Commission des affaires sociales

Réunion du jeudi 10 juin 2021 à 10h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • cancer
  • dépistage
  • inca
  • malade
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  En Marche    MoDem    Agir & ex-LREM    Les Républicains  

La réunion

Source

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Jeudi 10 juin 2021

La séance est ouverte à dix heures.

La commission entend, en visioconférence, en application de l'article L. 1451‑1 du code de la santé publique, le Pr Norbert Ifrah, dont le renouvellement est proposé aux fonctions de président de l'Institut national du cancer.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Notre présidente, Mme Fadila Khattabi, est retenue par une visite ministérielle dans sa circonscription et vous prie de bien vouloir l'excuser.

Nous auditionnons ce matin M. le professeur Norbert Ifrah, dont le renouvellement dans les fonctions de président de l'Institut national du cancer (INCa) est envisagé.

Monsieur le professeur, les dispositions de L. 1451‑1 du code de la santé publique nous font obligation de vous entendre, avant votre nomination éventuelle pour un nouveau mandat de cinq ans. Depuis votre accession aux fonctions de président de l'INCa, en juin 2016, la commission a eu l'occasion de vous auditionner à deux reprises : tout d'abord, le 19 septembre 2018 et, plus récemment, le 23 septembre 2020, avec le directeur général de l'institut, M. Thierry Breton. Nous avions alors beaucoup échangé sur les moyens affectés à la recherche sur les cancers pédiatriques.

Notre commission se réjouit de ce rendez-vous avec votre institution, qui nous est chère et à laquelle nous sommes très attachés, depuis sa création par la loi de santé publique du 9 août 2004. Vous assumez en effet une lourde mission, qui inclut une action de coordination, en matière de lutte contre le cancer. Je rappelle que vous êtes un grand professeur d'hématologie et que vous pouvez vous appuyer, dans le cadre de cette tâche, sur votre expertise sanitaire et scientifique.

J'ajoute que l'INCa est placé sous la tutelle du ministère des solidarités et de la santé, d'une part, et du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, d'autre part. L'institut est constitué sous la forme d'un groupement d'intérêt public qui associe l'État, les grandes associations de lutte contre le cancer, les caisses d'assurance maladie, les organismes de recherche et les fédérations hospitalières.

Nous allons vous entendre pour un propos introductif, qui vous permettra de dresser le bilan de votre action et, surtout, de dessiner les perspectives pour les années à venir, avec le quatrième plan cancer, qui est déjà lancé. Nous aurons ensuite des échanges sous forme de questions-réponses.

Permalien
Norbert Ifrah, président de l'Institut national du cancer

Je voudrais dresser un panorama de la lutte contre les cancers, sous la forme de quelques questions. Où en sommes‑nous dans la lutte contre le cancer ? Quelle est la position de la France ? Quels sont les grands défis à relever ? Quelles sont les solutions ou, du moins, les pistes pouvant être suivies ? Et quelle place accorder à la recherche et à la coopération européenne ?

Je mettrai de côté le sujet pédiatrique, dans la mesure où nous y avons consacré beaucoup de temps récemment et où, comme je m'y étais engagé, nous allons produire chaque année, en septembre ou en octobre – le temps de réaliser les analyses – un document récapitulatif de ce qui a été fait, qui s'apparentera à celui que je vous ai remis l'année dernière.

Où en sommes-nous dans la lutte contre le cancer ? D'abord, on a une meilleure connaissance de la maladie et des dispositifs de lutte contre les cancers. La connaissance des phénomènes fondamentaux a beaucoup progressé, grâce aux avancées de la recherche. La recherche est mondiale, très dynamique, très coûteuse, très compétitive. Elle est dominée par les pays riches ou culturellement très habitués à la considérer comme un investissement plutôt qu'une dépense – une conception extrêmement variable dans le monde, y compris dans l'espace occidental.

Les dispositifs de dépistage, de diagnostic et de suivi sont de plus en plus performants – c'est une évidence –, avec l'apparition de l'imagerie par résonance magnétique (IRM) du corps entier, d'outils biologiques pertinents et d'un diagnostic génomique ciblé accessible à tous. Un vrai défi concernera l'utilisation des données qui seront issues, par exemple, du plan France médecine génomique 2025.

La prévention est plus ancrée dans le quotidien des personnes et, de ce fait, plus performante. On a une meilleure connaissance de la puissance de la prévention dans le dépistage organisé. Les résultats sont encourageants, mais les efforts doivent être poursuivis. Je rappelle que, s'agissant de la lutte contre le tabagisme, on assiste à une baisse historique de la consommation en France – même si les Français ont repris la cigarette pendant le confinement.

La vaccination, des filles et des garçons, contre les infections aux papillomavirus (HPV) a prouvé sa capacité à éradiquer certains cancers viro-induits. La France s'est engagée résolument dans cette voie. Les pays du nord et l'Australie évoquent déjà la disparition de ce type de cancer.

De meilleurs traitements sont appliqués, qui allient efficacité et amélioration de la qualité de vie. Un gros effort est effectué pour développer les traitements ambulatoires. La chirurgie ambulatoire connaît des progrès notables. Des outils tels que les robots chirurgicaux sont mis en avant. Toutefois, nous devons continuer à les évaluer et à les surveiller car, même s'ils sont adaptés à un certain nombre d'indications, des travaux américains concordants, émanant de plusieurs équipes, montrent que la chirurgie robotisée s'accompagne d'une perte de chance – en termes de survie – dans les cancers pelviens de la femme.

Les techniques interventionnelles sous imagerie évitent des opérations chirurgicales dangereuses. Parmi les techniques de radiothérapie modernes, on peut citer les protonthérapies, ou la radiothérapie guidée par l'imagerie, qui évite d'irradier des zones d'ombre qui ne sont pas malades – et, ainsi, de faire le lit d'un second cancer. On peut également évoquer les chimiothérapies ciblées et les immunothérapies – par les médicaments, les anticorps ou les cellules T porteuses d'un récepteur chimérique (CAR-T), lesquelles n'en sont qu'à leur balbutiement.

