Intervention de Pr Patrice Diot

Réunion du mercredi 16 juin 2021 à 9h30
Commission des affaires sociales

Pr Patrice Diot, président de la Conférence des doyens des facultés de médecine :

Ce sujet doit être abordé de façon très globale, en prenant le temps d'examiner d'où nous venons. Je commencerai donc mon propos par un point sur l'historique de la formation médicale dans notre pays.

Les mots « étudiant en médecine », « externe », « interne » que vous connaissez et que nous utilisons encore remontent à 1802, à l'époque du Consulat. À cette époque, après avoir constaté que l'offre médicale en France n'était pas bonne, il a été décidé de créer une élite médicale au travers de concours très difficiles : le concours de l'externat, très sélectif avec un lauréat pour huit candidats et réservé aux hommes jusqu'à la fin du XIXe siècle, puis le concours de l'internat, lui aussi longtemps réservé aux hommes avec un reçu sur six parmi les externes. Il s'agissait donc de sélectionner une élite.

En 1968, le mouvement étudiant a légitimement revendiqué une sortie de ce modèle de production d'une élite médicale, qui aboutissait à ce qu'un grand nombre de médecins ne dispose d'aucune formation pratique. Ce mouvement a donc réclamé que tous suivent la même formation et bénéficient d'une formation « au lit du malade » selon l'expression consacrée. Le concours de l'externat a ainsi été supprimé en 1968 et les étudiants en médecine ont alors pu intégrer les hôpitaux, seul lieu où s'effectuait la formation en stage à l'époque. Les législateurs ont toutefois constaté que tous les étudiants ne pouvaient y trouver leur place. D'où la création du numerus clausus en 1972, non pour réguler la démographie médicale mais pour mettre en adéquation les capacités de formation avec le nombre de candidats aux études de médecine.

Le numerus clausus n'a donc pas été conçu comme un outil de régulation de la démographie médicale mais a malheureusement été utilisé ensuite dans ce but pendant très longtemps. Le resserrement progressif du numerus clausus en 2000 a conduit entre 1990 et 2000 à des chiffres largement insuffisants pour faire face aux besoins de soins de nos compatriotes. Il a chuté jusqu'à 3 400 candidats en 2000 avant de commencer à remonter en 2004.

Jouer sur le numerus clausus en pensant avoir un effet sur la démographie médicale constitue une erreur. Étant donné la constante de temps, une décision sur le numerus clausus produit en réalité ses effets dix à quinze ans plus tard.

Je pense que nous – moi y compris – avons mal présenté la réforme du premier cycle des études médicales. En effet, nous l'avons d'abord présentée comme la sortie du numerus clausus, comme si elle représentait la solution à tous les problèmes et nos interlocuteurs n'ont dès lors retenu que ce point. Dans l'imaginaire collectif, la suppression du numerus clausus signifie un accès très facilité aux études médicales alors qu'il était inimaginable qu'elles ne restent pas sélectives. Nous avons inventé le « numerus apertus », une notion que peu de personnes comprennent, et nous avons oublié le plus important, c'est-à-dire la réforme pédagogique.

Il a fallu conduire cette réforme pédagogique dans des conditions extrêmement difficiles. J'en assume ma part de responsabilité même si je ne suis pas le seul responsable. Nous n'avons pas fait suffisamment comprendre aux universités qu'il ne s'agissait pas d'une réforme de l'entrée dans les études de santé ou du premier cycle des études médicales mais vraiment d'une réforme de l'entrée dans l'université. Il existe désormais deux voies d'accès : le parcours accès santé spécifique (PASS) et les licences avec option accès santé (LAS), qui sont construites avec les autres composantes de l'université.

Les doyens des facultés de médecine se sont emparés du sujet et l'ont tellement porté que nous n'avons pas réussi à convaincre nos interlocuteurs que nous avions besoin d'être aidés dans les universités. Qui plus est, au moment où nous aurions dû les convaincre, est intervenue l'épidémie de covid. Or, cette situation n'a pas permis qu'aient lieu toutes les interactions qui auraient été nécessaires au printemps 2020. Nous avons ainsi abouti, à la rentrée 2020, à la mise en place d'une réforme qui n'était pas complètement cadrée, en particulier faute d'interactions suffisantes avec nos collègues des autres composantes de l'université.

