COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mercredi 15 septembre 2021
La séance est ouverte à neuf heures trente.
La commission examine le rapport de la mission d'information sur l'emploi des travailleurs expérimentés (Mme Valérie Six, présidente ; MM. Didier Martin et Stéphane Viry, rapporteurs).
Nous nous retrouvons ce matin pour examiner les conclusions de la mission d'information sur l'emploi des seniors que j'ai tenu à lancer, et qui a achevé ses travaux après six mois d'auditions et de déplacements. L'emploi des seniors, ou plutôt, des « travailleurs expérimentés », constitue un enjeu central, à la croisée de plusieurs sujets : l'emploi, la formation professionnelle tout au long de la vie et les retraites. Les travaux de la mission visent à éclairer les débats de notre commission.
Présider la mission d'information a été pour moi un honneur, concernant un sujet auquel je suis profondément attaché, et ce depuis longtemps. De nombreux travaux ont été rendus ces dernières années dans la perspective de la réforme des retraites. Cependant, l'Assemblée nationale, contrairement au Sénat, n'avait pas livré de travaux sur les travailleurs expérimentés. Il s'agit pourtant à la fois d'un enjeu de terrain, de réalités difficiles pour nos compatriotes, dont il nous est souvent fait part en tant qu'élus locaux, mais aussi, d'un enjeu déterminant pour l'avenir économique et celui de la protection sociale dans notre pays.
Nous avons décidé d'examiner un sujet d'une telle ampleur, qui se trouve à la croisée des thématiques de l'emploi et de la retraite, sous tous les angles : la formation professionnelle, la santé au travail, le droit du travail, les prélèvements sociaux, les systèmes de retraites, celui de l'assurance chômage, etc. Pour ce faire, nous avons rencontré toutes les parties concernées : partenaires sociaux, associations, administrations, opérateurs, parlementaires, ministres... et avons tenu compte d'expérimentations prometteuses menées sur le terrain, en particulier dans mon territoire. Au terme de ce travail, de nombreuses propositions ont été formulées qui vous seront présentées à l'instant.
Nos préconisations reposent sur une méthode et des constats transversaux. Tout d'abord, à la suite du « rapport Bellon » de 2020, nous avons fait le choix de privilégier une autre désignation que celle de senior. En effet, cette terminologie, probablement innocente au départ, s'est usée jusqu'à désigner aujourd'hui des dispositifs stigmatisants et peu efficaces. Le terme de senior ne valorise pas suffisamment l'apport majeur des travailleurs expérimentés dans l'entreprise et participe d'une dépréciation de cette catégorie de personnes. Les rapporteurs ont donc retenu les termes de « travailleurs » ou « salariés expérimentés », et nous souhaitons que cette formule devienne peu à peu la norme.
La mission est déterminée à proposer une approche globale et cohérente de la question, après une histoire compliquée, où les allers et retours de la politique publique entre préretraite et chômage long ont empêché l'émergence d'une stratégie pour les travailleurs expérimentés. De nombreuses politiques ont été abandonnées au profit d'une approche de droit commun, laquelle peut avoir ses avantages, mais rend invisible la problématique spécifique du public concerné.
La question est structurante pour l'ensemble de la société et il existe ici un véritable retard français par rapport aux pays comparables. Le taux d'emploi des 55-64 ans en France est nettement en dessous de la moyenne européenne et pour les plus de 60 ans parmi les derniers en Europe. Les chiffres de sortie du chômage après 55 ans sont extrêmement faibles ; or sans une véritable politique de l'emploi pour les travailleurs expérimentés, les réformes des retraites seront condamnées à prolonger l'inactivité précaire de beaucoup de travailleurs. Le vieillissement de la population et des actifs rend indispensable l'utilisation de toutes les ressources disponibles. La situation des femmes qui sont en fin de carrière victimes d'une double discrimination montre qu'elles pourraient être les principales bénéficiaires de progrès significatifs pour accéder à de meilleurs emplois et de meilleures retraites.
