La dimension sociale est, comme vous l'avez souligné, un élément extrêmement important du plan européen de relance, ou plus exactement des plans nationaux puisque le plan européen est une combinaison de plans nationaux.
La crise sanitaire s'est très rapidement transformée en une crise sociale que les politiques publiques ont tenté de gérer et d'endiguer au mieux. Elle n'est pas finie ; il faut s'attendre à ce que ses effets s'accroissent encore dans les semaines à venir d'où l'importance d'intégrer fortement la dimension sociale dans les plans de relance.
Nous observons dans l'ensemble des États de l'Union l'impact de la crise sur les systèmes de santé et la fragilité de nos systèmes de santé, même dans les États que nous pensions les mieux équipés pour faire face à ce type de crise.
Un autre aspect de la crise est un effet très variable sur les différentes catégories de travailleurs, selon le type de contrat dont ils bénéficiaient et selon leur secteur d'activité. Les employés qui bénéficiaient d'un contrat temporaire ont été frappés de plein fouet et ont vu leur taux d'activité chuter très significativement tandis que les travailleurs ayant un contrat de longue durée, à plein temps ou à temps partiel, ont été beaucoup moins touchés, surtout lorsque les États membres ont mis en place des systèmes de chômage partiel, aidés en cela par le programme européen SURE (Support to mitigate unemployment risks in an emergency). Nous avons également vu et nous continuons de constater une augmentation des inégalités selon que les personnes rentrent tout juste sur le marché du travail ou sont en fin de carrière, selon le niveau de formation initiale et le niveau de compétences, selon que les gens sont d'origine étrangère et ont éventuellement des difficultés linguistiques, selon le sexe et selon le secteur d'activité.
Enfin, nous constatons aussi que l'impact est très différent selon les systèmes d'éducation, ce qui est inquiétant pour l'avenir. Les élèves scolarisés dans les écoles les plus favorisées et issus de familles dont le niveau d'éducation est le plus élevé ont moins de difficultés à faire face à l'enseignement à distance et sont mieux équipés d'un point de vue numérique que les élèves scolarisés dans des établissements moins favorisés. Du fait d'une période prolongée de scolarisation à distance, ceci risque d'avoir un effet à terme sur le développement de ces enfants et plus généralement de ces jeunes.
Face à ce constat, l'Union a immédiatement réagi. Cette rapidité de réaction est une des rares bonnes nouvelles de cette crise. Par rapport à ce que nous avions observé suite à la crise financière, la rapidité de notre réaction collective face à cette crise est vraiment extrêmement élevée.
Les premières semaines et les premiers mois de la crise ont été consacrés à la gestion de crise à proprement parler avec la mobilisation de tous les fonds disponibles pour soutenir le secteur de la santé, pour renforcer le filet de sécurité sociale, les mécanismes de soutien au travail temporaire avec la création en seulement quelques semaines d'un système européen de refinancement du chômage partiel. Nous avons également conduit une opération très pratique sur le matériel médical, sur la coordination de la gestion des stocks et sur les vaccins.
Après cette gestion de crise, nous sommes passés assez rapidement à la relance, dès le mois de mai 2020. Nous avions espéré que cette relance viendrait plus rapidement et que nous aurions moins de vagues de contamination successives mais les outils pour la relance ont en tout cas été très rapidement mis en place, avec une proposition au mois de mai, un accord de principe au mois de juillet par les chefs d'État et de gouvernement et l'instrument juridique qui permettra son développement a été approuvé par les colégislateurs à la fin de l'année 2020.
Le fonctionnement du plan de relance européen est fondé sur les plans nationaux. Chaque État membre s'est vu attribuer une allocation déterminée en fonction de l'impact de la crise et de son niveau de développement économique, à charge pour les États de développer des plans nationaux combinant des réformes et des investissements afin d'accroître la résilience des économies et de favoriser la relance.
Le montant total disponible est de 672,5 milliards d'euros, ce qui est considérable. Cette somme se répartit entre des subventions et des prêts. Une autre caractéristique est la rapidité d'exécution : tous les plans devront être finalisés et tous les engagements devront être pris avant la fin de l'année 2022 pour 70 % de l'allocation et la fin de l'année 2023 pour le reste. Tous les prêts devront être demandés avant le 31 août 2023. Le paiement se fera par tranches en fonction de la réalisation des objectifs inscrits dans les plans ; ils n'iront pas au-delà de 2026 et l'action sera donc extrêmement concentrée dans le temps.
Quels critères les plans doivent‑ils remplir ? Un premier élément très important est que ces plans ne sont pas un carcan, qu'ils ne suivent pas un modèle unique. Les États membres disposent d'une grande flexibilité pour définir des plans qui répondent au mieux à leurs besoins propres, tout en respectant un certain nombre de points d'ancrage communs. Ces points d'ancrage sont l'équilibre entre les différentes composantes sociale, environnementale et numérique.
À la suite de la crise financière, nous avions vu beaucoup d'investissements aller vers des énergies fossiles ou des investissements nocifs pour le climat. Nous avons donc cette fois un principe fondamental : ne pas causer de dommage à l'environnement et au climat. Les plans ne doivent pas comporter une seule mesure négative pour le climat ou l'environnement.
Un système d'audit et de contrôle très rigoureux est prévu puisque ce plan de relance représente énormément d'argent, dépensé en très peu de temps, avec une grande liberté donnée aux États membres pour ces dépenses. La responsabilité et la solidarité entre les différents États membres requièrent que les systèmes d'audit et de contrôle soient particulièrement rigoureux.
