Intervention de Paul Christophe

Réunion du mercredi 21 juillet 2021 à 9h15
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Christophe, rapporteur :

Madame la présidente, chers collègues, le 26 novembre dernier, l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité en première lecture la proposition de loi visant à améliorer les conditions de présence parentale auprès d'un enfant dont la pathologie nécessite un accompagnement soutenu. Ce texte, vous vous en rappelez sans doute, prévoit la possibilité de doubler la durée du congé de présence parentale (CPP) et de l'allocation journalière de présence parentale (AJPP) pour la faire passer de 310 à 620 jours sur une période de trois ans. Ces deux dispositifs devraient ainsi mieux répondre aux besoins de ces familles confrontées au cancer d'un enfant, par exemple.

Les auditions organisées en amont de l'examen de la proposition de loi et lors de l'évaluation de la loi du 8 mars 2019 visant à améliorer la prise en charge des cancers pédiatriques portée par Nathalie Elimas avaient permis de faire remonter des difficultés relatives à l'information des familles et au délai d'instruction des demandes d'AJPP.

Dans l'attente de l'examen par le Sénat de la proposition de loi – celui-ci devrait intervenir avant la fin de l'année –, j'ai tenu à poursuivre ces travaux dans le cadre de cette mission « flash » afin de proposer des solutions concrètes aux difficultés rencontrées sur le terrain.

Avant toute chose, permettez-moi de faire quelques rappels rapides sur le CPP et l'AJPP. Ils permettent d'apporter un soutien financier aux actifs ayant un enfant à charge atteint d'une maladie, d'un handicap ou victime d'un accident d'une particulière gravité rendant indispensables une présence soutenue et des soins contraignants. Bien souvent, la dégradation de l'état de santé d'un enfant conduit l'un des parents, souvent la mère d'ailleurs, à arrêter son activité professionnelle à l'issue de plusieurs semaines. Ce dispositif vise donc à favoriser, autant que possible, le maintien de l'activité professionnelle et ainsi préserver le niveau de vie des foyers concernés.

L'AJPP s'élève actuellement à 52 euros par jour pour une personne seule et à 44 euros pour une personne en couple. Un bénéficiaire de l'AJPP reçoit ainsi en moyenne 780 euros par mois. L'arrêt de l'activité professionnelle peut donc représenter un sacrifice financier non négligeable, en particulier pour les familles monoparentales. Depuis l'an dernier, il est possible de fractionner le CPP et l'AJPP, ce qui permet de les rendre compatibles avec une activité professionnelle à temps partiel.

L'AJPP bénéficie à 10 000 personnes chaque année. Ce chiffre est en constante progression – de l'ordre de + 6 % en 2019 –, ce qui traduit sans doute une meilleure information du public.

Toutefois, les auditions que j'ai conduites et les remontés de terrain laissent à penser qu'il reste beaucoup à faire en la matière. Un sondage réalisé par le collectif Grandir sans cancer en février 2021 auprès de quatre cents familles démontre que les principaux canaux d'information ne sont pas pleinement exploités. Ainsi, sur 389 participants, il apparaît que moins de trois familles sur cinq sont informées de leurs droits à l'AJPP par un ou une assistante sociale, souvent de l'hôpital. Seul un tiers des familles ont connaissance de l'AJPP via une caisse d'allocations familiales (CAF) et un quart d'entre elles via un médecin généraliste ou hospitalier. Enfin, près de la moitié des familles déclarent s'être informées essentiellement par elles-mêmes, sans doute via internet.

L'information des familles serait en outre très inégale selon les départements ou les établissements hospitaliers. Selon les témoignages que j'ai reçus, les personnes censées renseigner les familles, en l'occurrence des assistants sociaux, ne sont pas toujours au courant de l'existence de l'AJPP.

Dans ces conditions, il est nécessaire de renforcer la communication à destination des familles concernées, des entreprises, dont les services des ressources humaines semblent ignorer trop souvent l'existence de ce dispositif, et surtout des services sociaux des hôpitaux, qui sont les mieux placés pour informer les familles.

Afin de rendre le droit au CPP et à l'AJPP plus effectif, il serait opportun que les informations soient portées spontanément à la connaissance des parents qui sont alors accaparés par la prise en charge de leur enfant. Autrement dit, ce ne serait plus aux familles d'aller chercher l'information qui, bien que plus accessible en principe grâce à internet, demeure parfois difficile à trouver, mais aux organismes débiteurs et à leurs relais d'entrer en contact avec les familles. Ainsi les assistants sociaux des hôpitaux pourraient contacter directement les familles dont un enfant, tombé gravement malade, handicapé ou accidenté, serait hospitalisé ou même diagnostiqué. Je propose donc de porter à la connaissance des familles l'existence de l'AJPP dans le cadre d'une démarche proactive des acteurs chargés de les informer sur leurs droits – qu'il s'agisse des CAF, des caisses de la mutualité sociale agricole (MSA) ou des services sociaux, par exemple.