La rupture qui se joue entre 55 et 60 ans concerne à la fois les travailleurs et les salariés. L'effet horizon qui se déclenche quelques années avant le départ à la retraite constitue le nœud d'un problème complexe. Une fois que la frontière de l'âge liée à notre système de retraite est franchie, prévaut l'idée que former ou se former, accompagner ou se faire accompagner, chercher ou proposer un emploi, serait inutile. Pour surmonter cette difficulté, la mission s'est forgé la conviction qu'il n'existe pas une solution, mais des solutions. Celles-ci nécessiteront une mobilisation de tous les acteurs, laquelle a commencé avec la saisine des partenaires sociaux notamment.
Le travail de la mission a consisté à baliser de nombreuses pistes pouvant être articulées pour provoquer un « déclic ». De nombreuses thématiques ont été brassées, mais en fin de compte, ressortent trois axes structurants : maintenir dans l'emploi, par la formation et la prévention notamment ; renforcer le retour à l'emploi ; améliorer le passage de la vie professionnelle à la retraite.
À l'approche de la soixantaine, comment peut-on travailler sans user sa santé, ou souffrir d'angoisse au travail si l'on se sent dépassé ou mal intégré ? Comment profiter davantage de ses loisirs et de sa famille ? Ces questions se posent davantage depuis que la page de la retraite à 60 ans a été tournée. À cet âge, des situations préoccupantes apparaissent : travailleurs abîmés, femmes cumulant de désavantages... Notre attention a porté sur la prévention, qui commence bien en amont de la soixantaine, sur la formation professionnelle qui s'étale tout au long de la carrière, et sur l'accompagnement personnel adapté.
En ce qui concerne la situation des femmes, elle se caractérise parfois par la pauvreté et la précarité. Les femmes sont surreprésentées parmi les personnes n'ayant ni emploi ni retraite. Leurs carrières hachées, leur moindre rémunération au long de leur carrière, les temps partiels répétés et subis... les pénalisent incontestablement au moment du départ à la retraite, qu'elles doivent parfois reculer bien au-delà de 65 ans.
Au moment d'aborder les pistes que nous avons suivies concernant les travailleurs ni en emploi ni à la retraite, je rappellerai un chiffre : 58 % des chômeurs de plus de 55 ans le sont depuis plus d'un an. La question de la lutte contre le chômage de longue durée dont ils sont victimes n'est pas simple. Depuis une dizaine d'années, Pôle emploi a renoncé à une politique d'accompagnement spécifique par publics. Cela s'est traduit par l'abandon du premier entretien systématique pour les salariés expérimentés dès le premier mois d'inscription. Nous le disons : nous ne sommes pas convaincus par cette stratégie. Au contraire, le foisonnement d'initiatives ici et là en France – je pense à PEPS, porté avec énergie par Olivier Candelier, ou aux espaces emplois de l'AGIRC-ARRCO, aux actions Talents Seniors menées par l'Association pour l'emploi des cadres (APEC)... – montre que l'accompagnement est bien meilleur quand il est spécifique et décliné par petits groupes. C'est pourquoi nous proposons d'expérimenter sur plusieurs territoires un même programme d'accompagnement des demandeurs d'emploi de plus de 50 ans par les agences locales de l'emploi. L'idée est de couvrir un maillage territorial significatif en synergie avec les bassins d'emploi locaux.
Une autre mesure vise à faciliter les reconversions professionnelles : nous proposons de développer une plate-forme de services inspirée du modèle des villages AFPA pour accompagner les travailleurs âgés dans leurs démarches d'entrepreneuriat. Enfin, constatant que seuls 4,3 % des bénéficiaires du contrat de professionnalisation sont âgés de 45 ans ou plus, nous suggérons de mieux faire connaître ce contrat qui permet de faire bénéficier aux employeurs d'une aide forfaitaire de l'État d'un maximum de 2 000 euros pour l'embauche d'un demandeur d'emploi de 45 ans ou plus.