Où en est la France ? D'abord, la prévention doit y être améliorée. Nos données de soins sont très favorables et placent notre pays dans la partie très supérieure du panier mondial. Cependant, l'espérance de vie en bonne santé en France, en 2016, se situe en dessous de la moyenne des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), tant pour les femmes que pour les hommes. À 65 ans, les femmes ont 10,7 années d'espérance de vie en bonne santé et les hommes, 9,8 années, alors que, dans les pays du nord de l'Europe, ces chiffres dépassent 15 ans. La consommation française de tabac a énormément diminué, mais elle continue à faire de nous l'un des plus mauvais élèves de la classe européenne, mais aussi mondiale. Un adulte sur quatre fume encore quotidiennement du tabac. La couverture vaccinale HPV est relativement faible, de l'ordre de 30 % ; certains pays européens affichent une couverture de plus de 60 % et les États-Unis se situent à 80 %.

Toutefois, nos données de soins sont plutôt favorables. Par exemple, le reste à charge des ménages, pour un traitement contre le cancer, est parmi les plus bas des pays de l'OCDE, grâce à une couverture à 100 % de l'assurance maladie. Les taux de survie, quant à eux, connaissent globalement une amélioration.

Les données relatives à la recherche et à l'innovation sont contrastées. Les chercheurs français, fondamentaux comme cliniciens, sont parmi les meilleurs du monde. Ils sont d'ailleurs très « chassés » par des pays qui les rémunèrent considérablement plus que ne le veut la culture française. Cependant, les financements dédiés à la recherche ne sont pas les plus massifs. La première chose que l'on m'a dite au sein du conseil scientifique international, lors de ma prise de fonctions à l'INCa, c'est que les États-Unis consacrent 20 dollars par an et par habitant à la recherche sur le cancer, contre 10 à 15 dollars au Canada, en Angleterre et dans un grand nombre de pays européens, et 1 dollar en France.

Ces chiffres sont un peu faussés par le fait qu'en France, l'État rémunère les chercheurs ; toutefois, cela peut expliquer un ratio de un à quatre, non de un à vingt. C'est la raison pour laquelle je salue l'effort fourni par la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, qui a non seulement doté la recherche contre les cancers pédiatriques, dans sa dimension fondamentale, de 5 millions d'euros par an, mais qui a aussi, dans le cadre de la loi de programmation de la recherche, abondé l'INCa, en année pleine, de 40 millions d'euros supplémentaires dédiés à la recherche sur le cancer.

Je rappelle que Joe Biden, en 2016, a doté la National Cancer Moonshot Initiative de 1,6 milliard d'euros sur sept ans au titre de la lutte contre le cancer. La France est à la quinzième place des pays industrialisés pour l'effort de recherche et à la quatrième place pour les résultats. En revanche, l'offre de soins y est extrêmement structurée, modélisante pour les autres activités de soins. Elle a été organisée par l'INCa dès 2005 et a conduit à la réduction par plus de deux du nombre d'établissements autorisés. Nous avons rendu notre copie cette année concernant la nouvelle version des régimes d'autorisation, qui a été construite avec les sociétés savantes, les fédérations hospitalières et les ministères de tutelle ; elle devrait encore améliorer la qualité des soins. Nous passerons, à la demande des pédiatres, de sept à cinq organisations interrégionales en pédiatrie, pour éviter les lacunes dans la prise en charge.

Les dispositifs d'accès à l'innovation permettent aux patients de bénéficier d'avancées en termes de diagnostics et de thérapeutiques. Ils sont pris en charge par l'assurance maladie. À ce titre, notre modèle se distingue des autres. Dans la très grande majorité des cas, lorsque la France délivre une autorisation de mise sur le marché et qu'elle fixe un prix, le traitement est pris en charge.

Notre mobilisation en faveur du continuum recherche-soins est reconnue, nos bases de données intégrées sont sans équivalent mondial. Nos voisins européens nous envient l'accompagnement instauré après la maladie, sur lequel nous continuons à travailler.

Quels grands défis devons-nous relever ? Quels que soient les bémols, la bataille contre les cancers est en marche et est en passe d'être gagnée, certes à un horizon encore lointain. En effet, l'incidence standardisée diminue régulièrement, et la mortalité diminue, pour la majorité des cancers, d'environ 1 à 2 % par an. Cependant, un petit nombre de cancers n'a pas pris le train général du progrès. Il peut s'agir soit d'une maladie dont toutes les formes sont résistantes – comme le cancer du pancréas ou les cancers du tronc cérébral de l'enfant – soit de formes résistantes de cancers qui progressent énormément – je pense au cancer du sein triple négatif. De manière générale, les progrès dans les cancers du sein sont très significatifs, même s'il est inimaginable de baisser la garde.

Toutefois, les malades guéris de leur cancer n'ont pas tous retrouvé une vie normale. L'étude que l'INCA a menée avec l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) a montré que, cinq ans après la fin de leur cancer, deux tiers des personnes conservent des séquelles ; deux tiers de celles-ci sont significatives et invalidantes. Le moment est venu de placer le suivi des séquelles au rang des critères de la décision thérapeutique et donc de faire en sorte que personne ne soit perdu de vue, ce qui implique de relancer la coopération entre la ville et l'hôpital. Le sujet est particulièrement important s'agissant des enfants, qui vivront longtemps avec les séquelles.

La prévention et le dépistage sont des outils extraordinaires, mais encore sous‑employés. Ils sont très peu coûteux en souffrance et en argent, si on les compare aux traitements auxquels expose la maladie. Même si nous y travaillons avec Santé publique France, la sensibilité de nos concitoyens au risque est un peu paradoxale. Nous savons que 40 % des cancers sont évitables – 50 % aux États-Unis, en raison principalement de facteurs alimentaires – car ils dépendent beaucoup des comportements : consommation de tabac, excès d'alcool, alimentation, absence d'activité physique... La sensibilité de nos concitoyens au risque environnemental, pour eux et pour leurs enfants, est exacerbée. Si ce phénomène est logique, il n'en excède pas moins le risque induit par des comportements rationnels. Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) indique que le risque génétique et environnemental associé explique 10 % des cancers. La recherche permettra de mieux connaître le risque environnemental.

