Intervention de François Ruffin

Réunion du mercredi 14 avril 2021 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin, rapporteur :

Il y a un élément qui manque dans les propos tenus par la majorité et par ceux qui rejettent cette proposition de loi : personne n'a expliqué pourquoi le RSA commence à 25 ans et non à 18 ans.

Je ne prétends pas être le précurseur de quoi que ce soit. Je ne dirai pas depuis quand je défends cette mesure, qui me paraît de bon sens et que le groupe Socialistes avait déjà proposée... Elle est très largement partagée, depuis longtemps, par pas mal d'acteurs. Ce n'est absolument pas original et cela devrait même aller de soi.

Nous ne proposons pas de bornage dans le temps puisqu'il s'agit d'un principe : à 18 ans, on a la majorité politique et pénale ; on doit aussi avoir la majorité sociale.

Si je n'ai pas souhaité poser la question du financement, c'est pour que le débat ne s'écarte pas du principe selon lequel on doit avoir, à 18 ans, les mêmes droits que tout le monde. J'aurais pu proposer, par exemple, de rétablir un véritable impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou de revenir en arrière s'agissant du crédit d'impôt pour la compétitivité et pour l'emploi. En une année, les milliardaires de notre pays ont vu leur fortune augmenter de 130 milliards d'euros, ce qui représente une augmentation de 55 %. Des idées pour assurer une redistribution en faveur de la jeunesse pauvre, il y en aurait beaucoup à développer !

La majorité avance que cette proposition de loi serait injuste parce que les étudiants riches ou les enfants de personnes aisées auraient le droit d'en bénéficier. Il faudrait donc ne pas aider les pauvres par crainte d'aider les riches ? En réponse à cette critique, de gauche, nous avons réalisé une projection : les 10 % les plus riches, le dernier décile, y perdraient, puisqu'ils n'auraient plus de demi-part fiscale supplémentaire et les aides alimentaires seraient déduites. Les autres, grosso modo, seraient gagnants. Du reste, dans notre société, les grands progrès se produisent quand on adopte quelque chose d'universel. La sécurité sociale ne dépend pas du fait qu'on est riche ou pauvre, alors qu'on a les moyens de payer si on est riche. Il en est de même pour la retraite. Une protection pour les pauvres devient vite une pauvre protection – il faut l'éviter.

Ce que nous proposons n'éliminera pas la pauvreté, j'en suis bien d'accord, mais elle la tempérera. C'est démontré par des rapports. Chez les jeunes, la vraie frontière, la ligne de partage, le clivage se trouve entre ceux qui sont aidés par leur famille et ceux qui ne le sont pas : cela ressort de tous nos entretiens. Il y a une immense injustice sur laquelle je tiens à vous alerter. Je sais bien que vous n'adopterez pas cette proposition de loi, je ne me fais pas d'illusions, mais il faut prendre conscience du fait que ce que certains chercheurs appellent la familialisation produit, à ce moment-là de la vie, une injustice éclatante.

Je vous épargnerai les témoignages, qui sont très clairs, mais je veux vous montrer un graphique qui nous a été fourni par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES). C'est dans le premier décile que le taux d'effort des familles, c'est-à-dire la part des revenus consacrés aux jeunes adultes dont l'âge est compris entre 18 et 24 ans, est le plus élevé : il est de 13 %. Bien qu'ils aient peu de revenus, les plus pauvres acceptent d'en donner 13 % à leurs enfants. Dans le dernier décile, le taux d'effort est de 8 %. Bien qu'ils aient davantage de marge de manœuvre, les plus riches donnent un moindre pourcentage de leurs revenus. Néanmoins, la différence est telle qu'on donne à peine 1 000 euros par an dans le premier décile et plus de 7 000 dans le dernier. Cela montre bien l'injustice de la familialisation des aides à la jeunesse. Il faut que la société agisse pour rééquilibrer la balance, en passant d'une stricte solidarité familiale à une solidarité sociale.