La mission a mené une réflexion intense sur le maintien dans l'emploi des travailleurs expérimentés. Notre conviction est que la réflexion doit être menée très en amont autour des enjeux de formation professionnelle et de prévention. Tout en refusant de fixer une borne pour définir qui est un travailleur expérimenté, il nous a semblé évident que la mi‑carrière, autour de 45 ans, est une bonne étape pour étudier les conditions d'emploi et donc, celles de l'avenir professionnel. Or nous constatons depuis longtemps que, passé un certain âge, les salariés renoncent à la formation. C'est alors que s'installe le risque de l'obsolescence des compétences.
Nous pensons qu'un certain nombre de dispositifs de formation professionnelle reste trop peu utilisé, par manque de notoriété ou par excès de complexité. De fait, il ne nous a pas semblé opportun d'introduire de nouveaux dispositifs, mais plutôt de consolider l'existant. Aussi, nous proposons de simplifier les étapes pour obtenir une validation des acquis de l'expérience (VAE), de mieux accompagner les salariés les plus âgés et les entreprises qui s'engagent dans une telle démarche. Nous voulons également mieux faire connaître l'entretien professionnel. Par ailleurs, le conseil en évolution professionnelle, gratuit et délivré en dehors de l'entreprise, reste délaissé par les travailleurs âgés. Nous proposons de prioriser l'accès à cette prestation via le cahier des charges publié par le ministère du travail. Nous sommes convaincus qu'il faut améliorer les offres de formation pour les travailleurs de plus de 45 ans en privilégiant les formations en situation de travail. Enfin, le compte personnel de formation (CPF) doit être mieux mobilisé. Nous proposons de le déplafonner pour les salariés de plus de 45 ans, qui pourraient ainsi thésauriser leurs droits pour investir dans une formation d'ampleur voire dans une reconversion professionnelle.
Au long de nos travaux, nous nous sommes forgé la conviction que la prévention de l'usure professionnelle et de la désinsertion professionnelle est la clef de voûte d'une politique publique à destination des travailleurs expérimentés. Comment envisager de travailler plus longtemps si l'on est déjà brisé par le travail avant 50 ans ? Les travailleurs âgés sont plus souvent en arrêt de travail que leurs cadets, en moyenne 51 jours par an pour les 55‑59 ans. Or l'éloignement temporaire du travail conduit dans de trop nombreux cas à une éviction durable de l'emploi. La proposition de loi de Charlotte Parmentier-Lecocq et Carole Grandjean pour renforcer la prévention en santé au travail nous a inspirés. Nous proposons de mieux articuler l'entretien de la mi-carrière avec l'entretien professionnel. Ce bilan d'étape est l'occasion pour le salarié de faire le point sur son « sac à dos » de droits professionnels.
Pour prévenir l'usure professionnelle et garantir un bon état de santé et de bien‑être, nous proposons d'étendre le travail de l'Institut Pasteur de Lille à travers son parcours « longévité » qui s'adresse sur proposition de l'entreprise – et est financée par elle – à tout actif pour dépister des fragilités de santé. De plus, la mission reprend à son compte un volet de la réforme pour le système universel de retraite et propose de généraliser les comptes professionnels de prévention aux fonctionnaires et salariés des régimes spéciaux. Pour en terminer avec nos propositions, nous préconisons, pour inscrire l'employabilité des travailleurs expérimentés comme thème obligatoire de la négociation collective de branche portant sur la gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences.
En conclusion, je suis convaincu que, de la même manière qu'il existe « Un jeune, une solution », nous devons nous donner les moyens de trouver des moyens et solutions pour chaque travailleur expérimenté.
Pour ma part, je poursuivrai ce propos en en venant aux outils à notre disposition pour faire progresser l'activité des travailleurs expérimentés. De ce point de vue, cinq enjeux me tiennent particulièrement à cœur.