Quelles solutions propose-t-on ? La stratégie décennale de lutte contre les cancers, par son horizon temporel, nous permet de voir plus grand et plus large que ce n'était le cas avec les plans cancer, y compris le quatrième plan cancer. Cette stratégie vise à améliorer la prévention, à limiter les séquelles, à améliorer la qualité de vie, à lutter contre les cancers de mauvais pronostic et à s'assurer que ces progrès bénéficient à tous : enfants, personnes âgées, personnes défavorisées, en métropole comme en outre-mer.

La stratégie s'assigne l'objectif très ambitieux d'empêcher la survenue de 60 000 cancers évitables, sur un total de 157 000. Cela implique la réalisation d'un million de dépistages supplémentaires à périmètre identique, alors qu'actuellement, 9 millions de personnes se prêtent tous les ans au dépistage. Nous voulons diviser par deux les séquelles invalidantes à l'horizon 2030 et modifier sensiblement, d'ici à la fin de la décennie, la courbe de survie concernant les maladies aujourd'hui inexorables.

Quelle place accorder à la recherche ? Partout où l'on ne sait pas, il faut de la recherche. Elle doit être présente à chaque étape de la stratégie, avec l'appui de l'INSERM, du Centre national de la recherche scientifique, des fédérations hospitalières, des sociétés savantes et des hôpitaux universitaires, sous la forme d'appels à projets multithématiques, que nous avons conçus avec la direction générale de la recherche et de l'innovation et qui sont une nouveauté.

En conséquence, il a été décidé d'augmenter les budgets dédiés aux appels à projets libres et aux appels à consortiums, lesquels évitent le développement de compétences redondantes sur un même sujet. Des démarches audacieuses seront menées, permettant de sauter quelques étapes traditionnelles pour tester rapidement une idée, en labellisant des équipes de recherche dédiées, ici aux maladies réfractaires, là, à la recherche en prévention... Je vous le redis : partout où des programmes sont nécessaires, là est la place de la recherche.

Je ne les énumère pas, mais toutes ces étapes seront analysées, y compris la recherche en chirurgie. J'ai parlé des robots : la détermination du meilleur outil, de la meilleure voie d'accès est un sujet moderne... La chirurgie est le premier traitement des cancers, devant la radiothérapie. Les traitements médicamenteux, ciblés, l'immunothérapie sont des outils majeurs, mais ne sont pas les seuls. Tout doit avancer, nous ne pouvons rien abandonner. Nous devons tirer parti des connaissances de la biologie moderne pour établir des diagnostics plus tôt, mieux suivre les malades et ne pas surtraiter les malades déjà guéris. La biopsie liquide, la mesure de la maladie résiduelle nous permettent de mieux connaître la nature et la qualité de l'adversaire.

Quelle place doit être accordée à la prise en charge des adolescents et des jeunes adultes ? C'est une préoccupation constante. La pédiatrie est impliquée au premier chef dans la quasi-totalité des sujets que je viens d'évoquer, qu'il s'agisse de l'impact de l'environnement sur les clusters, du poids des séquelles, de la préservation de la fertilité, de la structuration d'une offre de soins d'excellence, afin que chacun bénéficie près de chez lui des meilleurs soins existants. Il faut renforcer la formation des professionnels de santé qui ne sont pas pédiatres, garantir l'accès aux thérapeutiques les plus pertinentes, aux essais cliniques et à l'innovation, encourager les industriels à développer des traitements contre les cancers pédiatriques, réviser le règlement pédiatrique européen, accroître l'effort engagé pour lutter contre la douleur – nous avons remis très récemment un rapport sur ce sujet au ministre de la santé –, mieux accompagner les familles, renforcer les dispositifs de suivi à long terme des enfants, des adolescents et des jeunes adultes et développer la recherche consacrée aux cancers pédiatriques aujourd'hui incurables.

On ne sort jamais indemne du traitement d'un cancer : on a été confronté à sa propre finitude, on est en permanence sujet aux agressions provoquées par la maladie et les traitements, et on est livré très longtemps à l'incertitude. La vie n'est plus la même. Le malade doit être suivi, accompagné.

Nous avons fait de la lutte contre les inégalités de santé un de nos quatre grands axes de travail. Nous ne voulons pas qu'il y ait de renoncement aux soins. À cette fin, nous mobiliserons les outils sociaux classiques, mais aussi la recherche fondamentale, la recherche sur les comportements, et nous ferons le maximum pour inclure les populations vulnérables dans la conduite d'essais cliniques, pour que ceux-ci soient les plus proches possible des conditions réelles.

La stratégie décennale sera menée de concert avec le plan cancer européen et la mission cancer Europe, dont la cheville ouvrière a été l'ancienne directrice de la recherche de l'INCa, Christine Chomienne.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le président, en vous recevant, j'ai une pensée pour tous les malades et, en particulier, pour Axel Kahn, le président de la Ligue contre le cancer, qui a annoncé sa maladie avec un courage exemplaire. Je pense aussi à nos collègues Jean-François, Marielle et François, emportés par une maladie que vous connaissez bien.

En 2016, vous avez été appelé à succéder à Agnès Buzyn et avez connu, depuis lors, cinq années d'activité intense. Le Gouvernement envisage à présent votre reconduction. Je me rappelle la belle phrase que vous aviez prononcée à la fin de la présentation de votre parcours : « Voilà pour l'individu, mais l'individu est souvent le moins important ; l'important, c'est l'adversaire, dans cette situation particulière. » Je tiens quand même à vous dire qu'il est des individus avec lesquels nous pouvons partir sereins au combat. Vous avez de ce point de vue mon plein soutien en matière de lutte contre le cancer.

L'adversaire, ce sont plus de mille nouveaux cas par jour. Le cancer est l'une des maladies civilisationnelles les plus inquiétantes, parce qu'au-delà de la maladie que l'on doit affronter, il y a aussi le regard de la société sur le malade, qui pèse très lourd.

En tant qu'ancienne malade ayant guéri d'un cancer et ayant eu l'honneur d'être nommée récemment administratrice de l'INCa, je veux insister sur l'espoir qui existe désormais, non seulement de guérir, mais de mener une vie active après le cancer. Cela fait partie du changement de regard nécessaire sur la maladie.

