Intervention de Cyrille Isaac-Sibille

Réunion du mercredi 7 juillet 2021 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCyrille Isaac-Sibille, rapporteur :

Je n'ai pas étudié la question des sages‑femmes parce que j'ai centré mon analyse sur les professions paramédicales et sur les opportunités d'évolution que nous pourrions leur offrir.

Le rapport porte sur les professions de santé, et notamment celles du livre III. Il existe dans notre pays une segmentation entre les professions médicales – médecins, dentistes, sages-femmes – et les professions paramédicales du livre III. Il conviendrait de les rapprocher. Dans le passé, il a été question de créer des professions intermédiaires entre les professions médicales et les professions paramédicales. Lors des auditions que j'ai menées, personne n'a évoqué le principe de la profession intermédiaire entre ces deux secteurs. C'est la raison pour laquelle j'évoque la « théorie de l'escalier », qui consiste à augmenter les compétences des professions existantes – infirmiers, manipulateurs radio, kinésithérapeutes... – de sorte à répartir différemment le travail entre les professions médicales et paramédicales.

Nous nous sommes attachés à préciser les définitions, qui revêtent une grande importance, de sorte à différencier les professions médicales – médecins, dentistes, sages‑femmes – des professions paramédicales. La profession médicale impose une culture globale qui permet de poser un diagnostic médical et d'identifier la conduite à tenir ensuite. En revanche, les actes de soins ou de prévention, qui ne nécessitent pas d'avoir fait entre dix et douze années d'études, peuvent être partagés puisqu'ils relèvent de l'ensemble des professions.

La pratique avancée est une notion assez récente. J'ai eu l'occasion d'auditionner et d'écouter des IPA, dont le nombre va croissant. Cette année, plus de mille IPA ont été formés. Nous avons identifié plusieurs problèmes dans ce cadre de la pratique avancée.

Le premier réside dans le financement de la formation. Certaines formations sont financées par des établissements de soins ou des hôpitaux qui prennent en charge la formation et la rémunération pendant deux ans. A contrario, certains IPA ont dû financer leur formation sur leurs deniers personnels, voire parfois, vendre leur maison pour y parvenir. Il importe que cette formation devienne accessible à tous.

La pratique avancée fonctionne très bien effectivement dans les établissements de soins publics ou privés et elle suscite même parfois une certaine concurrence. En revanche, dans le secteur libéral, les infirmiers formés à la pratique avancée ne sont pas rémunérés à hauteur de cette spécialisation. J'ai donc auditionné les directions centrales et la CNAM afin d'identifier des pistes de financement de la pratique avancée exercée en libéral, sachant qu'elle concerne essentiellement la prévention et les maladies chroniques.

Les IPA montent en puissance. Leur nombre était limité à cinq mille, mais je pense qu'il conviendrait d'aller au-delà. La formation comporte une année de tronc commun et une année de spécialisation. Il serait possible d'imaginer que les IPA suivent plusieurs cursus de spécialisation au cours de leur carrière et ce qui tendrait à les faire évoluer vers cette profession intermédiaire que nous évoquions, alliant formation et expérience. Il convient donc d'insister au sujet de la formation et de la rémunération de ces IPA, notamment pour ceux qui travaillent en libéral.

Il est vrai que la crise sanitaire a quelque peu fait exploser le système. La pratique de la vaccination a notamment été étendue.

Le problème du numerus clausus relève d'un débat différent. Le déficit de médecins sera toujours prégnant dans les prochaines années. La fin du numerus clausus est limitée par la capacité des universités à former les étudiants et à leur proposer des stages. Néanmoins, il est possible d'imaginer que, dans dix ans, nous disposions d'un nombre de médecins équivalent à celui d'il y a dix ans. Il s'agit surtout de définir le rôle d'un médecin. Selon moi, le médecin est le praticien capable de poser un diagnostic et d'identifier la conduite à tenir. Il a également la mission de coordonner les soins ou la prévention au sein de son équipe.

