COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mercredi 23 juin 2021
La séance est ouverte à neuf heures trente.
La commission procède à l'examen du rapport de la mission d'information sur les médicaments (M. Pierre Dharréville, président ; Mme Audrey Dufeu et M. Jean‑Louis Touraine, rapporteurs).
Nous sommes réunis ce matin pour examiner les conclusions de la mission d'information sur les médicaments, qui a achevé ses travaux après un cycle de près de soixante auditions, débuté en janvier dernier. Il s'agit d'un sujet majeur, au carrefour de problématiques sanitaires, économiques, de recherche et de souveraineté.
La crise sanitaire que nous traversons a montré l'acuité de ces enjeux et illustré la nécessité de reconquérir notre souveraineté sanitaire pour sécuriser nos approvisionnements en médicaments et vaccins et éviter ainsi les pénuries. Je remercie nos collègues membres de cette mission qui ont mené un travail approfondi en retenant une approche large, très large même, portant sur l'amont comme sur l'aval de la chaîne du médicament.
Après le rapport de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) sur les agences régionales de santé la semaine dernière, notre commission poursuit ainsi l'examen des conclusions des différents travaux de contrôle engagés depuis le début de l'année. Nous examinerons d'ici la fin du mois de juillet les rapports des missions d'information sur la prise en charge des patients atteints de la maladie de Lyme ainsi que sur la formation des professions paramédicales, sur l'effectivité des droits à l'allocation journalière de présence parentale et sur les professions de santé. Il me semble donc important de souligner l'ampleur du programme de contrôle mené à bien par notre commission au cours de ce premier semestre.
La crise de la covid‑19 a éclairé d'une lumière crue les enjeux sanitaires et particulièrement ceux du médicament. Recherche, production, pénuries, prix, toutes les questions soulevées dans le débat public se posaient déjà avant l'irruption du virus. C'est pourquoi cette mission d'information sur le médicament était souhaitée depuis longtemps.
Nos investigations ont confirmé que la chaîne du médicament est malade. La financiarisation du secteur n'en finit plus de progresser, entre valeur refuge et prise de bénéfice. La recherche est asphyxiée, la production trop souvent délocalisée, les pénuries se multiplient, les prix atteignent parfois des sommets et la transparence n'est pas au rendez‑vous. Au bout du compte, le défaut de politique publique est criant.
Or, malgré nos savoirs et savoir‑faire remarquables, nous ne pouvons pas nous satisfaire du résultat pour notre santé. Dans notre pays, nous disposons d'une formidable invention sociale, même si elle n'a pas été portée à sa plénitude, même si elle a été entravée. Elle garantit collectivement l'accès aux soins. Nous devons protéger la sécurité sociale, financée par le travail, de toute tentative d'abuser de ses mannes et nous assurer qu'autour d'elle s'organise la meilleure réponse sanitaire.
Pour qui veut garantir le droit à la santé pour toutes et tous, démonstration est faite que nous ne pouvons pas nous en remettre purement et simplement au marché pour ce qui concerne le médicament, sans quoi nous courons le risque que la santé devienne une marchandise et qu'elle ne soit pas partagée. Nous devons donc engager une réflexion pour faire du médicament non pas un bien de consommation mais un bien commun de toute l'humanité.
Nous ne voulions pas d'un rapport conjoncturel se contentant du commentaire de la crise sanitaire, fût‑elle éminemment révélatrice, mais d'un regard inscrit dans le long terme. Aussi, ce rapport est le fruit de six mois de travail intense avec plus de cinquante auditions de plus de quatre‑vingts acteurs et actrices du secteur, professionnels de santé, chercheurs et chercheuses, industriels, organisations syndicales, associations et responsables des pouvoirs publics.
Dès le départ, sans pour autant prétendre à l'exhaustivité, nous avons fait ensemble le choix de poser un regard grand angle sur le médicament car tous les maillons de la chaîne sont interdépendants, du chercheur au patient.
Notre pays dispose d'atouts incontestables, depuis l'excellence de la recherche académique malgré le manque de moyens jusqu'au savoir‑faire et aux installations industrielles en passant par les centres hospitaliers universitaires (CHU) ou le Laboratoire de fractionnement biologique et j'en passe.
Cependant, l'état des lieux dressé par le rapport est alarmant. Nous sommes en perte de vitesse et en perte de maîtrise collective, comme en témoigne l'augmentation significative des pénuries. L'affaiblissement des capacités de recherche et de production des médicaments dans notre pays est une réalité à laquelle nous ne devons pas nous résoudre.
Nous le devons d'autant moins que cela n'est pas sans effet sur la qualité de la réponse sanitaire. Si des mutations sont à l'œuvre avec l'émergence de médicaments issus des biotechnologies, venant transformer en profondeur les approches dans certains domaines, comment assurer que ces médicaments ne soient pas hors de prix et hors de portée ?
Le moteur du profit ne peut rien nous garantir en la matière et nous ne pouvons pas nous en remettre au hasard et à la spéculation qui se sont glissés au milieu de la chaîne. Entre les phases de recherche et de production, nous sommes par exemple en grande partie suspendus à un système fragile de start‑up adossé aux marchés financiers, ce qui n'a rien de rassurant.
Nous avons pu mesurer combien l'objectif de rentabilité et de versement de dividendes pèse lourdement sur les choix stratégiques dans le cas de Sanofi. Dans ces conditions, qui est garant de la nécessité de répondre à des besoins thérapeutiques ? En définitive, qui décide et au regard de quelles ambitions ? Les pouvoirs publics doivent reprendre du pouvoir et s'imposer dans la détermination des priorités, voies et moyens de la santé publique, à l'échelle nationale, européenne et mondiale.
Le rapport présente donc de nombreuses pistes d'actions. L'un des leviers à utiliser est celui de la fixation des prix. Il est aujourd'hui totalement décorrélé des coûts réels de recherche et de production et dénué d'objectifs sociaux et environnementaux. Il n'obéit principalement qu'à des impératifs de compression budgétaire.
Sur un autre versant, l'efficacité du crédit d'impôt recherche au regard des objectifs affichés soulève de fortes interrogations. À l'échelle européenne, nous pouvons imaginer des coopérations plus fructueuses à condition de sortir là aussi du culte libéral. Au fil des auditions, je dois vous dire que ma conviction s'est renforcée de la nécessité, d'une part de construire une véritable politique en la matière, d'autre part de nous doter de moyens nouveaux en développant un pôle public à partir de l'existant.
Je vous invite à vous saisir de ce rapport, de ce diagnostic, de ces réflexions. Il en dit long sur la situation et ses dangers. Il est urgent de prendre des décisions pour que cette situation ne devienne pas totalement hors de contrôle. C'est d'autant plus essentiel que les questions soulevées ont une forte dimension éthique. C'est bien le droit à la santé et la confiance dans notre système de soins qui sont en jeu.
Je félicite pour leur travail Audrey Dufeu et Jean-Louis Touraine : les travaux de la mission ont été conduits dans un esprit de curiosité et d'échanges auquel nous avons pris goût, n'abolissant pas toutes les divergences mais traçant autant que possible des convergences. Je remercie également chaleureusement les administratrices qui nous ont accompagnés avec l'esprit d'écoute, l'expertise et l'intelligence que vous imaginez. Je remercie enfin l'ensemble des interlocuteurs que nous avons auditionnés, avec qui le débat n'est sans doute pas clos.
La santé était, avant la crise, en tête des préoccupations. Plus que jamais, nous sommes devant l'exigence d'agir. Il faut soigner le médicament.
Le président de la mission d'information l'a rappelé à l'instant : nos travaux ont été riches d'enseignements. Comme avant chaque diagnostic, nous avons commencé par une écoute attentive, en l'occurrence une écoute attentive de nombreuses personnes très diverses mais toutes impliquées d'une façon ou d'une autre dans la chaîne du médicament.
Nous savions, avant le lancement de la mission, que la France des médicaments n'allait pas bien, qu'elle comportait beaucoup de fragilités et que ses résultats étaient en déclin mais ce que nous avons observé, ce que nous avons entendu de façon quasi unanime, est plus préoccupant et urgent que ce que nous imaginions. Cela nous impose de refonder dès maintenant la chaîne du médicament, d'abord dans l'intérêt des malades de notre pays, ensuite pour développer une soutenabilité à notre modèle.
Je rappelle que cette économie du médicament a été extrêmement forte dans notre pays. Elle doit reprendre une place importante dans le système économique français. Le véritable déclin que notre pays a connu sur l'ensemble de la chaîne du médicament a lieu dès le stade initial de la recherche fondamentale jusqu'à la mise sur le marché en passant par la production. Le constat est sans appel. En Europe, la France était première voici dix ou quinze ans, autant pour l'innovation thérapeutique que pour la production de médicaments. Aujourd'hui, selon les critères pris en compte, nous sommes entre la quatrième et la sixième position, derrière des pays européens beaucoup plus petits, avec un produit intérieur brut (PIB) bien moindre. Il est donc nécessaire de retrouver cette place, méritée et importante, autant pour nos malades que pour l'économie du pays.
En matière de recherche fondamentale, les crédits consacrés à la biologie-santé sont plus de deux fois inférieurs à ceux de l'Allemagne et ont diminué de 28 % entre 2011 et 2018, quand ils augmentaient de 11 % en Allemagne et parfois plus dans d'autres pays.
La France n'est pas meilleure en matière de production. Ainsi, en 2019, sur soixante et un traitements nouveaux ayant obtenu une autorisation européenne, seuls cinq étaient produits en France. Quant à la mise sur le marché des médicaments, force est de constater que notre procédure administrative est anormalement longue. Il faut attendre près de cinq‑cents jours entre l'autorisation de mise sur le marché (AMM) et la fin de la négociation du prix en France quand il ne faut attendre que cent dix‑neuf jours en Allemagne. Nous mettons donc plus de trois fois plus de temps pour mettre le médicament à disposition.
Bien sûr, nous disposons d'un système d'autorisation d'accès précoce, qui nous est d'ailleurs envié à l'étranger et qui permet d'accélérer ces délais, mais les autorisations temporaires d'utilisation (ATU) ne concernent qu'une faible proportion des médicaments et qu'une part assez minime des patients, souvent ceux les plus proches des gros centres hospitaliers. Pour les patients éloignés des grandes villes, l'accès aux ATU est malheureusement difficile.
