Intervention de Marc Canaple

Réunion du mardi 23 mars 2021 à 17h15
Commission des affaires sociales

Marc Canaple, responsable du pôle représentation nationale des entreprises de la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Paris-Ile de France :

Ce qui a déjà été dit fait ressortir le fait que les entreprises se sont lancées dans le télétravail un peu à corps perdu, bon gré mal gré. La pratique dure, puisque 20 à 25 % des salariés télétravaillent actuellement après un an de crise sanitaire.

Le télétravail est devenu partie intégrante de la politique de prévention du risque viral dans les entreprises, mais il ne saurait se résumer à cela. Il présente de nombreux avantages, pour le salarié auquel il permet de mieux articuler vie professionnelle et vie privée, de mieux se concentrer, d'accroître ses performances ce qui explique d'ailleurs le souhait de nombreux salariés de poursuivre le télétravail.

Dans l'enquête de Malakoff Humanis, 67 % des dirigeants indiquent être favorables à la mise en place durable du télétravail dans l'entreprise après la crise, ce qui rejoint le fait que de nombreux accords soient signés.

Pour autant, les employeurs ne veulent pas omettre les difficultés qui peuvent se présenter : surmenage, absence de déconnexion, fracture du collectif de travail notamment. C'est pourquoi nous avons axé nos recherches et notre propos sur les moyens de sécuriser le télétravail dans les entreprises. En effet, répondre aux défis du télétravail suppose un cadre juridique stable et sécurisé.

Aujourd'hui, dans un très grand nombre d'entreprises, le télétravail s'exécute dans le cadre des circonstances exceptionnelles visées à l'article L. 1222-11 du code du travail, qui n'exige aucun formalisme. Or la situation est trompeuse et elle n'est pas si simple qu'il y paraît, comme en témoigne le récent jugement du tribunal judiciaire de Nanterre qui, le 10 mars 2021, est venu statuer sur le principe d'égalité entre télétravailleurs et travailleurs sur site, disant que l'attribution de titres-restaurant n'est pas nécessairement obligatoire pour les télétravailleurs dès lors que ces titres-restaurant sont réservés à des travailleurs sur site dépourvus de solution de restauration. Cet exemple montre bien le flou juridique dans lequel se trouvent un grand nombre d'entreprises, particulièrement des PME qui méritent d'être accompagnées, ce que nous faisons au sein du réseau des CCI.

Notre action a donc consisté à dresser une liste des points de contrôle que devrait vérifier l'entreprise pour pratiquer le télétravail en cas de pandémie et au-delà. Nous avons émis six recommandations.

La première vise à formaliser dans tous les cas l'accord du salarié pour télétravailler, au besoin par un avenant à son contrat de travail et ce même si les circonstances ne l'exigent pas a priori. Pouvons-nous encore parler de circonstances exceptionnelles au bout d'un an ?

La seconde consiste à appliquer à tous les télétravailleurs, y compris les télétravailleurs occasionnels, les règles qui avaient été définies dans l'entreprise dans un cadre collectif lorsque celles-ci existent, qu'il s'agisse d'un accord collectif ou d'une charte unilatérale, et donc faire prévaloir le principe d'égalité de traitement.

La troisième est de définir les règles et les modalités d'application du télétravail par avenant au contrat de travail en l'absence de charte ou d'accord. La quatrième vise à indemniser le salarié des coûts directement engendrés par le télétravail, même en cas de circonstances exceptionnelles.

La cinquième recommandation vise à privilégier l'organisation du télétravail par voie collective et, encore mieux le cas échéant, par la voie du dialogue social, a minima dans le cadre d'une charte. La sixième consiste à s'assurer que le salarié jouisse bien de son droit à la déconnexion, droit qui relève de l'obligation de sécurité de l'employeur.

Ces recommandations étaient essentielles pour nos entreprises, mais elles ne sauraient pourtant pas lever deux obstacles plus structurels auxquels elles sont confrontées. Le premier est d'assurer la sécurité du salarié qui travaille à son domicile et d'encadrer la responsabilité de l'employeur en cas d'accident.

Comme vous le savez, l'employeur est tenu à une obligation de moyens renforcée en matière de sécurité, qui justifie les règles, particulières en France, de prise en charge de l'accident du travail. L'accident qui survient aux temps et lieu du travail est présumé être un accident de travail, sauf si l'employeur apporte la preuve que le salarié n'exécutait pas le travail lorsque l'accident est arrivé.

Ces dispositions ont été élaborées sur la base d'un modèle industriel dans lequel l'employeur contrôle de manière fine le temps, le lieu et les modalités d'exécution du travail. Ces règles ne sont pas en adéquation avec l'essence même du télétravail, qui se caractérise par l'absence de contrôle de l'exécution du contrat de travail au quotidien, a fortiori lorsque celui-ci s'exécute au domicile du salarié. C'est pourquoi nous préconisons de faire évoluer le cadre réglementaire.

Nous proposons un renversement de la présomption d'imputabilité de l'accident du travail. Lorsque l'accident survient au domicile du télétravailleur, il ne devrait être considéré comme un accident du travail que si le salarié démontre son lien avec l'exécution du contrat de travail. Je sais que ce point fait partie des discussions entre les partenaires sociaux et qu'ils ne sont pas parvenus à un accord.

Le second obstacle est le contrôle du temps de travail des télétravailleurs. Aujourd'hui, le régime probatoire du temps de travail conduit l'employeur à justifier des horaires réalisés par le salarié et, à défaut, le juge retient le décompte fourni par le salarié. Là encore, ce régime probatoire plutôt défavorable à l'employeur n'est pas en adéquation avec le télétravail, qui appelle un management des travailleurs à distance par projet ou objectif, un management fondé sur la confiance réciproque entre salariés et employeurs, et non sur la surveillance. Nous proposons donc la suppression de l'obligation de décompte du temps télétravaillé lorsque ce télétravail s'exécute dans un lieu qui n'est pas mis à disposition par l'employeur, c'est-à-dire le domicile ou tout autre lieu à l'exception des tiers-lieux mis à disposition par l'employeur. Nous préconisons que la durée de l'activité en télétravail soit calculée forfaitairement par rapport au temps de travail mensuel théorique. Autrement dit, un nombre d'heures forfaitaire serait affecté à chaque jour de télétravail, indépendamment du temps de travail réellement effectué, sur le format du forfait que nous connaissons pour d'autres salariés. L'employeur serait néanmoins bien évidemment tenu, au regard de son obligation de sécurité, de vérifier que la charge de travail est raisonnable, adéquate et comparable à celle des travailleurs sur site.

Je rejoins la conclusion selon laquelle il faut veiller au respect des droits des salariés mais qu'il faut aussi accompagner un mouvement social beaucoup plus profond. Il est évident que le télétravail continuera après la pandémie et qu'il continuera dans des dimensions méconnues jusqu'à présent. Les entreprises ont besoin pour accompagner ce mouvement d'un cadre réglementaire plus sécurisé.

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