Intervention de élisabeth Borne

Réunion du mercredi 9 juin 2021 à 15h00
Commission des affaires sociales

élisabeth Borne, ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion :

Merci de m'accueillir pour cette audition dans une période particulièrement intense pour votre commission. Cela me donne l'occasion de saluer la qualité des travaux menés par Mme Marie-Pierre Rixain sur la proposition de loi visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle, votée à l'unanimité le 12 mai dernier. Ne pas relâcher les efforts, en dépit du contexte, pour permettre aux femmes de rejoindre les instances dirigeantes de nos grandes entreprises me semble un message politique très fort.

Dans la période actuelle de sortie de crise, notre objectif est toujours de protéger.

Nous devons protéger la santé et la sécurité des salariés. D'ailleurs, à partir d'aujourd'hui, avec l'entrée en vigueur du nouveau protocole national en entreprise, nous modifions certaines règles pour adapter les conditions de travail au contexte sanitaire.

Nous devons également protéger les emplois des Françaises et des Français, en assurant une sortie progressive des aides d'urgence massives déployées pour prévenir les conséquences sociales de la crise. Dans le même temps, il faut préparer le rebond de notre économie, en assurant aux entreprises les compétences nécessaires pour préparer les transitions écologique et numérique.

Dans ce cadre, nous devons notamment continuer à transformer notre protection sociale pour en assurer la pérennité. Ainsi, notre réforme de l'assurance chômage entend corriger des effets pervers du système actuel, qui ont fini par installer une dépendance aux contrats courts préjudiciable aux salariés. Nous aurons l'occasion d'en débattre en séance publique le vendredi 18 juin dans le cadre de la semaine de contrôle.

L'amélioration de la situation sanitaire, donc, nous conduit à faire évoluer les conditions de travail et le protocole sanitaire dans les entreprises. Je voudrais insister sur trois principales évolutions du protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l'épidémie de covid-19.

Tout d'abord, le nombre de jours minimum de télétravail ne sera plus fixé au niveau national, dans le cadre du protocole, mais par chaque entreprise dans le cadre d'un dialogue social de proximité. Il s'agit de redonner la main aux employeurs et aux représentants des salariés pour fixer les règles en tenant compte du fonctionnement de chaque entreprise, et ainsi de permettre un retour au travail en présentiel de façon progressive et pleinement sécurisée.

Ensuite, des moments de convivialité redeviendront possibles, dans le respect strict des mesures de prévention.

Enfin, les règles en matière de restauration collective évoluent. L'objectif est qu'elles soient adaptées à l'étape du retour de plus de monde dans l'entreprise, mais également cohérentes avec les règles applicables dans le secteur des hôtels, cafés et restaurants. À partir d'aujourd'hui donc, le nombre de personnes à table passera à six, comme pour les restaurants – la préconisation actuelle est de déjeuner seul, avec l'impact que l'on imagine sur la convivialité ; une distance minimale de 2 mètres sera appliquée entre les tables ; et la jauge d'accueil s'établira à 50 %, comme pour les restaurants en intérieur.

Notre stratégie de protection des emplois et des compétences, elle, a indéniablement porté ses fruits ; elle n'évoluera que très progressivement. Le principe consiste à ne pas réduire les aides trop rapidement afin d'accompagner le redémarrage sans créer de fragilité au niveau des entreprises et donc des emplois.

L'activité partielle protégeait encore, en avril, près de 3 millions de salariés. C'est jusqu'au dernier kilomètre que nous devons réussir l'accompagnement des entreprises et la préservation des compétences en leur sein.

Les secteurs protégés, dont les hôtels, cafés et restaurants, mais aussi les professionnels de l'événementiel bénéficient, jusqu'à la fin juin, d'une prise en charge à 100 % de l'activité partielle. Cette mesure s'accompagne d'une prise en charge à 84 % de la rémunération nette des salariés. À partir du 1er juillet, nous commencerons à réduire la prise en charge de l'activité partielle, avec un reste à charge de 15 % pour les employeurs ; en août, nous passerons à 25 %, avec une indemnisation inchangée pour les salariés, avant de revenir à une activité partielle de droit commun en septembre. Pour les autres secteurs, un reste à charge de 25 % s'applique depuis début juin, qui passera à 40 % au mois de juillet.

