À l'approche de la soixantaine, comment peut-on travailler sans user sa santé, ou souffrir d'angoisse au travail si l'on se sent dépassé ou mal intégré ? Comment profiter davantage de ses loisirs et de sa famille ? Ces questions se posent davantage depuis que la page de la retraite à 60 ans a été tournée. À cet âge, des situations préoccupantes apparaissent : travailleurs abîmés, femmes cumulant de désavantages... Notre attention a porté sur la prévention, qui commence bien en amont de la soixantaine, sur la formation professionnelle qui s'étale tout au long de la carrière, et sur l'accompagnement personnel adapté.
En ce qui concerne la situation des femmes, elle se caractérise parfois par la pauvreté et la précarité. Les femmes sont surreprésentées parmi les personnes n'ayant ni emploi ni retraite. Leurs carrières hachées, leur moindre rémunération au long de leur carrière, les temps partiels répétés et subis... les pénalisent incontestablement au moment du départ à la retraite, qu'elles doivent parfois reculer bien au-delà de 65 ans.
Au moment d'aborder les pistes que nous avons suivies concernant les travailleurs ni en emploi ni à la retraite, je rappellerai un chiffre : 58 % des chômeurs de plus de 55 ans le sont depuis plus d'un an. La question de la lutte contre le chômage de longue durée dont ils sont victimes n'est pas simple. Depuis une dizaine d'années, Pôle emploi a renoncé à une politique d'accompagnement spécifique par publics. Cela s'est traduit par l'abandon du premier entretien systématique pour les salariés expérimentés dès le premier mois d'inscription. Nous le disons : nous ne sommes pas convaincus par cette stratégie. Au contraire, le foisonnement d'initiatives ici et là en France – je pense à PEPS, porté avec énergie par Olivier Candelier, ou aux espaces emplois de l'AGIRC-ARRCO, aux actions Talents Seniors menées par l'Association pour l'emploi des cadres (APEC)... – montre que l'accompagnement est bien meilleur quand il est spécifique et décliné par petits groupes. C'est pourquoi nous proposons d'expérimenter sur plusieurs territoires un même programme d'accompagnement des demandeurs d'emploi de plus de 50 ans par les agences locales de l'emploi. L'idée est de couvrir un maillage territorial significatif en synergie avec les bassins d'emploi locaux.
Une autre mesure vise à faciliter les reconversions professionnelles : nous proposons de développer une plate-forme de services inspirée du modèle des villages AFPA pour accompagner les travailleurs âgés dans leurs démarches d'entrepreneuriat. Enfin, constatant que seuls 4,3 % des bénéficiaires du contrat de professionnalisation sont âgés de 45 ans ou plus, nous suggérons de mieux faire connaître ce contrat qui permet de faire bénéficier aux employeurs d'une aide forfaitaire de l'État d'un maximum de 2 000 euros pour l'embauche d'un demandeur d'emploi de 45 ans ou plus.
La mission a mené une réflexion intense sur le maintien dans l'emploi des travailleurs expérimentés. Notre conviction est que la réflexion doit être menée très en amont autour des enjeux de formation professionnelle et de prévention. Tout en refusant de fixer une borne pour définir qui est un travailleur expérimenté, il nous a semblé évident que la mi‑carrière, autour de 45 ans, est une bonne étape pour étudier les conditions d'emploi et donc, celles de l'avenir professionnel. Or nous constatons depuis longtemps que, passé un certain âge, les salariés renoncent à la formation. C'est alors que s'installe le risque de l'obsolescence des compétences.
Nous pensons qu'un certain nombre de dispositifs de formation professionnelle reste trop peu utilisé, par manque de notoriété ou par excès de complexité. De fait, il ne nous a pas semblé opportun d'introduire de nouveaux dispositifs, mais plutôt de consolider l'existant. Aussi, nous proposons de simplifier les étapes pour obtenir une validation des acquis de l'expérience (VAE), de mieux accompagner les salariés les plus âgés et les entreprises qui s'engagent dans une telle démarche. Nous voulons également mieux faire connaître l'entretien professionnel. Par ailleurs, le conseil en évolution professionnelle, gratuit et délivré en dehors de l'entreprise, reste délaissé par les travailleurs âgés. Nous proposons de prioriser l'accès à cette prestation via le cahier des charges publié par le ministère du travail. Nous sommes convaincus qu'il faut améliorer les offres de formation pour les travailleurs de plus de 45 ans en privilégiant les formations en situation de travail. Enfin, le compte personnel de formation (CPF) doit être mieux mobilisé. Nous proposons de le déplafonner pour les salariés de plus de 45 ans, qui pourraient ainsi thésauriser leurs droits pour investir dans une formation d'ampleur voire dans une reconversion professionnelle.
Au long de nos travaux, nous nous sommes forgé la conviction que la prévention de l'usure professionnelle et de la désinsertion professionnelle est la clef de voûte d'une politique publique à destination des travailleurs expérimentés. Comment envisager de travailler plus longtemps si l'on est déjà brisé par le travail avant 50 ans ? Les travailleurs âgés sont plus souvent en arrêt de travail que leurs cadets, en moyenne 51 jours par an pour les 55‑59 ans. Or l'éloignement temporaire du travail conduit dans de trop nombreux cas à une éviction durable de l'emploi. La proposition de loi de Charlotte Parmentier-Lecocq et Carole Grandjean pour renforcer la prévention en santé au travail nous a inspirés. Nous proposons de mieux articuler l'entretien de la mi-carrière avec l'entretien professionnel. Ce bilan d'étape est l'occasion pour le salarié de faire le point sur son « sac à dos » de droits professionnels.
Pour prévenir l'usure professionnelle et garantir un bon état de santé et de bien‑être, nous proposons d'étendre le travail de l'Institut Pasteur de Lille à travers son parcours « longévité » qui s'adresse sur proposition de l'entreprise – et est financée par elle – à tout actif pour dépister des fragilités de santé. De plus, la mission reprend à son compte un volet de la réforme pour le système universel de retraite et propose de généraliser les comptes professionnels de prévention aux fonctionnaires et salariés des régimes spéciaux. Pour en terminer avec nos propositions, nous préconisons, pour inscrire l'employabilité des travailleurs expérimentés comme thème obligatoire de la négociation collective de branche portant sur la gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences.
En conclusion, je suis convaincu que, de la même manière qu'il existe « Un jeune, une solution », nous devons nous donner les moyens de trouver des moyens et solutions pour chaque travailleur expérimenté.