C'est une très bonne question. J'ai changé d'avis : je pensais plutôt comme vous avant de vivre les états généraux de la bioéthique, qui étaient une première et qui ont suscité une véritable motivation. Même si tout n'a peut-être pas été suffisamment médiatisé, nous avons mené plus de 300 auditions et plus de 350 débats ont été organisés en province.
Je me suis dit, le 7 ou le 8 janvier 2018, au moment d'entrer dans la grande salle municipale de Brest, où l'on devait aborder les enjeux de la génomique et de CRISPR/Cas9 – l'espace de réflexion éthique régional de Bretagne avait choisi de traiter ce sujet –, qu'on allait se planter. Or la salle était pleine – il y avait des gens d'un certain âge, mais aussi des jeunes – et la réunion a été extraordinaire.
Il me paraît très important de se retrouver tous les cinq ou sept ans – je suis d'ailleurs plutôt favorable à un intervalle de cinq ans –, lors d'un rendez-vous avec les citoyens, la représentation démocratique et avec les experts, tout en ayant une discussion en continu au sein du CCNE entre deux lois de bioéthique. Il faut continuer à le faire. Bien des pays nous envient cette manière de procéder, que je suis beaucoup allé présenter à l'étranger, de la même façon que notre Comité national d'éthique a été « copié ». Le Japon, par exemple, est sur le point de se lancer dans une loi de bioéthique au lieu de continuer à travailler ponctuellement sur certains aspects.
Le risque de s'y prendre au fil de l'eau est précisément de traiter de sujets très ponctuels, comme l'utilisation des nouveaux outils de la génomique, qui évoluent très vite – il y a encore eu la semaine dernière, dans Nature, une publication extraordinaire sur le plan scientifique. Par ailleurs, les enjeux ne se limitent pas aux avancées scientifiques : il y a aussi la question de leur retentissement dans la société civile. S'agissant de la génomique, un des enjeux majeurs est la relation avec le numérique. Avancer au fil de l'eau présente des avantages, mais on risque de traiter les sujets un par un sans développer une vision globale, comme le processus actuel permet de le faire – il y a un moment précis et une durée de plusieurs mois pour mener la réflexion.