Bien évidemment, nous continuerons à soutenir les secteurs qui peinent à redémarrer ou dont la perte de chiffre d'affaires continue d'excéder 80 %, en maintenant un reste à charge nul pour l'employeur. Cette disposition peut, par exemple, s'appliquer à certains hôtels essentiellement fréquentés par des touristes internationaux, ou aux organisateurs de salons professionnels puisque leur activité ne redémarrera pas en juillet-août.

Ces évolutions des modalités de prise en charge de l'activité partielle doivent inciter les entreprises qui en ont besoin à se saisir de l'activité partielle de longue durée. Cette dernière permet à l'entreprise de protéger ses emplois dans la durée tout en renforçant les compétences des salariés concernés. L'activité partielle de longue durée protège d'ores et déjà près de 830 000 salariés. Elle maintient sur une durée pouvant aller jusqu'à vingt-quatre mois une indemnité pour les salariés à hauteur de 84 % de la rémunération nette avec un reste à charge pour l'employeur de 15 %.

Par ailleurs, nous avons voulu offrir à chaque jeune une solution adaptée à son parcours et à ses difficultés, pour n'en laisser aucun sur le bord du chemin. Plus de 9 milliards d'euros sont mobilisés par le Gouvernement pour aider les jeunes à trouver un emploi, un apprentissage, une formation ou un accompagnement. Ce plan a été sans cesse enrichi de nouveaux services, avec le lancement de l'opération « 1 jeune, 1 mentor » il y a deux semaines. Désormais 40 000 offres de jobs d'été sont disponibles sur le site 1jeune1solution.gouv.fr.

Les résultats sont tangibles : entre août 2020 et avril 2021, plus de 1 600 000 jeunes de moins de 26 ans ont été embauchés en contrat à durée indéterminée (CDI) ou en contrat à durée déterminée (CDD) de plus de trois mois, soit quasiment autant que sur la même période avant la crise. Le décollage de l'apprentissage est encore plus net, avec près de 520 000 jeunes qui ont signé un contrat d'apprentissage en 2020, malgré la crise, soit un niveau inégalé dans notre pays. Enfin, depuis le début de l'année, près de 380 000 jeunes éloignés de l'emploi ont rejoint un parcours d'accompagnement ou d'insertion. Ils seront au total 1 million à bénéficier d'un tel accompagnement en 2021.

L'ensemble de ces mesures ont permis d'amortir le choc de la crise. Elles ont aussi permis de relancer notre économie, en donnant les compétences nécessaires aux entreprises en même temps que des perspectives pour les salariés comme pour les jeunes arrivant sur le marché du travail.

Grâce au déploiement de notre stratégie de vaccination, nous pouvons tabler sur un retour au niveau d'activité d'avant la crise au premier trimestre 2022 dans la plupart des secteurs, c'est-à-dire plus tôt que ce que nous avions initialement prévu. Le social doit bien sûr être au cœur de la relance ; mais le social, c'est aussi faire évoluer ce qui ne fonctionne pas.

Notre réforme de l'assurance chômage vise ainsi à mettre fin à un modèle d'enfermement dans la précarité. Notre système d'indemnisation encourage le recours excessif aux contrats courts, c'est-à-dire aux CDD de moins d'un mois. Il permet aux entreprises de gérer leurs besoins de flexibilité en proposant aux travailleurs d'alterner des contrats courts, dont la durée moyenne n'a cessé de diminuer au cours des dernières années, et de compléter leur revenu par l'allocation chômage plutôt que de leur proposer un CDI. Une telle situation engendre de la précarité en bloquant des centaines de milliers de travailleurs dans cette alternance entre contrats courts et périodes de chômage et peut se traduire pour eux par une moindre capacité de négociation de leurs conditions de travail, horaires ou rémunération, et par un moindre accès au crédit ou encore à la formation.

Imposer à ces travailleurs de vivre sans savoir de quoi demain sera fait, dans une situation de dépendance par rapport à des employeurs qui externalisent leurs besoins de flexibilité ou leurs défauts de gestion des ressources humaines, est à rebours des valeurs du système de protection sociale fondé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Au cours des dernières années, les contrats courts ont proliféré dans notre pays – on y recourt dix fois plus qu'en Allemagne, six fois plus qu'au Danemark – et le nombre de CDD de moins d'un mois a explosé au cours des quinze dernières années, avec une hausse de 250 %.

Circonstance aggravante, les règles de l'assurance chômage engendrent des différences de traitement considérables : un demandeur d'emploi travaillant à mi-temps chaque jour perçoit une allocation près de deux fois moindre que celle d'un demandeur d'emploi qui travaille une semaine sur deux, alors qu'ils touchent le même salaire et travaillent le même nombre d'heures.

