Intervention de Danièle Obono

Réunion du mercredi 14 avril 2021 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono, rapporteure :

Je conçois que nos différentes conceptions du travail et de l'emploi obèrent les possibilités d'amender une proposition de loi dont vous ne partagez pas la philosophie.

Je tiens à vous rassurer : il ne s'agit pas de fonctionnariser tout le monde, ni d'aller plus loin que les Soviétiques. Nous nous référons plutôt à Roosevelt, puisque ce dispositif fait partie de ceux qui ont été mis en place dans le cadre du New Deal et qui sont actuellement envisagés aux États-Unis. Point n'est donc besoin d'évoquer l'Union soviétique. Du reste, ces dispositifs existent dans d'autres pays, comme l'Inde et l'Argentine, sous des formes différentes, qui n'impliquent pas nécessairement la fonctionnarisation. La forme retenue en Argentine est très décentralisée.

Nous trouvons aussi des exemples dans l'histoire. Les Ateliers nationaux que vous évoquez peuvent être considérés comme une forme primaire d'assurance chômage. Ils ont, en tout cas, permis de faire émerger l'idée d'une responsabilité de l'État. D'autres s'en sont inspirés pour élaborer les dispositifs qui ont constitué notre système de protection sociale ; ne les balayons pas d'un revers de la main. Nous partageons l'idée que la collectivité, la puissance publique, a une responsabilité.

Certains collègues considèrent que c'est aux entreprises qu'incombe la responsabilité de créer des emplois. Je considère que leur objectif premier est de faire des profits – c'est consubstantiel à leur nature, dans la logique même du capitalisme. C'est pour cela qu'elles n'ont aucune difficulté à détruire de l'emploi si cela participe de leur stratégie. La création d'emplois n'est donc pas une conséquence automatique de la bonne marche des entreprises ; souvent, la destruction d'emplois leur est bien plus profitable.

La doxa en vigueur depuis un demi-siècle, selon laquelle il faut aider les entreprises à créer des emplois, est un échec puisque la France et d'autres pays se sont installés dans un chômage de masse. Cet échec est même théorisé par le non-accelerating inflation rate of unemployment (NAIRU), qui postule la nécessité d'un niveau de chômage optimal pour la bonne marche de l'économie. Le maintien d'un chômage structurel est considéré comme un élément nécessaire au système économique.

Nous considérons que ce n'est pas le maintien du chômage de masse qui devrait constituer un stabilisateur pour l'économie, mais la garantie de l'emploi. Je vous renvoie aux travaux de Pavlina R. Tcherneva et aux simulations de mise en place d'un système de garantie d'emploi réalisées aux États-Unis : ils démontrent que cette mesure a des effets macroéconomiques positifs, notamment par la consommation, au-delà des bénéfices sociaux apportés aux personnes qui retrouvent un travail.

L'initiative parlementaire ne nous fournit pas les moyens d'effectuer ce type de travaux. Il serait d'ailleurs utile de réfléchir aux moyens dont disposent les parlementaires pour obtenir des données et réaliser des simulations et des études d'impact. En tout cas, des arguments macroéconomiques et monétaires existent en faveur de cette mesure ; il ne s'agit pas de mener l'État à la banqueroute.

Par ailleurs, la situation actuelle montre que s'il n'y a pas d'argent magique, on sait trouver les moyens. De fait, l'État assure aujourd'hui une garantie d'emploi en finançant le chômage partiel ; l'État est employeur en dernier ressort du fait de la crise. Nous ne devrions pas avoir besoin de ces circonstances pour penser autrement la responsabilité de l'État. Si nous nous accordons à considérer le chômage de masse comme une catastrophe sociale, économique et sanitaire dont les effets sont dévastateurs, équivalents à ceux d'un virus pour le corps social, alors le rôle de l'État doit être renforcé pour inscrire la lutte contre le chômage dans une stratégie globale de relance de l'activité par la bifurcation écologique et solidaire, en se fixant l'objectif du plein emploi.

Le dispositif que nous proposons s'inspire de ce qui existe déjà. Nous pensons qu'il est nécessaire de généraliser et de systématiser ce qui se fait, et nous proposons une déclinaison du dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée ». Le redéveloppement d'un certain nombre de services publics – donc le financement de nouveaux services publics – mais aussi le recours à la commande publique pour relancer le secteur privé permettent de dessiner une politique globale. Le périmètre concerné n'est ni le secteur public ni le secteur privé, mais celui de l'économie sociale et solidaire. Il permet aux personnes privées d'emploi de contribuer par leur travail au bien-être de la collectivité, puis d'évoluer professionnellement et de se tourner ensuite vers l'emploi public ou privé. Les personnes n'auront pas vocation à se maintenir dans ce système, dont nous avons une vision dynamique. Comme c'est le cas pour les dispositifs existants, nous prévoyons un volet de formation et de requalification important. Ce sera notamment le rôle du service public de l'emploi, dont les moyens devront être augmentés pour assurer ces missions.

Notre proposition n'est pas du tout contradictoire avec la volonté de notre assemblée d'étendre le dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée ». Nous avons l'ambition d'aller plus loin, sachant qu'il faudra penser différemment dans les mois à venir. L'année dernière, pendant le premier confinement, il a souvent été question du monde d'après, du « quoi qu'il en coûte », et de penser autrement notre rapport au travail. Nous nous inscrivons dans cette démarche : éradiquer le chômage de longue durée ne sera pas possible en étendant tous les cinq ou dix ans un dispositif en place. Ces dispositifs perdent les qualités qui font leur intérêt si l'on n'y consacre pas les moyens permettant de les appliquer sur l'ensemble du territoire national. Cette démarche s'inscrit dans une réflexion partagée au niveau international.

J'ai déposé quelques amendements afin de préciser certains points, et je vous invite à déposer vos propres amendements en séance publique pour contribuer à ce débat parlementaire. Nous souhaitons qu'il permette la mise en œuvre de véritables politiques de l'emploi usant des outils les plus efficaces qui soient pour éradiquer le chômage de longue durée. Nous espérons que le dispositif que nous vous proposons y contribuera.

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