Intervention de de l'INCa

Réunion du jeudi 10 juin 2021 à 10h00
Commission des affaires sociales

de l'INCa, président :

J'ai une pensée pour mon ami Axel Kahn, qui est président de la Ligue contre le cancer et vice-président de l'INCa, et avec lequel j'ai noué des liens personnels, l'essentiel de ma formation en hématologie s'étant déroulée à l'hôpital Cochin et à l'Hôtel-Dieu.

Les fonds supplémentaires qui nous sont alloués seront, pour l'essentiel, dédiés à la recherche. Alors même que l'augmentation du budget ne porte pas encore sur une année pleine, le budget initial de l'INCa pour 2021 est passé de 94 à 118 millions d'euros, et cet abondement de 24 millions d'euros est entièrement affecté à la recherche. Une somme de 13,5 millions d'euros sera dédiée au socle des appels à projets libres de biologie, en recherche translationnelle, en sciences humaines et sociales, épidémiologie et statistiques. Un montant de 3,2 millions d'euros sera destiné à la structuration et aux réseaux sur la recherche en prévention primaire, et 7,3 millions d'euros à des appels à projets multithématiques, définis dans la stratégie. Nous porterons également notre effort sur l'accès aux soins et le soutien aux familles et aux aidants.

Comme je l'ai dit, tout ce qui est encore inconnu fera l'objet de travaux de recherche. Les appels à consortiums ont pour objet de faire venir des chercheurs, des équipes qui ne venaient jamais travailler avec nous : je pense à des spécialistes des mathématiques, de la physique, de la chimie... Notre hypothèse est que, si les médecins, les pharmaciens, les biologistes, les physiciens, les mathématiciens ou les chimistes ne semblent pas en mesure de vaincre seuls les maladies incurables, peut-être y parviendront-ils en travaillant ensemble. Nous souhaitons donc bâtir ces consortiums, en leur donnant du temps et de la liberté, mais aussi la possibilité de lancer des appels à projets que j'ai appelés « High Risk High Gain », pour lesquels, pourvu que la dimension rationnelle et intellectuelle soit très solide, et les équipes de qualité, nous sauterons un certain nombre d'étapes intermédiaires dans le cadre de la recherche fondamentale. Il y a certes un risque scientifique mais, partout où cela fonctionnera, on gagnera de nombreuses années.

L'ARN messager a été développé prioritairement en vue de la recherche contre le cancer et a ensuite été utilisé à d'autres fins, y compris la vaccination contre la covid-19. L'ARN est une piste sérieuse, mais ce n'est évidemment pas la seule. Les cancers sont plurifactoriels. Chacun de nous fait, chaque jour, une vingtaine de cancers que le système de correction de l'ADN répare ; parfois, l'un d'eux échappe à la correction et va stagner ou se multiplier sous l'effet, par exemple, de l'action hormonale ou d'une restimulation par le même produit cancérigène. À chaque étape, des agents multiples interviennent et on peut imaginer que l'ARN messager en fasse partie – des recherches sont en cours sur ce sujet depuis très longtemps. La panacée n'existe pas, mais nous allons suivre cette piste grâce à l'ensemble des appels à projets que je vous ai décrits.

La stratégie décennale vise à s'assurer que les progrès profitent à tous. C'est l'aboutissement d'un effort très significatif et d'une réflexion aboutie sur les inégalités. Je remercie Mme Robert d'avoir évoqué l'accès à la prévention des personnes handicapées. L'INCa participe au financement d'un travail mené par l'Oncopole et le CHU de Toulouse sur les cancers des personnes handicapées.

Lorsque je me suis rendu au Sénat, pour y être auditionné, j'ai découvert, en sortant du métro, dans la vitrine de la librairie polonaise, un livre intitulé L'Histoire des inégalités, de l'âge de la pierre au XXIe siècle. Sans doute savez-vous que les cahiers de doléances, en 1789, comportaient de très longs chapitres concernant les inégalités de santé ? Nous n'allons pas régler ce problème en un tournemain ; en revanche, nous allons le prendre à bras-le-corps, de plusieurs manières.

Premièrement, par un volet socio‑intellectuel, en fournissant des informations faciles à lire et à comprendre, qui s'inscrivent dans le cadre du nudge.