Le déclin de la France en matière de médicaments est lourd de conséquences. Celles-ci ne sont pas uniquement économiques et financières mais elles sont avant tout d'ordre médical, social et éthique. Notre rapport montre que le déclassement de notre pays fragilise notre souveraineté sanitaire, augmente le risque de pénuries qui a crû de façon considérable ces dernières années. Il engendre des inégalités dans l'accès aux médicaments essentiels et aux traitements très innovants.
Face à ce constat, que faire ? Nous devons d'abord développer une détermination farouche et une volonté politique. Deuxièmement, nous pouvons et devons être optimistes car nous avons la chance de disposer d'acteurs de grande qualité, autant dans la recherche fondamentale que dans la production de médicaments. Nous pouvons retrouver une place de premier plan en quelques années avec quelques investissements humains et financiers, pour peu que nous ayons la volonté de le faire.
Une opportunité spéciale apparaît d'attacher de l'importance à cette refondation. Nous sommes à un moment où, en ce qui concerne le médicament, tout doit être changé. Il ne faut plus se contenter de ce qui a été fait depuis le début du XXe siècle, c'est-à-dire des replâtrages, des corrections diverses, des ajouts de mesures bureaucratiques ou des créations d'agences supplémentaires. Ces méthodes ont montré leurs limites et la solution est ailleurs. Il faut aujourd'hui prévoir une refondation.
Nous changeons donc de paradigme pour le médicament. Je veux vraiment insister sur la révolution en cours, pas seulement en France mais dans le monde entier. Nous ne développerons plus du tout les traitements comme au XXe siècle. Je rappelle qu'au XXe siècle, un médicament consistait essentiellement en un produit chimique relativement peu onéreux, que le malade prenait quotidiennement durant des années, des décennies pour traiter des maladies chroniques. Aujourd'hui encore, à partir d'un certain âge, les malades prennent bien souvent ces traitements jusqu'à leur dernier jour.
Demain, les traitements seront différents. Ils seront beaucoup plus chers, de courte durée, parfois pris un seul jour – traitement one shot – comme la thérapie génique, cellulaire ou des médicaments issus des biotechnologies. Ces médicaments très innovants ne concernent actuellement qu'un nombre limité de patients mais seront amenés à se développer de façon très importante dans les prochaines années.
Plusieurs de ces médicaments sont dans le pipeline. Ils sont l'objet de préoccupations car le prix de ces médicaments très innovants atteint plusieurs centaines de milliers d'euros par injection. Ceci met en péril la soutenabilité de notre système de santé et la disponibilité des médicaments pour tous grâce à la solidarité nationale, sans inégalité d'accès selon le niveau de ressources.
L'enveloppe financière dédiée aux médicaments a jusqu'à maintenant été maîtrisée grâce aux économies permises, en particulier, par le développement des génériques et par le déremboursement de médicaments considérés comme peu efficaces. Toutefois, ceci n'est plus un modèle suffisant pour développer une soutenabilité compte tenu des enjeux et des prix atteints. Si nous ne faisons rien, le coût d'accès à l'innovation risque de nous obliger à procéder à une sélection des patients ou à ne pas développer en France des médicaments dont l'efficacité est pourtant prouvée. Il est urgent d'agir.
Nous constatons donc que le système est à bout de souffle et qu'il est nécessaire de refonder un nouveau système. C'est pourquoi nous parlons de changer de paradigme. Comment le faire ? Ma co-rapporteure Audrey Dufeu détaillera dans un instant les mesures concrètes que nous proposons pour refaire de la France un territoire d'innovation thérapeutique, pour regagner notre souveraineté sanitaire et ne plus vivre ces pénuries médicamenteuses quotidiennes.
J'insiste pour ma part sur le nécessaire rééquilibrage des relations entre les pouvoirs publics et les industriels du médicament. Le président de la mission vient de rappeler à quel point la financiarisation des entreprises pharmaceutiques – qui s'est développée de façon considérable durant ces dernières décennies – pouvait conduire à une décorrélation entre les objectifs de rentabilité financière qu'elles poursuivent et les objectifs de santé publique que nous devons protéger. Je partage bien évidemment ce constat.
Je rappelle pourtant que ces entreprises font très souvent preuve d'un professionnalisme irremplaçable et conservent une utilité sociale majeure. L'image délétère qu'elles ont dans l'opinion publique est loin d'être toujours justifiée.
Pour rééquilibrer le rapport de force entre pouvoirs publics et industriels, notre rapport prône la mise en place de relations partenariales, en France mais aussi à l'échelon international, en particulier au niveau européen.
Ce partenariat doit être établi très en amont de la chaîne, pas uniquement lorsque le médicament est développé, dix ans après les recherches initiales. Pour que de telles relations émergent, il nous faut avant tout instaurer en France une gouvernance forte et stratégique de la chaîne des médicaments. Notre actuel système de gouvernance est en effet marqué par une complexité extrême et une bureaucratie très excessive. Une multitude d'acteurs publics, d'administrations, d'agences interviennent, et même trois ministères différents, sans compter Bercy et l'assurance maladie, qui sont les deux financeurs.
Lorsqu'un industriel international veut téléphoner, de Boston ou d'ailleurs, pour savoir comment obtenir l'autorisation de commercialiser son médicament en France, il demande quel est le numéro de téléphone et s'entend répondre qu'il doit passer par une demi‑douzaine d'agences, trois ministères et encore d'autres personnes. C'est décourageant et induit des retards tout à fait préoccupants.
Cette absence de synergie nuit à la cohérence de la politique du médicament et affaiblit la capacité de négociation des pouvoirs publics face à ces industriels qui jouent bien entendu la concurrence entre les différents pays. Ce n'est pas un hasard si la France, qui offre parfois des médicaments à des coûts plus raisonnables que d'autres pays, se retrouve quelquefois en pénurie : c'est parce que l'industrie internationale privilégie les pays qui paient plus cher et la France se retrouve alors démunie d'un traitement pourtant classique, essentiel et pas extraordinairement onéreux. Il nous faut corriger ce problème.
Afin de coordonner tous ces acteurs, nous proposons donc la création d'un haut‑commissaire aux produits de santé. Ce dernier aurait un positionnement interministériel et serait le véritable chef d'orchestre de l'ensemble des acteurs publics du médicament. Il serait chargé de définir une stratégie globale et prospective en matière de médicaments, laquelle pourrait s'incarner dans le cadre d'une loi de programmation sur la santé.
Nous proposons également de simplifier de manière significative le fonctionnement de nos instances de régulation, d'assurer concrètement une meilleure coordination entre elles et de renforcer leur expertise. Pour cela, il nous paraît essentiel de mieux valoriser les experts auxquels ces instances font appel et de clarifier la notion de lien d'intérêt, qu'il faut différencier plus clairement de celle de conflit d'intérêts afin de ne plus en faire une application excessive et bloquante.
Au-delà de la réforme de la gouvernance nationale, nous sommes convaincus de l'urgence à renforcer le rôle des instances européennes en matière de médicaments. Pour nous, l'évaluation des médicaments et, à terme, la fixation de leurs prix devront relever de l'échelon européen. Ce sera une grande réforme, qui demandera du temps, mais résoudra beaucoup de problèmes.
Nous saluons la création annoncée d'une nouvelle agence à l'échelon européen, la Health Emergency Preparedness and Response Authority (HERA), mais nous insistons bien dans le rapport sur le fait qu'elle ne doit pas avoir pour unique conséquence d'instituer une nouvelle strate et de complexifier davantage la gouvernance européenne du médicament, qui n'est pas toujours simple. Les rôles respectifs entre les différentes agences européennes et nationales devront être clarifiés et simplifiés.
Le rééquilibrage de la relation entre les pouvoirs publics et les industriels passe nécessairement par un meilleur partage du risque. Nous sommes persuadés que seule une plus grande implication des acteurs publics dans les phases amont du développement des médicaments pourra, in fine, contraindre les industriels à ne pas chercher lors de la fixation du prix du médicament à se faire rembourser le facteur risque de manière démesurée. Prenons bien conscience du fait qu'un industriel qui a dû lancer des tentatives de développement de douze produits pour qu'un seul aboutisse aura tendance à demander un prix très élevé pour le produit finalement commercialisé.
Nous montrons dans notre rapport qu'une relation équilibrée et partenariale passe par la hausse des financements octroyés à la recherche publique, le recours quasi systématique à des partenariats entre public et privé ainsi que le renforcement de la transparence.
Nous avons également identifié plusieurs leviers permettant à l'État d'imposer des contreparties à son soutien. De tels dispositifs sont encore peu utilisés en France mais ils sont déjà mis en place aux États‑Unis. À l'échelon européen, les contrats d'achat des vaccins contre la covid‑19 ont été signés en avance de phase, sans démonstration de leur efficacité ou avant la démonstration de leur efficacité puisqu'ils étaient encore en cours de développement. Cela a ouvert la voie à de nouvelles modalités de couplage en financement de la recherche‑développement et de l'achat public.
Le rééquilibrage des relations entre pouvoirs publics et industriels passe par de nouvelles modalités de fixation du prix du médicament. Le prix doit devenir un levier de régulation transparent et efficace. Pour cela, nous proposons d'améliorer encore la transparence des informations transmises au Comité économique des produits de santé (CEPS) par les industriels, de limiter le recours aux remises et de modifier les critères de fixation du prix.
Il nous paraît essentiel de mieux prendre en compte les enjeux de souveraineté et de sécurité d'approvisionnement. C'est pourquoi nous souhaitons inscrire dans la loi la possibilité pour le CEPS d'offrir un avantage, en matière de prix facial ou de stabilité du prix, aux médicaments dont la chaîne de production et de distribution répond à des normes sociétales et environnementales élevées et permet de réduire le risque de rupture d'approvisionnement. Pour cela, nous proposons la création d'un label « développement durable » qui serait octroyé à l'échelon national ou européen.
