Intervention de Jean-Carles Grelier

Réunion du mercredi 16 juin 2021 à 14h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Carles Grelier, rapporteur :

Nous voici arrivés au terme de cette mission qui a commencé au mois de janvier. Ma collègue Agnès Firmin Le Bodo et moi‑même avons mené une cinquantaine d'heures d'auditions et effectué deux déplacements. Nous aurions aimé pouvoir nous déplacer davantage et rencontrer un plus grand nombre d'acteurs de la santé des territoires, mais les conditions sanitaires ne nous l'ont pas permis. Malgré tout, nous avons pu faire un déplacement dans l'Yonne et un déplacement dans les Yvelines pour étudier deux réalités départementales très différentes dans le fonctionnement et l'organisation des agences régionales de santé.

Je salue et je remercie les services de l'Assemblée nationale pour le travail intense effectué sur ce rapport à nos côtés. Je voudrais aussi souligner la parfaite coordination entre les deux co-rapporteurs tout au long de ces auditions, à la fois sur le constat effectué et sur les conclusions que nous en avons tirées. Les mauvaises langues, s'il en existait, ne trouveraient pas l'équivalent d'une feuille de papier à cigarette entre Agnès Firmin Le Bodo et moi-même sur la vision que nous avons eue et que nous aimerions avoir à l'avenir des agences régionales de santé.

Nous avons auditionné un grand nombre d'acteurs du monde de la santé. Nous avons entendu de manière exhaustive les dix-huit directeurs généraux des agences régionales de santé, y compris ceux des ARS ultramarines.

La Cour des comptes avait rendu un premier rapport sur les agences régionales de santé, mais il remonte à 2012. La MECSS du Sénat a également produit un rapport d'évaluation qui remonte à 2014 et, depuis un certain temps déjà, la MECSS de l'Assemblée nationale souhaitait procéder à cette évaluation. Le dixième anniversaire de la création des agences régionales de santé en a été l'occasion.

Nous avons commencé ces travaux avec deux partis pris, affichés de manière très claire et transparente à chacune des auditions. Le premier parti pris était que nous n'étions pas favorables et que nous ne sommes toujours pas favorables à un « grand soir » des ARS, ni n'étions d'accord avec tous ceux qui nous conseillaient de tout casser pour tout reconstruire.

Nous n'y étions pas favorables pour deux raisons. La première est que cela eût été une position vraisemblablement très injuste pour les personnels des ARS qui déploient depuis un peu plus de dix ans leurs activités dans les territoires. La deuxième raison est que notre système de santé a connu beaucoup de réformes en profondeur ; il nous a semblé qu'il n'y aurait pas grand sens d'en imposer encore une au travers des conclusions de notre rapport.

Cela ne nous a pas empêchés de porter un regard critique sur les agences régionales de santé. Vous verrez dans notre présentation et nos réponses que ce regard a parfois été sans concession sur le fonctionnement des agences, mais il nous a semblé que l'intérêt de cette mission était toutefois de repérer ce qui fonctionnait comme ce qui ne fonctionnait pas bien et méritait d'être amélioré.

Notre deuxième parti pris a été de ne pas regarder les agences régionales de santé exclusivement au travers du prisme de la crise sanitaire. Ces institutions ont plus de dix années d'existence et le regard porté sur elles n'aurait pas été juste si nous nous en étions tenus uniquement à l'action des ARS durant la crise sanitaire. Bien sûr, les différents manquements que chacun a pu observer dans les territoires au début de la crise sanitaire nous ont toutefois conduits à tirer un certain nombre de conclusions.

L'autre position que nous aurions pu prendre, à laquelle nous nous sommes refusés, aurait été de considérer que le monde d'avant les agences régionales de santé était un monde idéal, celui où existaient des directions régionales de l'action sanitaire et sociale (DRASS) et des directions départementales de l'action sanitaire et sociale (DDASS). Effectivement, les élus des territoires nous ont indiqué que, à cette époque, ils avaient au moins des interlocuteurs de proximité. C'est moins vrai aujourd'hui et ce point est sans doute à améliorer.

La première mission que la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) a confiée aux agences régionales de santé est d'être le régulateur de l'offre de santé. C'est sans doute pour cette raison que ces agences ont été considérées comme très centrées sur l'hôpital par nombre d'observateurs des ARS et d'acteurs de terrain de la santé.

Pourtant, parmi les compétences attribuées aux agences régionales de santé, la régulation de l'offre de soins est finalement la seule compétence qu'elles exercent en propre. Toutes les autres compétences, notamment celle, très importante, du médico-social, sont partagées avec les départements et cette dernière compétence sera sans doute aussi partagée avec la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) dans le futur. Le bloc des corps d'inspection – médecin inspecteur de santé publique, pharmacien inspecteur de santé publique, corps des inspections sanitaires – partage ses compétences avec le corps préfectoral. Le sanitaire et l'hôpital public constituent donc la première des missions des agences régionales de santé.

