Je voudrais commencer par un mot de remerciement pour mon équipe parlementaire, pour les bénévoles qui m'entourent et pour l'administrateur de l'Assemblée. Le rapport est dense, complet, et nous avons mené des dizaines d'auditions de jeunes, d'économistes, de sociologues, de syndicats, d'associations et de membres du Gouvernement. Merci à tous pour ce travail invisible. Il faut le savoir, quand nous prenons la parole, quand nous sommes dans la lumière, des gens, dans l'ombre, ont effectué en amont un gros boulot !
Les images ont frappé : des files de jeunes gens, des queues infinies, des centaines de mètres pour aller quérir un colis alimentaire, le soir, dans la rue ou dans un gymnase, à l'occasion d'une distribution caritative. Ces images nous ont tous stupéfaits ; elles ont choqué la presse étrangère, qui a titré « Faim en France ». Qui ne retrouve pas, comme en écho visuel, le souvenir de ces clichés en noir et blanc des soupes populaires aux États-Unis aperçus dans les manuels d'histoire, au chapitre de la grande dépression ? Or il ne s'agit pas des années trente, ni des États-Unis ; il s'agit de la France d'aujourd'hui, et c'est l'avenir de notre nation, sa jeunesse, qui est réduit à la mendicité.
La crise du covid a agi comme un révélateur de la double peine qu'endure la jeunesse, la première étant le confinement. Depuis un an, on la prive de sa vie sociale en fermant les bars, les restaurants ; on la renvoie en distanciel pour ses cours. Pourquoi ? Essentiellement pour protéger les plus anciens. C'est un choix que les jeunes ont accepté. Ils se sont résignés à sacrifier une année de leur jeunesse par solidarité avec le reste du pays. Mais le prix est élevé. D'après l'université de Picardie, 20 % des jeunes ont scénarisé leur suicide. Santé publique France le confirme : un tiers des jeunes se trouve en dépression, la moitié est inquiète pour sa santé mentale, mais aussi sa vie affective.
La double peine, c'est que les jeunes endurent aussi la crise économique, et en payent le prix social : 74 % ont rencontré des difficultés financières ; 40 % ont connu une baisse de leurs revenus ; 50 % auraient peiné à se nourrir. Les statistiques sont incertaines, car la crise est en cours et il est encore difficile d'en tirer un bilan. Ce qui est certain, en revanche, derrière ces chiffres et ces images, ce sont des vies sinon brisées, du moins mal engagées.
Gabrielle, 20 ans, est sortie de l'aide sociale à l'enfance (ASE) sans rien et s'est débrouillée en travaillant, essentiellement au noir, dans les restaurants comme serveuse, malgré une hémiplégie et un bras paralysé. Avec la crise du covid, elle se retrouve sans revenu, vivant sur ses petites économies, avec l'angoisse de perdre son logement, son seul îlot de sécurité dans une vie bien mouvementée.
Maxime, lui, étudie à l'université d'Amiens, en master de psychologie. Ses stages ne lui laissent pas le temps de prendre un petit boulot pendant l'année ; il compte donc sur son job d'été pour compléter sa bourse de 100 euros, alors qu'il n'est pas aidé par ses parents. Il se prive constamment de nourriture, ne sait pas ce que sont les sorties, n'achète pas de manuels car il n'en a pas les moyens. Pour payer son gîte et son maigre couvert, il compte sur son job d'été comme animateur accompagnant des enfants en situation de handicap. Mais, l'été dernier, tout s'arrête et il n'a plus ce petit revenu complémentaire. Malentendant, il ne peut plus entretenir ses appareils auditifs, non pris en charge par la sécurité sociale du fait de son niveau de surdité, alors qu'il en a d'autant plus besoin que tout le monde porte un masque et qu'il ne peut lire sur les lèvres.
Mehdi est logé et nourri par ses parents. Les petites missions avec La Poste, qui lui avaient permis de mettre le pied à l'étrier, se sont arrêtées l'an dernier. Il passe ses journées avec ses copains en bas des immeubles. Le foot, la boxe, c'est fini pour lui – il n'a pas de quoi payer la licence. Il ne prendra pas de vacances ; il n'en a jamais pris. L'ennui s'installe, le découragement aussi.
Cassandre, qui était étudiante boursière issue d'une famille nombreuse, est diplômée en journalisme culturel. Lors de son dernier stage, on lui avait proposé une embauche, qui est tombée à l'eau pour cause de covid. Elle s'est inscrite sur StaffMe, qui propose des missions d'intérim sous forme d'auto-entreprenariat. Elle a été recrutée pour mettre en rayon des vêtements pour Jacadi. Mais même ce petit boulot a disparu. Elle ne touche plus rien. Heureusement, ses parents peuvent payer son loyer.
Ce ne sont que quelques exemples de destins mal engagés. Et depuis un an, le Gouvernement n'a pas fait le minimum pour eux, c'est-à-dire leur assurer un filet de sécurité : le revenu de solidarité active (RSA) à partir de 18 ans.