Je me permets d'insister sur ces questions de prix. Nous avons observé une multiplicité des prix dans laquelle il est difficile de s'y retrouver. Cette jungle des différents prix n'est pas très transparente : il existe un prix officiel et des prix qui sont l'objet de remises diverses, ici et là, prix qui ne permettent pas d'avoir une action transparente. Ceci devra être corrigé.
Au-delà des prix, nous formulons dans le rapport des propositions pour garantir la soutenabilité économique de notre système de santé. Une réflexion de fond doit être engagée sur les défis que posent le changement de paradigme technologique et l'arrivée des thérapies personnalisées pour la soutenabilité de notre système de santé ainsi que sur la répartition des rôles entre assurances obligatoire et complémentaire. Nous devons garantir une gestion beaucoup plus dynamique des prix que celle actuellement mise en œuvre par le CEPS.
La principale proposition que nous faisons en la matière est de systématiser le recours aux données de vie réelle. Contrairement à d'autres pays comme l'Allemagne ou l'Italie, la France ne fait qu'un usage très partiel de ces données. Or, en vie réelle, c'est‑à‑dire des mois et des années après la mise sur le marché, nous nous rendons compte que le résultat n'est pas exactement ce qui avait été proposé lors des essais cliniques initiaux. Il faut donc établir la réalité des effets et des prix.
Ceci doit être réalisé tout au long de la chaîne : c'est utile à la Haute Autorité de santé (HAS) pour réévaluer les médicaments, au CEPS pour recourir aux contrats de partage des risques avec les industriels, à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) pour faire de la veille sanitaire ainsi qu'à la Caisse nationale de l'assurance maladie pour contrôler le mésusage des médicaments. En effet, 30 % des prescriptions et des actes sont réalisés de façon non pertinente. Ceci doit être corrigé. La France est l'un des pays dans lesquels des abus de médicaments dangereux et inutiles sont constatés. Il faut promouvoir une prescription efficiente.
Pour faire des données en vie réelle la colonne vertébrale de nos politiques d'évaluation des médicaments et de fixation du prix, il nous faut développer la culture de l'évaluation en conditions réelles d'utilisation, pas lors des essais cliniques mais au moment de l'utilisation ultérieure chez les malades au sens large. Il convient d'accélérer le déploiement du health data hub en privilégiant les études post‑inscription réalisées dans le cadre de partenariats public privé.
Nous insistons dans le rapport sur la nécessité de favoriser les contrats où la puissance publique s'engage à fixer un prix plus élevé en cas de bons résultats en vie réelle, plutôt que de se concentrer seulement sur les contrats où le laboratoire s'engage à verser des remises en cas de moins bons résultats en vie réelle.
Pour garantir une gestion consolidée, proactive et pluriannuelle des dépenses de médicaments, il nous faut mieux anticiper, à un horizon de trois à cinq ans, les innovations arrivant sur le marché et leurs conséquences organisationnelles et financières. Pour cela, nous préconisons de confier à un corps d'inspection la préfiguration d'un dispositif fonctionnel de veille prospective.
Le changement de paradigme que nous appelons de nos vœux n'est pas si utopique qu'il peut en avoir l'air. Même les industriels commencent à en percevoir la nécessité. Certes, cela représente des investissements, pour augmenter les moyens de la recherche et de l'innovation, pour réindustrialiser notre pays d'une façon nouvelle, adaptée aux médicaments du XXIe siècle, avec des usines modernes permettant la production des traitements classiques qui seront encore utilisés mais aussi des produits des biotechnologies.
Tous ces investissements sont rentables à moyen terme. Ils sont rentables pour deux raisons. D'une part parce que les patients français traités avec ces produits représenteront un bénéfice notable dont les effets ne sont pas toujours aisés à calculer ; d'autre part parce que ces traitements coûteront moins cher que s'il faut les importer de l'étranger. Enfin, si notre système de production est à la hauteur de nos espérances, nous disposerons d'un excédent de production qui sera vendu à l'étranger, offert à l'exportation. Nous voyons donc que ce système suppose un investissement qui sera rentable dès le moyen terme.
Surtout, tout cela bénéficiera – et c'est le plus important – à nos patients français, qui pourront avoir accès rapidement aux meilleurs produits sans devoir attendre des produits venant d'autres pays. Je n'ai pas de doute bien entendu que les échanges internationaux se poursuivront mais un pays ayant une bonne place dans l'industrie pharmaceutique contribue beaucoup plus facilement aux échanges avec les autres pays que ceux qui sont malheureusement moins bien dotés. Nous pourrons ainsi assurer le meilleur accès aux médicaments dans notre pays et limiter les risques de pénurie.
En conclusion, je souhaite remercier l'ensemble des membres de la mission d'information, notamment Philippe Berta, qui a été particulièrement assidu et nous a apporté beaucoup d'idées nouvelles. J'adresse également de vifs remerciements aux administratrices qui m'ont impressionné par la qualité de leur travail.
Nous appelions de nos vœux cette mission d'information depuis longtemps. Souvenez‑vous, à chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), des nombreux amendements d'appel que nous avions pu porter ou de nos nombreuses demandes de rapport qui nous avaient déjà donné l'occasion de débattre du monde du médicament. Il a démontré d'évidentes fragilités et ses limites à la lumière de la crise sanitaire.
Mon collègue Jean-Louis Touraine et moi-même avons souhaité insister dans ce rapport sur la nécessité et l'urgence d'impulser un véritable changement de modèle et d'instaurer une gouvernance très forte et surtout unifiée dans le champ du médicament.
Je voudrais insister plus particulièrement sur l'urgence, pour la France et pour l'Europe, de retrouver notre souveraineté sanitaire, c'est-à-dire notre indépendance sanitaire. Il nous faut rebâtir l'autonomie médicamenteuse de notre pays. Il n'existe pas de solution magique, il n'existe malheureusement pas de solution unique car la difficulté réside dans le fait d'intervenir à tous les stades de la chaîne du médicament.
Il faut d'abord refaire de la France un territoire d'innovation thérapeutique. Le déclin de la France en matière de recherche et d'innovation n'est en effet pas sans conséquences. Nous devons avoir conscience que les pays qui participent peu à l'innovation thérapeutique n'ont que très peu de place dans le développement et dans la production des médicaments innovants.
L'enjeu est loin d'être purement économique : il est avant tout sanitaire. Le déclassement de la France en termes d'innovation rend plus difficile un accès équitable et rapide des patients français aux innovations thérapeutiques. Nous ne devons pas l'accepter.
Il est donc urgent d'intervenir pour soutenir la recherche dans le domaine du médicament. Nous proposons ainsi de renforcer significativement les montants octroyés aux projets de recherche plutôt que de disséminer des volumes financiers sur différents projets ce qui, finalement, a un impact beaucoup moins important.
Nous insistons sur le fait que l'alignement du salaire des chercheurs français a minima sur celui de leurs homologues européens doit constituer une priorité. Nous appelons aussi vivement à l'intensification de la recherche collaborative entre les universités, les organismes de recherche, les établissements de santé et l'industrie.
Il faut absolument sortir des guerres de chapelles. Ce point nous a vraiment interpellés lors des auditions : il existe de nombreux acteurs mais il est difficile pour ces acteurs de se remettre en cause au sein de leur propre entité et beaucoup plus facile de décaler la responsabilité sur les autres acteurs. Nous ne pourrons pas avancer ainsi ; il faut vraiment travailler cette culture du monde de la recherche et du médicament pour construire une véritable collaboration.
Nous recommandons la création d'une grande plateforme collaborative ou hub sur le modèle du biocluster de Boston. Il faut savoir qu'il existe en France autant de CHU qu'aux États‑Unis. Cela doit nous réinterroger sur la façon de créer plus de collaborations entre les acteurs pour être réellement efficaces et audibles sur la scène internationale.
Il faut faire cesser la confusion entre les notions de conflit d'intérêts et de lien d'intérêt, en raison des suspicions immédiates sur les chercheurs et leur prétendu seul leitmotiv mercantile. C'est souvent injustifié et entrave le partage d'expertise, pourtant essentiel, entre les acteurs du public et du privé. Ce partage permet de créer de nouvelles visions et de l'innovation.
Par exemple, nous avons auditionné l'Agence européenne du médicament, qui nous a clairement alertés sur le manque et même l'absence de Français aux tables de discussion et aux tables rondes de travail sur les différents rapports de travail remis à cette agence. C'est ubuesque : aucun Français n'est plus disponible parce que nous confondons lien d'intérêt et conflit d'intérêts. De même, l'ANSM a beaucoup de mal à recruter des ressources humaines parce qu'il faut des personnes vraiment expérimentées dans ces domaines, qui sont très pointus. L'expertise vient après un nombre important d'années de travail et, comme le lien d'intérêt est tout de suite pointé du doigt, l'ANSM ne parvient plus à recruter. Cela doit nous alerter.
À l'instar d'un grand nombre de pays voisins et de l'Australie, nous devons aussi nous donner les moyens d'une production académique pour certains médicaments très innovants et particulièrement onéreux, comme les cellules CAR‑T, ces thérapies géniques très prometteuses. J'en parle chaque année en PLFSS. Il faut savoir que la poche unique de CAR‑T coûte 300 000 à 500 000 euros et que le coût de production est estimé à 40 000 euros. Ces nouvelles thérapies géniques très prometteuses, qui seront de plus en plus utilisées, doivent nous interroger sur la soutenabilité de notre budget de santé. L'urgence est de faire baisser le prix de ces médicaments mais également de proposer des pratiques alternatives complémentaires à celles imposées par les firmes industrielles dans la caractérisation du médicament et dans les indications de ces poches. Une production académique élargirait ce nombre d'indications pour bénéficier plus largement aux patients qui en ont le plus besoin.
Il est par ailleurs essentiel de créer un véritable écosystème de l'innovation en santé afin que les découvertes fondamentales se traduisent non seulement en traitements innovants mais aussi en traitements fabriqués en France. Nous devons assurer un soutien financier suffisant aux start‑up pour les aider à traverser cette fameuse « vallée de la mort ». Nous ne devons pas laisser à ces start‑up uniquement les deux issues très réductrices que constituent soit une capitalisation en bourse, souvent sur des marchés étrangers, soit un rachat par une grande entreprise pharmaceutique qui, elle aussi, est souvent étrangère.