L'idée d'une évolution des décrets d'actes au fil de l'eau me semble intéressante. Actuellement, il existe un Comité national des coopérations interprofessionnelles, qui pourrait faire évoluer les compétences et le périmètre des activités des différentes professions. Une évolution globale de l'ensemble des professions semble complexe à mettre en œuvre, notamment pour ce qui concerne la formation. Il existe des protocoles de coopération, mais leur validité reste locale, voire limitée à un service. Il serait intéressant que la coopération locale puisse être validée par des unités de valeur universitaires, en sachant qu'un infirmier pourrait cumuler jusqu'à trois unités de valeur et faire ainsi évoluer sa carrière.

Vous évoquez le rôle des sages-femmes, dont chacun sait qu'il est essentiel dans de nombreux domaines, y compris celui de la prévention pour la santé de la mère et de son enfant.

Vous m'interrogez sur la reconnaissance des compétences. Il s'agit en effet de valoriser les compétences par une qualification, via les unités de valeur universitaires dont la validation induirait un niveau de rémunération.

S'agissant des heures disponibles des médecins, il est vrai que, dans le passé, certains médecins pouvaient travailler jusqu'à vingt heures, vingt-et-une heures, voire vingt‑deux heures. La tendance a légitimement évolué et les médecins s'attachent désormais à conjuguer vie professionnelle et vie personnelle. Nous ne disposons d'aucune estimation d'un temps moyen quotidien qu'un médecin consacre actuellement à son travail. Pour autant, comme l'ensemble des professions libérales, les professions médicales et paramédicales ne sont pas soumises aux trente‑cinq heures hebdomadaires.

La montée en compétences individuelle semble relativement aisée, notamment grâce à la reconnaissance des protocoles via les unités de valeur universitaires.

Nous constatons une augmentation du nombre des acteurs de la prévention. Selon moi, la prévention relève de la santé publique. Il s'agit en fait de procéder à une approche plus populationnelle qu'individuelle. La prévention individuelle relève davantage des professions de santé.

La déshumanisation constitue une réelle préoccupation. Elle est liée au temps médical ou paramédical. Alors que les IPA disposent d'un temps d'écoute des patients plus important, a contrario, et malheureusement, le temps médical, celui dont disposent les médecins, est beaucoup plus limité, de l'ordre de dix à vingt minutes. L'IPA prend le temps d'écouter le patient. Il est reconnu en tant que tel par le patient, qui s'autorise alors à discuter avec lui, à lui poser des questions, etc. Cela participe à l'humanisation de la médecine, qui retrouve alors du temps d'échange à consacrer aux malades et à leur éducation thérapeutique. Cela constitue le véritable intérêt de ces montées en compétence.

Nous accusons un déficit prégnant en psychiatres et en infirmiers psychiatriques. Néanmoins, nous disposons de nombreux psychologues. La table ronde que nous avons organisée sur le thème de la santé mentale a mis en évidence deux types d'attitude des psychologues. Certains psychologues ne souhaitent pas être reconnus comme appartenant à une profession de santé ; d'autres y sont favorables. S'ils sont volontaires, il serait possible d'envisager leur intégration, rémunérée, dans la prise en charge du patient. Des expérimentations sont en cours dans ce sens. Il serait, selon moi, intéressant d'associer les psychologues qui le souhaitent, afin de répondre à la demande croissante en matière de santé mentale.

J'ai constaté que certaines professions paramédicales sont sollicitées pour des tâches qui ne relèvent pas de leurs compétences, notamment dans les établissements de soins. À titre d'exemple, face au déficit en secrétaires médicaux, il arrive que des infirmières assurent cette fonction. Il serait nécessaire de renforcer les fonctions administratives ce qui permettrait de redonner du sens à chacune des professions.

La différence entre les maisons de santé et les centres de santé réside dans le statut de chaque établissement. Le personnel des uns est libéral alors que celui des autres est salarié. Chacun peut y trouver un intérêt. La demande des médecins à être salariés est croissante. Toutefois, il est souhaitable de renforcer l'attractivité des professions libérales, car elles assurent la continuité du service sur le territoire.

S'agissant du maintien à domicile, le virage domiciliaire est amorcé. Il impose d'organiser la prise en charge à domicile qui repose sur deux piliers : d'une part, tout ce qui relève des services de soins infirmiers à domicile, des services d'aide et d'accompagnement à domicile et des services polyvalents d'aide et de soins à domicile, composés d'infirmiers, d'aides-soignants ou d'auxiliaires de vie salariés, et d'autre part, les infirmiers libéraux.

