Intervention de Jean-Luc Molins

Réunion du mercredi 10 mars 2021 à 10h00
Commission des affaires sociales

Jean-Luc Molins, membre du collectif confédéral télétravail CGT :

Nous allons tenter de répondre aux multiples questions posées.

En premier lieu, il est évident que la loi relative au droit à la déconnexion est insuffisante. En effet, dans la mesure où les entreprises peuvent se doter unilatéralement d'une charte, elles n'ont aucune obligation de négocier un accord garantissant un réel droit à la déconnexion. Nous avons formulé des propositions écrites afin de réécrire le code du travail sur cette thématique, mettant en particulier l'accent sur le forfait jours.

Il convient en effet de rappeler qu'en Europe, seule la France prévoit un dispositif permettant de ne pas comptabiliser les heures de travail. Notre pays a d'ailleurs été condamné à plusieurs reprises sur ce sujet, car le forfait jour contrevient à certains articles de la charte sociale européenne. L'un de nos recours relatif à ce sujet est en cours d'examen. Cependant, la conclusion de l'accord européen sur le numérique en juin 2020 va constituer un point d'appui pour nous permettre de faire évoluer la situation. En effet, cet accord, qui devra être retranscrit dans les États européens dans un délai de trois ans, est un texte normatif. Il fait d'ailleurs partie des sujets inscrits à l'agenda social et économique autonome de négociations en cours entre organisations syndicales et organisations patronales.

De nombreuses questions ont par ailleurs été posées concernant les lieux d'exercice professionnel. Il convient de préciser que, souvent, la question du télétravail est traitée dans le cadre de projets d'organisation en flex office, qui renvoient en réalité à des stratégies immobilières plus larges. Ainsi, Orange, l'entreprise au sein de laquelle je travaille, porte le projet Bridge, qui prévoit le transfert du siège et le développement du flex office. En réalité, ces stratégies immobilières visent essentiellement à réaliser gains financiers non négligeables.

Concernant la pratique du télétravail, il a été indiqué que la solution du « télétravail à 100 % » est à exclure pour diverses raisons évidentes, notamment la perte du lien social. Il convient également de rappeler que, y compris dans le cadre du télétravail, l'activité s'exerce dans le cadre d'un collectif de travail. Selon le baromètre Malakoff Humanis, les salariés qui pratiquaient le télétravail avant le début de la crise sanitaire travaillaient en moyenne uniquement sept jours par mois à leur domicile. Ce chiffre moyen est désormais de 3,6 jours par semaine. Or, selon différentes études, la moyenne idéale, pratiquée avant la crise sanitaire dans de nombreuses grandes entreprises, dont Orange, correspond à deux jours de télétravail par semaine.

Concernant les sujets importants de l'égalité entre les hommes et les femmes et de la réalisation des tâches ménagères, nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer la législation portugaise. Par ailleurs, le congé parental vise à équilibrer les charges entre hommes et femmes. Enfin, il convient d'évoquer l'organisation du télétravail en tiers‑lieu, alors qu'il est actuellement organisé à 90 % au domicile du salarié. Or, exercer le télétravail en dehors du domicile favorise le partage des tâches ménagères au sein d'un couple. À ce sujet, il convient de noter que la situation n'a pas évolué depuis l'étude réalisée par l'ANACT en 2017.

Nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer l'utilité de l'ANI dans notre intervention. Cependant, si tous les salariés et les entreprises ne sont pas logées à la même enseigne en matière de télétravail, il n'en demeure pas moins nécessaire d'instaurer des garde-fous et des règles de base afin de permettre aux négociations menées dans les entreprises de construire un cadre plus protecteur prenant en compte les spécificités de l'activité. En effet, nul n'imagine un code de la route différent selon les agglomérations. De la même manière, permettre une trop grande disparité en matière de déploiement du télétravail ne serait pas une bonne chose. Un tel schéma ferait notamment peser le risque que certains recherchent à gagner en compétitivité au moyen du dumping social.

Concernant les lieux d'exercice du télétravail, il convient de rappeler la responsabilité politique en matière d'aménagement du territoire. En particulier, en tant que cadre d'une entreprise du secteur des télécommunications, je veux souligner que le très haut débit permet d'apporter de l'activité économique dans certaines régions qui en sont dépourvues. Des décisions, visant notamment à maintenir des services publics de proximité, sont nécessaires pour revitaliser certaines régions et permettre aux habitants de demeurer dans leur lieu de vie et lutter contre la désertification.

Par ailleurs, la CGT travaille depuis longtemps sur la thématique de l'organisation du travail dans le futur. Ainsi, nous avons créé un site internet intitulé « Le numérique autrement », qui recense différentes propositions. Nous avons par ailleurs publié un guide relatif à la thématique de l'influence de l'intelligence artificielle sur le travail de demain, abordant notamment des questions sociétales, et pas uniquement l'organisation du travail.

Je souhaite enfin confirmer la baisse de l'adhésion des salariés, et notamment des managers, au principe du télétravail. Ainsi, le baromètre Malakoff Humanis publié le 9 février démontre que le taux d'adhésion des managers est passé de 55 % à 50 % en un an. Cette dégradation s'explique sans doute par les modes actuels d'organisation du télétravail, qui font peser une très forte pression sur les épaules des encadrants.

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