négociation d'accords à l'édiction de chartes unilatérales. En effet, la thématique du télétravail concerne l'organisation du travail et de son impact sur la vie des gens. Il est donc important que ces derniers puissent s'exprimer par la voix de leurs représentants.

Concernant la situation spécifique des jeunes embauchés et des alternants, il est essentiel que les tuteurs disposent de temps d'interaction identifiés. Ces périodes doivent prioritairement se dérouler sur le lieu de travail dans les premiers temps du contrat des intéressés, qui ne disposent pas encore des compétences leur permettant de télétravailler. En revanche, dès lors que leurs responsables estiment que ces nouveaux salariés ont acquis les capacités requises, ils pourront télétravailler au même titre que les autres salariés.

Les débats ont ensuite porté sur la question des salaires, des transports et des lieux de travail. Il convient de préciser que les accords déjà négociés stipulent que les salariés ne peuvent pas travailler depuis l'étranger, afin de ne pas être confrontés à des problématiques de délocalisations pour des raisons fiscales. La question des transports a pour sa part déjà été traitée, puisque les entreprises sont obligées de prendre en charge les frais de transport collectif de leurs salariés entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail. Or, dans le cas d'un salarié francilien partant télétravailler depuis Aix-en-Provence, l'obligation de prise en charge par l'entreprise couvrira le trajet entre l'Île-de-France et Aix-en-Provence. Les entreprises seront donc assez prudentes sur ce sujet. Enfin, la question de l'impact du télétravail sur le niveau de la rémunération commence à émerger, puisque le salaire des cadres franciliens est en moyenne 10 % plus élevé que la moyenne nationale afin de compenser le surcoût du logement en Île-de-France.

Concernant la thématique du nombre de jours de télétravail dans un mode hybride, travailler à son domicile plus de deux jours par semaine pose des problèmes pour le salarié, mais aussi pour l'entreprise. À ce sujet, il convient d'être attentif à ne pas imposer un trop grand nombre de contraintes aux entreprises, car un certain nombre d'entre elles commencent à envisager de transformer le contrat de travail qui les lie à un salarié en un contrat commercial, voire d'externaliser certaines activités pour diminuer leurs coûts.

Le droit à la déconnexion sera l'un des sujets susceptibles de favoriser le télétravail. Or, ce droit doit non seulement permettre de délimiter les périodes dédiées au travail et les périodes dédiées à la vie personnelle, mais aussi d'identifier des périodes durant lesquelles des salariés doivent pouvoir ne pas être dérangés afin de pouvoir se concentrer sur leur travail. Certes, cette problématique peut également concerner le travail dans les locaux de l'entreprise, mais elle est renforcée dans le cadre du télétravail, car il n'est alors pas possible de vérifier d'un simple regard si un collègue de travail est occupé.

Je reprends par ailleurs à mon compte les éléments qui ont été évoqués concernant l'égalité entre hommes et femmes au travail. Pour autant, je souhaite rappeler que le travail à domicile n'est pas une obligation, mais aussi qu'il ne faut pas confondre télétravail et garde d'enfant. En effet, ce sujet renvoie généralement à la problématique du travail à temps partiel. Ainsi, au sein de mon entreprise, je négocie actuellement un accord télétravail dans le cadre duquel la thématique de l'environnement du travail à domicile – espace dédié, capacité à ne pas être dérangé... – est fortement développée. En revanche, la problématique de garde d'enfants renvoie au télétravail forcé que nous avons connu au mois de mars 2020, dans le cadre duquel nos demandes étaient bien moins exigeantes.

Concernant la représentation syndicale, le sujet majeur correspond aux contacts avec les salariés et aux communications en destination de ces derniers. Or, une grande partie de ces contacts se déroulent de manière informelle dans les locaux d'une entreprise. En revanche, à l'avenir, les salariés en télétravail pourront uniquement être contactés durant le temps de travail formel. Par ailleurs, lorsqu'ils se rendront dans les locaux de l'entreprise, il sera difficile d'identifier du temps de travail informel afin d'échanger avec des salariés dont les journées seront sans doute très chargées.