Nous devons, vous comme nous, organiser les conditions d'une lutte efficace et d'un espoir pour le plus grand nombre possible de patients. Le Président de la République a dévoilé le 4 février dernier, à l'occasion de la journée mondiale contre le cancer, la stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021-2030, qui a été préparée par l'INCa en vertu de la loi du 9 mars 2019. La stratégie sera dotée de 1,74 milliard d'euros, soit une augmentation de près de 20 % par rapport au précédent plan cancer 2014-2019. Cet engagement inédit de la France dans la lutte contre les cancers s'ajoutera à l'engagement de la Commission européenne du 3 février 2021.

La stratégie poursuivra quatre objectifs principaux : réduire de 60 000 par an le nombre de cancers évitables à l'horizon 2040 ; dépister 1 million de personnes de plus par an, à partir de 2025 ; réduire de deux tiers à un tiers la part des patients souffrant de séquelles cinq ans après le diagnostic ; augmenter significativement le rythme de progression du taux de survie des cancers de plus mauvais pronostic à l'horizon 2030.

En matière de recherche, on parle beaucoup de la vaccination contre un certain nombre de cancers. Des essais cliniques ont commencé à Toulouse ; comment l'INCa peut-il les accompagner ? L'ARN messager, que le grand public a découvert dans le contexte de la lutte contre la covid-19, est-il une piste sérieuse ? Comment le chercheur-praticien et président de l'INCa que vous êtes voit-il cette évolution pour l'établissement ?

Le budget dédié à la stratégie nationale connaîtra une hausse de 20 %. Comment pensez-vous orienter ces fonds ? Quelle part reviendra à la recherche et aux autres missions de l'INCa ?

L'INCa est un acteur majeur de la prévention ; il joue un rôle important de coordination. Dans mon département de l'Aude, j'ai lancé un partenariat avec l'association pour adultes et jeunes handicapés et le centre régional de coordination des dépistages du cancer en Occitanie, pour améliorer l'accès à la prévention des personnes porteuses d'un handicap moteur, mental ou psychique. Il s'agit d'une initiative locale pour des populations souvent ignorées par les politiques de prévention.

En modifiant nos comportements individuels, nous pourrions éviter 40 % des cancers. On peut agir sur l'exposition des travailleurs à des conditions de travail ou à des produits cancérigènes. Il faut se pencher sur les liens entre nos façons de produire, ce que nous consommons, notre santé et le traitement de la nature. Quelles actions envisagez-vous pour lutter contre les cancers liés à l'environnement dans les cinq ans à venir ?

Au-delà des recherches sur les traitements, quelles actions de prévention faut-il engager pour les cancers de mauvais pronostic ?

Il y a enfin deux sujets essentiels pour les malades ainsi que pour leur famille et les aidants. D'une part – dans le contexte du débat sur la bioéthique –, quel rôle l'INCa peut-il jouer pour améliorer la vie pendant le traitement ? D'autre part, alors que l'avenir est à l'augmentation des taux de guérison, que peut faire l'institut pour accompagner les patients après le cancer ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le président, je vous remercie pour votre implication dans la lutte contre le cancer, qui demeure hélas la première cause de mortalité en France. Vos propos liminaires nous ont éclairés sur les divers aspects de cette lutte. J'ai bien noté que la France pouvait encore accomplir des progrès dans les crédits qui sont alloués à la recherche, mais qu'elle se situe parmi les meilleures de la classe s'agissant des soins et des remboursements.

Je vous poserai deux questions qui sont indirectement liées à la crise de la covid.

La première porte sur les conséquences de la pandémie sur le dépistage. Nous entendons souvent dire qu'un certain nombre de dépistages n'ont pas pu être effectués à cause du confinement. A-t-on une idée des incidences que cela a pu avoir sur la mortalité ?

La seconde question a trait à la recherche. La pandémie a conduit plusieurs laboratoires internationaux à travailler ensemble. La technique de l'ARN messager a été découverte par l'Institut Pasteur en 1961 et a connu une forte accélération, puisqu'elle a été utilisée pour d'autres vaccins. S'agit-il d'une piste sérieuse dans le cadre de la lutte contre le cancer ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Réduire significativement le poids des cancers dans le quotidien des Français, telle est l'ambition de la stratégie décennale de lutte contre les cancers, qui succède au troisième plan quinquennal, avec des moyens accrus ; nous ne pouvons que nous en réjouir.

Quelles ont été, selon vous, les avancées permises par le troisième plan cancer et, surtout, quelles sont vos priorités pour les prochaines années ? Les précédents plans quinquennaux se sont traduits par des résultats très contrastés, comme l'ont montré les rapports de l'Inspection générale des affaires sociales et de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche, notamment en termes de dépistage. Que faire pour amplifier l'adhésion au dépistage ? Des objectifs sont-ils fixés en la matière ?

S'agissant de la prévention, qui est le parent pauvre de toutes nos politiques de santé, que proposez-vous ? La Commission européenne dévoilait, le 3 février dernier, le plan européen pour vaincre le cancer, doté d'un budget de près de 4 milliards d'euros. Comment ces plans s'articuleront-ils sur le territoire français ?

La crise sanitaire a entraîné le report d'un nombre élevé de consultations, ce qui a retardé les diagnostics, les prises en charge et les traitements ; ces derniers ont parfois été dégradés. L'étude de la fédération Unicancer nous a alertés sur les retards de prise en charge des patients. Comment remédier à ce type de difficultés lors d'une prochaine crise sanitaire ? L'INCa a-t-il étudié les conséquences des reports de soins et des déprogrammations ?

Enfin, on a dressé le constat alarmant d'une pénurie mondiale de chirurgiens spécialisés en cancérologie. Quel est votre avis sur ce sujet ? La France est-elle bien préparée pour prendre en charge les nouveaux patients sur le plan chirurgical au cours des deux prochaines décennies, dans un contexte marqué par une transdisciplinarité croissante et l'avènement de la chirurgie mini-invasive ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La prévention est le parent pauvre de nos politiques de santé. Vous avez évoqué le faible taux de vaccination HPV. Aurait-il fallu la rendre obligatoire ?

