Merci de m'accueillir dans votre commission des affaires sociales cet après-midi.
La proposition de loi pour des mesures d'urgence en faveur des intermittents de l'emploi que j'ai l'honneur de défendre devant vous est le fruit d'un travail au long cours, mené par le comité de suivi de la réforme de l'assurance chômage que nous avons institué à l'automne 2020 avec des parlementaires et des responsables syndicaux pour faire front contre cette réforme inique qui va fragiliser nombre de nos concitoyennes et concitoyens.
La crise sanitaire et économique que nous traversons n'épargne personne, mais certains secteurs clés de notre économie – l'hébergement, la restauration, l'événementiel, le tourisme, la culture – se trouvent, par leur nature même, plus affectés que d'autres. Permettez‑moi de vous rappeler quelques chiffres alarmants pour vous en convaincre. En avril 2020, au plus fort du premier confinement, le chiffre d'affaires du secteur de l'hébergement était inférieur de 89,5 % à son niveau d'avril 2019, quand celui de la restauration l'était de 90 %. Au même moment, le secteur de l'événementiel subissait une perte estimée à 15 milliards d'euros, du fait de l'annulation de milliers de salons, foires ou festivals. Enfin, entre 2019 et 2020, la branche professionnelle du spectacle vivant privé a chuté de 50 %.
Derrière ces chiffres, il y a près de 2 300 000 travailleurs et travailleuses, dont la plupart sont précaires, et qui sont les grands oubliés des mesures de soutien décidées par le Gouvernement. En effet, si les salariés en emploi stable ont bénéficié de mesures de soutien pérennes, avec l'activité partielle, les salariés en emploi discontinu restent pour la plupart sans mesure d'accompagnement.
Je peux vous parler de Xavier, un maître d'hôtel qui était employé en contrat à durée déterminée (CDD) d'usage : alors qu'il gagnait 33 000 euros en 2019, il n'a plus assez de ressources pour vivre et est menacé d'expulsion. Je peux vous parler de Yolanda, une guide‑conférencière qui avait un CDD d'usage et qui gagnait 18 000 euros en 2019 : elle a fini ses allocations et ne gagne plus rien depuis le mois de juin 2020. Aucun n'a pu bénéficier de la prime exceptionnelle, qui est arrivée trop tardivement et dont les critères d'éligibilité sont inadaptés et le montant insuffisant.
D'après les informations que nous avons pu obtenir, 600 000 intermittents privés de travail à un moment ou à un autre entre novembre 2020 et août 2021 auraient, à ce jour, perçu au moins une fois cette prime exceptionnelle, dont le montant mensuel moyen se serait élevé à 350 euros. Au-delà du fait que ce montant est très faible, un nombre significatif d'intermittents de l'emploi ont été exclus de l'aide, soit parce que le niveau de leurs revenus était considéré comme trop élevé – c'est-à-dire supérieur à 900 euros par mois ! – soit parce qu'ils n'ont pu satisfaire aux multiples conditions établies pour en bénéficier. Par exemple, la durée d'activité requise étant calculée en jours travaillés et non en heures, un certain nombre d'intermittents de l'emploi ont été pénalisés. La guide-conférencière que j'ai évoquée a travaillé 1 352 heures sur 112 jours. Or, pour toucher cette aide, elle aurait dû travailler 138 jours. Elle a donc dû rendre son appartement et retourner vivre chez ses parents.
Des millions de Françaises et de Français ont été violemment touchés par cette crise économique. La multiplication des plans de licenciement entraîne une importante augmentation du nombre de chômeurs et le nombre de demandeurs d'une aide alimentaire a augmenté de 45 %.
C'est dans ce contexte que le Gouvernement a choisi de mettre en application une réforme profondément injuste de l'assurance chômage qui va pénaliser l'ensemble de nos concitoyens, et particulièrement ces intermittents de l'emploi, dont une majorité se trouve désormais en fin de droits. Les études d'impact réalisées par l'UNEDIC sont alarmantes : lors de la première année d'application de la réforme, plus d'un million de demandeurs d'emploi subiront une baisse du montant de leurs allocations. Près de 80 % des chômeurs concernés par le nouveau mode de calcul du salaire journalier de référence auront perdu un emploi à caractère temporaire lors de l'ouverture de leurs droits.