C'est là que réside le paradoxe : ces start‑up françaises sont le fruit de la recherche française publique. Elles ont été financées par les pouvoirs publics et par les Français. Il faut vraiment nous réinterroger sur les objectifs et la finalité de cette recherche que nous portons tous à ses débuts.
Cette capacité de soutenir financièrement nos entreprises à la hauteur des enjeux ne peut se concevoir qu'à l'échelle européenne. C'est une évidence et nous en sommes certains après ces nombreuses auditions. Nous avons besoin d'un projet de grande envergure et d'intérêt commun destiné à accompagner le développement des technologies innovantes en santé, en France bien sûr mais surtout en Europe.
Ce soutien à l'innovation ne peut s'exonérer d'efforts pour rendre la France à nouveau attractive en matière d'essais cliniques. Nous constatons en effet une décroissance dans la dynamique des essais cliniques français. Nous proposons dans notre rapport un certain nombre de mesures pour réduire considérablement les délais d'autorisation de ces essais. Avec le groupe Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés, nous avions déjà porté une proposition de loi sur les comités de protection des personnes (CPP) et il est urgent de permettre cette accélération des autorisations d'essais cliniques. C'est un handicap pour notre système français et surtout, in fine, c'est un handicap et une inégalité dans l'accès à l'innovation pour les personnes malades. Je crois que nous devons vraiment nous responsabiliser et bouger en la matière.
Par ailleurs, tous nos concitoyens sont confrontés, à un moment ou un autre, à cette problématique grandissante des pénuries de médicaments. Nous avons senti en audition une forte inquiétude face à un phénomène qui ne fait qu'augmenter malgré les mesures successives prises ces dernières années. Je le rappelle, le nombre de médicaments dits « d'intérêt thérapeutique majeur » déclarés en rupture d'approvisionnement est passé de 404 en 2013 à 1 499 en 2019 ; il a été multiplié par vingt en dix ans. Au-delà de la désorganisation qu'elles représentent pour les professionnels de santé, puisque l'Assistant publique-Hôpitaux de Paris évalue la gestion des pénuries à 20 équivalents temps plein de pharmacien, ces pénuries engendrent parfois d'importantes pertes de chance pour les patients, ce que nous ne pouvons plus tolérer ni laisser au bon vouloir des laboratoires.
Nous devons significativement renforcer nos outils de réponse aux pénuries, notamment au niveau européen où cette notion doit absolument faire l'objet d'une définition commune. Notre rapport souligne l'urgence d'améliorer le partage d'information entre acteurs et agences sur sujet. Il faut savoir que, dans certaines agences, la gestion des pénuries se fait encore sur papier, à la main, sans système d'information centralisé. Il faut donc fluidifier la chaîne d'approvisionnement.
Nous devons aussi responsabiliser les acteurs et, en particulier, renforcer les sanctions contre les industriels et certains grossistes‑répartiteurs dont les pratiques abusives ont des conséquences inacceptables pour les patients. Les sanctions ne sont pas du tout dissuasives et n'incitent pas les laboratoires à stopper les pénuries. La sanction n'est que de quelques centaines d'euros pour un laboratoire qui a une longue pénurie alors que cette pénurie représente peut‑être pour le laboratoire des économies importantes dans la gestion de son organisation. Nous souhaitons notamment rendre public, sans limitation de durée, l'historique des ruptures de stocks et des sanctions prononcées contre les laboratoires, selon le fameux principe du name and shame.
La lutte contre les pénuries ne pourra cependant être efficace que si nous menons des politiques ambitieuses pour encourager la production pharmaceutique en France et en Europe. Il s'agit d'un élément essentiel pour recouvrer notre souveraineté sanitaire. En effet, la crise sanitaire a confirmé le constat dressé depuis des années d'une dépendance trop forte de la France et de l'Union européenne dans le domaine sanitaire.
Je rappelle que près de 40 % des médicaments finis commercialisés dans l'Union européenne proviennent d'un pays tiers et que 80 % des sites de production de substances pharmaceutiques actives utilisées dans les médicaments disponibles en Europe sont situés hors de l'Union européenne. Au-delà des mesures de soutien indispensables au tissu industriel existant, nous prenons peu à peu conscience de l'importance de relocaliser une partie de la production pharmaceutique sur notre territoire. Des annonces du Gouvernement vont dans ce sens et c'est très bien.
Il est néanmoins illusoire de penser que toute la production pharmaceutique pourra être relocalisée. Une telle mesure n'est d'ailleurs pas souhaitable car la globalisation de la chaîne production permet d'assurer un approvisionnement et l'accès à une large gamme de produits. Nous devons trouver un juste milieu, supportable, équitable et éthique.
Cet objectif s'inscrit pleinement dans le cadre de la stratégie pharmaceutique pour l'Europe annoncée début 2020 par la présidente de la Commission européenne. Nous recommandons de mener un travail conjoint aux échelons national et européen pour identifier quels médicaments sont indispensables à notre sécurité sanitaire et ceux concernés par une pénurie ou un risque de pénurie. Il nous faut une cartographie de l'ensemble des sites de production de médicaments au sein de l'Union européenne afin d'identifier l'ensemble des capacités de production, qui sont probablement sous‑évaluées. Il faut notamment identifier celles qui sont sous‑utilisées. Il n'est en effet pas normal que l'administration ne dispose aujourd'hui, en France, d'aucun recensement des capacités de production. Ce sujet est laissé à la main des industriels alors que nous devons être vraiment vigilants sur ce point.
La reconquête de notre souveraineté sanitaire passe aussi par la mise en place de nouveaux modèles de production des médicaments. Ces nouveaux modes de production qui reposent notamment sur une collaboration active entre des acteurs publics et privés constituent une perspective particulièrement intéressante pour lutter contre les pénuries. Nous proposons ainsi de mettre en place au plus vite, sur le modèle de l'initiative Civica aux États‑Unis, une structure ou un réseau rassemblant des acteurs publics et privés – pharmacies hospitalières, établissements et entreprises pharmaceutiques, façonniers... – mais dont le pilotage serait public. L'objectif serait de produire les médicaments dont les brevets sont tombés dans le domaine public et qui sont considérés comme peu rentables alors qu'ils sont indispensables pour la santé publique. Nous devons assurer notre souveraineté sur ces molécules d'intérêt thérapeutique majeur.
Nous nous devons aussi de rattraper notre retard dans le domaine des médicaments génériques et biosimilaires. Je rappelle que le marché français du médicament générique ne représente en 2020 encore que 40 % du marché officinal remboursable, contre 75 à 80 % en Allemagne et au Royaume‑Uni. Le marché des biosimilaires est, lui aussi, très peu développé. Le taux de pénétration des biosimilaires est ainsi de seulement 23 % en médecine de ville, bien loin de l'objectif d'un taux de pénétration sur le marché de 80 % d'ici 2022 fixé par la stratégie nationale de santé.
Nous proposons de fixer un prix plancher pour les médicaments génériques afin d'encourager l'industrie du générique, fragilisée par les baisses de prix très fortes de ces médicaments depuis plusieurs années. Il est par ailleurs essentiel d'associer pleinement les médecins aux mesures en faveur des génériques et biosimilaires, en les incitant à prescrire davantage ce type de médicaments. Nous sommes en France très complaisants en la matière comparativement aux Allemands et aux Britanniques.
Mes chers collègues, au terme de ces six mois d'auditions, nous avons mieux compris les faiblesses du modèle français du médicament. Nous avons aussi pu identifier de nombreux atouts et acquis la conviction profonde qu'il est aujourd'hui possible de redonner à la France une place de leader dans le domaine du médicament. Les choix et les orientations pris durant les prochains mois seront décisifs pour nos chances de réussite.
La France aura la présidence du Conseil de l'Union européenne dès janvier 2022. Nous connaissons l'engagement et l'investissement du Président de la République sur ces sujets. Nous sommes donc confiants, optimistes et pleins d'espoir. Notre pays peut redevenir une nation innovante et souveraine dans le champ sanitaire. À nous d'impulser la volonté politique et de nous en donner les moyens, pour nos concitoyens.
Je remercie les administratrices et collègues qui ont travaillé à ce rapport et tous les professionnels de santé que nous avons auditionnés. Ils ont une volonté et une énergie sans faille. Ils nous ont vraiment confortés sur la nécessité de ce rapport et des propositions retenues dans celui-ci pour changer le modèle du médicament.
Comme vous, je suis convaincue de la nécessité de revoir en profondeur la chaîne du médicament dans son ensemble. Très attentive aux enjeux de souveraineté sanitaire et de lutte contre les pénuries soulignées par la crise sanitaire actuelle, je suis particulièrement investie sur la question de l'innovation thérapeutique, qui me semble cruciale.
Les médicaments les plus innovants, souvent indispensables au traitement des maladies graves, sont actuellement considérés par la HAS comme ayant un niveau de preuve trop faible au regard de leur approche strictement méthodologique. Or, en cas d'avis négatif de la HAS, ces médicaments ne sont accessibles aux patients que si le budget du centre hospitalier dans lequel ils sont traités le permet. Cette situation d'iniquité doit évidemment nous interroger. C'est pourquoi il me paraît crucial de renforcer l'expertise médicale et la place donnée à l'expérience des patients dans l'évaluation des traitements en favorisant la prise en compte des données de vie réelle pour mieux apprécier la valeur des produits de santé par rapport aux besoins des patients. C'est un point que j'avais eu l'occasion de souligner lors du dernier PLFSS et sur lequel vous insistez dans votre rapport. J'aurais donc beaucoup aimé vous entendre plus particulièrement sur la proposition 12 de votre rapport et sur la façon dont vous souhaitez renforcer la prise en compte de ces données de vie réelle.
Je suis également convaincue qu'il faut évoluer vers un modèle de démocratie sanitaire où les associations de patients ont un rôle majeur à jouer. J'en profite également pour saluer votre engagement sur ce sujet.