Deuxièmement, en développant des autotests – notamment s'agissant du cancer du col – pour des femmes qui sont réticentes à se faire examiner, en recourant à des ambassadeurs culturels, à des interprètes, en développant des approches qui couplent prévention et dépistage ou en faisant en sorte que chaque contact compte et qu'un malade venant aux urgences se voie proposer systématiquement un dépistage ou un soin supplémentaire.

Troisièmement, en améliorant les accès géographiques, avec les équipes mobiles d'accompagnement, qui sont en cours d'évaluation. Nous travaillons par ailleurs avec Santé publique France sur la géolocalisation, afin de repérer les zones comptant peu de dépistages et dans lesquelles nous devrons porter un effort supplémentaire d'incitation. Il s'agit également de nouer des partenariats associatifs au plus près des malades réticents, en équipant tous les professionnels, particulièrement dans le domaine médico-social, d'outils de premier contact et d'explication. Par ailleurs, cinq des dix-sept centres régionaux de dépistage des cancers sont situés dans les départements et régions d'outre-mer, ce qui illustre de manière extrêmement claire le soutien que nous voulons y apporter.

Les Français demeurent rétifs au dépistage, d'abord parce qu'ils acceptent mal l'autorité. En 2016, une enquête de Science et Vie sur la vaccination a montré qu'en Europe, 12 % des personnes sont réticentes ou résolument hostiles à la vaccination, mais que ce chiffre atteint 38 % en France. Certaines personnes en font leur miel, sèment la peur et accroissent l'inquiétude. Souvenons‑nous de tout ce qui a été dit sur les dangers de la vaccination par ARN messager, alors que c'est l'un des moyens les plus sûrs. Malheureusement, trop de médias y prêtent une oreille attentive à ces propos et deviennent des chambres d'amplification. Nous ne pouvons compter, pour combattre ce discours, que sur notre capacité à expliquer, et sur votre soutien.

Le dépistage est un sujet que nous traitons au quotidien. Nous avons totalement rénové le dépistage du cancer du sein ainsi que celui du cancer colorectal – je pense que cela va finir par se voir. Je rappelle que nous avons connu des difficultés juridiques, des plaintes ayant été déposées contre l'assurance maladie, à qui l'on a reproché d'avoir choisi tel ou tel kit. Ces contentieux sont à présent derrière nous. Dans le cadre de la stratégie décennale, on pourra commander un kit en ligne ou par téléphone, notamment dans les zones dépourvues de médecins traitants ; des expérimentations sont en cours pour le retirer en pharmacie.

Le dépistage est une tâche de très longue haleine. Nous travaillons avec la Société française de radiologie sur la douleur. Nous nous penchons sur la seconde lecture qui, demain, pourrait se faire grâce à l'intelligence artificielle et, ainsi, raccourcir les temps de réponse. On doit penser à l'inquiétude des femmes qui attendent les résultats de leur examen.

En outre, est actuellement étudiée la possibilité de dispenser le patient de toute avance de frais pour les dépistages et les soins. Des expérimentations sont en cours à l'étranger, que nous suivons ; des problèmes éthiques, liés à l'intéressement, peuvent se poser. Enfin, nous menons des actions ciblées, particulièrement sur le handicap, en prévoyant des consultations adaptées, un accompagnement spécifique, etc.

La recherche sur les cancers liés à l'environnement et à l'alimentation est l'un de nos axes de travail majeurs. Je vais d'ailleurs, prochainement, participer à une réunion sur les nitrites. Pour vous donner une idée, un tiers des 234 actions de l'INCa sont directement liées à la prévention, et 10 % à l'environnement. Nous recourons à tous les moyens possibles : la recherche, la surveillance, l'observation, l'évolution normative, la substitution de produits ou de procédés, l'accompagnement des acteurs et des collectivités pour développer des actions protectrices – par exemple un plan zéro exposition à l'école –, l'information des usagers, le développement des conduites à tenir, des actions transversales sur les données et leur enrichissement, par exemple par des questionnaires supplémentaires.

Je rappelle que le tabac est à l'origine de 20 % des cancers, l'excès d'alcool, de 8 % d'entre eux, les agents infectieux, de 5,5 %, l'alimentation et le surpoids, de 5,5 % également, auxquels s'ajoutent tous les éléments environnementaux qui doivent être étudiés et pris en compte.

