Intervention de Luc Broussy

Réunion du mardi 22 juin 2021 à 17h00
Commission des affaires sociales

Luc Broussy :

Ce rapport arrive à un moment à peu près aussi singulier que le moment où il m'a été commandé fin novembre. Initialement, il s'agissait d'une mission très courte : je devais rendre des conclusions à la fin janvier pour alimenter le projet de loi Grand âge et autonomie qui devait parvenir au Conseil d'État au mois de mars. Six mois plus tard, je viens vous le présenter avec l'espoir qu'il alimentera un projet de loi Grand âge et autonomie devenu maintenant Générations solidaires.

Finalement, avec quelques mois de décalage, la problématique est similaire : comment faire en sorte que ce projet de loi ne soit pas seulement, même si ce serait déjà très important, un projet de loi sanitaire et médico‑social mais qu'il ait une approche beaucoup plus transversale et interministérielle que prévu à l'origine ? C'est donc avec une approche interministérielle, que j'ai qualifiée d'holistique, que j'ai voulu m'engager dans ce rapport.

Je souhaitais un document de cinquante ou soixante pages mais il en comporte cent soixante‑quinze parce que, au fur à mesure de l'avancée du travail, la richesse des sujets abordés émerge. Ce rapport aurait pu être encore bien plus volumineux.

L'approche interministérielle a été un atout énorme. Lorsque j'ai remis le rapport aux trois ministres, je les ai remerciées d'avoir eu cette forme de courage car il n'est pas toujours évident et naturel de partager les responsabilités. Que Brigitte Bourguignon ait d'emblée souhaité que ce rapport soit co-conduit avec Emmanuelle Wargon et qu'elles aient ensuite compris la nécessité d'associer la question des territoires a permis de remettre le rapport à trois ministres. Je sais que certains d'entre vous ont assisté en visioconférence à la séance de remise de ce rapport ; vous avez vu à quel point Emmanuelle Wargon d'une part et Jacqueline Gourault d'autre part, Brigitte Bourguignon naturellement aussi, étaient impliquées dans la réflexion.

Le fait que le rapport soit commandé par trois ministres nous a d'emblée ouvert les portes non seulement du ministère des affaires sociales et de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), qui sont les acteurs classiques de ces débats, mais aussi de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), de la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) au ministère du logement, d'Action Logement, de l'Agence nationale de l'amélioration de l'habitat (ANAH), de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV)... La signature des trois ministres a permis d'ouvrir le spectre de manière beaucoup plus large que d'habitude.

L'approche holistique repose sur l'idée que vieillir à domicile nécessite d'aborder l'ensemble des sujets, du domicile jusqu'à ce qui permet la vie chez soi. C'est la raison pour laquelle ce rapport aborde les thèmes du logement, de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire et évoque également les questions de mobilités et de transports.

Le contexte démographique comporte au moins deux caractéristiques essentielles. La première est la hausse exponentielle, dans les dix ans à venir, du nombre des personnes âgées entre 75 et 84 ans. La France vieillit, et en regardant dans le détail, des cohortes se distinguent. Il est important de considérer que le nombre de personnes entre 75 et 84 ans augmentera en moyenne de 47 % entre maintenant et 2030 dans vos territoires, dans vos villes, dans vos agglomérations. Nous passerons de 4 à 6 millions de personnes de 75 à 84 ans pendant que, dans cette même décennie, le nombre de personnes de plus de 85 ans stagnera. À partir de 2030, c'est l'inverse avec l'explosion du nombre des personnes de plus de 85 ans et une progression certes, mais moindre, des personnes de 75 à 84 ans.

Je veux ainsi montrer, tout d'abord, les temporalités de la démographie auxquelles il faut nous adapter par des temporalités dans les politiques publiques. Cela ne signifie pas que nous ne devons pas nous occuper de la perte d'autonomie maintenant, tout de suite, mais le phénomène sera beaucoup plus puissant à partir de 2030. L'urgence actuelle est la très forte augmentation du nombre des 75 à 84 ans qui sont concernés par des politiques publiques différentes.