Le nombre de fumeurs a à nouveau augmenté pendant la crise sanitaire. Ce phénomène a moins été le fait des jeunes que des personnes qui sont restées chez elles. Pouvons-nous, rapidement, avec Santé publique France, lancer une nouvelle campagne anti‑tabac ?

J'ai déposé une proposition de résolution relative à la création d'un observatoire de suivi des personnes qui n'ont pas pu faire de diagnostic pendant la crise sanitaire ou qui ont dû reporter des soins. Les médecins sont très inquiets de ces retards et reports. La création d'un observatoire vous paraît-elle judicieuse, notamment en prévision d'autres crises sanitaires ?

Permalien
de l'INCa, président

J'ai une pensée pour mon ami Axel Kahn, qui est président de la Ligue contre le cancer et vice-président de l'INCa, et avec lequel j'ai noué des liens personnels, l'essentiel de ma formation en hématologie s'étant déroulée à l'hôpital Cochin et à l'Hôtel-Dieu.

Les fonds supplémentaires qui nous sont alloués seront, pour l'essentiel, dédiés à la recherche. Alors même que l'augmentation du budget ne porte pas encore sur une année pleine, le budget initial de l'INCa pour 2021 est passé de 94 à 118 millions d'euros, et cet abondement de 24 millions d'euros est entièrement affecté à la recherche. Une somme de 13,5 millions d'euros sera dédiée au socle des appels à projets libres de biologie, en recherche translationnelle, en sciences humaines et sociales, épidémiologie et statistiques. Un montant de 3,2 millions d'euros sera destiné à la structuration et aux réseaux sur la recherche en prévention primaire, et 7,3 millions d'euros à des appels à projets multithématiques, définis dans la stratégie. Nous porterons également notre effort sur l'accès aux soins et le soutien aux familles et aux aidants.

Comme je l'ai dit, tout ce qui est encore inconnu fera l'objet de travaux de recherche. Les appels à consortiums ont pour objet de faire venir des chercheurs, des équipes qui ne venaient jamais travailler avec nous : je pense à des spécialistes des mathématiques, de la physique, de la chimie... Notre hypothèse est que, si les médecins, les pharmaciens, les biologistes, les physiciens, les mathématiciens ou les chimistes ne semblent pas en mesure de vaincre seuls les maladies incurables, peut-être y parviendront-ils en travaillant ensemble. Nous souhaitons donc bâtir ces consortiums, en leur donnant du temps et de la liberté, mais aussi la possibilité de lancer des appels à projets que j'ai appelés « High Risk High Gain », pour lesquels, pourvu que la dimension rationnelle et intellectuelle soit très solide, et les équipes de qualité, nous sauterons un certain nombre d'étapes intermédiaires dans le cadre de la recherche fondamentale. Il y a certes un risque scientifique mais, partout où cela fonctionnera, on gagnera de nombreuses années.

L'ARN messager a été développé prioritairement en vue de la recherche contre le cancer et a ensuite été utilisé à d'autres fins, y compris la vaccination contre la covid-19. L'ARN est une piste sérieuse, mais ce n'est évidemment pas la seule. Les cancers sont plurifactoriels. Chacun de nous fait, chaque jour, une vingtaine de cancers que le système de correction de l'ADN répare ; parfois, l'un d'eux échappe à la correction et va stagner ou se multiplier sous l'effet, par exemple, de l'action hormonale ou d'une restimulation par le même produit cancérigène. À chaque étape, des agents multiples interviennent et on peut imaginer que l'ARN messager en fasse partie – des recherches sont en cours sur ce sujet depuis très longtemps. La panacée n'existe pas, mais nous allons suivre cette piste grâce à l'ensemble des appels à projets que je vous ai décrits.

La stratégie décennale vise à s'assurer que les progrès profitent à tous. C'est l'aboutissement d'un effort très significatif et d'une réflexion aboutie sur les inégalités. Je remercie Mme Robert d'avoir évoqué l'accès à la prévention des personnes handicapées. L'INCa participe au financement d'un travail mené par l'Oncopole et le CHU de Toulouse sur les cancers des personnes handicapées.

Lorsque je me suis rendu au Sénat, pour y être auditionné, j'ai découvert, en sortant du métro, dans la vitrine de la librairie polonaise, un livre intitulé L'Histoire des inégalités, de l'âge de la pierre au XXIe siècle. Sans doute savez-vous que les cahiers de doléances, en 1789, comportaient de très longs chapitres concernant les inégalités de santé ? Nous n'allons pas régler ce problème en un tournemain ; en revanche, nous allons le prendre à bras-le-corps, de plusieurs manières.

Premièrement, par un volet socio‑intellectuel, en fournissant des informations faciles à lire et à comprendre, qui s'inscrivent dans le cadre du nudge.

Deuxièmement, en développant des autotests – notamment s'agissant du cancer du col – pour des femmes qui sont réticentes à se faire examiner, en recourant à des ambassadeurs culturels, à des interprètes, en développant des approches qui couplent prévention et dépistage ou en faisant en sorte que chaque contact compte et qu'un malade venant aux urgences se voie proposer systématiquement un dépistage ou un soin supplémentaire.

Troisièmement, en améliorant les accès géographiques, avec les équipes mobiles d'accompagnement, qui sont en cours d'évaluation. Nous travaillons par ailleurs avec Santé publique France sur la géolocalisation, afin de repérer les zones comptant peu de dépistages et dans lesquelles nous devrons porter un effort supplémentaire d'incitation. Il s'agit également de nouer des partenariats associatifs au plus près des malades réticents, en équipant tous les professionnels, particulièrement dans le domaine médico-social, d'outils de premier contact et d'explication. Par ailleurs, cinq des dix-sept centres régionaux de dépistage des cancers sont situés dans les départements et régions d'outre-mer, ce qui illustre de manière extrêmement claire le soutien que nous voulons y apporter.