Enfin, nous n'avons pas enregistré d'alertes particulières concernant des modifications de contrats de travail. Cependant, il convient de rappeler qu'il est possible que le contrat de travail d'un salarié permette de télétravailler quatre jours par semaine, alors que l'accord collectif dont il relève prévoit de limiter ce temps de télétravail à deux jours par semaine.

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Mireille Dispot, secrétaire nationale CFE-CGC en charge de la protection sociale et de l'égalité des chances

Je souhaite pour ma part répondre aux questions relatives à la reconnaissance des accidents de travail et sur l'évolution des missions des inspecteurs du travail.

Concernant le premier item, je confirme les propos d'un précédent intervenant. En effet, dans le cadre des négociations de l'ANI, la partie patronale a dans un premier temps tenté de s'exonérer de ses responsabilités en matière de santé et de sécurité des salariés en télétravail. Cependant, l'accord conclu a réaffirmé les principes généraux selon lesquelles les dispositions légales et conventionnelles relatives à ces thématiques continuent de s'appliquer dans ce mode particulier d'organisation du travail. Je confirme par ailleurs que, dans la mesure où le télétravail est un mode d'organisation du travail, il convient de mettre en œuvre une démarche d'analyse des risques spécifique dans le cadre du document unique d'évaluation des risques professionnels.

Nous avons été satisfaits du consensus enregistré entre partenaires sociaux concernant l'attention particulière à apporter à l'application des règles légales et conventionnelles relatives à la santé et à la sécurité dans le cadre d'une continuité d'activité à domicile, qui à nos yeux induit des risques spécifiques par rapport à un télétravail partiel.

Je souhaite en revanche m'attarder sur ce qui constitue à nos yeux une préoccupation majeure, à savoir la question des troubles psychiques liés au travail, d'une part parce que ces troubles sont en constante augmentation, d'autre part parce que la procédure de reconnaissance d'une maladie professionnelle est peu adaptée à ce type de troubles. En effet, le dispositif incite à privilégier la déclaration d'un accident de travail, qui génère une indemnisation moins favorable. Les chiffres, que je ne pourrai pas détailler ce matin au regard de nos contraints horaires, font état d'une augmentation des troubles psychiques. Cependant, les entreprises refusent de reconnaître l'impact des organisations du travail sur ces troubles. C'est pourquoi nous estimons que ce problème n'est pas suffisamment pris en compte, même si des avancées ont récemment été constatées, par exemple avec la reconnaissance du droit à la déconnexion dans le cadre de la « loi El Khomri ».

Par ailleurs, dans le cadre de la négociation de l'ANI, la CFE-CGC a formulé un certain nombre de propositions que je souhaite réitérer devant votre commission. Nous considérons qu'il convient d'agir sur l'organisation du travail pour réduire ces affections renvoyant aux risques psychosociaux. Par ailleurs, nous estimons que c'est par la voie des négociations relatives à la qualité de vie au travail qu'il est possible d'aborder les problématiques de conditions de travail et d'organisation du travail, en mettant en place des leviers permettant de prévenir les troubles psychiques liés au travail. Nous réitérons également notre demande que les négociations relatives à la qualité de vie au travail – que nous avons proposé de rebaptiser « qualité des conditions de travail » lors de la négociation de l'ANI – comprenne un item obligatoire consacré à l'évaluation et la régulation de la charge de travail.

Je souhaite également réitérer une de nos autres propositions portant sur la création et la publication d'un indice qualité des conditions de travail permettant aux entreprises de mesurer les effets de leurs actions dans ce domaine et, sur le modèle des incitations financières des caisses d'assurance retraite et de la santé au travail, qu'un bonus-malus soit appliqué aux cotisations d'accidents du travail et maladies professionnelles (AT‑MP) en fonction de l'évolution de cet indicateur.

