Ce ne sont pas les seules. La remarque vaut pour les deux camps.
Pourquoi les entreprises ne souhaitent-elles pas que vous interveniez, mesdames et messieurs les députés ? Parce que les entreprises craignent que, sous des pressions diverses, vous leur serriez la ceinture, leur remontiez les bretelles ou les entraviez d'une manière ou d'une autre. Je les comprends parfaitement. Une telle intervention risquerait de tuer le télétravail.
Il existe des inspecteurs Javert, des obsédés textuels attachés au statu quo. Le télétravail ne fonctionne pas ainsi. Il repose sur la confiance. Vous aurez noté la prudence exceptionnelle de l'ANI au sujet du contrôle, prévoyant que, le cas échéant, il serait éventuellement possible d'y recourir, à condition que... etc. Les syndicats partagent les craintes des entreprises. J'ai participé à l'émission « C dans l'air » avec des représentants syndicaux. Nos échanges ont été tendus, car je m'efforce de me placer dans une perspective pratique. En un mot, je ne veux pas que le droit mêle l'inutile au désagréable.
Le télétravail donne des marges de manœuvre, ce que plébiscitent les salariés, par rapport au lien de subordination. J'aimerais des réponses, mais pour l'instant, il n'en existe pas. « Cachez ce télétravail que je ne saurais voir » songe en somme chacun. Imaginons le père d'une enfant de trois ans, en télétravail. Il laisse tourner son ordinateur et décroche son téléphone pour laisser croire qu'il travaille quand vient l'heure de chercher sa fille à l'école. Les parents me comprendront si j'ajoute que ce père, qui prévoyait de revenir dix minutes plus tard, se trouve encore, au bout d'une heure et demie, au jardin des Plantes devant la cage des lions. Ravi de passer du temps avec sa fille, il se remettra finalement au travail à vingt‑et‑une heures, sans y être contraint, pour terminer ce qu'il avait à faire. Imaginons que ce père se déconnecte du serveur de son employeur à vingt-deux heures trente. S'il est licencié, trois ans plus tard, il pourra arguer qu'il a parfois travaillé très tard et que son employeur le traitait comme les Thénardier traitaient Cosette.
Je veux dire par là que le calcul à la minute près du temps de travail n'a pas de sens dans le cadre du télétravail. Les syndicats m'ont rétorqué : si on touche aujourd'hui à la chapelle Sixtine du droit du travail, que deviendra le temps de repos ? Ils craignent que tout l'édifice ne s'en effondre. Je les comprends, car peuvent-ils aujourd'hui tenir un autre discours ? Ils oublient pourtant les habitudes de vie des jeunes.
À votre dernière question « faut-il légiférer à propos du télétravail ? », je vous répondrai « bon courage ! », car une loi sur le sujet percuterait forcément l'ensemble du droit du travail, et ce dans l'intérêt de combien de travailleurs à distance ? La France ne compte que 4 millions de salariés à recourir régulièrement au télétravail sur un total de 19 millions.
Il va de soi que le télétravail perturbe le collectif. Un syndicaliste désireux de lancer un appel à la grève en distribuant des tracts peinera à mener à bien son action contestataire depuis sa cuisine. Voilà pourquoi les partenaires sociaux, en dépit de leurs positions opposées, sont d'accord pour ne toucher à rien.
Je vous ai fait parvenir un article que j'ai consacré à la question des coûts. Le salarié économise-t-il de l'argent en télétravail ? La réponse pourra vous surprendre mais elle est positive. Les frais de transport, de restauration, d'habillement et de cosmétique diminuent, en télétravail, de 50 à 100 euros par mois.
En revanche, du côté des dépenses, un véritable problème se manifeste. Un défaut d'encadrement ou de sécurisation des coûts liés au télétravail risquerait de signer son arrêt de mort.
Je commencerai par m'intéresser à la position de l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF), sur laquelle je vous incite, vous les députés, à exercer une pression. Le régime actuel du télétravail donne lieu à un grand débat. Pour simplifier, il existait jusqu'ici une tolérance de 10 euros par mois, pour un jour travaillé par semaine. Une nouvelle règle récemment publiée sur le site de l'URSSAF annonce cependant que celle-ci se conformera aux éventuels accords de groupe ou de branche dans le cas où ils prévoiraient une tolérance de 20 ou 25 euros. Pourquoi ne pas se référer plutôt aux accords d'entreprise ? En somme, si un travailleur à domicile contraint son employeur à une justification trop complexe des frais, ce dernier risque de ne plus recourir du tout au télétravail, par crainte des complications et du coût qu'il implique.
Pour en terminer avec la question des coûts, je vous renvoie aux articles que j'ai publiés, expliquant que les instruments de travail sont fournis par l'employeur. Ce n'est donc pas l'ordinateur qui pose problème, mais la connexion Internet. Je vous incite à la méfiance, si vous vous aventurez sur le terrain des coûts liés au télétravail. Aux États-Unis, un salarié a réclamé, en vertu d'un accord, un dédommagement des frais liés au nettoyage de son écran rendu nécessaire par l'explosion d'une lampe.
La question de la prise en charge des frais de connexion s'apparente à une bouteille à l'encre. Peut-on exiger de l'employeur qu'il assume la totalité des frais de connexion ? Selon moi, non. Il ne doit payer que les frais marginaux dus au télétravail, et certainement pas la connexion à Netflix. Je vous laisse imaginer l'ambiance familiale quand le moment viendra de déterminer qui se connecte en pleine nuit à des sites quelque peu curieux. En somme, établir le détail des coûts relève d'une entreprise dantesque.
Le coût fondamental reste celui des mètres carrés. La jurisprudence, à juste titre, estime qu'un employeur n'a pas à prendre en charge le coût du mètre carré, du chauffage, ou de la climatisation, sauf dans le cas des travailleurs itinérants ne disposant d'aucun bureau. Ceci nous permet de réfléchir sur le télétravail dans le cadre de la crise sanitaire. Actuellement, des ordres contraignent nos concitoyens à rester chez eux. Pourra-t-on leur appliquer la jurisprudence existante ? Après tout, même s'ils ne sont pas itinérants, ils ont dû, pendant un an, aménager un espace chez eux pour y travailler à distance.