Vous verrez au travers des éléments de ce rapport que les agences régionales de santé jouent un rôle de plus en plus important, et peut-être l'exercent de mieux en mieux, dans le secteur médico-social. L'accusation assez classique qui leur est faite d'hospitalo-centrisme est de moins en moins fondée ; elle correspond en tout état de cause à leurs compétences d'origine.

Nous nous sommes posé la question du statut des agences régionales de santé. Il ne s'agit pas d'un service déconcentré, ce qui est assez peu fréquent dans l'organisation territoriale des services de l'État. Les agences régionales de santé ne sont pas le service déconcentré du ministère de la santé mais sont des établissements publics, ce qui leur donne une certaine autonomie et confère à leur personnel des statuts assez différents. Cela fait leur originalité et leur donne une force qui n'est peut-être pas suffisamment exploitée.

Cela permet que les directeurs généraux des agences régionales de santé soient nommés « discrétionnairement » en conseil des ministres par décret du Président de la République. Ils ont des profils très variés. Parmi les directeurs généraux d'agences, nous trouvons aujourd'hui une ancienne ministre, des médecins, des médecins de santé publique ou un ancien préfet, ancien président de l'association du corps préfectoral. Ces différents profils font, à notre sens, une partie de la richesse de ces agences régionales de santé.

Deux problématiques sont assez rapidement apparues. La première problématique concerne le périmètre géographique. Les agences régionales de santé sont nées en 2010 et, après la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), qui a agrandi le périmètre de certaines de nos régions administratives, ces agences ont été contraintes de revoir une organisation qui était alors encore naissante et balbutiante dans certains cas.

Nous avons constaté les difficultés que cela représentait et nous avons alors vu une des dérives que connaissent les agences régionales de santé : leur forte régionalisation se déploie probablement au détriment de l'échelon départemental. Plusieurs ARS ont dû se réorganiser alors qu'elles n'avaient pas encore atteint leur maturité administrative. Par exemple, dans le cas de la région Nouvelle-Aquitaine, il faut près de six heures de route pour se rendre au siège de l'agence régionale de santé depuis certains départements. Si cet éloignement n'est pas compensé par une organisation départementale et territoriale beaucoup plus forte qu'elle ne l'est aujourd'hui, ce sentiment de distance et de défiance de certains élus à l'égard des ARS est compréhensible.

La seconde problématique sur laquelle nous avons été interpellés, notamment par les représentants de certaines catégories des personnels des ARS, concerne le périmètre d'activité, en particulier celui des corps d'inspection. Nous avons entendu les représentants des organisations syndicales des médecins et pharmaciens de santé publique ainsi que du corps de l'inspection sanitaire, qui nous ont indiqué, pour certains d'entre eux, ne pas se retrouver dans les agences régionales de santé. Ils se disent souvent noyés dans les organigrammes et sous-employés au regard de leurs qualifications ; ils ont ajouté que leur lien fonctionnel avec l'autorité préfectorale les conduisait presque à souhaiter être rattachés à l'ensemble du corps préfectoral.

Nous avons d'abord été très interpellés par ce sentiment ; en effet, les mots employés, que nous avons repris dans le rapport, ont parfois été très forts. Certains ont évoqué un vrai mal-être professionnel et nous ne pouvions qu'être attentifs à cet appel au secours de ces professionnels. Nous avons beaucoup réfléchi pour savoir quelles propositions formuler. Fallait-il faire sortir ces corps d'inspection de l'autorité des agences régionales de santé ? Fallait-il imaginer la création d'un corps placé sous l'autorité de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui aurait pu se décliner territorialement ? Finalement, il nous a semblé que tous ces corps d'inspection présentent une certaine cohérence, car ils interviennent dans le domaine de la santé publique. Fractionner la santé entre les agences régionales de santé et d'autres corps de l'État n'aurait sans doute pas rendu plus lisible ni plus cohérente l'action de ces corps d'inspection. Pour cette raison, nous proposons qu'ils soient mieux positionnés dans les organigrammes des ARS, mieux valorisés dans leurs missions et leurs savoir-faire, mais que ces corps d'inspection demeurent à l'intérieur des agences régionales de santé.

D'autres sujets ont attiré notre attention, notamment le fait que le principe de subsidiarité ne s'applique aujourd'hui pas correctement aux agences régionales de santé ; ce principe de subsidiarité correspond à l'idée selon laquelle il vaut mieux partir du bas plutôt que du haut de la hiérarchie administrative. On l'observe dans l'organisation des agences, qui sont sans doute trop régionalisées, pas assez départementalisées. Dans leurs relations avec le ministère de la santé, la pesanteur administrative et l'organisation en silos du ministère de la santé ne correspondent pas forcément au caractère très transversal des compétences des agences régionales de santé. Deux anciens ministres de la santé, d'époques et de majorités différentes, nous ont indiqué qu'ils partageaient ce constat : l'organisation du ministère de la santé ne s'est sans doute pas adaptée à la création des agences régionales de santé.

