Intervention de Danièle Obono

Réunion du mercredi 14 avril 2021 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono, rapporteure :

Permettez-moi tout d'abord de vous remercier de m'accueillir au sein de la commission des affaires sociales, et de remercier également les administrateurs de l'Assemblée, qui m'accompagnent avec beaucoup d'efficacité et de bienveillance, ainsi que mes collaborateurs et collaboratrices et toute l'équipe des ateliers des lois de La France insoumise.

La proposition de loi établissant la garantie d'emploi par l'État employeur en dernier ressort, déposée par notre collègue Jean-Hugues Ratenon, est le produit d'un travail collectif au long cours, le fruit d'une réflexion sans cesse enrichie par l'éclairage de celles et ceux – économistes, sociologues, responsables associatifs, militants et militantes, citoyens et citoyennes – qui, comme les membres du groupe La France insoumise, appellent de leurs vœux la mise en œuvre d'une politique radicalement différente dans le domaine de la lutte contre le chômage, en particulier de longue durée.

Les chiffres du chômage sont catastrophiques. Notre pays compte aujourd'hui près de 6 millions de chercheurs et chercheuses d'emploi, toutes catégories confondues, et la crise économique ne manquera pas d'aggraver les choses. La proportion structurelle des personnes durablement privées d'emploi en France est élevée et ne cesse d'augmenter depuis des années. Au quatrième trimestre 2020, ils et elles étaient près de 2 900 000, selon les chiffres de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) et de Pôle emploi. Cela doit nous préoccuper autant que nous obliger, en tant que citoyens et citoyennes, et surtout en tant que législateurs et législatrices.

Les effets du chômage de longue durée sur le retour à l'emploi sont dévastateurs. Les chômeurs et chômeuses exclus du marché du travail, ou auto-exclus du fait de la baisse de leurs capacités productives, se retrouvent disqualifiés par les employeurs, qui redoutent une perte de compétence et une détérioration de leur capital humain. Mais les conséquences sont aussi sociales et économiques, et toutes sont absolument dramatiques.

Combattre ce chômage est un enjeu sanitaire à part entière, tant il contribue à détériorer la santé des personnes privées d'emploi. Le chômage de longue durée multiplie par trois le risque de mortalité, ce qui en fait un facteur aussi aggravant que le tabagisme, et par deux le risque d'accident cardiovasculaire. Plus d'un tiers des personnes ayant fait l'expérience du chômage de longue durée connaissent un épisode dépressif. Au total, en France, entre 10 000 et 14 000 décès par an seraient imputables au chômage. Dans un pays où l'attachement au travail et à sa dimension sociale est fort, en être privé exclut et isole. Ce phénomène de désaffiliation, bien identifié par le sociologue Robert Castel, va très certainement s'aggraver avec la crise que nous traversons, qui distend les liens entre les individus.

Sur le plan économique, le chômage a un coût : entre 16 000 et 19 000 euros par an et par demandeur et demandeuse d'emploi, selon l'évaluation de l'expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée » réalisée par l'association ATD Quart Monde. En termes macroéconomiques, ce sont plus de 65 milliards d'euros qui sont consacrés chaque année aux politiques actives et passives en faveur de l'emploi, hors exonérations fiscales et allégements de cotisations sociales. Dans le même temps, près d'un tiers des personnes privées d'emploi n'ont plus aucun droit à indemnisation et survivent grâce aux minima sociaux. Aujourd'hui, un quart des personnes au chômage vivent sous le seuil de pauvreté.

La situation dans laquelle se trouve notre société est celle-ci que des dizaines de milliards d'euros sont dépensés tous les ans dans des politiques qui manquent cruellement d'efficacité, alors que les besoins des personnes les plus éloignées de l'emploi sont de moins en moins bien couverts.

Reconnaissons que les recettes libérales privilégiées depuis des années – réduction du coût du travail et flexibilisation du marché au premier chef – n'ont pas eu les effets annoncés par leurs promoteurs et promotrices. Et les réformes engagées depuis le début du quinquennat – la prétendue réorganisation du dialogue social et économique dans l'entreprise issue des ordonnances de 2017, ou la définition d'un nouveau cadre pour l'assurance chômage, moins protecteur et moins juste – ne produiront pas plus de résultats positifs que les politiques conduites jusqu'à maintenant. Au-delà des désaccords idéologiques sur les mesures imaginées par les décideurs et décideuses d'un temps, légitimes et naturels dans une démocratie, nous partageons tous depuis longtemps le constat que ces politiques n'ont jamais permis d'éradiquer le chômage de longue durée, ni même de le faire reculer significativement de manière durable.

Ce constat ne doit pas pour autant nous faire oublier que le chômage n'est pas une fatalité. Des dispositifs intéressants pour améliorer la situation de l'emploi ont été mis en place, et d'autres mécanismes peuvent être imaginés. Les propositions qui sont faites méritent d'être examinées attentivement, et non d'être balayées d'un revers de la main au motif qu'elles n'émanent pas des rangs de l'actuelle majorité. L'expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée », lancée en 2016 et récemment prorogée avec le soutien de notre groupe, doit nous encourager. Elle a montré que la lutte contre le chômage n'était pas qu'une question budgétaire et qu'avec la mobilisation de tout un territoire, il est possible de proposer un emploi à toutes les personnes qui en sont durablement privées et souhaitent en retrouver un.