L'adaptation des logements et l'adaptation des villes doit d'abord avoir lieu en direction de ces personnes entre 75 et 84 ans dont la caractéristique particulière est que ce sont des personnes qui vivent chez elles. Il n'est pas utile de leur parler d'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), de services d'aide et d'accompagnement à domicile (SAAD) ou de services de soins infirmiers à domicile mais ces personnes commencent à avoir de premières fragilités. Ce sont les personnes que vous connaissez autour de vous, qui commencent à dire : « Je vais arrêter de conduire » ou qui sont parfois un peu incontinentes sans oser le dire mais ont besoin de s'adapter. Les premières fragilités apparaissent mais la question de l'EHPAD ne se pose pas car ces personnes ne sont pas dépendantes.

Le second élément sociologique est le constat que les personnes qui auront 85 ans en 2030 avaient 23 ans en mai 1968. Les vieux de demain ne sont donc pas ceux d'aujourd'hui et encore moins ceux d'hier. Ils auront une relation à leur volonté d'autonomie et de liberté différente de celle de leurs propres parents. C'est la première génération qui a vu ses parents en EHPAD. C'est la première génération qui a parfaitement conscience de ce qu'est la dépendance puisqu'elle a eu à s'occuper de celle de ses propres parents. Ces personnes ont donc des réactions différentes, des attentes différentes, des désirs différents, ce qui doit influer sur nos politiques publiques.

J'ai voulu aborder le sujet du logement en priorité car il constitue le point de départ de toute la réflexion. Nul ne peut vieillir chez lui si son chez‑lui est impraticable. Les accidents survenant à domicile causent 10 000 morts par an. Regardez les politiques publiques sur la sécurité routière. Nous sommes passés en quarante ans de 18 000 morts par an à un peu plus de 3 000. Sur le tabac, vous vous battez, ici et ailleurs, pour que les politiques publiques permettent de prévenir le nombre de décès en raison du tabac. Or, concernant les chutes des personnes âgées à domicile, les chiffres n'ont pas changé depuis vingt ans. Chaque année, 8 000 à 9 000 personnes décèdent d'une chute à domicile sans que ce chiffre fasse l'objet d'une communication. J'ai donc mis ce drame de santé publique en exergue du chapitre sur le logement car nous ne pouvons pas continuer à faire comme si ce sujet n'existait pas.

Vieillir chez soi demain nécessite d'abord de redéfinir le chez‑soi. Vieillir chez soi ne signifie pas seulement vieillir dans la maison dans laquelle on a élevé les enfants, dans laquelle on a vécu avec son mari et dans laquelle on est aujourd'hui toute seule avec le jardin, l'escalier qui descend à la cave et l'escalier qui monte à la chambre. Vieillir chez soi est déjà, de plus en plus, une redéfinition du mot « chez‑soi ». Une personne âgée peut être chez elle dans une résidence autonomie, dans une résidence services seniors, dans ce qui est dénommé dans mon rapport « habiter autrement », que ce soit une résidence intergénérationnelle, un habitat inclusif, un système de colocation... Il ne faut pas considérer que vieillir à domicile signifie vieillir dans un chez‑soi inadapté, dans le chez‑soi qui crée ces 10 000 chutes par an.

La nouvelle politique de maintien à domicile, de vieillir chez soi, nécessite donc d'abord de redéfinir la notion de chez‑soi et, de plus en plus, nous pourrons souhaiter un chez‑soi collectif. J'ai déjeuné voici deux ans avec la ministre danoise des personnes âgées. Je lui ai dit : « Vous savez que vous êtes une héroïne ici. On explique que, chez vous, vous avez quasiment interdit la création de nouvelles maisons de retraite. » Elle m'a répondu : « Nous y revenons parce que, à un moment donné, la politique du domicile a aussi ses limites, dont l'isolement. » Nous pouvons mettre tout ce que nous voulons en place. Toutefois, une personne âgée seule chez elle, elle est vraiment seule.

