Je vous remercie, chers collègues, de vos interventions. Je tiens à préciser quelques points.
Madame Fontenel-Personne, la prime instaurée en novembre 2020 concernait bel et bien les personnes occupant un emploi temporaire. Quant à l'explosion des contrats courts, c'est effectivement une réalité, puisque leur nombre a été multiplié par 2,5 – ce qui, au passage, équivaut à une augmentation de 150 % et non de 250 %, chiffre pourtant asséné régulièrement y compris par la ministre du travail elle-même, devant les médias ou devant nous par exemple cet après-midi ; mais cela n'enlève rien à notre volonté de combattre cette explosion des contrats courts.
Les personnes dont nous parlons enchaînaient des contrats courts et ont été inscrites comme demandeur d'emploi entre mars 2020 et avril 2021, mais elles n'étaient pas nécessairement indemnisées par Pôle emploi. Elles se retrouvent désormais dans une situation de grande détresse, et ne sont pas forcément à même de reprendre une activité immédiatement.
M. Cherpion a évoqué à juste titre le fait que l'hôtellerie-restauration a du mal à retrouver des salariés. Il est vrai que, faute de pouvoir travailler dans ce type de secteurs, certains salariés ont cherché des emplois dans ceux où l'activité se poursuivait. Ils ont donc quitté leur secteur d'origine, en acceptant d'ailleurs bien souvent des emplois moins qualifiés que ceux qu'ils exerçaient et requérant des compétences inférieures – ce qui fait craindre par conséquent pour les personnes les moins qualifiées, à qui ces emplois correspondaient.
L'objectif de cette proposition de loi, dans son article 1er, est de venir en aide à toutes celles et tous ceux qui ont été oubliés par les différentes mesures ou en tout cas dont la situation n'a pas été suffisamment prise en considération. Il s'agit des intérimaires, des saisonniers et de ceux qui enchaînent des CDD. Personne ici n'a nié la grande détresse dans laquelle ils se trouvent.
Certes, une prime exceptionnelle a été instituée, mais elle l'a été tardivement et n'était pas adaptée à l'ensemble de ces situations. Lorsqu'elle l'était, les montants servis sont demeurés très faibles. Ces personnes restent donc en grande difficulté. Il convient en outre de distinguer plusieurs types de situations parmi les bénéficiaires de la prime.
Le marché du travail est désormais particulièrement flexible. Cela résulte d'une volonté politique et de mesures précises. Or ces salariés continueront à enchaîner des contrats courts tant que nous les mettrons à la merci d'un marché du travail à ce point flexibilisé et insécurisant. Ce n'est qu'en protégeant correctement les salariés que nous les mettrons à l'abri de cette flexibilisation. Nous essayons donc ici d'inverser la logique actuelle.
Rappelons que ces salariés en emploi discontinu travaillent. Vous ne pouvez donc pas prétendre qu'ils sont fainéants ou qu'ils n'ont pas « traversé la rue » pour trouver un emploi !
Les libéraux mettent régulièrement en avant un second argument : si l'on rémunérait moins le chômage, si les droits garantis par le système assurantiel étaient moindres, le marché du travail offrirait davantage d'emplois stables. Or toutes les recherches et études réalisées démontrent le contraire. La prix Nobel d'économie Esther Duflo, par exemple, explique que tout cela ne repose sur rien. Si l'on s'intéresse aux liens de causalité, on se rend compte que c'est au moment où les règles d'accès à l'assurance chômage ont été les plus strictes que les contrats courts ont explosé. Tel est le cas sur un marché du travail qui flexibilise et insécurise ces salariés.
Collègues de la majorité, vous trouvez souvent les membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine en travers de votre chemin afin de lutter contre cette flexibilisation et contre le détricotage du code du travail, qui déstabilisent les parcours de vie.
Quand nous proposons le rétablissement d'une annexe spécifique, de qui parlons‑nous ? De salariés pour qui l'emploi discontinu est la norme.