Par ailleurs l'alternance entre contrats courts et périodes de chômage coûte 2 milliards d'euros chaque année à l'UNEDIC : elle a très largement concouru à son surendettement, la dette de l'organisme s'élevant, avant même la pandémie, à 37 milliards d'euros. Le recours excessif aux contrats courts devient extrêmement fragilisant en période de crise économique, puisque, tout le monde l'a constaté, les personnes en emploi saisonnier ou en emploi précaire ont été les premières victimes de la crise économique et sanitaire.

Notre conviction est que nous devons sortir de cette spirale de la précarité, en imposant un bonus-malus à l'employeur et en modifiant les règles de calcul du salaire journalier de référence. Nous voulons inciter les employeurs à proposer des contrats de meilleure qualité. Nous voulons sortir d'un schéma qui maintient les salariés dans une alternance de périodes d'inactivité et de travail du fait d'un mode de calcul des allocations chômage avantageant ces alternances. Notre objectif est d'amener ces personnes à passer moins de temps au chômage et d'inciter les entreprises à proposer des contrats de plus longue durée, plus protecteurs, grâce à l'instauration d'une règle de bonus-malus.

Disons-le clairement, en garantissant leurs droits et en les protégeant plus durablement, la réforme que nous portons demeure très protectrice des demandeurs d'emploi. Après le 1er juillet, la France conservera d'ailleurs l'un des systèmes d'assurance chômage les plus protecteurs au monde. D'abord, contrairement à ce que certains assènent, aucun demandeur d'emploi actuellement indemnisé ou qui se retrouverait au chômage avant le 1er juillet ne verra son allocation changer. Ensuite, la réforme du calcul des allocations n'aura aucun impact sur les salariés qui se retrouvent au chômage ponctuellement, après avoir travaillé pendant une longue période en continu. Cette réforme concernera exclusivement des personnes qui aujourd'hui gagnent plus au chômage qu'au cours de la période précédente. Dans le nouveau système, ces demandeurs d'emploi pourront percevoir une allocation plus basse, mais ils la percevront alors plus longtemps, ce qui leur permettra d'avoir du temps pour s'orienter vers des contrats longs. Par ailleurs, nous avons entendu les organisations syndicales et nous avons introduit un plancher en dessous duquel les allocations ne pourront pas descendre.

Je le redis nettement : notre objectif ne doit pas être de maintenir les personnes durablement au chômage, mais bien de les aider à en sortir et à retrouver rapidement un emploi. C'est tout le sens du plan d'investissement dans les compétences (PIC) qui constitue un effort massif pour aider les demandeurs d'emploi à rebondir. Je rappelle que nous consacrons 15 milliards d'euros sur l'ensemble du quinquennat à la formation des jeunes et des demandeurs d'emploi peu ou pas qualifiés. Nous sommes déjà passés d'une moyenne de 600 000 demandeurs d'emploi formés chaque année avant le lancement du PIC à plus d'un million en 2020, tendance qui devrait se confirmer en 2021 et 2022.

À celles et ceux qui disent que cette réforme vient à contretemps, nous répondons qu'elle intervient, au contraire, au moment où l'économie repart et où le besoin de compétences s'intensifie avec le plan de relance. Au moment où l'hôtellerie, la restauration, l'événementiel et le commerce de détail redémarrent, nous ne pouvons pas nous résigner à ce que la reprise se fasse massivement par des recrutements en contrats de quelques jours, parfois de quelques heures.

Il y a deux types de modifications dans cette réforme. Certains éléments s'attaquent à des causes structurelles du développement de la précarité en France. Il est pertinent de les faire entrer en vigueur au moment où les embauches reprennent dans des secteurs particulièrement consommateurs de contrats courts et où nous devons donner des signaux pour améliorer la qualité de l'emploi. D'autres éléments dépendent de la conjoncture du marché du travail. Nous avons fait le choix de les différer en les soumettant à des clauses de retour à meilleure fortune, ce qui me semble une grande avancée. Ainsi, nous maintenons à quatre mois de travail sur vingt-quatre l'ouverture des droits, au lieu de six mois dans la réforme de 2019 ; dans les faits, à l'entrée en vigueur de la réforme, ce seront quatre mois sur trente-deux, compte tenu des périodes neutralisées en raison des restrictions sanitaires. La dégressivité des allocations pour les salaires supérieurs à 4 500 euros n'interviendra, elle, qu'à partir du neuvième mois, au lieu du septième mois dans la réforme de 2019. De fait, aucun abattement n'interviendra avant mars 2022.