Nous avions également porté une proposition visant à assortir l'obligation de négociation sur la qualité des conditions de travail d'une obligation de définir un plan d'action, à défaut d'accord, et de prévoir une pénalité en cas de défaut d'accord ou de plan d'action, à l'image du dispositif en vigueur en matière d'égalité hommes-femmes.

Par ailleurs, sur le plan des indemnisations, le dispositif ne semble pas garantir un juste équilibre, au regard des risques encourus. En effet, il n'existe pas de juste reconnaissance de l'origine professionnelle des affections résultant des risques psychosociaux.

Nous réitérons également devant votre commission notre demande de création d'un tableau des maladies professionnelles permettant de simplifier la reconnaissance de l'origine professionnelle de ces pathologies, donc garantir une plus juste indemnisation des victimes, mais aussi de responsabiliser les entreprises voyant leurs cotisations AT‑MP augmenter, en les incitant à agir préventivement. À défaut, nous réitérons notre proposition visant à abaisser à 10 % le taux d'incapacité permanente induisant l'examen du dossier par l'assurance maladie. En effet, une pathologie qui n'est pas inscrite dans un tableau de maladies professionnelles est actuellement examinée uniquement si la victime justifie d'une incapacité permanente partielle de 25 %.

Concernant le second item, je veux préciser que nous sommes très favorables à la demande de plusieurs députés relative à l'évolution des missions de l'inspection du travail. Cependant, au-delà d'une adaptation de ces missions à l'évolution actuelle des métiers, en particulier des métiers en émergence et de l'organisation à distance induite, nous pensons qu'il convient d'élargir la problématique à l'ensemble des partenaires participant à la prévention des risques susceptibles de découler des nouvelles organisations. J'évoque à ce titre l'ensemble des éléments relevant de la branche AT‑MP ainsi que les ingénieurs et les spécialistes intervenant auprès des entreprises afin de les aider à développer la prévention de ces risques. En effet, je pense qu'il s'agit d'un sujet global qu'il ne faut pas appréhender sous le seul prisme de l'inspection du travail.

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Éric Courpotin, secrétaire confédéral de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), chef de file emploi chômage

De très nombreuses questions, toutes plus intéressantes et pertinentes les unes que les autres, ont été posées. Je ne sais pas si je parviendrai à y répondre, mais je vais essayer d'y apporter un maximum de réponses.

En premier lieu, il a été demandé si les différentes organisations syndicales convergeaient en matière de propositions relatives au télétravail. Je tiens à préciser que, dans le cadre de la négociation de l'ANI, nous avons beaucoup échangé et partagé nos différentes propositions. C'est pourquoi la CFTC approuve toutes les propositions qui ont été faites.

Par ailleurs, je souligne qu'il ne faut pas confondre le télétravail de crise et le télétravail choisi, dans la mesure où ces deux situations sont totalement différentes. En effet, le télétravail de crise est subi. Dans ce contexte, chacun fait un effort pour la collectivité et la société, afin de tenter d'endiguer au plus vite la pandémie en respectant au maximum les consignes gouvernementales. En particulier, dans le cadre du télétravail de crise, nous prenons acte des consignes gouvernementales imposant un « télétravail à 100 % », mais nous soulignons qu'en aucun cas une telle organisation ne pourrait se pérenniser.

En revanche, le télétravail choisi s'applique dans un contexte différent et induira forcément des négociations dans les entreprises, afin de cadrer ce mode d'organisation, mais aussi et surtout afin que les partenaires sociaux puissent s'assurer du respect des dispositions de l'ANI.