La crise sanitaire que nous traversons a mis en lumière un grand nombre de dysfonctionnements connus depuis plusieurs décennies dans le domaine de la santé, notamment en ce qui concerne les médicaments. Concentration de la production des principes actifs en Inde et en Chine, concurrence au prix d'achat entre pays, ruptures de stock de médicaments de plus en plus nombreuses au fil des ans, tous ces phénomènes génèrent des situations inacceptables qui peuvent conduire les malades à voir leur état de santé se dégrader. Ces problématiques doivent nous interroger collectivement et des pistes d'amélioration doivent être proposées. C'est ce que présente ce rapport et je tiens à saluer les nombreuses pistes de réflexion développées.
Il s'avère indispensable aujourd'hui de repenser notre modèle en matière de recherche pharmaceutique, de redonner plus d'indépendance à la France sans pour autant nous enfermer dans des logiques nationalistes et de mettre en place des solutions pour lutter contre les pénuries de médicaments. À ce titre, la chaîne d'approvisionnement du médicament doit impérativement être sécurisée et de nouveaux modèles de production inventés.
Il est vrai que la politique industrielle dans un secteur comme l'industrie pharmaceutique ne peut se concevoir uniquement au niveau national mais certains problèmes sont tout de même tout à fait spécifiques à la France. Notre pays peine à conserver son rang en raison, entre autres, de nombreuses et importantes questions éthiques, du niveau élevé des taxes et des réglementations ainsi que des relations difficiles avec les pouvoirs publics. Le déclassement de la France en matière de recherche et d'innovation et le déclin de la production pharmaceutique sont tout aussi alarmants. La crise de la covid‑19 doit nous permettre de desserrer les contraintes inutiles qui privent notre pays d'entrer pleinement dans le jeu de la compétitivité mondiale.
Parallèlement, nous notons la nécessité d'une meilleure coordination et d'une gouvernance forte mais simplifier avec les instances européennes, notamment avec la création d'une agence européenne sur le modèle des agences américaines en alliant les trois piliers essentiels que sont ressources, financement et souplesse.
À l'heure actuelle, les projets Horizon Europe et le Conseil européen de l'innovation sont des pistes intéressantes mais à travailler. Il ne faut pas perdre de vue que ces outils sont concentrés sur l'innovation qui n'est qu'une part de la politique industrielle.
La mission d'information porte sur les deux bouts de la chaîne. Pour tout ce qui concerne l'innovation, nous vivons actuellement une véritable révolution en passant de la chimie à la thérapie biologique. Toute la question est donc d'imaginer un nouveau modèle économique et de trouver comment le financer. Comment passer d'un traitement de masse à des traitements individuels ?
En tant que député du Rhône, je me suis intéressé au paracétamol. En 2008, nous fabriquions du paracétamol en France, notamment dans l'Isère. J'ai rencontré la personne qui a fermé la dernière usine de paracétamol appartenant à Rhodia-Rhône-Poulenc devenu maintenant Sanofi. Tout cela est très complexe. Depuis 2008, nous avons perdu en technologie. Il est bon de dire qu'il faut soutenir les industries qui respectent des critères sociaux et environnementaux mais le problème provient de ce que le paracétamol appartient à la chaîne du benzène. Le paracétamol est fabriqué à partir de chlorobenzène puis de chloronitrobenzène et toute la question est de savoir si dans nos pays, en Europe, nous acceptons ces technologies qui sont très dangereuses. Nous avons fait en sorte que cette pétrochimie se trouve en Inde ou en Chine. Nous ne l'acceptons plus sur notre territoire. Même si j'entends bien le côté environnemental, accepterions-nous de réintroduire sur notre sol ces technologies pour relancer la production du paracétamol et être indépendants ?
La crise sanitaire a mis en lumière les limites de notre modèle mais d'autres crises latentes dans notre système de santé mettaient déjà en évidence ces problématiques. Les fortes inégalités dans le domaine de la santé mettent en péril la soutenabilité de nos modèles de protection sociale. Je voudrais pointer le fait qu'ils sont également loin d'être respectueux de l'environnement.
Dans la recherche de reprise d'une souveraineté sanitaire et pharmaceutique que nous appelons de nos vœux, avez-vous pu identifier combien les règles et les enjeux de protection de l'environnement au niveau européen pourraient être un frein, voire un prétexte, à la relocalisation de certaines de ces filières de production sur le sol européen et en France en particulier ?
Le rapport met également en lumière certaines mesures opérationnelles déployables à court terme dans la perspective de fluidifier l'ensemble de la chaîne des médicaments et d'améliorer l'accès des patients français aux médicaments et aux innovations thérapeutiques. Vous appelez de vos vœux un renforcement massif des moyens octroyés à la recherche et au développement. Nous ne pouvons qu'aller dans votre sens, notamment dans la perspective de restaurer une souveraineté nationale en la matière.
À plus long terme, le rapport souligne le changement de paradigme qu'il serait essentiel d'opérer. Le contrat social, comme vous l'appelez, entre les industries pharmaceutiques et notre État n'est plus tenu. Il est aujourd'hui extrêmement fragilisé par l'importante financiarisation de la chaîne des médicaments qui génère un modèle inflationniste et rend onéreux l'accès aux médicaments.
Nous avons pourtant besoin que le médicament devienne un bien public et cet objectif est impérieux dans les années à venir, d'autant plus que de nouvelles crises sanitaires sont à prévoir, nécessitant la production de nouveaux médicaments. Dans cette perspective, vous développez beaucoup la piste de la coopération à l'échelon européen. Je voudrais des informations sur la proposition 9, notamment sur les moyens que l'Europe peut amener en matière de fixation des prix et surtout, des éléments supplémentaires sur cette nouvelle agence HERA Incubator. Qu'est-elle ? Quand existera-t-elle ? Vous mettez en garde sur sa création.
Vous attribuez le déclin français en matière de recherche au manque de moyens octroyés à la recherche et à l'innovation, à la complexité du paysage administratif, à la longueur excessive des procédures de mise sur le marché et de la fixation des prix des médicaments. Nous investissons en effet chaque année dans ce domaine l'équivalent de 2,2 % de notre PIB alors que les Allemands y consacrent 3,13 %. Pourtant, au chapitre IV de la quatrième partie de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, nous avons voté une série d'articles visant à simplifier l'ensemble du secteur du médicament. Selon vous, ces dispositions auront-elles un impact sur notre attractivité ?
Le médicament est aussi une question de souveraineté sanitaire. En effet, la multiplication des pénuries et la complexification des chaînes d'approvisionnement éloignent les Français de l'accès aux médicaments. Dans ce contexte de finances publiques fortement dégradées, il me semble difficile de surmonter notre déficit structurel d'investissement dans le médicament à moyen terme. Il nous faut nous appuyer sur l'Union européenne pour concurrencer les États-Unis d'une part et les pays d'Asie d'autre part. Vous préconisez un renforcement du rôle des instances européennes ainsi que des partenariats entre les différents pays et l'Union. Ne faudrait-il pas être plus ambitieux en confiant l'ensemble des investissements nationaux à une superstructure européenne du médicament ?
Rappelez-vous que, en 2017, la France avait candidaté pour accueillir à Lille l'Agence européenne du médicament mais l'image de l'ANSM était déjà bien dégradée. L'implication des pouvoirs publics est donc indispensable pour viser l'ambition escomptée.
Je vous remercie pour le travail colossal réalisé. Je souhaite que le ministère se saisisse de ce rapport et en fasse bon usage car vous avez vraiment abordé tous les sujets.
Je reviens sur la fixation des prix. Une direction européenne, dite « transparence », a imposé en 1988 aux pays européens un cadre réglementaire pour la fixation des prix. Cette régulation portait sur le prix des fabricants, hors taxes. Elle favorisait une stratégie des firmes.
Bernard Bégaud, pharmacologue, dresse dans son livre paru à l'automne 2000 un bilan sévère de la façon dont les pouvoirs publics négocient la mise sur le marché et la surveillance des traitements. Sur le système de fixation des prix des médicaments, il dit clairement que le système qui prévaut aujourd'hui est une machine à perdre pour les États. Une tentative de modification de cette directive a eu lieu en 2012 et, finalement, elle a été retirée par la Commission en 2015. Vous préconisez un pôle public du médicament. Cette fixation des prix pourrait être européenne. Pensez-vous que la France puisse se saisir de sa présidence pour faire avancer le sujet ? L'Europe est-elle prête ?
Enfin, est-il réellement possible de relocaliser la production en France ?
La crise sanitaire a fait apparaître au grand jour l'ampleur de la dépendance sanitaire de la France en matière de médicament, démontrant l'insuffisance des stocks et l'indisponibilité de certains médicaments, même pour des médicaments d'intérêt vital. Aujourd'hui, 80 % des principes actifs à usage pharmaceutique sont fabriqués dans des pays tiers à l'Union européenne, principalement en Inde et en Chine ; ils n'étaient que 20 % voici trente ans. La France est donc passée de la première place en Europe pour la production de médicaments à la quatrième place, derrière l'Italie.
Cette situation a des conséquences très graves pour les Français. Il est donc important de relocaliser la production des médicaments d'intérêt stratégique dans notre pays pour sortir de cette dépendance et gagner notre souveraineté sanitaire, en restructurant notre chaîne de production pour répondre aux besoins de la population et en nous appuyant sur notre tissu industriel, principalement pour les médicaments d'origine chimique. Nous sommes forts de 271 sites et presque 43 000 employés expérimentés.
Vous avez évoqué la coordination à l'échelon européen. Est-ce admettre que la France ne peut plus être compétitive dans ce domaine ? Comment réindustrialiser notre pays et devenir un acteur incontournable de la chaîne de production des médicaments ? Pensez‑vous que la gestion des stocks stratégiques doit s'appréhender à un niveau extranational sans risque de perte d'indépendance ? Nous avons vu, précisément, la coopération très limitée avec le Royaume-Uni sur les vaccins lors de cette dernière période.
La question du prix des médicaments est également une véritable préoccupation. Les mécanismes de régulation sont arrivés très récemment dans le débat public avec la mise sur le marché de plusieurs thérapies à des niveaux de prix très élevés. Je pense à des traitements innovants qui bouleversent la prise en charge de la vie des patients et ne s'intègrent plus au schéma classique d'évaluation. Ceci pose la question de la soutenabilité budgétaire des dépenses mais aussi de l'accès pour tous les patients à ces médicaments. Dans ces conditions, comment assurer l'accès rapide aux médicaments innovants à nos patients ? Les délais d'accès semblent certes se réduire mais ils restent globalement très supérieurs à ceux prévus dans la directive européenne. Certaines molécules ont aujourd'hui du mal à trouver le chemin de l'accès au marché dans le cadre de la procédure classique d'enregistrement. C'est une véritable préoccupation.