Ces deux paramètres n'évolueront que lorsque la situation du marché du travail sera revenue à la normale, ce qui sera apprécié sur la base de deux indicateurs : une baisse significative du nombre de demandeurs d'emploi et un volume d'embauches élevé sur quatre mois. Je puis vous assurer qu'ils ne passeront simultanément au vert que si la dynamique d'emploi est vigoureuse.

Enfin, nous avons veillé à ce que le bonus-malus entre en vigueur en même temps que le nouveau mode de calcul du salaire journalier de référence. La période d'observation des comportements débutera dès le 1er juillet 2021 et se traduira en septembre 2022 dans les cotisations.

En résumé, nous avons bâti, dans la concertation, un système qui incite à recourir à des CDI ou à des CDD longs et à réduire la permittence, ce qui participe favorablement à la stabilité des emplois et à la protection des travailleurs.

Enfin je ne peux pas laisser dire que nous faisons des économies sur le dos des demandeurs d'emploi : au-delà de cette réforme, nous sommes pleinement engagés dans la lutte contre la précarité. Tout d'abord, nous avons déployé des aides massives d'urgence visant à protéger les demandeurs d'emploi pendant la crise sanitaire. Depuis novembre et jusqu'à la levée des restrictions sanitaires, les demandeurs d'emploi arrivés en fin de droits auront bénéficié d'une prolongation de leur allocation. Plus de 3 milliards d'euros y sont consacrés, au bénéfice de 830 000 personnes. Nous avons également renforcé les moyens de Pôle emploi en ouvrant dans la loi de finances pour 2021 plus de 2 000 postes supplémentaires.

Ensuite, nous avons lancé, dès novembre, une garantie de revenu minimum de 900 euros pour l'ensemble des travailleurs enchaînant des contrats courts et qui, en raison de la crise sanitaire, n'ont pas réussi à travailler suffisamment pour recharger leurs droits – ils sont pénalisés justement par le fonctionnement actuel de l'assurance chômage. Cette garantie de revenus est prolongée jusqu'au mois d'août. Au total, elle aura mobilisé 1,3 milliard d'euros pour soutenir environ 600 000 travailleurs précaires.

Enfin, la mission que le Gouvernement a confiée à Jean-François Mbaye et Xavier Iacovelli doit permettre d'avancer vers de nouvelles formes de sécurisation des travailleurs pour éviter de faire peser la flexibilité des entreprises sur l'assurance chômage. La mission doit me remettre ses conclusions la semaine prochaine. Nous aurons l'occasion d'évoquer ces enjeux la semaine prochaine en séance publique dans le cadre de la niche du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Sans vouloir préempter les débats qui suivront, je pense que nous manquerions notre cible en créant des annexes dérogatoires à l'assurance chômage. Nous préférons instaurer un nouveau plan d'action avec les branches professionnelles. Au-delà des instruments d'incitation prévus dans la réforme, nous allons renforcer le contrôle des abus de CDD courts et de CDD d'usage, et œuvrer à la réduction de leur utilisation. Nous devons avant tout ouvrir le dialogue avec les branches professionnelles les plus concernées et les engager à améliorer la qualité de l'emploi qu'elles offrent. Il s'agit d'une contrepartie qui me semble indispensable à l'accompagnement dont elles bénéficient depuis le début de la crise. Nous les soutiendrons bien sûr dans cette démarche, éventuellement en les aidant à recourir à des outils bien connus comme le CDI intérimaire et les groupements d'employeurs.

Avec la réforme de l'assurance chômage, non seulement nous luttons contre le chômage et la précarité, mais nous garantissons la pérennité de notre protection sociale. Notre objectif est d'aboutir à une sortie de crise concertée et proportionnée, qui assure aux entreprises la santé et la sécurité de leurs salariés, mais aussi des compétences adaptées soutenant la reprise de notre économie. Pour ce faire, nous veillons à ce que le rebond de notre économie soit réellement inclusif et donne à chacun, notamment les jeunes, les publics précaires ou les demandeurs d'emploi, la possibilité de valoriser ses potentiels, d'apprendre un métier, et d'entrer dans des emplois durables et de qualité.

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