En recherche, nous faisons de la structuration. Nous labellisons structures et réseaux, nous encourageons le travail sur l'exposome, qui est organisé à l'échelle nationale et européenne. Il est indispensable que tout le monde travaille ensemble, non pas dans un état d'esprit compétitif, mais de façon intelligente. Nous avons lancé des appels à projets multithématiques sur des sujets tels que « dépistage et expositions environnementales », « interventions à l'école », « risque infectieux », « accompagnement des personnes », etc. Nous participons au programme Exposome et nous travaillons à l'amélioration de la surveillance et des données, par des questionnaires, en espérant que l'opposition d'une partie des cancérologues pédiatres à l'alimentation de certains registres s'apaise et nous permette de mieux travailler.

Enfin, nous engageons un effort soutenu s'agissant des cancers professionnels, en développant des leviers normatifs, en effectuant un travail de surveillance, en accompagnant les acteurs, en proposant des modifications des procédés de fabrication et en favorisant les démarches en ligne. Ces cancers ne sont en effet pas suffisamment déclarés et donc pas assez indemnisés.

Les cancers évitables – pas seulement ceux qui sont liés à l'alcool ou au tabac – sont aussi parmi les plus graves, à l'image des cancers du poumon, du foie ou de l'œsophage. Nous connaissons les facteurs de risque. La lutte contre ces cancers aura des effets doublement favorables : le nombre de pathologies diminuera et on s'attaquera directement à la frange des cancers les plus résistants.

L'accompagnement de l'après-cancer est un sujet sur lequel nous avons également beaucoup travaillé. Je me permets de vous rappeler que l'INCa a été à l'origine du droit à l'oubli. Nous le faisons évoluer tous les ans, notamment en ce qui concerne l'âge, le nombre de maladies et, dans le cadre de la convention « S'assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé » (AERAS), les taux de surcoût d'assurance pour un certain nombre de maladies. Nous sommes l'un des piliers européens sur cette question. M. Philippe-Jean Bousquet, en charge des données et de la convention AERAS à l'INCa, s'est récemment exprimé à ce sujet devant le Conseil de l'Europe.

S'agissant des conséquences de la covid-19, nous avons été obligés d'interrompre les dépistages entre mars et mai 2020, car les patients ne venaient pas, les médecins étaient occupés par la covid et les outils de radiologie étaient suremployés – les hôpitaux connaissaient alors un véritable choc. Nous avons pu interrompre les traitements pendant trois mois. Il existe de la littérature sur le sujet, et nous savions comment faire.

L'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation (ATIH) fournira, le 30 juin, les données stabilisées relatives à l'année 2020. Les hôpitaux ont encore quelques semaines pour établir leurs chiffres, les corriger, les valider et les confirmer. Néanmoins, nous avons déjà une approche assez fine. On a dénombré, en 2020, une diminution de 19 %, par rapport à 2019, des endoscopies digestives hautes et basses et des fibroscopies respiratoires, une baisse de 7 % des exérèses chirurgicales, notamment pour les cancers de l'œsophage, ORL, de l'estomac et du rectum – beaucoup moins pour le thorax –, une réduction de 9,6 % des mammographies et de 11 % des dépistages du cancer du col.

En revanche – mais on aurait tort de s'en réjouir –, on relève une hausse de 40 % des dépistages du cancer colorectal. Cela s'explique par le fait que, les procès étant derrière nous, les freins juridiques ont été levés. On a commencé à expédier le nouveau kit de dépistage, qui est beaucoup plus performant que le précédent. Il présente une spécificité de 95 % – contre 55 % pour le précédent – et une sensibilité de 75 %. Par ailleurs, dans plus de la moitié des cas, si le test est positif, l'endoscopie donnera un résultat exploitable : elle détecte quatre fois plus les polypes qui auraient évolué et deux fois et demie plus de cancers que ce qu'elle pouvait déceler avec l'ancien test. En outre, lorsqu'un cancer est diagnostiqué, il est, dans les trois quarts des cas, au stade 1 et est guéri par le fait même de la biopsie.

En outre, lorsque le diagnostic du cancer du côlon est réalisé grâce au dépistage, 90 % des malades sont vivants et en rémission complète cinq ans après. En revanche, lorsqu'il est décelé par un diagnostic clinique, à partir de signes en général métastatiques, le nombre de malades vivants, au bout de cinq ans, tombe à 16 %.