Nous construisons peu à peu cet entre-deux qui n'est pas un logement intermédiaire. « Intermédiaire » signifierait en quelque sorte que, entre chez soi et le cimetière, il existe l'EHPAD et le foyer logement. Non, il s'agit de construire d'autres formes alternatives de lieux où, demain, nous vieillirons. Cela nécessite aussi quelques éléments de politiques publiques, notamment pour les résidences autonomie qui sont un peu les oubliées des politiques publiques.

Il existe aujourd'hui 2 000 résidences autonomie, dont beaucoup sont dégradées en termes immobiliers pour la raison simple que les bailleurs sociaux ne s'en occupent pas. La CNSA vient de mobiliser 60 millions d'euros sur les deux prochaines années, soit quatre fois plus que les quatre années précédentes, mais c'est nettement inférieur aux besoins. Vous aurez bientôt à vous prononcer à nouveau sur l'utilisation du plan d'aide à l'investissement (PAI) de 1,5 milliard d'euros du plan de relance délégué à la CNSA ; je propose que 10, 15 ou 20 % de ce plan de relance soient affectés aux résidences autonomie.

J'insiste sur ce point car la résidence autonomie est la résidence services seniors des plus modestes. Or, aujourd'hui, personne n'est obligé en résidence services seniors. Certains peuvent être contraints d'aller en EHPAD mais nul n'est obligé d'aller en résidence services. Savez-vous pourquoi les gens y vont ? Les habitants des principales grandes enseignes de résidence services sont, à 75 %, des femmes seules âgées de plus de 80 ans. Ce sont donc des personnes qui ont décidé d'aller dans une résidence collective parce que, chez elles, elles ne supportaient plus l'isolement ou l'inadaptation du logement. Toutefois, il faut avoir un peu de moyens pour aller dans une résidences services seniors et ceux qui n'en ont pas vont dans les résidences autonomie. Malheureusement, nous les laissons se dégrader au fil du temps sans beaucoup réagir. Je pense qu'une partie du PAI pourrait aider à l'éviter.

Je n'ai pas beaucoup insisté sur l'habitat inclusif car nous avons déjà l'excellent rapport Piveteau. Lorsque Denis Piveteau et Jacques Wolfrom écrivent, il ne reste rien à dire ensuite. J'ai donc inséré ce sujet dans une dynamique et cité à nouveau – avec l'accord de Denis Piveteau – quelques mesures qui étaient déjà présentes dans son rapport mais je n'ai pas voulu revenir sur les excellentes propositions déjà faites par MM. Piveteau et Wolfrom.

J'en arrive à la simplification et à la massification des aides à l'adaptation des logements. 75 % des seniors sont propriétaires de leur logement et l'adaptation des logements est avant tout une adaptation des logements par leurs propriétaires. Aujourd'hui, les aides forment un capharnaüm, fruit de l'histoire, mélangeant l'intervention d'Action Logement, de la CNAV, de l'ANAH et parfois du département, puisque certains départements comme les Alpes‑Maritimes ou la Saône‑et‑Loire ont des politiques assez dynamiques sur le sujet. Chaque porte d'entrée a des conditions d'éligibilité différentes, selon les ressources, le groupe iso-ressources (GIR)... L'aide MaPrimeRénov' ayant été un succès quantitatif manifeste, incroyable, il faut copier ce qui marche et, avec « Ma Prime Adapt », j'ai tenté, avec le concours de l'administration du ministère du logement, de la DHUP et de l'ANAH, de prévoir un guichet unique, un dossier unique, des conditions uniques d'entrée dans ce système.