En ce qui concerne la dimension sociale, il est demandé aux États membres d'avoir un processus très inclusif, fondé sur des consultations publiques avec les partenaires sociaux et avec toutes les forces vives de la société pour que ceux-ci puissent faire valoir leur point de vue dans l'élaboration du plan. Par ailleurs, l'équilibre global du plan doit se voir à la lumière du socle européen des droits sociaux et du principe d'égalité de manière générale. Il ne s'agit pas seulement de l'égalité entre les hommes et les femmes mais de l'égalité pour tous, particulièrement de l'inclusion des personnes d'origine étrangère et des personnes porteuses de handicap.
Enfin, il ne suffit pas de mettre la dimension sociale dans les plans au départ, il faut aussi la mettre en œuvre et suivre cette mise en œuvre. Une méthodologie de suivi des dépenses sociales sera donc prévue pour voir comment cette dimension sociale évoluera au fur et à mesure du développement et de la mise en œuvre du plan. Toutefois, alors que nous avons des objectifs chiffrés pour la dimension digitale qui doit représenter au moins 20 % des dépenses et la dimension environnementale qui doit représenter au moins 37 % des dépenses, il n'est pas prévu de minimum pour la dimension sociale. Cela dépendra des choix faits par les États membres.
Actuellement, vingt‑six des vingt‑sept plans sont à l'état de projet ; aucun n'a été formellement soumis à notre évaluation mais nous avons une bonne vue d'ensemble de ces plans. Nous constatons que la dimension sociale est extrêmement présente et satisfait l'exigence de répondre aux recommandations adressées aux États membres dans le cadre du semestre européen. Ces recommandations ont toujours une importante composante sociale.
Nous voyons des mesures en faveur de l'emploi. Certaine sont des réformes visant à mieux intégrer toutes les populations sur le marché du travail, particulièrement les jeunes ou les personnes âgées, afin d'allonger autant que possible la durée d'activité des travailleurs, ainsi que les travailleurs nécessitant une attention particulière. D'autres mesures sont destinées à inciter au recrutement des populations plus vulnérables.
Les plans contiennent aussi beaucoup d'éléments sur la formation professionnelle, notamment sur la formation professionnelle continue, avec des mesures de reformation et de requalification pour les travailleurs de secteurs en perte de vitesse. C'est une composante très importante pour l'industrie automobile ou les industries fondées sur les énergies fossiles. Il en existe encore beaucoup, notamment à l'est de l'Europe.
Tous les plans comportent des éléments importants sur les systèmes de santé, des investissements classiques pour la modernisation du système hospitalier mais aussi une attention particulière aux soins de proximité dont nous avons vu et continuons de voir à quel point ils sont essentiels.
Beaucoup d'investissements sont également programmés dans l'accueil des jeunes enfants et dans les structures de soin de long terme pour les personnes atteintes d'une maladie de longue durée ou d'un handicap. Ces éléments sont importants, non seulement pour le bien‑être de ces populations mais aussi pour l'activité des femmes. Nous savons que le manque de système de soins intégré est souvent la cause de taux d'activité inférieur chez les femmes et du fait qu'elles ont plus d'emplois à temps partiel ou moins bien rémunérés.
Les systèmes d'éducation sont décisifs pour les enfants, suivant qu'ils sont bien scolarisés dans des établissements bénéficiant d'investissements importants ou non. Nous constatons dans les plans un grand effort consacré à la numérisation des systèmes d'éducation et à l'équipement des écoles mais également à la formation des professeurs pour leur permettre d'utiliser ces équipements.
Le dernier aspect présent dans énormément de plans concerne le logement social et la lutte contre la pauvreté énergétique par des mesures de rénovation et d'isolation thermique. L'isolation thermique est l'un des meilleurs moyens de lutter contre la pauvreté énergétique.
Ces éléments ne sont pas exhaustifs. Ils ne sont pas tous présents dans tous les plans mais ils sont très récurrents.
Que se passera-t-il concrètement maintenant ? Nous attendons dans les jours qui viennent la notification formelle des premiers plans. Pourquoi seulement maintenant puisque les États membres pouvaient notifier dès le mois de février leur plan de relance ? Je crois qu'il ne faut pas sous-estimer la difficulté de l'exercice. Planifier pour des montants aussi considérables des investissements et des réformes pour les six années à venir est une tâche objectivement difficile et lourde pour tous les États membres, surtout alors que tous étaient en lutte contre la pandémie. Il est donc normal que les États membres aient pris le temps de définir leur plan de manière adéquate.
Nous disposerons de deux mois pour examiner ces plans en détail. Une grande partie de cet examen se fait au début, contrairement à ce qu'il se passe avec les fonds structurels, dont la mise en œuvre comporte toujours une vérification très exacte et précise, qui prend beaucoup de temps, de l'ensemble des coûts, des dépenses et des factures présentées par les États membres. L'approche choisie ici par le législateur est différente : nous regardons les coûts une fois pour toutes au début du plan et les États membres ont ensuite la responsabilité de les mettre en œuvre. La mise en œuvre sera donc beaucoup plus facile mais cela suppose que l'examen des plans soit fait dans le détail, notamment pour être sûr que le contribuable européen en aura pour son argent, qu'aucune des mesures ne créera de dommage au climat et que l'ensemble des exigences réglementaires seront respectées.
Le Conseil aura ensuite un mois pour approuver et, sous réserve de la ratification de la décision ressources propres par l'ensemble des parlements nationaux – ratification à laquelle le Parlement français a déjà procédé –, le plan pourra commencer à être mis en œuvre et les premiers versements pourront être effectués. Jusqu'en 2026, les États membres rendront compte deux fois par an des progrès réalisés dans la mise en œuvre de leur plan et recevront les versements correspondants au fur et à mesure. Cette action coordonnée et solidaire à l'échelon européen est un progrès considérable.