De manière générale, la communication pourrait être mutualisée entre les CAF et les caisses de la MSA au regard du volume relativement modeste de dossiers traités chaque année. C'est d'ailleurs ce à quoi se sont engagées la CAF du Nord et la caisse de la MSA du Nord‑Pas-de-Calais que j'ai auditionnées ensemble. Cette communication aurait vocation à être élargie à l'ensemble des droits qui sont susceptibles d'intéresser ce type de public, tels que l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé ou l'allocation journalière du proche aidant (AJPA).

J'ai également été interpellé sur la question des délais de traitement des demandes d'AJPP. Ces demandes doivent être adressées à la CAF ou à la MSA accompagnées d'une attestation de l'employeur précisant que le demandeur bénéficie d'un CPP et d'un certificat médical attestant de la particulière gravité de la maladie, du handicap ou de l'accident de l'enfant. Cette demande est traitée soit directement par la caisse locale, soit par une autre caisse pour celles ayant adhéré à la mutualisation du traitement des demandes d'AJPP.

Selon le code de l'action sociale et des familles, l'organisme débiteur dispose de trois mois pour répondre à la demande à compter du premier jour du mois civil suivant la réception de la demande d'AJPP. Au-delà, celle-ci est tacitement acceptée. En pratique, ces délais seraient bien plus courts. Selon la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), les demandes d'AJPP sont traitées sous une vingtaine de jours en moyenne. Les CAF ouvrent les droits à l'AJPP si toutes les conditions administratives sont remplies lorsque l'attestation mensuelle est enregistrée, et ce sans attendre l'accord du service du contrôle médical, qui dispose d'un délai de deux mois pour rendre son avis. Les modalités de versement de l'AJPP sont donc favorables aux bénéficiaires de l'AJPP puisqu'elles reposent sur le postulat que les conditions médicales sont remplies. C'est uniquement dans le cas, très rare, où l'avis rendu est défavorable que l'avance faite par l'organisme de sécurité sociale fait l'objet d'une récupération. Au-delà du délai de deux mois, le droit à l'AJPP demeure acquis par accord tacite du contrôle médical.

Ces délais contrastent néanmoins avec les résultats du sondage réalisé par le collectif Grandir sans cancer. En effet, sur un panel de 277 familles, seuls 17 % de ces familles déclarent avoir perçu l'AJPP dans un délai d'un mois à compter du dépôt de leur demande, contre 61 % dans un délai d'un à trois mois et 22 % dans un délai de trois mois. Ces délais apparaissent particulièrement longs pour certaines familles précaires, souvent monoparentales. Il faut comprendre que celles-ci demandent l'AJPP en derniers recours, après avoir épuisé leurs jours de congé ou ceux de leurs collègues en cas de don afin de préserver leur niveau de rémunération. Ces délais peuvent aussi s'expliquer par le fait que les dossiers déposés ne sont pas toujours complets au moment de leur dépôt.

D'autres difficultés proviennent des modalités de transmission des données relatives au nombre de jours de CPP pris par le demandeur de l'AJPP pour le calcul de celle-ci. Actuellement, une attestation doit être remplie chaque mois, soit par le demandeur de l'AJPP, dans le cas des personnes au chômage, soit par l'employeur, pour les salariés, et adressée à la caisse compétente par courrier pour l'en informer. On voit clairement que cette procédure relève d'une autre époque. Or, selon la CNAF, les délais de traitement de l'AJPP sont souvent dus au retard de transmission de cette attestation.

La dématérialisation et l'automatisation de la transmission mensuelle des données relatives au nombre de jours de CPP doivent donc constituer une priorité. S'agissant des salariés, l'utilisation du dispositif de ressources mensuelles (DRM), qui contient un ensemble d'informations agrégées relatives aux salaires et aux autres revenus, pourra permettre de récupérer ces données à la source et accélérer le versement de l'AJPP. M. le ministre Adrien Taquet avait d'ailleurs indiqué devant notre commission le 18 novembre dernier que cette évolution devrait intervenir « dans les tous prochains mois ». Or force est de constater sept mois plus tard qu'elle n'est toujours pas effective. J'insiste donc sur la nécessité de faire évoluer rapidement le DRM afin que les jours de CPP des salariés soient automatiquement communiqués aux organismes débiteurs de l'AJPP chaque mois.

Voilà, mes chers collègues, les éléments que je voulais partager avec vous à l'issue de cette mission que vous m'avez confiée. Je remercie celles et ceux qui ont contribué à alimenter les données compilées, ainsi que les services de la commission pour leur précieux concours.

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