Le déclin de l'industrie pharmaceutique en France est comparable à ce que nous avons connu dans l'ensemble du secteur industriel. Comment favoriser une production française ou européenne selon votre proposition 27 d'agir sur le levier de la commande publique ? Avez-vous estimé le surcoût que cela pourrait entraîner pour nos comptes sociaux ? Une production européenne ou française répondant à des normes environnementales plus élevées est sans doute plus coûteuse qu'une production importée de Chine ou d'Inde.
Sur la recherche et l'innovation, je voudrais vous entendre sur les questions liées aux données en santé. Je pense que la possibilité d'accéder aux données est un levier très important, à la fois pour favoriser les essais cliniques et pour faire les études en vie réelle que vous préconisez. Quelles dispositions pensez-vous mettre en avant pour réaliser ceci, y compris au niveau européen qui semble être le niveau pertinent pour agir ?
Je salue d'ailleurs votre soutien à la création de l'agence HERA. Il faudra nous assurer qu'elle puisse effectivement disposer des moyens nécessaires pour soutenir l'innovation européenne.
Je souhaite aborder plus particulièrement le problème des pénuries croissantes, préoccupation accentuée durant la crise sanitaire. Des solutions doivent être mises en place pour lutter contre ces pénuries. La chaîne d'approvisionnement du médicament doit impérativement être sécurisée et de nouveaux modèles de production doivent être inventés.
L'indisponibilité des médicaments et vaccins est un phénomène de plus en plus préoccupant. En 2017 déjà, plus de cinq cents médicaments essentiels avaient été signalés en tension ou en rupture d'approvisionnement, soit 30 % de plus qu'en 2016. Sont concernés des médicaments de première importance dans notre arsenal thérapeutique, notamment des anticancéreux, vaccins et antibiotiques.
Ces ruptures conduisent à des pertes de chance inacceptables pour les patients. Ils mettent en danger la qualité et le fonctionnement de notre système de santé. Du fait de la délocalisation à l'étranger de la plupart des structures de production de médicament, l'indépendance sanitaire de notre pays est désormais remise en cause. Il n'est pas compréhensible que la production de principes actifs soit localisée en Asie ou en Inde mais, comme l'a signalé notre collègue Cyrille Isaac-Sibille, notre pays est-il prêt à réintroduire la filière pétrochimique sur son territoire ? C'est une vraie question.
Face au défaut de transparence sur les origines de ces pénuries et les responsabilités en jeu, la défiance s'accroît entre les acteurs de la chaîne du médicament, du fabricant au pharmacien en passant par les dépositaires, les grossistes‑répartiteurs et les prescripteurs.
Comment prévenir les pénuries résultant de difficultés de production mais aussi de la financiarisation de la santé en France ? Quelle politique envisager pour stimuler la recherche et pour que nos chercheurs français puissent travailler dans notre pays ? Quelles visions stratégiques, européenne et française, devons-nous avoir en matière d'innovation et de production du médicament ?
Comme vous l'avez dit, les constats sont édifiants concernant le déclassement de notre pays, le prix des médicaments et la dépendance de la France à la production de certains produits. La solution passe par une plus forte régulation et vous proposez de nombreuses pistes extrêmement intéressantes sur la question de la gouvernance, de la gestion du médicament, la relocalisation et le rééquilibrage des rapports de force, notamment avec l'industrie pharmaceutique.
Toutefois, la soutenabilité de l'accès au médicament et à l'innovation rappelle aussi des enjeux de développement durable. Ne faudrait-il pas envisager deux autres pistes ? Je pense notamment à la baisse de la consommation. Ne sommes‑nous pas finalement malades d'un trop‑plein de consommation de médicaments depuis trop longtemps, particulièrement en France ? La seconde piste pourrait être de développer des traitements thérapeutiques non médicamenteux. Le coût de prise en charge des médicaments, notamment pour les personnes en affection de longue durée, représente tout de même les deux tiers du budget de la sécurité sociale. Ne pouvons‑nous pas envisager d'autres solutions que les traitements par des médicaments ?
Mon intervention porte également sur notre consommation de médicaments, qui nous interroge sur notre rapport individuel et collectif aux médicaments. Bien sûr, vous avez abordé tous les aspects de la recherche, de la production, de la distribution et de la régulation. Vous soulignez la nécessité que l'Union européenne s'empare de ce problème.
Toutefois, nous sommes un continent vieillissant. Nous sommes un continent qui consommera de plus en plus de médicaments. Nous avons un pouvoir d'achat et un système de protection sociale ultradéveloppé. Stratégiquement, nous avons tout intérêt à développer cette réflexion autour du médicament.
La consommation du médicament doit être responsable, durable. Vous avez mentionné la possibilité de développer un label concernant le médicament. Je pense que nous ne l'éviterons pas car nous ne pouvons pas parler en même temps de traitements innovants à plusieurs centaines de milliers d'euros et de la consommation du paracétamol. Ce qui a été dit sur le paracétamol est très juste. Il est prescrit par tonnes et, à l'occasion de la vaccination, une prescription préventive du paracétamol a été réalisée. Nous revenons donc à question de la prescription préventive de médicaments qui interpelle à la fois le consommateur, le prescripteur et le système économique.
L'État n'inventera pas les molécules. L'État ne se substituera pas au réseau de distribution privé dans les pharmacies. Il peut intervenir dans la consommation publique des médicaments, dans la régulation au niveau public mais, globalement, que pensez-vous de ce rapport aux médicaments ? Qu'avez-vous en tête derrière ce label ?
La question du rapport au médicament et, quelque part, d'une forme de consumérisme médicamenteux qui peut exister est un vrai sujet. Parfois, lorsque nous sortons sans ordonnance d'un rendez‑vous médical, nous nous demandons si nous avons été bien pris en charge. Je pense que cette question est le pendant des logiques de marchandisation qui ont cours dans le domaine du médicament. Les deux se nourrissent l'une l'autre, avec une croissance des budgets, y compris de marketing. Nous avons vraiment intérêt à faire attention à ce couple infernal marchandisation et consumérisme qui n'est pas la garantie d'une politique de santé efficace et adaptée aux besoins.
Nous nous sommes interrogés sur ce sujet et nous y avons consacré des auditions. C'est très vrai en matière de psychiatrie par exemple : l'accompagnement humain étant en difficulté, le recours au médicament devient la solution mise sur la table.
Je précise toutefois que, même si cet excès de consommation existe, il en manque parfois aussi. Il nous faut aborder cette forme de contradiction puisque certains patients ne disposent pas des médicaments dont ils auraient besoin.
S'agissant de la relocalisation de la production, je pense qu'elle est non seulement possible mais nécessaire. Nous avons des savoir-faire, nous possédons encore des installations industrielles qui ne tournent pas à plein régime aujourd'hui du fait des délocalisations. Le problème environnemental ne peut pas être réglé en disant simplement que nous mettons l'industrie ailleurs. C'est vrai pour le médicament comme pour d'autres thématiques. Il faut sans doute produire autrement, changer nos modes de production.
Les problèmes que nous avons vu surgir en grand à la faveur de la crise sanitaire montrent la nécessité de changer aussi notre organisation de la recherche et de la production dans notre pays. Ils appellent à de nouveaux efforts de ce point de vue.
En ce qui concerne l'aspect européen, la présidence française peut être une occasion de porter plus fort ce sujet et je pense que nous ne pourrons pas en faire l'économie. Le débat sera sans doute âpre et cela doit se faire en acceptant de sortir des cadres posés jusqu'à présent. Il faudra des politiques publiques plus fortes si nous voulons mieux répondre aux enjeux.
La notion de consumérisme et le rapport des Français au médicament constituent un axe que nous n'avons pas approfondi comme tel parce que nous avions trois priorités, la souveraineté sanitaire, l'innovation et la recherche ainsi que la lutte contre les pénuries. Il faudrait presque un nouveau rapport sur la question pour aller chercher et comprendre en profondeur.
Il est difficile d'apprécier le trop‑plein de médicaments. Le médecin est légitime dans sa prescription et, si un médecin prescrit un médicament, c'est que celui‑ci est idoine ou, en tout cas, qu'il répond à la situation. En revanche, sur la notion de traitement non médicamenteux, il faut aller sur la logique de preuve. Cette preuve demande des programmes de recherche. Elle doit être démontrée, encore plus si nous voulons une prise en charge et un remboursement par la sécurité sociale.
Nous parlions de mettre l'accent et un véritable soutien financier sur des programmes de recherche spécifiques. Cela se fait par exemple déjà en cancérologie : l'Institut national du cancer (INCa) finance des sites de recherche intégrée sur le cancer. Il existe en France huit ou neuf de ces programmes de recherche très transversaux auxquels participent de nombreux acteurs, pas uniquement scientifiques. L'idée est de démontrer que, dans la prise en charge du cancer, la thérapeutique est certes essentielle mais ne doit pas être seule.
Cela demande aussi un changement de culture des chercheurs, qui doivent accepter d'ouvrir leur monde à d'autres acteurs un peu différents. Avec les guerres de chapelle que nous avons vues, nous avons ressenti cette nécessité d'ouvrir le regard et les portes de la recherche dans les différents groupes que nous avons auditionnés. C'est vrai aussi dans le domaine non médicamenteux et ce qui se fait en cancérologie devrait à mon avis se faire aussi pour d'autres pathologies.
Je souligne que l'approche en cancérologie est vraiment très coopérative. Je parlais du nombre de CHU en France comparé aux États-Unis. Il existe en France de nombreux groupes de coopérateurs en cancérologie. Nous voyons bien cette dynamique et ce n'est d'ailleurs pas un hasard si ce domaine de la cancérologie est moins impacté par les difficultés d'innovation et d'accès à l'innovation, justement parce que les médecins ont cette culture de collaboration et de travailler ensemble, ce qui n'est pas toujours le cas de toutes les spécialités. L'INCa a beaucoup aidé en la matière.