Vous comprenez à quel point nous avons besoin de votre aide pour qu'un maximum de dépistages soient réalisés. À chaque fois que je m'exprime sur le sujet, je suis immédiatement agressé, brocardé sur les réseaux sociaux, dépeint comme un vieil imbécile... On a démontré que, lorsque le diagnostic du cancer du sein résulte d'un dépistage, les femmes subissent environ 20 % de chirurgie délabrante en moins et 18 % de chimiothérapie en moins. Croyez-moi, cela change la donne. En tout état de cause, une radiothérapie est pratiquée. Or, le risque de leucémie encouru par une femme qui n'a subi que de la radiothérapie est extrêmement faible. En revanche, lorsqu'elle est associée à la radiothérapie, la chimiothérapie entraîne un taux de leucémie secondaire à dix ans de l'ordre de 7 %.

Il est très difficile d'évaluer l'impact de la covid sur le cancer, car les sociétés savantes et l'INCa ont accompagné les malades dès mars 2020, en proposant des traitements alternatifs chaque fois que c'était possible – traitements ambulatoires, remplacement de la chirurgie par de la chimiothérapie ou de la radiothérapie... Nous suivons les effets potentiels de ces traitements, semaine après semaine. Jean-Baptiste Méric, responsable du pôle santé publique et soins de l'institut, a organisé ce suivi au plus près des établissements, des régions, avec la direction générale de l'offre de soins (DGOS), les agences régionales de santé et les directeurs d'établissement, afin de prioriser les gestes chirurgicaux et les traitements et de rattraper « à la carte » ce blocage de masse.

À la demande d'Alain Fischer, nous avons proposé la vaccination contre la covid aux malades qui avaient été atteints de cancer et à leur entourage. Par ailleurs, nous avons conçu une action d'adaptation de la lutte contre le cancer en situation de crise – l'action 4.7.6 de la stratégie décennale –, qui consiste à organiser les transferts de patients entre établissements ; à constituer des filières distinctes au sein des établissements ; à travailler avec les sociétés savantes sur les traitements alternatifs, ambulatoires, etc. ; à être attentifs au risque de pénurie ; à dédier un groupe spécifique pour remonter en temps réel les besoins et les tensions ; à organiser une communication fluide entre les agences nationales, les fédérations hospitalières, les sociétés savantes, les entités de régulation territoriale et les acteurs du soin.

Ces actions doivent être menées au plus près des établissements. Ceux-ci doivent nous fournir, le plus rapidement possible, des données raisonnablement interopérables. Nous demandons à chaque établissement – et nous comptons sur votre appui – de ne pas choisir systématiquement un système informatique qui ne puisse pas communiquer avec les autres.

L'INCa s'est immédiatement rapproché de ses partenaires internationaux. En avril 2020, j'ai échangé avec l'Allemagne, l'Italie, la Corée du Sud, le Japon, le Canada et le Québec. Nous avons organisé une veille internationale sur la recherche, avec le CIRC et avons établi une coopération technique sur l'organisation des soins.

Il serait malhonnête de prétendre que la crise n'aura pas de conséquences, mais sachez que nous les surveillons de très près. L'INCa a la possibilité de suivre toutes les données nationales, alors qu'une fédération hospitalière ne dispose que de ses propres informations. Les données que nous établissons ne sont pas consolidées et sont publiques. Elles ont d'ailleurs été largement reprises par la presse et nous ne refusons jamais de les communiquer.

Monsieur Perrut, concernant le troisième plan cancer, 90 % des jalons ont été réalisés. Ce plan a été un grand succès, qui ne doit cependant pas occulter deux échecs majeurs. Le premier d'entre eux est l'accès à l'IRM. Toutefois, comme vous avez pu le constater, nous avons repris cet objectif dans la stratégie décennale, avec le soutien de la DGOS ; 30 millions d'euros ont d'emblée été dédiés à l'accès aux IRM du corps entier. Nous devons maintenant porter l'effort sur la formation des radiologues ; nous aurons besoin de davantage d'internes et de radiologues.

Le second échec est l'accès au dépistage. Le travail est en cours, mais la tâche est très difficile. Nous avons besoin de l'écoute et du soutien de la population. Des personnes se laissent intoxiquer par un certain discours, parce qu'elles ne disposent pas toujours des moyens scientifiques de le critiquer. Dire que la vaccination contre les HPV est dangereuse fait énormément de mal aux Françaises et aux Français. L'INCA a commencé à publier sur son site des documents de lutte contre les fake news, accessibles à tous.

L'accompagnement après le cancer est évidemment essentiel et la stratégie comporte un volet complet sur le sujet.

L'accompagnement des familles d'un enfant malade est également prévu, notamment quand l'enfant doit s'éloigner pour suivre son traitement.

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