Les Français demeurent rétifs au dépistage, d'abord parce qu'ils acceptent mal l'autorité. En 2016, une enquête de Science et Vie sur la vaccination a montré qu'en Europe, 12 % des personnes sont réticentes ou résolument hostiles à la vaccination, mais que ce chiffre atteint 38 % en France. Certaines personnes en font leur miel, sèment la peur et accroissent l'inquiétude. Souvenons‑nous de tout ce qui a été dit sur les dangers de la vaccination par ARN messager, alors que c'est l'un des moyens les plus sûrs. Malheureusement, trop de médias y prêtent une oreille attentive à ces propos et deviennent des chambres d'amplification. Nous ne pouvons compter, pour combattre ce discours, que sur notre capacité à expliquer, et sur votre soutien.

Le dépistage est un sujet que nous traitons au quotidien. Nous avons totalement rénové le dépistage du cancer du sein ainsi que celui du cancer colorectal – je pense que cela va finir par se voir. Je rappelle que nous avons connu des difficultés juridiques, des plaintes ayant été déposées contre l'assurance maladie, à qui l'on a reproché d'avoir choisi tel ou tel kit. Ces contentieux sont à présent derrière nous. Dans le cadre de la stratégie décennale, on pourra commander un kit en ligne ou par téléphone, notamment dans les zones dépourvues de médecins traitants ; des expérimentations sont en cours pour le retirer en pharmacie.

Le dépistage est une tâche de très longue haleine. Nous travaillons avec la Société française de radiologie sur la douleur. Nous nous penchons sur la seconde lecture qui, demain, pourrait se faire grâce à l'intelligence artificielle et, ainsi, raccourcir les temps de réponse. On doit penser à l'inquiétude des femmes qui attendent les résultats de leur examen.

En outre, est actuellement étudiée la possibilité de dispenser le patient de toute avance de frais pour les dépistages et les soins. Des expérimentations sont en cours à l'étranger, que nous suivons ; des problèmes éthiques, liés à l'intéressement, peuvent se poser. Enfin, nous menons des actions ciblées, particulièrement sur le handicap, en prévoyant des consultations adaptées, un accompagnement spécifique, etc.

La recherche sur les cancers liés à l'environnement et à l'alimentation est l'un de nos axes de travail majeurs. Je vais d'ailleurs, prochainement, participer à une réunion sur les nitrites. Pour vous donner une idée, un tiers des 234 actions de l'INCa sont directement liées à la prévention, et 10 % à l'environnement. Nous recourons à tous les moyens possibles : la recherche, la surveillance, l'observation, l'évolution normative, la substitution de produits ou de procédés, l'accompagnement des acteurs et des collectivités pour développer des actions protectrices – par exemple un plan zéro exposition à l'école –, l'information des usagers, le développement des conduites à tenir, des actions transversales sur les données et leur enrichissement, par exemple par des questionnaires supplémentaires.

Je rappelle que le tabac est à l'origine de 20 % des cancers, l'excès d'alcool, de 8 % d'entre eux, les agents infectieux, de 5,5 %, l'alimentation et le surpoids, de 5,5 % également, auxquels s'ajoutent tous les éléments environnementaux qui doivent être étudiés et pris en compte.

En recherche, nous faisons de la structuration. Nous labellisons structures et réseaux, nous encourageons le travail sur l'exposome, qui est organisé à l'échelle nationale et européenne. Il est indispensable que tout le monde travaille ensemble, non pas dans un état d'esprit compétitif, mais de façon intelligente. Nous avons lancé des appels à projets multithématiques sur des sujets tels que « dépistage et expositions environnementales », « interventions à l'école », « risque infectieux », « accompagnement des personnes », etc. Nous participons au programme Exposome et nous travaillons à l'amélioration de la surveillance et des données, par des questionnaires, en espérant que l'opposition d'une partie des cancérologues pédiatres à l'alimentation de certains registres s'apaise et nous permette de mieux travailler.

Enfin, nous engageons un effort soutenu s'agissant des cancers professionnels, en développant des leviers normatifs, en effectuant un travail de surveillance, en accompagnant les acteurs, en proposant des modifications des procédés de fabrication et en favorisant les démarches en ligne. Ces cancers ne sont en effet pas suffisamment déclarés et donc pas assez indemnisés.

Les cancers évitables – pas seulement ceux qui sont liés à l'alcool ou au tabac – sont aussi parmi les plus graves, à l'image des cancers du poumon, du foie ou de l'œsophage. Nous connaissons les facteurs de risque. La lutte contre ces cancers aura des effets doublement favorables : le nombre de pathologies diminuera et on s'attaquera directement à la frange des cancers les plus résistants.

L'accompagnement de l'après-cancer est un sujet sur lequel nous avons également beaucoup travaillé. Je me permets de vous rappeler que l'INCa a été à l'origine du droit à l'oubli. Nous le faisons évoluer tous les ans, notamment en ce qui concerne l'âge, le nombre de maladies et, dans le cadre de la convention « S'assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé » (AERAS), les taux de surcoût d'assurance pour un certain nombre de maladies. Nous sommes l'un des piliers européens sur cette question. M. Philippe-Jean Bousquet, en charge des données et de la convention AERAS à l'INCa, s'est récemment exprimé à ce sujet devant le Conseil de l'Europe.

S'agissant des conséquences de la covid-19, nous avons été obligés d'interrompre les dépistages entre mars et mai 2020, car les patients ne venaient pas, les médecins étaient occupés par la covid et les outils de radiologie étaient suremployés – les hôpitaux connaissaient alors un véritable choc. Nous avons pu interrompre les traitements pendant trois mois. Il existe de la littérature sur le sujet, et nous savions comment faire.

L'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation (ATIH) fournira, le 30 juin, les données stabilisées relatives à l'année 2020. Les hôpitaux ont encore quelques semaines pour établir leurs chiffres, les corriger, les valider et les confirmer. Néanmoins, nous avons déjà une approche assez fine. On a dénombré, en 2020, une diminution de 19 %, par rapport à 2019, des endoscopies digestives hautes et basses et des fibroscopies respiratoires, une baisse de 7 % des exérèses chirurgicales, notamment pour les cancers de l'œsophage, ORL, de l'estomac et du rectum – beaucoup moins pour le thorax –, une réduction de 9,6 % des mammographies et de 11 % des dépistages du cancer du col.