Le premier enjeu consiste à développer les échanges intergénérationnels. Le principe est le suivant : l'expérience doit être transmise, et la transmission de cette expérience doit être valorisée. Sur ce point, quatre pistes de travail nous paraissent devoir être explorées. La première piste de travail est la valorisation des salariés s'engageant dans une démarche de mentorat, avec bien souvent une formation adéquate en amont. La branche nous semble être la bonne échelle pour définir les modalités de cette valorisation. La deuxième piste tient compte du besoin d'une meilleure appréhension des outils informatiques par les travailleurs expérimentés. C'est pourquoi le rapport met en exergue le « mentorat inversé ». La troisième piste est la mise en place d'un « index seniors » pour mieux connaître les pratiques des entreprises, valoriser les meilleures d'entre elles et identifier les moins bonnes. Il serait conçu en même temps qu'un label permettant de souligner les meilleures pratiques. Enfin, la quatrième piste provient d'une interrogation en profondeur sur le contrat de génération. Pour beaucoup de personnes auditionnées, cette bonne idée a été mal exécutée. La mission estime que tout nouveau contrat devrait être négocié par les partenaires sociaux dans le cadre d'une négociation interprofessionnelle, afin d'en garantir l'appropriation par les salariés et par les entreprises
Le deuxième enjeu majeur tient aux contrats spécifiques. Sur ce point, la mission estime que les dispositifs existants et – CDD senior, CDI inclusion – n'ont pas encore montré tout leur potentiel. Un nouveau contrat ajouterait à la confusion, même si une marge de manœuvre existe dans l'intérim, où aucune forme spécifique n'est prévue pour les travailleurs expérimentés. Même si le travail temporaire n'a pas vocation à être majoritaire, un assouplissement du recours au contrat de mission pourrait compléter la palette des solutions disponibles. Nous proposons donc deux ajustements paramétriques pour les travailleurs proches de l'âge de retraite, à savoir les travailleurs de plus de 60 ans : le relèvement de la durée maximale de la mission d'intérim à trente‑six mois, ainsi que l'abrogation du délai de carence entre deux contrats.
Le troisième enjeu est celui des conditions de travail et de la mobilité en fin de carrière. Maintenir l'activité des travailleurs expérimentés suppose dans certains cas des aménagements, qui tardent à être mis en place dans la réalité. De fait, les pays présentant un bon taux d'emploi des travailleurs âgés – Pays-Bas, Allemagne... – sont ceux proposant le plus de souplesse en la matière. De ce point de vue, le télétravail ou le temps partiel choisi doivent être encouragés dans les entreprises. La mobilité interne, mais aussi le prêt de main‑d'œuvre entre entreprises, peuvent également faciliter des transitions. J'insisterai enfin, au titre du troisième enjeu, sur le développement d'un nouveau dispositif particulièrement prometteur : les transitions collectives. Il faudra à la fois soutenir financièrement ce dispositif et être vigilant sur son apport pour les travailleurs expérimentés.
Le quatrième enjeu tient à la reprise d'emploi pour les travailleurs expérimentés au chômage. Après 55 ans, et encore plus après 60 ans, le retour à l'emploi est difficile, du fait de l'« effet horizon », mais aussi de l'insuffisance des incitations à l'embauche. La mission privilégie une réponse globale à la question en agissant sur trois leviers : inciter le chômeur âgé à reprendre un emploi, même moins rémunéré, en intensifiant les possibilités de cumul allocation-revenu d'activité ; soutenir les entreprises à travers, d'une part, une diminution des cotisations chômage en cas de recrutement d'un chômeur de longue durée âgé, et d'autre part, une révision du calcul de la tarification accidents du travail‑maladies professionnelles pour éviter que le dernier employeur soit excessivement pénalisé ; organiser le financement d'un fonds de retour à l'emploi à partir des ruptures conventionnelles intervenant en fin de carrière.
Sur le quatrième enjeu, c'est bien l'équilibre global des mesures qui doit être recherché, par un soutien significatif aux comportements vertueux facilitant le retour à l'activité, et en favorisant l'internalisation par les entreprises des coûts qu'elles causent pour la collectivité en signant des ruptures conventionnelles à un ou deux ans de la retraite. L'ensemble des mesures aurait un coût, au moins apparent, qui peut dépendre des modalités retenues. L'idée est néanmoins de déclencher un cercle vertueux profitable pour les entreprises, les travailleurs expérimentés et les comptes publics.
