Madame la présidente, chers collègues, je tiens à vous remercier pour m'avoir confié, il y a trois mois, cette mission passionnante relative aux professions de santé. J'ai le plaisir vous en présenter le rapport que j'ai souhaité intituler « Organisation des professions de santé : quelle vision dans dix ans et comment y parvenir ? De la théorie de l'escalier ! »
Nous sommes nombreux dans cette commission, sur tous les bancs, à vouloir faire évoluer l'organisation de notre système de santé, avec l'objectif d'améliorer l'accès aux soins et d'enrichir les missions et les carrières des professionnels paramédicaux.
Les réflexions se sont récemment concentrées sur l'opportunité ou non de créer une profession de santé intermédiaire. Faute de consensus et devant la difficulté à mieux la définir, la création de cette nouvelle profession n'a pas été adoptée par notre Assemblée. Un rapport sur le sujet a néanmoins été confié au Gouvernement. Cette mission, pilotée par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), est en cours. J'ai souhaité que ce travail soit mené en parallèle de la mission du ministère. Elle m'a auditionné et son rapport nous sera remis à l'automne.
Partant de notre interrogation sur cette nouvelle profession intermédiaire, j'ai souhaité examiner les autres leviers à notre disposition qui permettraient d'améliorer la qualité des soins dispensés et d'offrir aux professionnels de santé une perspective d'évolution de leurs missions. Les travaux de la mission se sont concentrés sur trois de ces leviers : le renforcement des coopérations entre l'ensemble de ces professionnels, le développement de l'exercice en pratique avancée et les modifications des périmètres de compétences des différents professionnels. Bien sûr, l'évolution des professions doit aller de pair avec l'évolution des formations, sujet que nous avons pu aborder la semaine dernière avec le rapport d'Annie Chapelier.
Afin d'identifier des solutions concrètes, j'ai souhaité que cette mission pose le constat de convergences entre l'ensemble des professions. Dans ma recherche de ces convergences, j'ai tenu à rencontrer les deux principaux ordres – médecins et infirmiers – au début de la mission et à leur en rendre compte à son issue. J'ai également procédé à des échanges avec les différentes directions centrales. Dans la conduite de mes travaux, j'ai adopté une méthodologie particulière combinant deux approches : une approche transversale par grandes catégories de professions – infirmiers, kinésithérapeutes, prothésistes... – ainsi qu'une approche par filières – visuelle, auditive, bucco-dentaire, santé mentale –, provoquant ainsi des rencontres entre professionnels médicaux et paramédicaux lors d'une même audition. La plupart des acteurs entendus ont d'ailleurs salué cette démarche, indiquant qu'ils avaient rarement été réunis autour de la même table afin d'évoquer l'organisation de leur filière.
L'objectif du rapport ne consiste pas à imposer par le haut une nouvelle organisation des professions de santé, mais bien de consulter l'ensemble des acteurs concernés afin d'identifier les mesures susceptibles d'emporter l'adhésion d'un grand nombre d'entre eux. D'ailleurs, les professionnels sont bien souvent conscients des difficultés que pose l'organisation actuelle de notre système de santé. Il existe un véritable consensus sur son inaptitude à répondre aux grands défis à venir. Nous ne pourrons pas faire face au vieillissement de la population, à l'explosion des maladies chroniques et aux virages préventifs si nous conservons un système dans lequel la répartition des compétences entre professions médicales et paramédicales est extrêmement rigide et dans lequel encore trop peu de place est réservée au travail en équipe et aux délégations de tâches. Nous nous devons de faire évoluer l'organisation des professions de santé. D'ailleurs, face à l'urgence sanitaire, l'autorisation de vacciner contre la covid-19 a été élargie à un plus grand nombre de professions de santé.
L'ensemble des propositions contenues dans le rapport s'attache à servir la vision de l'organisation des professions de santé que nous souhaitons voir se dessiner dans dix ans. Je suis convaincu que cette vision, qui mériterait de faire l'objet d'une large concertation, pourrait s'articuler autour de trois grands axes.
Le premier axe repose sur la montée en compétences de l'ensemble des professionnels de santé. Dans le rapport, je parle de « logique de l'escalier ». Dans la filière du soin par exemple, les aides-soignants pourraient pratiquer, sous leur contrôle, des actes réalisés actuellement par des infirmiers qui eux-mêmes pratiqueraient, sous le contrôle des médecins, des actes considérés actuellement comme médicaux. Cette démarche serait bénéfique pour les médecins, car cela leur permettrait de dégager du temps médical, non seulement pour réaliser les actes les plus complexes, mais également pour remplir au mieux leur rôle de coordinateur de la prise en charge des patients.