En revanche – mais on aurait tort de s'en réjouir –, on relève une hausse de 40 % des dépistages du cancer colorectal. Cela s'explique par le fait que, les procès étant derrière nous, les freins juridiques ont été levés. On a commencé à expédier le nouveau kit de dépistage, qui est beaucoup plus performant que le précédent. Il présente une spécificité de 95 % – contre 55 % pour le précédent – et une sensibilité de 75 %. Par ailleurs, dans plus de la moitié des cas, si le test est positif, l'endoscopie donnera un résultat exploitable : elle détecte quatre fois plus les polypes qui auraient évolué et deux fois et demie plus de cancers que ce qu'elle pouvait déceler avec l'ancien test. En outre, lorsqu'un cancer est diagnostiqué, il est, dans les trois quarts des cas, au stade 1 et est guéri par le fait même de la biopsie.

En outre, lorsque le diagnostic du cancer du côlon est réalisé grâce au dépistage, 90 % des malades sont vivants et en rémission complète cinq ans après. En revanche, lorsqu'il est décelé par un diagnostic clinique, à partir de signes en général métastatiques, le nombre de malades vivants, au bout de cinq ans, tombe à 16 %.

Vous comprenez à quel point nous avons besoin de votre aide pour qu'un maximum de dépistages soient réalisés. À chaque fois que je m'exprime sur le sujet, je suis immédiatement agressé, brocardé sur les réseaux sociaux, dépeint comme un vieil imbécile... On a démontré que, lorsque le diagnostic du cancer du sein résulte d'un dépistage, les femmes subissent environ 20 % de chirurgie délabrante en moins et 18 % de chimiothérapie en moins. Croyez-moi, cela change la donne. En tout état de cause, une radiothérapie est pratiquée. Or, le risque de leucémie encouru par une femme qui n'a subi que de la radiothérapie est extrêmement faible. En revanche, lorsqu'elle est associée à la radiothérapie, la chimiothérapie entraîne un taux de leucémie secondaire à dix ans de l'ordre de 7 %.

Il est très difficile d'évaluer l'impact de la covid sur le cancer, car les sociétés savantes et l'INCa ont accompagné les malades dès mars 2020, en proposant des traitements alternatifs chaque fois que c'était possible – traitements ambulatoires, remplacement de la chirurgie par de la chimiothérapie ou de la radiothérapie... Nous suivons les effets potentiels de ces traitements, semaine après semaine. Jean-Baptiste Méric, responsable du pôle santé publique et soins de l'institut, a organisé ce suivi au plus près des établissements, des régions, avec la direction générale de l'offre de soins (DGOS), les agences régionales de santé et les directeurs d'établissement, afin de prioriser les gestes chirurgicaux et les traitements et de rattraper « à la carte » ce blocage de masse.

À la demande d'Alain Fischer, nous avons proposé la vaccination contre la covid aux malades qui avaient été atteints de cancer et à leur entourage. Par ailleurs, nous avons conçu une action d'adaptation de la lutte contre le cancer en situation de crise – l'action 4.7.6 de la stratégie décennale –, qui consiste à organiser les transferts de patients entre établissements ; à constituer des filières distinctes au sein des établissements ; à travailler avec les sociétés savantes sur les traitements alternatifs, ambulatoires, etc. ; à être attentifs au risque de pénurie ; à dédier un groupe spécifique pour remonter en temps réel les besoins et les tensions ; à organiser une communication fluide entre les agences nationales, les fédérations hospitalières, les sociétés savantes, les entités de régulation territoriale et les acteurs du soin.

Ces actions doivent être menées au plus près des établissements. Ceux-ci doivent nous fournir, le plus rapidement possible, des données raisonnablement interopérables. Nous demandons à chaque établissement – et nous comptons sur votre appui – de ne pas choisir systématiquement un système informatique qui ne puisse pas communiquer avec les autres.

L'INCa s'est immédiatement rapproché de ses partenaires internationaux. En avril 2020, j'ai échangé avec l'Allemagne, l'Italie, la Corée du Sud, le Japon, le Canada et le Québec. Nous avons organisé une veille internationale sur la recherche, avec le CIRC et avons établi une coopération technique sur l'organisation des soins.

Il serait malhonnête de prétendre que la crise n'aura pas de conséquences, mais sachez que nous les surveillons de très près. L'INCa a la possibilité de suivre toutes les données nationales, alors qu'une fédération hospitalière ne dispose que de ses propres informations. Les données que nous établissons ne sont pas consolidées et sont publiques. Elles ont d'ailleurs été largement reprises par la presse et nous ne refusons jamais de les communiquer.

Monsieur Perrut, concernant le troisième plan cancer, 90 % des jalons ont été réalisés. Ce plan a été un grand succès, qui ne doit cependant pas occulter deux échecs majeurs. Le premier d'entre eux est l'accès à l'IRM. Toutefois, comme vous avez pu le constater, nous avons repris cet objectif dans la stratégie décennale, avec le soutien de la DGOS ; 30 millions d'euros ont d'emblée été dédiés à l'accès aux IRM du corps entier. Nous devons maintenant porter l'effort sur la formation des radiologues ; nous aurons besoin de davantage d'internes et de radiologues.

Le second échec est l'accès au dépistage. Le travail est en cours, mais la tâche est très difficile. Nous avons besoin de l'écoute et du soutien de la population. Des personnes se laissent intoxiquer par un certain discours, parce qu'elles ne disposent pas toujours des moyens scientifiques de le critiquer. Dire que la vaccination contre les HPV est dangereuse fait énormément de mal aux Françaises et aux Français. L'INCA a commencé à publier sur son site des documents de lutte contre les fake news, accessibles à tous.

L'accompagnement après le cancer est évidemment essentiel et la stratégie comporte un volet complet sur le sujet.

L'accompagnement des familles d'un enfant malade est également prévu, notamment quand l'enfant doit s'éloigner pour suivre son traitement.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le président, je vous remercie pour vos propos très complets. J'ai également une pensée pour Axel Kahn.

