Intervention de Benoît Serre

Réunion du mercredi 24 mars 2021 à 11h00
Commission des affaires sociales

Benoît Serre, vice‑président de l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) :

Je reviendrai sur la question cruciale de l'équité de traitement, qui rejoint d'ailleurs le dernier point évoqué par Jean-Emmanuel Ray. Il serait illusoire de croire qu'à l'avenir, le télétravail restera volontaire. Aujourd'hui, déjà, près de 9 % des offres d'emploi prévoient du télétravail. On peut imaginer que, bientôt, un employeur demandera à un candidat s'il est d'accord pour travailler à distance et qu'un refus de sa part bloquera son recrutement, au mépris du droit de retour prévu par l'ANI.

Un salarié en télétravail trois jours par semaine décidera plus facilement d'habiter loin de Paris. Quel intérêt aurait-il à assumer le coût d'un appartement en plein cœur de la capitale où il ne passerait que deux nuits par semaine ? Le comportement des salariés évoluera en fonction de leur situation d'emploi, ce qui aboutira, en fin de compte, à une répartition inégale entre ceux qui sont contraints dans le choix de leur lieu de résidence, et les autres. On ne résoudra pas ce problème d'inégalité en rendant tous les métiers éligibles au télétravail car c'est tout bonnement impossible. La solution serait plutôt d'accorder des avantages compensatoires aux salariés dans l'incapacité de travailler à distance, bien que la législation ne le permette pas. L'équité de traitement revêt une importance majeure du point de vue de l'unité du corps social. Un risque se fait jour que disparaisse l'attractivité des métiers où le télétravail n'est pas envisageable. Où, dès lors, trouver des candidats aux offres d'emploi correspondantes ?

Les organisations patronales craignent qu'une nouvelle législation du télétravail s'impose, qui ne remette pas en cause la législation classique du travail. Une partie des lois – sur le temps de travail, la déconnexion ou encore la responsabilité – s'appliquerait alors à une partie du personnel, et d'autres, au reste des employés.

Je suis d'accord avec Régis Bac : jamais le dialogue social autour de ces questions n'a été aussi intense que pendant la crise sanitaire. Il a abouti à des solutions, malheureusement temporaires. Yves Calvi me demandait récemment si j'estimais nécessaire un code du télétravail. Je lui ai répondu qu'il fallait réformer le code du travail. La crise sanitaire a marqué un changement de paradigme considérable des organisations syndicales dans leur action et leur influence en entreprise.

La fermeture des serveurs ne vaut qu'en France pour les entreprises travaillant en France. Dans les sociétés internationales se pose un problème de décalage horaire. On observe en outre un autre décalage, entre générations, par rapport au droit à la déconnexion. Le principal outil de communication interne en entreprise n'est autre que WhatsApp.

Il m'est arrivé de vouloir légiférer sur le droit à la déconnexion en tant que DRH de la Macif. Une jeune collaboratrice m'en a dissuadé, au motif qu'il en résulterait une dégradation de ses conditions de travail. Elle traitait en effet ses courriels pendant l'heure de trajet qui la ramenait chez elle à l'issue de sa journée de bureau. Le droit à la déconnexion, tel qu'il a été pensé à l'origine, s'avère en complet décalage avec les habitudes de travail des employés, et pas nécessairement les plus jeunes.

En réalité, il suffit, pour se déconnecter, de basculer son appareil en mode avion. Le problème se pose uniquement au niveau du management. Il faut empêcher les managers de reprocher à un collaborateur de ne pas répondre à un courriel à 23 heures, et les sanctionner s'ils s'y risquent. La crise que nous traversons a bien montré qu'organiser la déconnexion en l'imposant aux salariés aurait débouché sur un drame absolu. Les entreprises, déjà mises en difficulté par la situation, auraient tout bonnement cessé de fonctionner.

La généralisation du télétravail, inévitable du fait de la transformation du travail en France selon une logique de services, contraindra à repenser le système. Je rejoins Régis Bac : les accords collectifs impulsés par les ordonnances de 2017 apparaissent comme une solution. On ne trouve pas deux entreprises qui fonctionnent de la même façon. C'est en laissant à chacune la possibilité de définir ce qui lui convient le mieux en concertation avec les partenaires sociaux dans un cadre juridique général que l'on intégrera ces partenaires sociaux au système. En rester aux accords de branche ou aux accords nationaux interprofessionnels risque de bloquer le système en raison de la trop grande divergence d'intérêts des uns et des autres. À côté de cela, des solutions ont été trouvées, au sein des entreprises, depuis un an, avec les organisations syndicales, sur le terrain, sans que, ni la santé des collaborateurs, ni l'activité en pâtissent.

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