Les médecins sont conscients que l'explosion des besoins de santé à l'horizon de dix ans nécessitera l'augmentation du nombre de professionnels, leur meilleure répartition sur le territoire, l'extension de leurs compétences et une coopération accrue. La concurrence entre les professions de santé, que nous constatons malheureusement souvent, sera, de facto, considérablement réduite du fait d'un plus grand nombre de personnes à prendre en charge, et ce, de manière coordonnée.
Le rapport établit des propositions visant une montée en compétence des différentes professions paramédicales, notamment la montée individuelle en compétences. Il est nécessaire de fluidifier les parcours professionnels et de mieux valoriser les compétences acquises, notamment dans le cadre des formations prévues par les protocoles de coopération. L'octroi d'unités de valeur universitaires pourrait, par exemple, venir sanctionner le suivi d'une formation et l'acquisition d'une compétence. Cela permettrait aux professionnels de conserver leurs nouvelles compétences pour la suite de leur carrière, même en dehors de tout protocole de coopération.
Le deuxième axe autour duquel s'articule cette vision à dix ans vise au renforcement des missions de prévention. Le champ actuel de la prévention est insuffisamment structuré et la crise sanitaire a crûment souligné ses faiblesses. Les missions de prévention – notamment la prescription d'actes de prévention – nécessiteraient un plus large partage entre les professionnels de santé. Si l'élaboration du diagnostic médical et la définition d'une conduite à tenir et d'une thérapeutique, à savoir les premières prescriptions, doivent demeurer dans le champ de compétences des médecins, sauf exception bien délimitée, la prévention est l'affaire de tous et il est essentiel que l'ensemble des professions y jouent un rôle. Elle consiste en effet à mettre l'accent sur l'éducation à la santé, sur l'éducation thérapeutique, sur le repérage des fragilités, notamment chez les personnes âgées, et sur un meilleur dépistage chez les enfants, notamment en milieu scolaire. Le rapport contient des propositions visant à renforcer le rôle des professionnels en matière de prévention, notamment celui des infirmiers en pratique avancée (IPA) exerçant dans le secteur libéral. Il est également nécessaire de poursuivre activement les réflexions de la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) afin de mieux valoriser financièrement les missions de prévention.
Le troisième grand axe autour duquel s'articule cette vision à dix ans réside dans le renforcement du travail en équipe, et ce, notamment, pour ce qui concerne la prise en charge des maladies chroniques. Dès lors qu'un diagnostic d'affection de longue durée est posé, des coopérations doivent facilement pouvoir s'instaurer entre les différents professionnels, de la ville, du médico-social ou de l'hôpital. Il s'agit notamment de développer l'exercice coordonné entre les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et les équipes de soins primaires, qui recoupent des logiques différentes, et de renforcer les échanges d'information entre les professionnels.
Les outils numériques, complétés par la tenue en présentiel de réunions de concertation pluridisciplinaires, s'avèreraient, à ce titre, extrêmement utiles. Vous connaissez mon attachement au dossier médical partagé et au futur « Mon espace santé ». Des progrès ont été réalisés en la matière, notamment depuis la création de la délégation ministérielle au numérique en santé. Je me félicite, par exemple, que les organismes de tutelle travaillent activement à la mise en place et au financement d'un référentiel d'interopérabilité obligatoire, opposable aux éditeurs de logiciel. Il importe de poursuivre activement ces travaux.
Le renforcement du travail en équipe impose également des protocoles de coopération, dispositifs encore trop peu utilisés. Le rapport propose, par exemple, de faciliter le déploiement, sur le territoire national, des protocoles locaux de coopération. La direction générale de l'offre de soins pourrait être chargée de s'assurer que des dispositifs de formations formalisés sont opérants sur l'ensemble du territoire lorsqu'un protocole local est étendu.