L'attractivité du métier d'aide-soignant serait accrue dans le cadre d'un statut libéral. Toutefois, ce métier rencontre des difficultés de recrutement, les aides-soignants privilégiant le secteur hospitalier à celui du maintien à domicile. Il convient donc d'agir en ce sens.

Le contrôle de la montée en compétence des professionnels par d'autres professionnels relève d'une question de définition : autonomie ou indépendance ? Je défends l'autonomie, c'est-à-dire le travail en équipe qui n'autorise pas l'indépendance, cette dernière consistant à travailler seul dans son coin. Il importe que l'ensemble des professions monte en compétence dans une synergie, dans le cadre d'une équipe de soins, sous la coordination des médecins qui, après avoir posé un diagnostic, établiront une ligne de conduite à suivre par leur équipe.

S'agissant de la santé mentale, des expérimentations sont en cours sur plusieurs territoires et il conviendra de les généraliser dès lors qu'elles auront été évaluées et qu'elles s'avèreront bénéfiques. Il serait également nécessaire d'étudier la répartition des psychologues sur le territoire et notamment dans les territoires ruraux de sorte à envisager des délégations de tâches.

Les CPTS constituent des lieux d'échanges, de rencontres, pour l'ensemble des professions de santé, médicales et paramédicales. La crise sanitaire a mis en évidence l'intérêt de ces centres, notamment dans l'organisation de la vaccination. Les CPTS disposent également des éléments de diagnostic des territoires sur lesquels elles peuvent organiser des actions de prévention spécifiques. Les données de santé serviront de base à des indicateurs qui nous permettront d'évaluer l'action de ces communautés et l'évolution de la culture de santé sur les territoires et ainsi, de définir une rémunération collective.

La coordination s'articule dans deux secteurs : une coordination entre les professionnels de santé et une coordination sur le territoire, via les CPTS. Celles‑ci s'adressent à un territoire sur des objectifs ; la coordination entre les équipes de soins primaires, par exemple, s'adresse à une patientèle. Il serait envisageable d'établir des protocoles locaux permettant à un médecin, un infirmier, voire un pharmacien et un kinésithérapeute de travailler ensemble avec des délégations de tâches. De telles coopérations existent, mais elles ne sont pas suffisamment connues.

Le tableau des effectifs figurant dans l'annexe 1 répertorie un nombre de personnels et non pas des ETP. Cependant, que signifierait un « équivalent temps plein » pour des personnels de santé ? Si nous nous fondons sur trente-cinq heures hebdomadaires, nous pouvons considérer que l'ensemble des effectifs travaille à temps plein. Certains effectuent entre cinquante et soixante, voire soixante-dix heures de travail hebdomadaires. Le personnel salarié est soumis à un temps de travail défini, mais ce n'est pas le cas des professionnels de santé en libéral.

Les GHT relèvent d'une organisation entre hôpitaux. Les CPTS constituent une organisation entre les professionnels de santé de ville. Les hôpitaux de proximité représentent des lieux de rencontre entre les GHT et CPTS et assurent le lien.

S'agissant de la santé bucco-dentaire, j'avance une proposition analogue à la profession d'hygiéniste que vous évoquez : les assistants dentaires de niveau 2. Il convient de définir s'ils doivent travailler dans un cabinet dentaire, sous le contrôle d'un dentiste, de manière autonome sans être indépendants, ou s'il est préférable qu'ils conservent leur indépendance, comme c'est le cas en Allemagne. La profession d'assistant dentaire de niveau 2 que je préconise serait l'équivalent d'un hygiéniste allemand, mais il serait associé à un cabinet dentaire, donc autonome sans être indépendant.

L'importance de ce rapport réside dans l'identification de points de convergence. Le ministère présentera des propositions à la rentrée de septembre. Dès lors que nous nous accordons sur le diagnostic, il convient de faire progresser nos propositions de sorte qu'elles soient mises en place dans le prochain PLFSS.

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