La prévention est le parent pauvre de notre système de santé. La feuille de route, publiée dans le décret du 5 février 2021, a détaillé les actions à conduire. Pouvez-vous faire un point sur ces mesures, notamment sur celles qui concernent la promotion des facteurs protecteurs, comme la nutrition et, surtout, l'activité physique ? Quelles dispositions ont été prises en la matière ? Une coordination est-elle prévue avec la stratégie nationale sport santé 2019-2024, qui a pour objectif, en lien avec le ministère des sports, le ministère des solidarités et de la santé et le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, d'encourager la pratique d'une activité physique et sportive à tous les âges ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les données de santé sont essentielles, tant sur le plan thérapeutique que sur celui de la prévention – sujet qui nous préoccupe tous. Avez-vous établi une stratégie visant à mieux exploiter les données de santé, notamment pour améliorer la prévention ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dans ma circonscription, le taux de mortalité est supérieur de 28 % chez les personnes de moins de 65 ans, ce qui montre l'importance de la lutte contre les comportements à risque.

Permalien
de l'INCa, président

Monsieur Belhaddad, bien entendu, tout ce que nous faisons, nous l'accomplissons en parfaite articulation avec la stratégie nationale de santé et, je dirais même, dans le cadre de celle-ci. L'erreur serait de mener nos actions dans un esprit de compétition. L'INCa étant placé sous la double tutelle du ministère des solidarités et de la santé et du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, toutes ses actions sont coordonnées avec la direction générale de la santé (DGS).

En matière de recherche, il ne s'agit pas d'affirmer des choses que nous ne pouvons pas prouver. Le bénéfice de l'activité physique sur la prévention des cancers et sur la guérison fait l'objet de travaux de recherche soutenus et financés par l'INCa, notamment par des appels à projets compétitifs. Nous ne sommes pas dans l'incantation mais dans la preuve scientifique.

Par ailleurs, nous coordonnons nos actions de communication, notamment, avec Santé publique France et la DGS. À cette fin, nous avons conclu un accord-cadre et nous nous réunissons régulièrement pour définir ce que nous allons dire, qui va le dire et comment nous allons le dire. Ces informations doivent être répétées. Vous savez que l'enseignement, c'est du théâtre et de la répétition. Or, nous avons besoin d'enseigner toutes ces pratiques à nos compatriotes.

Nous l'avons fait de plusieurs manières. Peut-être avez-vous entendu parler des petits livres que nous avons conçus et distribués aux enfants des écoles primaires et des collèges, en lien, bien entendu avec l'éducation nationale ? Ils sont à l'image de Mon Quotidien et Le Petit Quotidien, des journaux très lus par les enfants. Nous avons également conçu un jeu vidéo, Cancer Fighter, pour sensibiliser les adolescents à la prévention des cancers.

Par ailleurs, le panier de soins remis après la consultation de fin de traitement contient des forfaits pour des consultations de diététique et pour mener des activités physiques, afin de passer de l'incantation aux réalisations.

Sur ces sujets, et notamment sur le financement, je vous concède volontiers, monsieur Belhaddad, que nous n'avons fait qu'entrouvrir la porte. Mais le fait de se rendre, à la fin du traitement, à des consultations de diététique et de reprendre une activité physique est important, car on sait que, très souvent, la fin d'un traitement est suivie d'un temps de compensation qui entraîne un surpoids. Il faut mener des actions de prévention primaire et de prévention tertiaire.

Monsieur Isaac-Sibille, l'INCa abrite un département dédié aux données, sous la direction de Thierry Breton et de moi-même. Je l'ai rendu autonome, ce qui révèle l'importance qu'il revêt à nos yeux. Nous avons établi une vraie politique en matière de données de santé. Nous sollicitons, bien entendu, l'autorisation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés pour regrouper l'ensemble des informations individuelles anonymisées sur les malades.

Nous pouvons mettre en regard les données issues de l'assurance maladie, des hôpitaux, des centres régionaux de dépistage, ainsi que celles que certains industriels de santé ont colligées dans le cadre d'essais cliniques qu'ils ont financés – nous avons récemment signé avec eux un accord-cadre dans le cadre des filières stratégiques. Ces données sont conservées par l'INCa, et ne sont pas stockées dans le cloud. Elles sont destinées avant tout à répondre à des questions liées à la recherche en santé publique, à la recherche fondamentale, à la recherche clinique. Les chercheurs académiques y accèdent à titre gratuit. Un certain nombre de publications, fondées sur ces données, ont été réalisées au cours des derniers mois. Grâce aux liens que nous avons tissés avec les industriels, nous pourrons aussi les inciter à investir dans la recherche sur le cancer en France.

Outre le travail scientifique de validation et de qualification des données, il y a un grand besoin de valoriser ce que nous faisons en France. On entend dire beaucoup de mal de la recherche clinique, en France, qui serait abandonnée et moins attractive pour les industriels. Ce n'est pas le cas de la cancérologie, et encore moins de l'hémato-cancérologie.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous dites que vous conservez ces données, que vous ne les partagez pas dans le hub. Quelles sont vos relations avec le Health Data Hub, les entrepôts de données de santé et les hôpitaux ?

Permalien
de l'INCa, président

Le Health Data Hub siège au conseil d'administration de la structure que nous avons construite pour gérer les données ; il considère très volontiers que l'INCa est son « bras cancer » . Les données de l'INCa sont déversées, à chaque fois qu'il en a besoin, au Health Data Hub. Toutefois, cette plateforme n'a pas la même souplesse que l'INCa. Elle n'a pas le droit, par exemple, de réutiliser des données ni de les réaffecter. Il s'agit, en quelque sorte, d'une banque de données, qui, contrairement à l'INCa, ne les collige pas, ne les qualifie pas ni ne les valide. Ces données, qui proviennent de trois registres différents, ont besoin d'être nettoyées ; à défaut, quelqu'un pourrait avoir reçu sa greffe trois avant sa naissance...

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Ifrah, je vous remercie beaucoup pour le partage de votre vision de l'INCa et, de manière plus générale, de la lutte contre le cancer en France. Le renforcement de la prévention chez les jeunes me paraît essentiel. L'école enseigne quatre savoirs fondamentaux : lire, écrire, compter et respecter autrui. À vous écouter, on pourrait en ajouter un cinquième : prendre soin de soi tout au long de la vie.

La séance s'achève à onze heures trente-cinq.