Pour justifier cette réforme aberrante en pleine crise, le Gouvernement invoque sa volonté de lutter contre l'explosion des contrats courts constatée depuis une dizaine d'années. C'est encore ce qu'a fait la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion devant vous tout à l'heure : nous en débattrons ensemble le 17 juin, mais je veux déjà vous dire que cet argument ne tient pas la route. Prétendre qu'une assurance chômage trop protectrice serait à l'origine de la multiplication de ces contrats est un leurre. Selon l'UNEDIC, c'est plutôt la structure du marché du travail, la tertiarisation croissante de l'économie ou encore les exonérations fiscales sur les bas salaires qui contribuent à la multiplication des contrats courts – des mesures auxquelles mon groupe s'est toujours opposé.
Le diagnostic selon lequel l'assurance chômage serait devenue une machine à fabriquer de la précarité et serait responsable d'une explosion des contrats courts est totalement faux. Si l'on tient absolument à établir un lien de causalité entre les deux phénomènes, il faut plutôt l'inverser : en réalité, les données de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) montrent que la part des contrats courts de moins d'un mois dans les embauches a surtout augmenté dans les années 2000, au moment où les règles d'éligibilité étaient les plus strictes.
Les réformes de l'assurance chômage de 2014 et surtout de 2017 se sont appliquées à supprimer progressivement les règles spécifiques pour ces salariés intermittents de l'emploi. Indépendamment des raisons qui ont pu être invoquées à l'époque – absence de lisibilité du système antérieur ou promotion des droits rechargeables – le constat est sans appel : les intermittents de l'emploi subissent une double peine. Outre le fait qu'ils occupent des emplois précaires aux horaires atypiques et souvent mal rémunérés, ils subissent, et subiront à nouveau avec la réforme régressive qui s'annonce, une réduction de leurs droits au chômage. La représentante de Pôle emploi que nous avons auditionnée a bien parlé d'une réduction des droits au chômage.
Mon groupe politique s'est battu contre la « loi travail » parce qu'elle flexibilise le marché du travail et insécurise les travailleurs. Nous avons déposé, à l'occasion d'une précédente niche parlementaire, une proposition de loi contre les temps partiels subis, que votre majorité a allégrement rejetée. Nous nous sommes battus contre l'imposition des contrats à durée indéterminée (CDI) de mission ou des CDI de chantier. Je refuse donc que l'on me fasse la leçon sur l'utilisation abusive des contrats courts.
Nous parlons de salariés pour lesquels l'emploi discontinu est la norme. Dans leur secteur, le CDI n'est pas envisageable, par nature. Il nous faut donc les protéger davantage, et non leur faire payer la spécificité de leur statut ou les abus de leurs employeurs. Nous ne pouvons pas prendre le risque de les laisser sombrer dans l'ubérisation et la pauvreté. C'est d'ailleurs vrai de toutes celles et de tous ceux qui subissent les contrats courts, que ce soit ou non dans la nature de leur emploi : ce n'est pas aux salariés de payer l'utilisation massive des contrats courts. Et ce n'est pas votre réforme qui dissuadera les employeurs d'y recourir.
Je sais que cet objectif de reconnaissance de l'activité des intermittents dans les emplois de la restauration, de l'hôtellerie et de l'événementiel est assez largement partagé puisque la proposition de loi que je vous présente s'inspire en grande partie de celle de notre collègue Jean-François Mbaye, qui a été cosignée par des députés siégeant sur tous les bancs de notre assemblée, dont quatre‑vingts membres de la majorité. Malheureusement, cette dernière n'a jamais été inscrite à l'ordre du jour ; avec la mienne, c'est désormais chose faite. Les propos de Mme Borne tout à l'heure montrent qu'elle suscite l'intérêt du Gouvernement, et il me tarde d'en débattre en séance.
