J'ai eu d'illustres prédécesseurs. Le premier d'entre eux, le professeur Jean Bernard, disait souvent que la réflexion éthique devait commencer par s'appuyer sur les connaissances scientifiques. Une fois qu'elles sont sur la table, on entre dans le questionnement éthique. La réflexion éthique, c'est savoir questionner, savoir entendre, savoir entrer dans une pièce en ayant peut-être une idée à titre personnel et savoir construire une pensée commune avec d'autres, qui appartiennent à des disciplines différentes, c'est savoir faire un exercice d'intelligence collective.
J'ai indiqué, au démarrage des états généraux de la bioéthique, que la réflexion éthique ne consistait pas à définir d'en haut ce qu'est le bien et le mal. Cette phrase est restée : on a dit, pendant de très nombreux mois, que le président du Comité d'éthique ne savait pas ce qu'est le bien et le mal. Ce n'est évidemment pas la question. Je suis plus âgé que la plupart d'entre vous et j'ai la vision d'un médecin qui s'est occupé pendant vingt-cinq ans de patients atteints du VIH : j'ai donc un certain recul.
L'éthique ne consiste pas à définir ce qu'est le bien et le mal ni à être une sorte de morale. C'est pourquoi le CCNE est une entité précieuse : très multidisciplinaire, il construit une réflexion en s'appuyant sur des philosophes, des juristes, des scientifiques purs et durs et des représentants de l'Assemblée nationale et du Sénat sur des questions qui concernent des avancées médicales extrêmement fortes, comme la génétique, ou qui ont des conséquences sociétales, par exemple les nouvelles techniques de procréation et l'ouverture aux femmes seules et aux couples de femmes de l'aide médicale à la procréation.
Je ne suis pas revenu sur la question des évolutions les concernant, car je souhaitais plutôt parler des deux prochaines années. C'est la loi de bioéthique qui tranchera, et je ne souhaite pas entrer dans le débat. Ce type de loi est une construction très particulière. Il n'existe rien de tel dans d'autres pays, notamment européens, qui gèrent la question différemment. Je pense, après réflexion, que les lois de bioéthique sont une très bonne chose : tous les quatre, cinq ou six ans, selon ce que vous déciderez finalement, vient un temps où on réunit les citoyens, les politiques et les experts – c'est le triangle de la démocratie sanitaire.
Le CCNE a-t-il été peu visible ? J'entends plutôt l'inverse : on me dit que nous sommes très visibles depuis trois ou quatre ans. Mais le CCNE a-t-il vocation à être visible ? Il a plutôt pour mission de mener une réflexion au calme, indépendamment des médias, dont nous devons nous préserver.
Vous avez évoqué une absence de prises de position du CCNE sur certains sujets. Or nous avons adopté des positions concernant le tri des patients, les EHPAD – dès le mois d'avril 2020 –, les enjeux de la vaccination et la sortie du confinement. Ce n'est pas moi qui ai présenté ces prises de position, à juste titre, me semble-t-il. En revanche, la vice-présidente du CCNE s'est beaucoup engagée, comme bien d'autres membres. Je pourrais également citer sept ou huit prises de position, avis ou opinions officielles au sujet du numérique et de la crise. Le CCNE a été au rendez-vous et il continuera à l'être.
Sachez également qu'il y a eu beaucoup de discussions en interne. Nous nous sommes demandé si le comité d'éthique devait répondre en urgence à la crise ou, au contraire, se situer un peu en retrait. Je crois que la fonction d'une institution telle que la nôtre est plutôt de se placer dans une perspective de moyen et long terme. Il était logique d'adopter un certain nombre de positions face à cette crise si particulière, mais le CCNE doit poursuivre sa réflexion dans ce cadre.