Intervention de Audrey Dufeu

Réunion du mercredi 23 juin 2021 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAudrey Dufeu, rapporteure :

La notion de consumérisme et le rapport des Français au médicament constituent un axe que nous n'avons pas approfondi comme tel parce que nous avions trois priorités, la souveraineté sanitaire, l'innovation et la recherche ainsi que la lutte contre les pénuries. Il faudrait presque un nouveau rapport sur la question pour aller chercher et comprendre en profondeur.

Il est difficile d'apprécier le trop‑plein de médicaments. Le médecin est légitime dans sa prescription et, si un médecin prescrit un médicament, c'est que celui‑ci est idoine ou, en tout cas, qu'il répond à la situation. En revanche, sur la notion de traitement non médicamenteux, il faut aller sur la logique de preuve. Cette preuve demande des programmes de recherche. Elle doit être démontrée, encore plus si nous voulons une prise en charge et un remboursement par la sécurité sociale.

Nous parlions de mettre l'accent et un véritable soutien financier sur des programmes de recherche spécifiques. Cela se fait par exemple déjà en cancérologie : l'Institut national du cancer (INCa) finance des sites de recherche intégrée sur le cancer. Il existe en France huit ou neuf de ces programmes de recherche très transversaux auxquels participent de nombreux acteurs, pas uniquement scientifiques. L'idée est de démontrer que, dans la prise en charge du cancer, la thérapeutique est certes essentielle mais ne doit pas être seule.

Cela demande aussi un changement de culture des chercheurs, qui doivent accepter d'ouvrir leur monde à d'autres acteurs un peu différents. Avec les guerres de chapelle que nous avons vues, nous avons ressenti cette nécessité d'ouvrir le regard et les portes de la recherche dans les différents groupes que nous avons auditionnés. C'est vrai aussi dans le domaine non médicamenteux et ce qui se fait en cancérologie devrait à mon avis se faire aussi pour d'autres pathologies.

Je souligne que l'approche en cancérologie est vraiment très coopérative. Je parlais du nombre de CHU en France comparé aux États-Unis. Il existe en France de nombreux groupes de coopérateurs en cancérologie. Nous voyons bien cette dynamique et ce n'est d'ailleurs pas un hasard si ce domaine de la cancérologie est moins impacté par les difficultés d'innovation et d'accès à l'innovation, justement parce que les médecins ont cette culture de collaboration et de travailler ensemble, ce qui n'est pas toujours le cas de toutes les spécialités. L'INCa a beaucoup aidé en la matière.

Je crois que la relocalisation est possible dans certains domaines en France ou en Europe mais qu'il est utopique de croire qu'elle pourrait être exclusive pour assurer notre souveraineté. C'est là qu'apparaissent les limites des agences. Elles doivent renforcer leur rôle de contrôle. Par exemple, l'homologue de l'ANSM aux États-Unis a des agents chargés d'aller contrôler dans les pays tiers assurant la production de substances actives. Ces agents contrôlent les normes environnementales et sociales, ce que l'ANSM n'est pas capable de faire faute de moyens et de ressources humaines.

Je pense que nous devons favoriser la relocalisation en France et en Europe mais aussi nous assurer que, lorsque la chaîne du médicament sollicite des pays étrangers, les normes sociétales et environnementales y soient respectées. Si l'ANSM ne peut pas le faire seule, il faut a minima une coordination avec ses homologues européens, ce qui ne semble pas être le cas. Chaque pays européen, avec les petits moyens dont chacun dispose, va contrôler comme il le peut, de manière assez aléatoire, les sites de production de substances nécessaires aux médicaments. Toute cette coopération européenne est extrêmement importante.

M. Isaac-Sibille, vous nous interrogiez sur la fixation des prix, la différence entre la chimie et la biothérapie. Le CEPS valorise les innovations thérapeutiques mais non la notion de valeur thérapeutique, ce qui explique pourquoi les médicaments chimiques ont vu leur prix diminuer au fil des ans. Ceci provoque des ruptures d'approvisionnement parce que la logique économique a trop été retenue ces dernières années. Une nouvelle charte de fonctionnement vient d'être signée et nous espérons que la vision du CEPS deviendra beaucoup plus large sur l'urgence à s'assurer que nous ne nous souffrions pas trop de pénuries sur les molécules chimiques.

Du coup, nous devons aussi en PLFSS prendre des mesures d'adaptation. Nous savons que le prix des médicaments et les dépenses médicamenteuses dans le budget de santé ont un impact sur l'équilibre de notre budget. Il s'agit de trouver un nouveau modèle dans la construction de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM). M. Olivier Véran a demandé un rapport spécifique sur un nouvel ONDAM ; nous serons très attentifs à la place que prendra le médicament dans cet ONDAM.

Vous nous avez beaucoup interrogés sur l'échelon européen. L'agence HERA annoncée est une première pierre à mon avis. Mme Six a demandé si les moyens nationaux ne pourraient pas fusionner en une grande agence européenne. Dans un monde idéal, ce serait parfait mais il faudrait déjà faire un sacré ménage chez nous, au niveau national, car nous avons un millefeuille incroyable en France. Penser que nous pourrions rapidement passer à un échelon européen me paraît vraiment impossible à court ou moyen terme en tout cas. C'est la politique du petit pas.

Cette agence HERA commencera par un focus sur l'urgence sanitaire, c'est‑à‑dire la façon dont les pays européens s'assurent d'avoir des réponses en cas d'urgence sanitaire. Je pense que cette coopération et l'émulation qui naîtront de cette agence permettront par la suite de passer à d'autres paliers pour construire l'Europe de la santé et l'Europe du médicament.

M. Michels nous a interrogés sur l'accès aux données de santé. Il existe effectivement beaucoup de data. Le health data hub a été lancé l'an dernier. De nombreux acteurs l'ont souligné en présentant leurs félicitations, avec un petit bémol sur l'agilité dans l'utilisation et l'interprétation de ces données. Pour l'instant, un gros stockage est réalisé. C'est la première pierre mais il faut encore alléger les procédures pour que les professionnels de santé puissent réellement utiliser ces données. Le réseau Unicancer nous a alertés sur le sujet et nous avons tout de suite fait remonter cette observation aux ministères concernés.

Je reviens avec la question de M. Perrut sur la notion d'accès aux médicaments innovants. À mon sens, cela doit nous questionner à deux niveaux. Il faut passer à l'échelon de territoire de recherche ; il n'est pas normal que, en fonction de votre lieu d'habitation, selon si vous habitez près d'un CHU ou non, vous ayez ou non accès à cette compétence, à cette expertise et à cette facilité d'accès à une ATU donc à une molécule innovante. Si vous êtes dans un petit centre hospitalier, dans un territoire plus reculé où, au sein d'un même groupement hospitalier de territoire, les professionnels de santé ne travaillent pas toujours en coopération sur ces innovations, l'inégalité est considérable et il nous faut la combattre. J'avais porté des amendements sur ce sujet lors du dernier PLFSS pour créer la notion de territoire de recherche. Nous en parlons dans le rapport et je crois que nous devrions porter ensemble l'an prochain la création de ce territoire de recherche. Les citoyens ne comprennent pas et, en tant que politiques, je pense que nous ne pouvons pas accepter cette perte de chance en fonction des territoires. Ce rapport est né de notre volonté d'assurer cette souveraineté pour plus de justice pour les citoyens et pour prémunir de toute rupture dans l'accès à l'innovation pour tous les Français.

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