Prenons la situation des guides-conférenciers et guides-conférencières. Comment entendez-vous lutter contre les contrats courts en ce qui les concerne ? Qui donc est prêt à embaucher en CDI une personne pour assurer un jour une visite de Montmartre en anglais, deux semaines plus tard un circuit des châteaux de la Loire sur trois jours, la semaine suivante un tour des caves de Bourgogne ? Seul un très petit nombre d'entre eux le sont, généralement par des offices de tourisme. Pour les autres, je ne vois pas comment ils pourraient éviter les contrats courts. Notons d'ailleurs qu'ils se forment sur leur temps chômé, qui n'est pas rémunéré puisqu'ils ne sont généralement pas indemnisés par l'assurance chômage : ils font suffisamment d'heures. En tout cas, ils ne peuvent pas relever du régime général, puisqu'ils ne répondent pas aux critères. Et ce sera encore moins le cas demain.
Vous avez d'ailleurs déjà pu le constater avec la prime exceptionnelle : la durée d'activité requise était exprimée en jours travaillés, alors même que ces salariés, à l'image des intermittents du spectacle, calculent leur durée de travail en heures. Demain, la réforme de l'assurance chômage aggravera encore les choses, puisque la référence sera le mois et non plus la journée de travail. Bref, leur situation est bel et bien spécifique.
Vous prétendez vouloir lutter contre les contrats courts. Au bout de quatre ans de mandat passés à vos côtés, permettez-moi d'en douter, quelle que soit votre bonne volonté. Mais de toute façon, la perspective d'un emploi stable est un leurre pour toute une partie de ces salariés, dont les gouvernements successifs ont d'ailleurs reconnu que pour eux l'emploi discontinu était la norme. Bref, on ne répond pas à leur situation, en raison d'une profonde incompréhension ou d'un désintérêt.
J'en viens au système de bonus-malus, argument suprême brandi par le Gouvernement pour prouver qu'il veut réellement s'attaquer aux contrats courts. D'une part, pourquoi n'a-t-on pas, dans le plan de relance, subordonné le versement des milliards qui ont été accordés aux entreprises, y compris aux plus grandes, à l'absence de recours massif aux contrats courts ? Cela aurait été une manière de passer de la parole aux actes. Et on aurait pu ajouter une autre condition : l'interdiction des licenciements – qui se succèdent en ce moment.
D'autre part, pourquoi le système de bonus-malus n'interviendra-t-il que dans un second temps ? La ministre du travail tente d'expliquer qu'il sera mis en place en même temps que la réforme de l'assurance chômage, mais en précisant qu'il n'entrerait en vigueur qu'en septembre 2022... Il y a donc un décalage, et ce sont d'abord les salariés qui paieront ; c'est incontestable.
Enfin, certains d'entre vous ont soulevé la question du coût des mesures que nous vous soumettons. Aucune étude d'impact n'a pu être réalisée, puisqu'il s'agit d'une proposition de loi. En 2020, le dispositif de chômage partiel et le fonds de solidarité ont coûté respectivement 27 milliards et 12 milliards d'euros : les mesures dont nous parlons concernant un nombre de salariés bien moindre, il faut peut-être compter une dépense supplémentaire de 3 à 4 milliards. Mais, à mon sens, l'argument financier n'est pas recevable. En tout cas, je le trouve profondément injuste, car il s'agit de venir en aide à des salariés en grande détresse, qui n'ont pas pu bénéficier des milliards débloqués et qui travaillent dans des secteurs d'activité dont nous aurons bien besoin pour la reprise.
Il y a quelques mois, plusieurs membres de la majorité ont cosigné une proposition de loi similaire. Certains d'entre eux se sont exprimés ici et trouvent désormais à ces mesures tous les travers du monde. J'ai beau faire de la politique depuis quelque temps, cela continue de me surprendre, voire de me choquer. En tout cas, merci pour votre écoute.