Par exemple, voici quelques semaines, le Centre national de gestion (CNG) – un établissement public rattaché au ministère de la santé qui gère la carrière des praticiens hospitaliers – a autorisé la mutation de deux praticiens hospitaliers du service des urgences d'un petit hôpital de mon département. Une fois la mutation effectuée, l'agence régionale de santé a constaté la carence en médecins et a décidé, en pleine crise sanitaire, de fermer un service des urgences. Nous sommes là au cœur de cette absence de dialogue et de subsidiarité. Le schéma devient kafkaïen : un service du ministère de la santé autorise le départ de médecins tandis qu'un autre service constate la carence en médecins et ferme le service au détriment des patients et des professionnels de santé d'un territoire. Il est donc souhaitable que le ministère de la santé repense lui aussi son organisation et sa coordination avec les agences régionales de santé.

De façon assez claire, directe et transparente, les directeurs généraux d'ARS ne nous ont pas caché que le volume de normes que produit le ministère de la santé est important. Ces normes leur sont transmises et il leur revient de les faire exécuter. Même si ce volume diminue progressivement, même s'il suit une évolution plutôt positive, il reste très lourd. Ces normes sont extrêmement nombreuses et parfois contradictoires.

Enfin, un organisme nommé Conseil national de pilotage (CNP) a été créé dans le cadre de la loi HPST pour coordonner à l'échelle ministérielle l'action des agences régionales de santé. Il devrait, selon la loi HPST, être présidé par le ministre de la santé. Or, presque dès l'origine des agences régionales de santé, jamais le ministre en personne n'a présidé les réunions du Conseil national de pilotage. C'est le secrétaire général des ministères sociaux qui le remplace. Dans le cas de l'exemple local cité précédemment, il est clair que si le directeur général de l'ARS avait pu interpeller directement son ministre sur une question aussi forte avec des conséquences aussi importantes, celui-ci aurait sans doute veillé à ce que cette situation kafkaïenne ne se produise pas. Il nous semble donc impératif d'avoir plus de transparence et que les relations entre l'administration centrale et les ARS deviennent plus confiantes.

Nous souhaitons également que les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) conclus tous les cinq ans entre le ministère et les ARS deviennent transparents, qu'ils soient rendus publics pour que l'ensemble des acteurs de santé d'un territoire connaissent les orientations que le ministère fixe à l'agence régionale de santé, tant en matière de régulation sanitaire qu'en matière médico-sociale ou en matière d'inspection, de santé publique et d'épidémiologie par exemple.

Les relations entre les établissements de santé et les agences régionales de santé restent compliquées. Comme le disait le Président Obama : « ne gâchons pas une crise » : nous devons tirer les bonnes leçons de cette crise pour l'avenir. Nous avons vu émerger pendant la crise sanitaire des intelligences de terrain extrêmement fortes. Nous avons vu des directeurs d'hôpitaux et les instances de gouvernance des hôpitaux – directeur et président de la commission médicale – être capables de prendre des décisions très rapides, de ne pas se conformer à toutes les normes qui leur sont imposées pour être efficaces et répondre au plus vite à aux attentes des patients.

Gardons le bénéfice de ces intelligences de terrain, remettons de la confiance dans les relations entre les agences régionales de santé et les hôpitaux et passons par exemple d'un régime d'autorisation extrêmement lourd, comme actuellement, à un régime de déclaration, à partir du moment où les créations de services, les ouvertures ou fermetures de lits dans les établissements intègrent les objectifs du plan régional de santé adopté par l'ARS. Le directeur pourrait ainsi, en accord avec le président de la commission médicale d'établissement, déclarer l'ouverture d'un lit de réanimation ou d'un lit dans un service hospitalier sans avoir besoin d'obtenir l'accord exprès du directeur général de l'ARS – à charge pour le directeur de contester cette déclaration dans un délai raisonnable, s'il le juge utile.

La réussite des agences régionales de santé et leur territorialisation nécessiteront de se poser la question des moyens dédiés à ces agences. Les dépenses de personnels sont en constante diminution, avec 9 % de baisse des effectifs entre 2012 et 2018. J'entends bien que nous vivons une période durant laquelle la régulation du budgétaire doit rester importante et forte, mais nous ne recréerons du lien dans les territoires entre les acteurs de santé, entre les professionnels de santé et avec les élus des territoires qu'à partir du moment où ils disposeront d'interlocuteurs de proximité, investis de pouvoirs, de compétences et de la capacité à répondre aux questions qui leur sont posées. Cela nécessite des équipes départementales beaucoup plus fortes et plus structurées.

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