Je crois que la relocalisation est possible dans certains domaines en France ou en Europe mais qu'il est utopique de croire qu'elle pourrait être exclusive pour assurer notre souveraineté. C'est là qu'apparaissent les limites des agences. Elles doivent renforcer leur rôle de contrôle. Par exemple, l'homologue de l'ANSM aux États-Unis a des agents chargés d'aller contrôler dans les pays tiers assurant la production de substances actives. Ces agents contrôlent les normes environnementales et sociales, ce que l'ANSM n'est pas capable de faire faute de moyens et de ressources humaines.
Je pense que nous devons favoriser la relocalisation en France et en Europe mais aussi nous assurer que, lorsque la chaîne du médicament sollicite des pays étrangers, les normes sociétales et environnementales y soient respectées. Si l'ANSM ne peut pas le faire seule, il faut a minima une coordination avec ses homologues européens, ce qui ne semble pas être le cas. Chaque pays européen, avec les petits moyens dont chacun dispose, va contrôler comme il le peut, de manière assez aléatoire, les sites de production de substances nécessaires aux médicaments. Toute cette coopération européenne est extrêmement importante.
M. Isaac-Sibille, vous nous interrogiez sur la fixation des prix, la différence entre la chimie et la biothérapie. Le CEPS valorise les innovations thérapeutiques mais non la notion de valeur thérapeutique, ce qui explique pourquoi les médicaments chimiques ont vu leur prix diminuer au fil des ans. Ceci provoque des ruptures d'approvisionnement parce que la logique économique a trop été retenue ces dernières années. Une nouvelle charte de fonctionnement vient d'être signée et nous espérons que la vision du CEPS deviendra beaucoup plus large sur l'urgence à s'assurer que nous ne nous souffrions pas trop de pénuries sur les molécules chimiques.
Du coup, nous devons aussi en PLFSS prendre des mesures d'adaptation. Nous savons que le prix des médicaments et les dépenses médicamenteuses dans le budget de santé ont un impact sur l'équilibre de notre budget. Il s'agit de trouver un nouveau modèle dans la construction de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM). M. Olivier Véran a demandé un rapport spécifique sur un nouvel ONDAM ; nous serons très attentifs à la place que prendra le médicament dans cet ONDAM.
Vous nous avez beaucoup interrogés sur l'échelon européen. L'agence HERA annoncée est une première pierre à mon avis. Mme Six a demandé si les moyens nationaux ne pourraient pas fusionner en une grande agence européenne. Dans un monde idéal, ce serait parfait mais il faudrait déjà faire un sacré ménage chez nous, au niveau national, car nous avons un millefeuille incroyable en France. Penser que nous pourrions rapidement passer à un échelon européen me paraît vraiment impossible à court ou moyen terme en tout cas. C'est la politique du petit pas.
Cette agence HERA commencera par un focus sur l'urgence sanitaire, c'est‑à‑dire la façon dont les pays européens s'assurent d'avoir des réponses en cas d'urgence sanitaire. Je pense que cette coopération et l'émulation qui naîtront de cette agence permettront par la suite de passer à d'autres paliers pour construire l'Europe de la santé et l'Europe du médicament.
M. Michels nous a interrogés sur l'accès aux données de santé. Il existe effectivement beaucoup de data. Le health data hub a été lancé l'an dernier. De nombreux acteurs l'ont souligné en présentant leurs félicitations, avec un petit bémol sur l'agilité dans l'utilisation et l'interprétation de ces données. Pour l'instant, un gros stockage est réalisé. C'est la première pierre mais il faut encore alléger les procédures pour que les professionnels de santé puissent réellement utiliser ces données. Le réseau Unicancer nous a alertés sur le sujet et nous avons tout de suite fait remonter cette observation aux ministères concernés.
Je reviens avec la question de M. Perrut sur la notion d'accès aux médicaments innovants. À mon sens, cela doit nous questionner à deux niveaux. Il faut passer à l'échelon de territoire de recherche ; il n'est pas normal que, en fonction de votre lieu d'habitation, selon si vous habitez près d'un CHU ou non, vous ayez ou non accès à cette compétence, à cette expertise et à cette facilité d'accès à une ATU donc à une molécule innovante. Si vous êtes dans un petit centre hospitalier, dans un territoire plus reculé où, au sein d'un même groupement hospitalier de territoire, les professionnels de santé ne travaillent pas toujours en coopération sur ces innovations, l'inégalité est considérable et il nous faut la combattre. J'avais porté des amendements sur ce sujet lors du dernier PLFSS pour créer la notion de territoire de recherche. Nous en parlons dans le rapport et je crois que nous devrions porter ensemble l'an prochain la création de ce territoire de recherche. Les citoyens ne comprennent pas et, en tant que politiques, je pense que nous ne pouvons pas accepter cette perte de chance en fonction des territoires. Ce rapport est né de notre volonté d'assurer cette souveraineté pour plus de justice pour les citoyens et pour prémunir de toute rupture dans l'accès à l'innovation pour tous les Français.
Plusieurs d'entre vous ont rappelé que la crise sanitaire a révélé des phénomènes qui étaient connus, déjà appréciés, qui ont déjà l'objet de multiples rapports. Plusieurs ont été cités comme le rapport sur les CPP de Cyrille Isaac-Sibille ou le rapport de Jacques Biot sur la lutte contre les pénuries. Ces rapports nous ont été très utiles et nous pouvons nous demander si ce rapport ne sera pas un rapport supplémentaire n'aboutissant pas à ce que le problème soit pris dans sa globalité de façon holistique. Ne risquons-nous pas que seul tel ou tel point soit traité ?
Je crois quand même que l'important est de considérer que toute la chaîne du médicament est basée sur une sorte de contrat social entre les pouvoirs publics et les industriels, pour schématiser à outrance. Les pouvoirs publics sont censés donner les moyens et réguler le système. Il s'agit de donner des moyens pour la recherche en amont, la recherche fondamentale et certaines innovations et donner des règles pour les industriels restent bien sur leurs rails et contribuent à la santé publique. Les industriels sont censés répondre aux besoins de santé publique.
Que s'est-il passé dans les dernières décennies ? Chacun a dérivé. Les industriels ont abaissé leur obsession de santé publique pour la remplacer par une obsession de rentabilité, de dividendes à verser à leurs actionnaires ou de rechercher de profit. Il est vrai que l'économie du médicament a été la seule pendant plusieurs décennies à avoir une croissance à deux chiffres chaque année. C'était le secteur le plus rentable de toute l'économie. Évidemment, cela a entraîné des appétits et le symbole le plus évident en est que, si à la fin du XXe siècle beaucoup de directions de ces grands laboratoires étaient assurées par des médecins ou des pharmaciens, ce ne sont plus aujourd'hui que des financiers. Des professionnels y travaillent mais ils sont soumis à la coupe des financiers et sous leurs ordres.
Les pouvoirs publics ont peut-être moins dérivé, ils ont gardé leur objectif mais ils n'ont pas toujours assuré les nécessités de moyens pour la production d'innovation. La preuve en est que les moyens de la recherche ont été en diminution en France alors qu'ils augmentaient dans tous les autres pays.
Des start‑up sont apparues. Elles sont intermédiaires entre pouvoirs publics et privés puisque ce sont des chercheurs du public qui sortent de leur laboratoire public, créent une petite entreprise qui marche ou non une fois sur deux et, lorsque cela marche, elle est rachetée à coût élevé par un industriel.
Ce système de start‑up, d'entreprises de biotechnologie n'était pas le système prévu. Ce n'était pas le contrat prévu initialement. Il faut redonner du lien entre les deux parce que pouvoirs publics et industriels du médicament sont condamnés à travailler ensemble mais il faut redéfinir ce contrat et le faire de façon pragmatique. Nous ne forcerons pas des gens qui ont pris des habitudes différentes mais nous pourrons tout de même contraindre à ce que l'industrie ne soit pas indifférente aux besoins de santé publique. Elle ne l'est certes pas mais il nous faut des leviers qui nous permettent de dire que telle substance doit être produite sur notre territoire, que nous pouvons aider mais seulement si les industriels fabriquent ce dont les Français ont besoin. Ce contrat doit être renforcé.
Plusieurs ont remis en cause la nécessité du médicament ou, du moins, pointé l'abus d'utilisation. Il existe effectivement beaucoup d'iatrogénie, c'est-à-dire de complications dues à de traitements excessifs. Il faut lutter contre ces excès. Il faut aussi chercher des alternatives et la prévention est toujours préférable : mieux vaut prévenir que guérir. Cela va contre notre culture française ; par rapport à l'Europe du Nord, où de nombreux efforts de prévention sont effectués, nous attendons en France que les gens soient malades pour nous occuper d'eux avec des traitements curatifs. Nous devons sortir de cette approche car il vaut mieux prévenir l'apparition des maladies.
Malgré tout, nous avons aussi besoin de traitements curatifs. La mortalité prématurée a considérablement diminué en bonne partie grâce aux médicaments. Regardez les maladies infectieuses, le diabète, le traitement de l'insuffisance cardiaque, les antihypertenseurs, le traitement des cancers... Deux sur trois sont devenus curables alors que, sans médicament, c'était trois personnes sur trois qui étaient mortes. Nous n'avons pas à remettre en question les médicaments mais à mieux les utiliser, éviter les excès et nous concentrer sur ce qui est véritablement bénéfique.
Améliorer le bénéfice pour le patient suppose évidemment la lutte contre les inégalités territoriales. Il n'est pas admissible que, parce qu'une personne est admise dans un hôpital, celui-ci prend en charge le médicament et soigne tandis que, dans l'hôpital d'à côté, le même malade ne sera pas soigné parce que l'hôpital ne dispose pas des moyens de prise en charge du médicament, pour ceux des médicaments qui sont à prise en charge par l'établissement hospitalier. C'est une injustice, une inégalité.
Il existe aussi des inégalités de territoire puisque l'ATU est principalement accessible aux malades proches des CHU. Une minorité des patients atteints d'une pathologie ont accès à ces traitements durant un à deux ans, avant que le traitement soit en libre accès.