Notre proposition de loi comporte deux volets : l'un, conjoncturel, vise à ouvrir la prime exceptionnelle à tous les intermittents de l'emploi afin de compenser intégralement les pertes de revenus qu'ils ont subies en 2020, un peu comme l'a fait le chômage partiel pour les emplois stables ; l'autre, de nature plus structurelle, entend rétablir un régime d'assurance chômage spécifique pour ces travailleurs à l'emploi discontinu.
L'article 1er instaure une aide financière de l'État au profit de l'ensemble des intermittents de l'emploi inscrits comme demandeur d'emploi au moins une fois entre mars 2020 et avril 2021. Le dispositif vise précisément les emplois saisonniers, qu'ils relèvent d'un contrat de mission ou d'un contrat à durée déterminée, occupés par les salariés au cours des années 2017, 2018 et 2019. Au titre de l'année 2020, les salariés éligibles devraient avoir tiré de leurs activités professionnelles salariées, exercées en France ou à l'étranger, des salaires bruts calculés sur les seuls jours d'emploi ou assimilés, inférieurs à la moyenne de ceux perçus au titre des trois années précédentes. L'ambition de cette prime est bien de compenser les pertes exceptionnellement engendrées par la crise sanitaire et par l'arrêt de leur activité, qu'ils n'ont évidemment pas choisi.
Les articles 2 à 4 reviennent sur la suppression de l'annexe IV de l'UNEDIC, qui était propre aux intermittents de l'emploi. Ils rétablissent un régime d'assurance chômage spécifique, sur le modèle de celui qui existe pour les intermittents du spectacle. Je rappelle qu'environ 1 200 000 salariés occupent un emploi d'une durée inférieure à trois mois, dont la moitié dure moins d'un mois. La durée très brève de ces contrats justifie l'existence de règles distinctes, qu'il reviendra aux partenaires sociaux et aux organisations représentatives d'employeurs de déterminer lors de la prochaine convention relative à l'indemnisation du chômage. Nous avons bien conscience que la restauration d'annexes spécifiques au règlement général va à contre-courant des politiques menées au cours des dix dernières années, mais notre constat est simple : l'existence de règles d'indemnisation spécifiques aurait, sans conteste, permis aux intermittents de l'emploi de mieux affronter la crise économique et sociale.
Depuis mars 2020, plusieurs parlementaires ont cherché, par voie d'amendement, à créer des aides pour ces oubliés que sont les intermittents de l'emploi, mais l'absence d'annexe spécifique a constitué un frein à leur action. Réintroduire cette annexe serait une manière de reconnaître la spécificité du statut d'intermittent de l'emploi et l'inadaptation du régime général à leur situation ; si cette annexe avait existé pendant la crise, elle aurait évité que ces personnes, qui n'ont pas choisi d'arrêter de travailler mais qui y ont été contraintes, soient pénalisées. Il y a d'ailleurs fort à parier que le déploiement en urgence d'une prime exceptionnelle n'aurait pas été nécessaire avec une couverture sociale suffisamment protectrice des travailleurs et travailleuses en emploi discontinu.
Mes chers collègues, entendons les cris d'alerte des intermittents de l'emploi, qui sombrent un peu plus chaque jour dans la précarité depuis le début de cette crise. Nombre d'entre eux ne vont pas reprendre leur activité tout de suite : dans le secteur de la restauration, du fait des demi-jauges, certains n'ont pas été rappelés. Apportons-leur une aide financière exceptionnelle pour qu'ils sortent la tête de l'eau, mais surtout garantissons-leur un régime protecteur pérenne. Aidons-les à conserver leurs compétences pour éviter qu'ils ne partent vers d'autres secteurs d'activité. Nous nous sommes tous réjouis de pouvoir retourner boire un verre sur les terrasses de nos cafés préférés, de retrouver les salles obscures en famille ou entre amis. Ces secteurs d'activité ne seraient rien sans les femmes et les hommes qui contribuent à les faire vivre : ne les oublions pas.