La crise de la covid‑19 a éclairé d'une lumière crue les enjeux sanitaires et particulièrement ceux du médicament. Recherche, production, pénuries, prix, toutes les questions soulevées dans le débat public se posaient déjà avant l'irruption du virus. C'est pourquoi cette mission d'information sur le médicament était souhaitée depuis longtemps.
Nos investigations ont confirmé que la chaîne du médicament est malade. La financiarisation du secteur n'en finit plus de progresser, entre valeur refuge et prise de bénéfice. La recherche est asphyxiée, la production trop souvent délocalisée, les pénuries se multiplient, les prix atteignent parfois des sommets et la transparence n'est pas au rendez‑vous. Au bout du compte, le défaut de politique publique est criant.
Or, malgré nos savoirs et savoir‑faire remarquables, nous ne pouvons pas nous satisfaire du résultat pour notre santé. Dans notre pays, nous disposons d'une formidable invention sociale, même si elle n'a pas été portée à sa plénitude, même si elle a été entravée. Elle garantit collectivement l'accès aux soins. Nous devons protéger la sécurité sociale, financée par le travail, de toute tentative d'abuser de ses mannes et nous assurer qu'autour d'elle s'organise la meilleure réponse sanitaire.
Pour qui veut garantir le droit à la santé pour toutes et tous, démonstration est faite que nous ne pouvons pas nous en remettre purement et simplement au marché pour ce qui concerne le médicament, sans quoi nous courons le risque que la santé devienne une marchandise et qu'elle ne soit pas partagée. Nous devons donc engager une réflexion pour faire du médicament non pas un bien de consommation mais un bien commun de toute l'humanité.
Nous ne voulions pas d'un rapport conjoncturel se contentant du commentaire de la crise sanitaire, fût‑elle éminemment révélatrice, mais d'un regard inscrit dans le long terme. Aussi, ce rapport est le fruit de six mois de travail intense avec plus de cinquante auditions de plus de quatre‑vingts acteurs et actrices du secteur, professionnels de santé, chercheurs et chercheuses, industriels, organisations syndicales, associations et responsables des pouvoirs publics.
Dès le départ, sans pour autant prétendre à l'exhaustivité, nous avons fait ensemble le choix de poser un regard grand angle sur le médicament car tous les maillons de la chaîne sont interdépendants, du chercheur au patient.
Notre pays dispose d'atouts incontestables, depuis l'excellence de la recherche académique malgré le manque de moyens jusqu'au savoir‑faire et aux installations industrielles en passant par les centres hospitaliers universitaires (CHU) ou le Laboratoire de fractionnement biologique et j'en passe.
Cependant, l'état des lieux dressé par le rapport est alarmant. Nous sommes en perte de vitesse et en perte de maîtrise collective, comme en témoigne l'augmentation significative des pénuries. L'affaiblissement des capacités de recherche et de production des médicaments dans notre pays est une réalité à laquelle nous ne devons pas nous résoudre.
Nous le devons d'autant moins que cela n'est pas sans effet sur la qualité de la réponse sanitaire. Si des mutations sont à l'œuvre avec l'émergence de médicaments issus des biotechnologies, venant transformer en profondeur les approches dans certains domaines, comment assurer que ces médicaments ne soient pas hors de prix et hors de portée ?
Le moteur du profit ne peut rien nous garantir en la matière et nous ne pouvons pas nous en remettre au hasard et à la spéculation qui se sont glissés au milieu de la chaîne. Entre les phases de recherche et de production, nous sommes par exemple en grande partie suspendus à un système fragile de start‑up adossé aux marchés financiers, ce qui n'a rien de rassurant.
Nous avons pu mesurer combien l'objectif de rentabilité et de versement de dividendes pèse lourdement sur les choix stratégiques dans le cas de Sanofi. Dans ces conditions, qui est garant de la nécessité de répondre à des besoins thérapeutiques ? En définitive, qui décide et au regard de quelles ambitions ? Les pouvoirs publics doivent reprendre du pouvoir et s'imposer dans la détermination des priorités, voies et moyens de la santé publique, à l'échelle nationale, européenne et mondiale.
Le rapport présente donc de nombreuses pistes d'actions. L'un des leviers à utiliser est celui de la fixation des prix. Il est aujourd'hui totalement décorrélé des coûts réels de recherche et de production et dénué d'objectifs sociaux et environnementaux. Il n'obéit principalement qu'à des impératifs de compression budgétaire.
Sur un autre versant, l'efficacité du crédit d'impôt recherche au regard des objectifs affichés soulève de fortes interrogations. À l'échelle européenne, nous pouvons imaginer des coopérations plus fructueuses à condition de sortir là aussi du culte libéral. Au fil des auditions, je dois vous dire que ma conviction s'est renforcée de la nécessité, d'une part de construire une véritable politique en la matière, d'autre part de nous doter de moyens nouveaux en développant un pôle public à partir de l'existant.
Je vous invite à vous saisir de ce rapport, de ce diagnostic, de ces réflexions. Il en dit long sur la situation et ses dangers. Il est urgent de prendre des décisions pour que cette situation ne devienne pas totalement hors de contrôle. C'est d'autant plus essentiel que les questions soulevées ont une forte dimension éthique. C'est bien le droit à la santé et la confiance dans notre système de soins qui sont en jeu.
Je félicite pour leur travail Audrey Dufeu et Jean-Louis Touraine : les travaux de la mission ont été conduits dans un esprit de curiosité et d'échanges auquel nous avons pris goût, n'abolissant pas toutes les divergences mais traçant autant que possible des convergences. Je remercie également chaleureusement les administratrices qui nous ont accompagnés avec l'esprit d'écoute, l'expertise et l'intelligence que vous imaginez. Je remercie enfin l'ensemble des interlocuteurs que nous avons auditionnés, avec qui le débat n'est sans doute pas clos.
La santé était, avant la crise, en tête des préoccupations. Plus que jamais, nous sommes devant l'exigence d'agir. Il faut soigner le médicament.