En outre, cette réforme est excessivement complexe. Il sera donc impératif de la simplifier. J'estime également que, lors de son lancement, celle-ci n'a pas été suffisamment accompagnée sur le plan financier. De ce fait, nos facultés sont littéralement en train de sombrer. Je ne fais pas ici référence aux enseignants mais aux scolarités. Je suis par exemple extrêmement mal à l'aise lorsque je constate que la responsable administrative de ma faculté – une personne admirable, investie, jeune et dynamique – est à bout alors que nous avons enchaîné les difficultés tout au long de l'année.

Ces difficultés tiennent au fait que cette réforme n'avait pas été parfaitement cadrée. Comme vous le savez, les universités ne manquent pas de revendiquer leur autonomie. Malheureusement, c'est au nom de cette autonomie qu'aucun cadrage n'a été proposé. Pourtant, à mon sens, un tel cadrage est indispensable sur ce sujet. Il s'agit donc de trouver le bon compromis pour, à la prochaine rentrée, parvenir à un accord sur un certain nombre de fondamentaux : en particulier, les notions de note éliminatoire et de compensation entre unités d'enseignement...

Nous devons également nous engager à offrir une véritable seconde chance aux étudiants et nous l'avons d'ailleurs fait. Il s'agit néanmoins d'un point sur lequel je n'arrive pas à me faire comprendre. Cette réforme a été conçue pour éviter le gâchis que constituait auparavant la première année commune aux études de santé (PACES). Or, aujourd'hui, nous avons aujourd'hui l'impression que nous avons ainsi abandonné un système « merveilleux ». En réalité, les parents d'étudiants me parlaient de la PACES, créée en 2010, comme d'une véritable « boucherie » car tant un grand nombre de jeunes bacheliers pourtant brillants redoublaient cette année. 70 % d'entre eux se retrouvaient à la case départ.

La réforme permet d'offrir aux étudiants une véritable seconde chance au terme d'une deuxième année. Elle ne prévoit pas un redoublement en première année mais une seconde chance en deuxième année ou à la fin de la troisième année, ce qui s'avère très intéressant pour les étudiants. Si, comme nous nous y sommes engagés, nous maintenons l'augmentation de 14 % du nombre de places annoncée cette année, nous aurons offert une vraie seconde chance à ces jeunes grâce à ce nombre de places très significativement plus élevé que d'habitude.

Cependant, dans les faits, on s'intéresse moins au nombre de chances données et davantage au pourcentage de réussite constaté dans le cadre d'un cursus. Or, de notre côté, nous ne contrôlons pas le dénominateur sur la base duquel est calculé ce taux, c'est-à-dire le nombre d'inscrits. À cet égard, nous avons été submergés par le flot des bacheliers qui, à la fin de l'année scolaire 2019-2020, ont voulu pour diverses raisons s'essayer à des études de médecine.

La crise sanitaire et l'importance accordée au corps médical que les Français applaudissaient chaque soir ont donné une représentation très positive de ce métier et nous avons dès lors enregistré un nombre considérable d'inscriptions. Toutefois, lorsque ce dénominateur augmente, les chances de réussite peuvent, elles, ne pas augmenter. Nous sommes, certes, passés de 8 400 places proposées à 10 000, ce qui est considérable. Nous atteignons néanmoins la limite des capacités de formation de notre pays.

J'estime – et j'ai des arguments très solides pour le dire – que ce serait une erreur d'aller plus loin. Nous nous retrouverions d'ici quinze ou vingt ans dans une situation comparable à celle que j'ai connue lorsque j'étais jeune interne en 1980 : les médecins étaient alors incités à partir à la retraite par le mécanisme d'incitation à la cessation d'activité parce que nous comptions trop de médecins en France. L'horizon 2030-2035 ne constitue, certes, pas notre problème immédiat mais nous devons aussi penser à la prochaine génération.

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