Les mesures du Gouvernement s'inscrivent dans une tradition à l'égard de la jeunesse qui est la multiplication des dispositifs : la garantie jeunes, le parcours contractualisé d'accompagnement adapté vers l'emploi et l'autonomie, l'accompagnement intensif des jeunes, le parcours emploi compétences, l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi, la prépa apprentissage, etc. Rien n'est universel. On voit qu'un problème de pauvreté se pose entre 18 et 25 ans, mais que fait-on depuis des années ? On ajoute par-ci par-là des petits bouts supplémentaires de mesures, en fonction de tas de critères concernant l'âge, le statut ou les revenus. Cela produit un maquis qui rend la situation complètement illisible pour les spécialistes qu'on a consultés, pour les travailleurs sociaux – ils sont parfois incapables de dire aux jeunes en face d'eux quels sont leurs droits – et plus encore pour les jeunes eux‑mêmes, en particulier les plus éloignés de ces dispositifs.

L'idée, derrière « 1 jeune, 1 solution » – ou plutôt des jeunes, des solutions –, qui est de faire du sur-mesure, s'inscrit dans une continuité : on multiplie encore les dispositifs, au lieu de se dire qu'il faudrait créer un filet de sécurité universel tout en faisant de la dentelle en matière d'accompagnement, du sur-mesure. Cette mesure de protection sociale dont chacun doit pouvoir bénéficier, simplement, doit être distinguée des mille et un dispositifs actuels, qui sont incompréhensibles.

La garantie jeunes universelle n'aura rien d'universel, les associations nous alertent sur ce point : des critères d'attribution demeureront et il y aura toujours un quota. Certes, il doublera, de 100 000 à 200 000 jeunes, mais il y a 1,5 million de NEET en France, dont 500 000 en situation de grande précarité, selon la déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté. Deux catégories sont, par ailleurs, laissées de côté : ceux qui sont très éloignés des dispositifs, à qui on demande un retour très rapide à l'emploi alors que ce n'est pas possible, car il faut commencer par le logement et les problèmes de santé, et tous les étudiants. Cela revient à oublier le haut et le bas du tableau. Ensuite, le dispositif ne sera pas compris par tout le monde. On n'aura donc pas un « bouclier », comme l'a dit la secrétaire d'État Sarah El Haïry, mais une passoire.

Je crois, moi aussi, en la valeur travail, mais il y a un mythe de la désincitation : des études et des enquêtes prouvent qu'elle n'existe pas à 25 ans, à l'entrée dans le RSA. Par ailleurs, votre majorité a contribué à faire monter en puissance la prime d'activité, qui avait été créée par le Gouvernement précédent et qui a été efficace, puisqu'elle a supprimé les trappes à inactivité. Quand on se met à travailler et qu'on touche le RSA dès la première heure, on gagne un peu plus qu'avant et il y a une augmentation constante du revenu. Enfin, vous demandez un retour à l'emploi immédiat, sans permettre aux jeunes de se construire et de se demander par où ils veulent commencer, par exemple s'ils doivent passer leur permis de conduire. Ce n'est pas toujours par l'emploi que les parcours doivent débuter.

Il faudrait évidemment que le « A » de RSA désigne aussi l'accompagnement. On sait à quel point il y a des défaillances dans les départements. L'accompagnement est parfois inexistant, parce que cela coûte de l'argent. Un accompagnement est encore plus nécessaire pour les jeunes, qui entrent dans un temps d'incertitude, marqué par l'ouverture de droits, par exemple en matière de santé et de logement, mais c'est considéré comme secondaire.

J'en veux pour preuve l'évaluation du coût que nous avons récupérée auprès de la DREES – il serait d'environ 16 milliards d'euros et de 13 milliards sans les bourses. Il manque dans le tableau une ligne concernant l'accompagnement, qui n'est pas pensé. Or un véritable accompagnement se chiffrerait en milliards d'euros. On pourrait prévoir un accompagnant pour cinquante jeunes, comme dans les missions locales. Ce serait un véritable investissement. ATD Quart Monde propose des référents traitants en la matière, comme il existe des médecins traitants. Ces référents, dont on pourrait changer, ne seraient pas uniquement placés auprès des missions locales mais aussi auprès d'associations. Je crois qu'on pourrait faire du « sur-mesure » dans ce cadre.

Je redis que je suis favorable à un filet de protection général pour les jeunes comme pour tout le monde, mais qu'il faudrait faire de la dentelle, du sur-mesure en matière d'accompagnement. Ce qui est réalisé depuis un an contribue à maintenir une multiplicité de dispositifs qui rend les choses illisibles pour les jeunes eux-mêmes.

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