Vous l'avez compris, la CFTC n'est pas favorable à un « télétravail à 100 % ». Cette position repose notamment sur des études de l'ANACT, mais aussi sur les auditions menées dans le cadre de différents diagnostics réalisés avant le début de la négociation de l'ANI, démontrant que le bon compromis consistait à télétravailler trois jours par semaine. Un tel schéma permet notamment d'éviter qu'une entreprise se vide de sa substance de ressources humaines. En effet, le télétravail pourrait conduire à transférer des postes en dehors du bassin d'emploi, voire à des milliers de kilomètres. Conserver un lien entre l'entreprise et ses salariés permet donc d'éviter que des entreprises perdent leurs compétences.

Il convient ensuite de rappeler que le droit à la déconnexion s'impose à tous, y compris aux télétravailleurs. Or, dans un environnement de travail très différent, il est désormais bien plus difficile de contrer certaines dérives. Là encore, négocier un accord permettra d'encadrer de manière précise les horaires de travail, y compris en prévoyant des horaires de travail décalés par rapport à une journée de travail classique en entreprise. Une telle démarche contribuera à limiter le risque d'un « télétravail gris » négocié de gré à gré entre un salarié et son employeur.

Par ailleurs, nous avions demandé que la négociation des accords relatifs au télétravail permette de prendre en compte la thématique de la garde des enfants, dans la mesure où télétravailler tout en assumant la garde d'enfants en bas âge dans son logement est difficilement conciliable. Or, nous savons parfaitement que, pour certains ménages, notamment des adultes vivant seuls, garder des enfants tout en travaillant est un moyen de faire des économies au niveau des frais de garde, ce qui renvoie à la thématique plus générale des salaires. Il s'agit d'un autre débat que je ne peux pas développer davantage ce jour.

Je rappelle ensuite que l'ANI comprend des dispositions relatives aux alternants. Nous avions proposé que toute entreprise recevant des alternants et des stagiaires se dote d'un référent capable de suivre leur intégration dans le cadre du travail dans les locaux de l'entreprise et en télétravail. Il est cependant plus facile d'appliquer cette préconisation dans le cadre d'entreprises d'une certaine taille que dans des TPE. Quoi qu'il en soit, il est évident que le télétravail pose problème pour les alternants et les stagiaires.

Nous sommes par ailleurs favorables à l'évolution des missions des inspecteurs du travail, notamment afin que ces derniers puissent vérifier les conditions de travail au domicile des télétravailleurs. Nous sommes néanmoins conscients qu'il ne serait pas évident de réaliser de tels contrôles. Surtout, nous savons très bien que les effectifs des inspections du travail sont insuffisants pour envisager des évolutions trop importantes de leurs missions, à moins de se cantonner à quelques contrôles très ponctuels.

La négociation avait également été l'occasion d'évoquer le cas des salariés exclus du télétravail, que l'on peut appeler travailleurs de deuxième ligne. Nous avions proposé que ces travailleurs obligés de venir travailler dans les locaux de leur entreprise en période de pandémie puissent bénéficier de compensations, à l'image de celles dont peuvent bénéficier les télétravailleurs. Cependant, une telle demande ne s'inscrit pas dans le cadre d'un accord consacré au télétravail et l'attribution d'une telle compensation dépend du bon vouloir des employeurs.

Les débats ont également permis d'évoquer l'éventualité de légiférer sur la question du télétravail. Pour ma part, je considère que la priorité consiste à étendre, voire à élargir, l'ANI.

Enfin, il est exact que l'activité des organisations syndicales est perturbée par le télétravail. En effet, il n'est pas évident de contacter les salariés dans ces conditions. Surtout, la situation diffère selon l'équipement informatique de chaque entreprise et il n'est pas toujours possible pour les organisations syndicales d'organiser des visioconférences avec les salariés. Il est indéniable que les organisations syndicales vont devoir s'adapter à ce nouveau contexte.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous remercions nos invités pour leurs interventions et leurs réponses aux questions des membres de la commission.

La réunion s'achève à douze heures vingt.