Montée en compétences des professionnels, renforcement de la prévention et du travail en équipe : telle est la vision à dix ans, mise en avant dans le rapport. Cette vision n'est pas utopique, bien au contraire. Elle nécessite néanmoins que nous nous retrouvions préalablement sur les définitions. Le rapport s'attache à définir des notions trop souvent confondues, comme celles de compétence et de qualification, d'autonomie et d'indépendance ou encore de pratique avancée et de spécialisation. Dans le rapport figure un tableau dans lequel nous avons répertorié les différents niveaux dans la pratique des professionnels paramédicaux. Ainsi, par exemple, la pratique avancée, qui repose sur un haut degré d'autonomie – et non pas d'indépendance –, un travail de collaboration renforcée avec les autres membres de l'équipe et des missions larges et transversales, se distingue assez nettement de la spécialisation. Le rapport contient d'ailleurs des propositions visant à renforcer la pratique avancée, notamment en l'ouvrant à d'autres professions de santé, telles que les techniciens de laboratoire et les manipulateurs en électroradiologie.
Au-delà des propositions « générales » qui concernent l'ensemble des professions de santé, les travaux de la mission ont permis de faire émerger des mesures, déployables par filière, sur lesquelles la très grande majorité des acteurs auditionnés, voire la totalité, ont réussi à s'accorder.
Dans la filière visuelle, il apparaît essentiel de développer les délégations de tâches aux opticiens et orthoptistes. Les ophtalmologistes y sont favorables sous certaines conditions. Il est urgent que nous répondions aux faiblesses d'organisation de la filière visuelle, qui engendrent des difficultés majeures d'accès aux soins.
Dans la filière auditive, il est essentiel de mener une réflexion sur la place occupée par des audioprothésistes au sein de structures médicales, tout en gardant à l'esprit l'importance de séparer les actes de prescription et les actes de vente pour les dispositifs d'audioprothèses. Une mission de l'IGAS a été lancée à ce sujet. Je pense que nous gagnerons collectivement à nous saisir de ses propositions lorsqu'elles seront publiées.
Dans la filière du soin, un très grand nombre d'acteurs auditionnés appellent de leurs vœux la création d'un statut libéral d'aide-soignant. J'insiste sur le fait que les aides-soignants qui disposeraient de ce statut travailleraient au sein de cabinets d'infirmiers libéraux et sous la responsabilité de ces infirmiers. Il s'agit ici surtout d'instaurer une coopération pleine et entière entre aides-soignants et infirmiers dans le secteur libéral et de contribuer au virage domiciliaire que nous appelons tous de nos vœux.
La filière de la santé mentale est probablement celle où les points de convergence entre les professionnels – au premier rang desquels les médecins généralistes, les psychiatres et les psychologues – ne sont pas établis. Les auditions de la mission ont néanmoins permis de démontrer qu'une meilleure coordination entre ces professionnels était envisageable. Trois expériences de terrain pourraient utilement inspirer d'autres territoires en associant les professionnels qui le souhaitent, à savoir les dispositifs de soins partagés mis en place dans les Yvelines Sud, à Créteil et à Toulouse.
Concernant la filière bucco-dentaire, l'ensemble des intervenants semblent favorables à la proposition de création d'un statut d'assistant dentaire de niveau 2, auquel l'assistant de niveau 1 pourrait accéder, après une durée d'expérience définie et une formation, et qui serait très bénéfique dans le domaine de la prévention. Comme les assistants de niveau 1, les assistants dentaires de niveau 2 exerceraient uniquement au sein des cabinets dentaires, sous le contrôle d'un chirurgien-dentiste. À très court terme, nous pourrions expérimenter la création d'assistants dentaires de niveau 2 dans les zones sous-denses et prévoir un dispositif de financement de leur formation.
Concernant la filière de l'anesthésie, il paraît essentiel de reconnaître les infirmiers anesthésistes diplômés d'État dans le code de la santé publique, via la création d'un chapitre dédié, et d'élargir, dans le cadre des protocoles de coopération, leurs compétences à d'autres champs tels que les unités d'accès vasculaires ou le post-opératoire.
Enfin, la mission a consacré une partie de ses travaux à la santé des enfants, sujet préoccupant. J'insisterais surtout sur la nécessité de renforcer le rôle des services de protection maternelle et infantile et de la médecine scolaire. L'exercice des infirmières puéricultrices en ville gagnerait également à être soutenu et développé, notamment en matière de prévention.
En conclusion, je souhaiterais remercier l'ensemble des professionnels de santé auditionnés pour leur disponibilité et leurs propositions. J'espère que ce rapport sera utile et nous permettra collectivement d'avancer, notamment dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).