Ce n'est pas seulement le Gouvernement, ni les gouvernements depuis trente ans, qui n'ont pas fait ce qu'il faut pour la jeunesse, c'est la société qui choisit de la maltraiter, de l'écraser dans la durée. Il y a quatre fois plus de pauvres chez les jeunes que chez les plus de 65 ans. L'écrasement est également professionnel : galère des stages, des intérims, des contrats à durée déterminée qu'il faut accumuler, même pour les diplômés. À même niveau de qualification, voire à meilleur niveau qu'il y a trente ans, on a de moins bonnes places et de moins bonnes paies.
Un écrasement immobilier s'est également instauré dans la durée : les prix ont explosé et les entrants sur le marché de l'immobilier sont exclus du parc social. Dans les années 1980, il y avait deux fois plus de places dans le parc social pour les jeunes – 25 % contre 13 %. Étant donné que 2 % seulement des étudiants sont logés en résidence universitaire, les autres sont condamnés à se tourner vers le privé, beaucoup plus cher : pour un appartement d'une pièce, le taux d'effort d'un jeune était deux fois plus important que celui d'une personne âgée dans les années 1980 ; il est aujourd'hui le triple.
Pourquoi ce choix ? L'explication est à la fois démographique et politique : pour la première fois dans notre histoire, les plus de 65 ans sont plus nombreux que les jeunes de 18-30 ans, parmi lesquels l'abstention est bien plus forte. L'attention se porte sur la masse et le politique regarde là où on vote... Cela se traduit par le RSA à partir de 25 ans. On peine à comprendre pourquoi, dans ce pays, la majorité politique et pénale est fixée à 18 ans, alors que la majorité sociale demeure à 25 ans. C'est d'autant plus incompréhensible que le RSA est la principale mesure de lutte contre la pauvreté, et que celle-ci se trouve massivement chez les jeunes de 18 à 25 ans. Pourquoi ne pas arroser là où c'est le plus sec ? Je vois là une vision romantique et sadique de la jeunesse, un mélange du principe « il faut en suer » et de La Bohème d'Aznavour. Mais cette misère n'est pas aussi plaisante et les privations sont multiples – nourriture, soins, sport. Au lieu de s'épanouir, la vie de ces jeunes se rétrécit.
Ma proposition n'a rien d'extraordinaire, ce n'est pas un bouleversement. Ce n'est ni un revenu universel, ni un salaire étudiant ; c'est le minimum que réclament les associations et les syndicats, et que recommande France Stratégie. Ce minimum n'a rien d'un idéal : personne ne rêve de vivre avec 497 euros par mois, ni à 18 ans, ni à 25 ou 40 ans. Avec une telle somme, on ne vit pas, on survit. Mais après le confinement, après le distanciel, c'est le minimum que nous devons à la jeunesse.
Je suis de ceux qui pensent qu'on construit sa vie par le travail, par son métier, par un statut et des revenus. Mais quand il n'y a pas encore le travail, ni le statut, ni les revenus, il faut assurer un filet de sécurité. Le versement du RSA à partir de 18 ans permettra d'améliorer des existences comme celle d'Alix, qui a quitté l'école en première et a ensuite enchaîné les petits boulots, dans la restauration ou en intérim dans les usines. Il veut désormais obtenir l'équivalence du baccalauréat, le diplôme d'accès aux études universitaires (DAEU), pour ensuite se former en alternance en hygiène, sécurité, environnement. Mais la garantie jeunes qui lui est proposée ne dure que douze mois, quand le DAEU en réclame dix-huit. Il attend donc ses 25 ans pour reprendre son projet afin de disposer du RSA comme filet de sécurité et payer son foyer. Anaïs, que j'ai reçue dans ma permanence, m'a fait part de sa perplexité. Elle est en couple et ne comprend pas pourquoi, pour toucher le RSA, elle doit attendre d'avoir 25 ans ou un enfant, selon ce que lui a dit la caisse d'allocations familiales. Comme elle le dit, on ne fait pas un enfant juste pour avoir droit à une allocation minimale !
À l'écoute de tous ces témoignages, j'ai été frappé par le stress et l'inquiétude permanente de cette jeunesse, qui se demande si elle ne va pas tout perdre. Il s'agit de soulager son angoisse, mais aussi de lui adresser un message – quel symbole que cette discrimination à l'entrée dans la majorité ! Je propose donc de faire pour la jeunesse ce que la France a fait pour la vieillesse au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Avant 1945, dans les classes populaires, vieillir était synonyme de misère. On vieillissait aux crochets de ses enfants ou à l'hôpital. Par l'instauration du minimum vieillesse et des retraites, en une génération, on est venu à bout de la fatalité millénaire du vieillissement dans la pauvreté. Le taux de pauvreté des personnes âgées a été divisé par quatre en vingt-cinq ans. Grâce à ces mesures politiques, ce qui apparaissait comme une norme est battu en brèche et on passe d'une solidarité familiale, injuste, à une solidarité sociale nationale.
Nous devons construire le même mouvement de solidarité intergénérationnelle pour sortir de l'épreuve actuelle. La solidarité familiale perdure puisque les familles aident souvent leurs enfants, mais certaines peuvent aider beaucoup et d'autres ne peuvent aider qu'un peu. C'est injuste et il s'agit d'ajouter la solidarité sociale nationale à cette solidarité familiale, afin de sortir d'une maltraitance de la jeunesse installée dans la durée.