La condition des GIR n'est plus acceptable. Emmanuelle Wargon a indiqué que le principe de « Ma Prime Adapt » est à peu près acquis mais le diable se niche dans les détails. Voici quelques jours, un représentant de Bercy a souhaité limiter cette aide aux GIR 1, 2, 3 et 4. J'attire votre attention sur ce point. Il n'est pas possible d'attendre qu'une personne chute trois fois dans l'escalier avant qu'elle puisse enfin bénéficier d'une aide financière pour adapter son logement. Si le coût des travaux est élevé, peut-être pouvons-nous prendre en compte les ressources mais pas le GIR. Si nous n'aidons pas les personnes en GIR 5 ou 6 à adapter leur logement et que nous attendons qu'elles soient en GIR 4, je crois que nous ratons une marche, c'est le cas de le dire !

Il convient de massifier le dispositif : au total, nous consacrons actuellement à peu près 150 millions d'euros à ces dispositifs, en tenant compte du crédit d'impôt, de l'ANAH... Or ce budget est très faible. Vous qui êtes habitués à manipuler les milliards d'euros dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), nous parlons ici de sommes à peu près dérisoires. En Angleterre, le dispositif d'aide à l'adaptation des logements est doté de 550 millions d'euros. Si nous passons demain de 150 à 200 millions d'euros, puis de 200 à 300 puis à 400 millions d'euros en quatre ou cinq ans, avouez que ce ne sont pas du tout des dépenses irréalistes. Ce sont des dépenses extrêmement modestes à l'aune de l'enjeu.

Une fois que le logement est adapté, soit en adaptant le logement existant, soit en changeant de logement, il faut que ce logement soit dans un environnement bienveillant. Vous connaissez autour de vous le cas de la personne fragile qui est bien chez elle mais qui, en franchissant sa porte, se heurte à des trottoirs ou des voiries inadaptées à sa fragilité, à des feux rouges ou des passages piétons inadaptés, à l'absence de bancs publics ou de toilettes publiques... En bref, si la ville n'est pas bienveillante, cela crée une forme d'assignation à résidence : la personne est bien chez elle mais ne pourra pas sortir de chez elle.

Cet enjeu concerne les maires et les présidents d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) plutôt que l'État, l'ARS ou les départements. La première nécessité est d'ériger en label national le label « Villes Amies des Aînés ». Dans quelques jours, Pierre-Olivier Lefebvre, délégué général du réseau « Villes Amies des Aînés », annoncera la composition du label sur lequel il a travaillé mais l'État doit s'en emparer. Si une loi existe, le label doit être contenu dans la loi pour lui donner une force. Il ne doit pas être uniquement le fruit, déjà judicieux, du travail d'une association mais reconnu de manière beaucoup plus officielle.

Il faut surtout que les maires aient envie que leur ville soit labellisée « Villes Amies des Aînés ». Vous êtes des élus. J'ai aussi été élu local et nous savons la fierté que nous ressentons lorsque nous obtenons nos quatre petites fleurs du label « Villes et villages fleuris » et, surtout, notre tristesse lorsque nous en perdons une. Il faut que, de même, les maires soient fiers demain d'avoir à l'entrée de leur ville le panneau du label « Villes Amies des Aînés ».

Ma principale découverte lors du travail sur ce rapport est peut-être la nécessité de connecter la question du vieillissement avec les grands programmes contractuels que l'État a lancés ces dernières années. Je pense d'abord aux programmes Action cœur de ville, qui concerne les 222 villes de plus de 30 000 habitants, et Petites villes de demain, qui concerne 1 600 villes de moins de 20 000 habitants, dont la moitié sont des villes de moins de 3 500 habitants. Dans vos territoires, ce sont les villes qui assument, même si elles sont petites, un rôle de centralité. Dans certains territoires, une ville de 3 500 habitants est déjà une ville comportant un certain nombre de services publics, celle dans laquelle vous vous rendez pour avoir accès à ces services publics.