Il faut à présent aller plus loin. Dans le contexte économique, il nous faut faire preuve d'un volontarisme sans faille si l'on veut se donner les moyens de remporter la bataille de l'emploi, du moins la mener avec des armes aussi efficaces que possible, pour éviter que des milliers de personnes supplémentaires ne basculent dans la pauvreté. Avec le texte que nous présentons, le groupe La France insoumise, fidèle au programme « L'avenir en commun » et aux engagements de campagne de Jean-Luc Mélenchon en 2017, apporte une réponse concrète au défi posé par le chômage de longue durée en proposant la mise en place d'une garantie d'emploi pour les personnes qui en sont durablement privées. Cette proposition repose sur l'idée, théorisée dans les années 1970 par l'économiste étatsunien Hyman Minsky, qu'une lutte efficace contre le chômage suppose que l'État s'engage à fournir un emploi à toutes celles et tous ceux qui sont prêts à travailler au salaire minimum, et éventuellement au‑delà, en fonction des qualifications requises pour les emplois proposés. L'État assume, ce faisant, le rôle d'employeur en dernier ressort.

Contrairement à une idée parfois avancée, le travail ne manque pas dans notre pays. Au contraire, les domaines dans lesquels les besoins de la société ne trouvent qu'une satisfaction partielle sont nombreux : préservation de l'environnement, aide aux personnes âgées, aux enfants et aux malades, amélioration de la vie urbaine, animation en milieu scolaire, activités artistiques. Les opportunités pour l'emploi sont donc bien réelles aujourd'hui et, les économistes que nous avons interrogés l'ont rappelé, elles le seront davantage encore demain. Il ne fait guère de doute que la reconstruction écologique dans laquelle notre pays est encore trop timidement engagé induira nécessairement une hausse significative de la demande d'emplois dits « verts », tirée par l'émergence puis l'affermissement d'un modèle économique décarboné. Parallèlement, les métiers du lien, qui s'exercent dans le champ médico-social, dans celui de l'aide à domicile au bénéfice des personnes âgées ou de l'entretien des espaces publics, seront évidemment appelés, eux aussi, à occuper une place de plus en plus centrale dans notre société.

Voilà l'objet du dispositif imaginé par les rédacteurs et rédactrices de la proposition de loi : favoriser partout sur le territoire la création d'emplois ayant vocation à pourvoir à des besoins insatisfaits à ce jour, identifiés à l'échelon local de manière démocratique et transparente, et présentant une utilité sociale et écologique immédiatement perceptible pour la collectivité. Ces besoins ne sont pas imaginaires ; ils existent bel et bien, dans l'Hexagone et dans les territoires ultramarins, notamment dans le domaine sanitaire, pour ces derniers, en raison de la résurgence de certaines maladies.

La garantie d'emploi telle qu'elle est imaginée ici s'inscrit pleinement dans l'objectif de la bifurcation écologique et solidaire que les députés du groupe La France insoumise appellent de leurs vœux et qui implique une réorientation immédiate de l'ensemble des moyens de production, d'échange et de consommation afin que la société garantisse des conditions de travail dignes et des possibilités de survie collective. C'est l'une des composantes d'un ambitieux programme national, d'une formidable aventure collective, d'un gigantesque défi civilisationnel : la construction d'une société plus juste et solidaire, qui favorise l'harmonie entre les êtres et garantit la préservation de l'écosystème qui rend la vie humaine possible.

Les attentes sont fortes : les auditions préparatoires à l'examen du texte l'ont démontré. La réflexion est riche, à l'intérieur comme à l'extérieur de nos frontières. À présent, il est temps d'en venir aux actes.

Une garantie d'emploi aurait un impact positif sur la relance économique et l'indispensable bifurcation écologique de notre pays. Oui, sa mise en œuvre aurait un coût pour les finances publiques. Mais elle serait aussi source d'économies pour l'assurance chômage et le système de protection sociale dans son ensemble, et tirerait à la hausse une consommation plus vertueuse des ménages. Qui peut sérieusement contester l'idée que les sommes versées au titre de l'indemnisation du chômage seraient mieux employées si elles servaient à la rémunération d'un travail ?

Une garantie d'emploi serait vectrice de progrès social, car un chômage moindre réduirait la pression à la baisse sur les salaires de la part des détenteurs et détentrices du capital. Elle donnerait une traduction concrète à la promesse de générations de révolutionnaires qui ont édifié la République et la rêvaient pleinement sociale. Cette promesse est formulée au cinquième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, selon lequel chacun et chacune a « le droit d'obtenir un emploi ». Force est de reconnaître que, faute de revêtir un caractère opposable, ce principe demeure largement incantatoire en dépit de sa valeur constitutionnelle.

Cette proposition de loi s'articule autour de trois articles, mais nous espérons qu'elle sera enrichie pour permettre son adoption. L'article 1er confie au service public de l'emploi une nouvelle mission consistant à octroyer et financer un emploi à toute personne qui en est durablement privée. Il est important de redonner la plénitude de ses moyens à ce service public et de l'inscrire dans cette stratégie nationale, pour que sa structure soit mise au service de ce nouveau mécanisme. L'article 2 expose les principales caractéristiques du contrat conclu entre la personne en demande d'emploi et l'association d'emploi chargée du pilotage du nouveau dispositif à l'échelon territorial. L'article 3 définit la gouvernance du dispositif au plan national ainsi qu'au plan local.

Je forme le vœu que nous puissions débattre sereinement, de manière riche et constructive, d'un sujet qui revêt, aux yeux des députés insoumis et des députées insoumises, une importance capitale, à plus forte raison dans le contexte économique actuel. La représentation nationale se voit offrir aujourd'hui la possibilité de se montrer à la hauteur de l'enjeu.

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