C'est tout de même un peu embêtant. Tant qu'il n'existe pas de médicament pour une pathologie, nous comprenons tous, par obligation, que nous devons subir notre pathologie. Toutefois, le jour où un traitement existe, surtout lorsque la maladie est grave, comme dans le cas d'un cancer, le jour où nous savons qu'un traitement existe, où les journaux en parlent, disent que le traitement est utilisé dans certains pays, disent que certes aux États‑Unis les patients sont obligés de payer et que certains n'ont pas assez d'argent mais que, heureusement en France, nous n'avons pas besoin de payer, il faut tout de même attendre deux ans pour y avoir accès. Durant ces deux ans, il est dur de se dire que le traitement est possible mais que nous traînons dans des réglementations, dans des évaluations, dans des bureaucraties qui retardent.
Tout notre système de santé est fondé sur l'égalité d'accès. Nous voyons que ce n'est pas parfait ; nous constatons des inégalités territoriales ou d'établissement d'accès à des médicaments et ceci doit être corrigé pour remplir notre mission.
Il faut aussi se rappeler que l'industrie du médicament représente 13 % du PIB sur le plan économique. Certes, la croissance n'est plus du tout de même nature que voici dix ou vingt ans mais des efforts doivent être faits et des exigences doivent être portées sur ceux qui agissent au niveau industriel. Les pouvoirs publics doivent être extraordinairement précis et rigoureux dans leurs exigences pour ce secteur.
Nous devons aussi inventer un modèle économique nouveau. Délibérément, nous n'avons pas précisé ce qu'il faudrait mettre en place. Nous estimons que nous n'avons pas les moyens de faire toutes les études qui permettront de choisir le système. Nous devons avoir conscience qu'un médicament pris one shot, un seul jour, coûtant par exemple 500 000 euros pour 1 000 ou 2 000 malades, aura un effet bénéfique, curatif pour toute la vie et se substituera donc à des traitements chroniques qui auraient été pris durant vingt ou trente ans par le malade. De plus, s'il est mieux guéri, il pourra reprendre une activité et tout ceci doit donc être pesé. Notre mission n'a pas la possibilité de réaliser toutes les évaluations mais nous devons inventer un système adapté, par exemple un lissage dans le temps du financement, une sorte d'emprunt payé progressivement puisque l'effet s'étale sur trente ans pour le malade. Le prix du médicament pourrait être versé au laboratoire de façon progressive par différents moyens. Sans entrer dans les détails, j'insiste simplement sur le fait que, contrairement à la situation actuelle, il ne s'agit plus de payer chaque jour le médicament, toujours au même prix.
Le principe a déjà été beaucoup chamboulé au moment du traitement de l'hépatite C par le Sovaldi, dont le coût important n'a pu être absorbé. Il a finalement été décidé de ne traiter la première année que les malades atteints de formes avancées d'hépatite C. S'il avait fallu prendre en charge tous les malades dès la première année, nous n'aurions pas disposé des ressources nécessaires. L'utilisation du médicament a donc été étalée dans le temps mais cette solution n'est pas idéale.
Un phénomène similaire s'est produit pour le traitement du sida. Souvenez-vous, pour les plus anciens, que les trithérapies ont d'abord été données, en 1995, aux malades qui avaient très peu de lymphocytes T4 – moins de 200 – parce que nous savions que ces malades pouvaient basculer dans le sida avéré du jour au lendemain. Nous avons cherché des explications pour le fait que nous ne traitions pas les autres alors qu'il faut traiter tous les séropositifs pour deux raisons. La première est qu'il vaut toujours mieux traiter tôt une maladie et la seconde est que le malade traité n'est plus contagieux. Cela permet donc d'empêcher la propagation du virus mais nous avons mis une dizaine d'années à atteindre cet objectif parce que les ressources étaient insuffisantes par rapport au coût de ces nouveaux médicaments. Il est donc absolument nécessaire que nous trouvions une solution pour ne pas devoir chercher de mauvaises solutions consistant à ne pas traiter tous les malades.
Certes, nous ne sélectionnons pas les malades sur l'argent mais sur le niveau de gravité. Au début, nous ne traitons que ceux qui risquent de mourir dans l'année, puis ceux qui ont une espérance de vie de cinq ans... Ce n'est pas très raisonnable. Il vaudrait mieux pouvoir traiter de façon adaptée tous ceux qui souffrent d'une pathologie.
L'environnement ne doit pas être un prétexte pour une non‑relocalisation en France ou en Europe. La solution réside dans des dépenses pour contrôler les méfaits sur l'environnement. Cela coûte effectivement un peu plus cher mais tout peut être contrôlé et c'est très important. Ces investissements antipollution permettent de produire, certes pour un peu plus cher mais à prix abordable tout de même. De toute façon, la pollution est aussi grave pour les enfants et les travailleurs en Inde ou en Chine qu'en France. Nous ne devons pas imposer à d'autres les difficultés que nous ne saurions pas résoudre nous-mêmes, alors que, précisément, nous savons les résoudre et que c'est simplement une question de moyens pour contrôler les conséquences éventuelles des produits chimiques.
La relocalisation induit un surcoût mais il reste modeste. Nous ne l'avons pas calculé ; ceux que nous avons auditionnés nous ont dit que c'est en définitive de l'ordre de quelques centimes parce que la production de la substance n'est pas l'élément le plus important dans le prix. La production elle-même n'est pas, pour beaucoup de médicaments, ce qui coûte le plus cher et le surcoût de production ne provoquera pas une marche excessive mais un petit surcoût.
La fixation du prix en Europe est un objectif que nous devons nous donner. Il ne sera pas atteint immédiatement car il faudra convaincre tous nos partenaires. L'Europe a déjà été obligée de mettre en place de nouvelles solutions du fait de la crise sanitaire, puisqu'elle n'avait auparavant pas de compétence santé. Nous pourrons ensuite réfléchir à une unification beaucoup plus complète de toute la chaîne du médicament et développer une authentique Europe de la santé. Toutefois, je pense que nous sommes obligés d'avancer pas à pas. Il nous faut l'accord de tous nos partenaires et ils ne sont pas tous aussi convaincus que nous de l'intérêt de cette évolution.
Je ne crois pas qu'il existe une solution unique aux pénuries parce que leurs causes sont multiples. Le problème est assez complexe. Nous avons essayé de l'analyser et je pense que nous devons d'abord afficher notre volonté de considérer que les pénuries constituent un problème grave. C'est grave lorsqu'elles touchent des anticancéreux, des corticoïdes comme cela arrive très souvent, mais c'est aussi ennuyeux lorsque des produits antidouleur sont concernés. C'est très grave en cas de pénurie de curare, d'autres anesthésiants ou d'autres produits de réanimation.
En tout état de cause, je pense que nous devons établir une liste, malheureusement un peu longue, de produits essentiels. Cette liste est en cours d'écriture au niveau européen puisque les différences sont faibles entre un malade danois et un malade français ou italien. Lorsque nous serons d'accord sur cette liste, il faut que nous ayons au moins une usine de production en Europe pour chacun de ces produits.
Cela ne signifie pas que cette usine doit se substituer à celle de Chine ou d'Inde mais la difficulté est que pour beaucoup de molécules, il n'existe plus qu'un seul producteur au monde. Si l'usine ferme à New Delhi ou Calcutta ou en Chine, nous n'avons plus rien. Certes, la technique est connue et nous pouvons recréer une production mais remettre en route une chaîne de production n'est pas si facile et nécessite au moins un an, parfois plusieurs années. Nous ne pouvons pas accepter l'existence de tels monopoles pour des produits essentiels. Nous devons avoir au moins une production en Europe.
Lorsque nous parlons du surcoût de la relocalisation, nous devons aussi considérer les économies apportées par la relocalisation. Si nous voulons être responsables, ce que nous ne sommes pas encore complètement en Europe, nous devons faire comme les Américains, qui sont très responsables sur ce sujet. Ils vont visiter toutes les usines et ne certifient que celles qui respectent des conditions extrêmement strictes de sécurité, de qualité et d'environnement. Ils envoient sur place des délégations qui analysent tout dans le détail ; un nombre significatif d'usines asiatiques ne sont pas certifiées par les Américains. Cela coûte cher et ce n'est pas parce que nous faisons produire ailleurs que chez nous que nous n'avons pas à payer des contrôles de sécurité. Il est important de comprendre que la relocalisation faciliterait aussi le contrôle de ces produits. Nous devons vraiment nous obliger à ne pas être dépendants d'autres continents. Certains produits devraient même être fabriqués en France.
Nous avons fait trente et une propositions, et c'est peut-être déjà beaucoup. J'ai peur qu'on ne pioche dans la liste que les deux ou trois propositions les moins onéreuses afin de prétendre que le rapport a bien été pris en compte. J'espère que l'ensemble ou du moins l'esprit de l'ensemble sera pris en compte. Je sais bien que tout n'est pas réalisable dans l'année à venir, ni même dans les cinq ans à venir, mais l'esprit est de nous donner une obligation de résultat à relativement court terme pour ne pas subir à nouveau les angoisses que j'ai entendues de la part de responsables de services de réanimation. Ils disaient ne parfois plus avoir de quoi traiter le lendemain les malades actuellement en coma artificiel. Ils téléphonaient à toutes les cliniques aux alentours, à tous les hôpitaux de France. Certes, la consommation a été trente fois plus élevée que la normale mais cela n'a pas duré très longtemps. Nous n'avons pas beaucoup parlé des stocks mais il est aussi possible d'avoir au moins deux mois de stock pour faire face et avoir le temps de trouver des solutions.
Nous devons nous donner une obligation de résultat. L'esprit est de relever les défis de toute la chaîne du médicament, depuis l'innovation thérapeutique jusqu'à la production. L'accès égalitaire de tous les malades au médicament doit être un objectif atteint le plus vite possible.
Je vous remercie et vous félicite pour ce travail de très grande envergure et de très grande qualité ainsi que pour toutes les réponses apportées.
En application de l'article 145, alinéa 7, du Règlement, la commission autorise la publication du rapport de la mission d'information.
La séance s'achève à onze heures vingt-cinq.