Lorsque ces deux programmes ont été lancés, voici deux ou trois ans pour le premier et un an pour le second, le mot vieillissement n'existait pas dans ces programmes. Il n'existait pas non plus dans la circulaire du Premier ministre du 20 novembre dernier sur les contrats de relance et de transition écologique alors que toutes les informations qui remontent des élus acteurs d'Action cœur de ville ou de Petites villes de demain montrent que la question du vieillissement est prégnante. Il n'est plus possible de parler de la revitalisation d'un centre-ville sans inclure la transition démographique. Il n'est plus possible de parler de l'avenir d'une ville ou d'un territoire sans aborder sa composante démographique.

Les uns et les autres l'ont compris au fur et à mesure. L'ANCT a bien vu remonter de la part des élus les sujets sur le vieillissement et cette question fait son chemin. Jacqueline Gourault a annoncé que le programme Petites villes de demain comporte désormais un programme d'habitat inclusif. Les 1 600 maires concernés recevront des informations et disposeront d'un forum et d'une newsletter sur l'habitat inclusif. Cette brique « habitat inclusif » deviendra une brique « vieillissement ».

De même, le programme Action cœur de ville doit être renouvelé par le Président de la République au mois de septembre pour quatre ans supplémentaires. Il est prévu avec M. Mouchel Blaisot, le préfet qui coordonne ces travaux, que la question du vieillissement fasse partie des priorités parmi les trois ou quatre grands objectifs de la « saison 2 » d'Action cœur de ville. Ce n'était pas le cas dans la « saison 1 » mais cette « saison 1 » a justement montré que les élus en avaient envie et besoin.

Nous parlons là de milliards d'euros puisque les crédits du programme Action cœur de ville s'élèvent à 5 milliards d'euros, provenant de financements de la Caisse des dépôts, d'Action Logement ou de l'ANAH. Inclure le sujet du vieillissement dans ces grands outils contractuels est évidemment une façon de modifier la ville, de modifier les territoires, d'adapter notre environnement au plus près des citoyens et de le faire par le biais de l'État et des élus locaux. Ceux-ci disposeront au travers de ces outils de financements pour adapter la ville.

Enfin, les mobilités constituent un sujet majeur puisqu'il ne suffit pas d'habiter dans un logement bienveillant et adapté. Pour rester autonome, il faut pouvoir se déplacer. La voiture devient rapidement difficile à utiliser même si je note quelques éléments qui permettraient de conduire le plus longtemps possible en toute sécurité, par exemple les autocollants spécifiques utilisés au Japon. Je propose que nous testions ces procédés en France, peut-être dans certains endroits ruraux où la voiture est indispensable ou en milieu périurbain.

Il convient de distinguer deux types de territoires. Les territoires périurbains construits dans les années 1970-1980 pour les jeunes couples sont désormais des zones habitées par des personnes de 80 ans, où la boulangerie se trouve à 5 kilomètres. Le logement péri-urbain situé en lisière des villes offre un jardin mais posera un problème d'accessibilité aux commerces et aux services publics.

Le second territoire sur lequel je fais un zoom particulier est la Martinique et la Guadeloupe. La situation y est potentiellement catastrophique en termes démographiques. La Martinique est aujourd'hui le soixante-douzième département le plus âgé de France, donc l'un des plus jeunes, tandis que la Creuse est le premier département le plus âgé. Dans trente ans, la Creuse sera deuxième mais la Martinique première. La situation de ce territoire est tout à fait particulière ; je ne parle pas des outre‑mer en général, uniquement de la Martinique et de la Guadeloupe.

Pour en revenir aux mobilités, la personne âgée un peu fragile est d'abord piéton. Or, un piéton sur deux qui décède, en France, a plus de 65 ans. D'une certaine manière, la personne âgée a délaissé les transports publics. Vous voyez peu de personnes âgées dans le métro, non parce que peu de personnes âgées habitent à Paris mais parce qu'elles ne prennent pas le métro et pour cause : il est très peu accessible. Lorsque vous prenez le bus, vous voyez peu de personnes fragiles et pour cause : voyez la conduite d'un certain nombre de chauffeurs de bus. Je ne parle pas de la multiplication dans certaines villes des transports alternatifs – trottinettes, vélos – qui est tout à fait positive mais être piéton dans un tel environnement pose un vrai problème pour une personne âgée un peu anxieuse. Je n'ai pas de solution ; je pose ce sujet de la mobilité des personnes âgées, qui est un impensé des politiques publiques.

Je termine avec la question de la gouvernance. Si nous voulons avoir une approche transversale, expliquer que la question du vieillissement ne se limite pas à l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et à la médicalisation des EHPAD mais s'étend à l'adaptation des logements, des villes, des territoires et des mobilités, il faut instituer un lieu qui permette cette co-construction interministérielle. Je me suis tourné du côté du handicap et j'ai vu à quel point la conférence interministérielle du handicap est chaque année un événement pour le monde du handicap, pour vous également ainsi que pour les ministres. Même le ministre du numérique est convoqué à la conférence interministérielle du handicap. Or il n'existe pas de conférence interministérielle de la transition démographique, du grand âge, du vieillissement. Il s'agirait donc de dupliquer cette institution sur le grand âge.

Beaucoup de ministres sont concernés, au-delà du ministre de la santé, du ministre du logement et du ministre des territoires. J'ai cité le ministre du numérique, le ministre des transports, le ministre de l'économie. Si, une fois par an pendant deux heures, le Premier ministre et le Président de la République réunissaient les ministres concernés au sens large par le vieillissement, vous voyez bien quelle impulsion et quel message politique cela donnerait, y compris aux administrations, qui seraient d'une certaine manière « sommées » de travailler un peu plus ensemble.

Enfin, je pense que les départements ont un rôle à jouer. Vous débattez beaucoup – et c'est utile – de la gouvernance État-ARS-département sur la partie médico‑sociale. Qui tarifie la dépendance ? Qui autorise un SAAD ? Ces questions sont absolument essentielles mais nous voyons bien que nous pouvons aussi donner aux départements une responsabilité stratégique. Il s'agit de dire que nous arrêtons avec ces schémas gérontologiques qui ne servent à rien puisque, même si un département peut faire tous les schémas du monde, ce n'est pas lui qui crée les EHPAD. En revanche, nous pouvons imaginer faire un schéma départemental de la transition démographique dans lequel le président du département coordonne les EPCI, les élus locaux et les territoires pour mettre en place des stratégies différentes sur un territoire donné.

J'ai pris dans le rapport l'exemple de la Loire-Atlantique mais cela pourrait être décliné dans n'importe quel département. Entre La Baule, Nantes Métropole et Châteaubriant, il existe trois situations radicalement différentes en termes de dynamiques démographiques. Où faudra-t-il construire le plus d'EHPAD demain ? Évidemment dans le territoire le plus jeune, Nantes Métropole car, même si Nantes Métropole restera le territoire le plus jeune comme Lille, Toulouse ou Montpellier, c'est là que, quantitativement, se trouveront le plus grand nombre de personnes âgées. La situation sera différente à La Baule : les prix de l'immobilier étant ce qu'ils sont à La Baule et le vieillissement de la population étant ce qu'il est, les salariés qui s'occupent des personnes âgées ne peuvent pas habiter à La Baule mais habitent à 20 ou 30 kilomètres, à Saint-Nazaire ou ailleurs.

La question démographique au sens large modèle donc les territoires. C'est un véritable et beau défi pour un président de département que de gérer cette stratégie. Je serais conseiller départemental, cela m'amuserait davantage de penser la stratégie territoriale dans le département que de tarifer l'APA ou le tarif dépendance de l'EHPAD des Glaïeuls, ce que l'ARS pourrait parfaitement faire. En donnant une capacité plus stratégique au département, nous réglerions peut-être plus facilement des questions plus techniques de tarification, qui pourraient être relever de l'ARS sans que cela pose de problème majeur.

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