Le cinquième enjeu a trait à une meilleure articulation entre emploi et retraite pour assurer de meilleures transitions et de meilleures incitations à l'activité. Deux dispositifs ont retenu notre attention : la retraite progressive et le cumul emploi-retraite.
La retraite progressive permet de liquider une partie de sa retraite en conservant une activité partielle à partir de 60 ans. Cette solution intermédiaire serait intéressante pour les publics voulant réduire la voilure en fin de carrière, sans s'arrêter brutalement. Or ce précieux « entre-deux » est sous-utilisé et même exclu pour certains : fonctionnaires, salariés au forfait jour, bénéficiaires des régimes spéciaux de retraite. Nous préconisons une meilleure information à ce sujet. Il est également préconisé que son usage soit étendu à tous les salariés voire à tous les actifs. Une proposition en ce sens dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale serait d'autant plus bienvenue que l'exclusion du forfait jours a été censurée par le Conseil constitutionnel, qui a laissé jusqu'au 1er janvier au Gouvernement pour bâtir un nouveau dispositif.
S'agissant du cumul emploi-retraite, il souffre ici aussi d'un manque d'information et d'une mauvaise mesure prise en 2014 pour des questions purement financières. En effet, depuis lors, les cotisations versées au titre des activités exercées après la liquidation de la retraite ne donnent plus lieu à des droits nouveaux pour les salariés. La France est le seul pays à avoir fait ce choix, qui n'est pas conforme à la philosophie du système des retraites pas plus qu'à l'économie du pays. La proposition de revenir sur cette décision a fait consensus auprès de l'ensemble des acteurs auditionnés. La mission est convaincue qu'il faut rétablir le caractère créateur de droits des cotisations versées après le départ en retraite.
Nous espérons que nous pourrons traduire rapidement tout ou partie de ces préconisations en mesures concrètes. La France a besoin de ses travailleurs expérimentés. C'est pourquoi il faudra un plan national, fédérateur, ambitieux et concerté avec les partenaires sociaux en faveur des travailleurs expérimentés.
Nous vous remercions pour ce travail passionnant. Malgré une amélioration du taux d'emploi des seniors depuis une vingtaine d'années, la France reste en retard, en raison d'une culture des préretraites et du poids des stéréotypes, qui ont rendu les employeurs réticents à investir dans les seniors. Quelques améliorations sont apparues – CPF en euros, loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel... –, d'autres se dessinent – simplification de la VAE, recours à l'intérim comme un tremplin pour faire ses preuves, mode de recrutement s'attachant à évaluer les habiletés professionnelles...
En matière de biais discriminatoires, tout commence par la mesure. À ce sujet, les bénéfices de l'index sur l'égalité professionnelle plaident pour la mise en place d'un « index seniors ». Quels indicateurs seraient-ils pertinents selon vous pour intégrer dans un tel index ? En ce qui concerne l'usure professionnelle, l'expérience du « parcours longévité » paraît particulièrement pertinente en valorisant une prise en charge précoce des problèmes de santé. La loi pour renforcer la prévention en santé au travail apporte des solutions concrètes, mais en complément, il faut accompagner la montée en puissance du compte de prévention et favoriser les reconversions professionnelles. La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel va dans ce sens. Quels autres moyens avez-vous envisagé pour permettre aux détenteurs d'un CPF de l'utiliser au plus tôt afin de se destiner à un métier moins pénible ?
Le taux d'emploi des seniors en France est en effet l'un des plus bas d'Europe : 53 % contre 60 % dans l'Union européenne et 71 % en Allemagne. De plus, les seniors restent plus longtemps au chômage que les autres actifs, et beaucoup sont poussés en dehors du marché du travail contre leur gré – 30 % des personnes de plus de 60 ans n'étaient entre 2016 et 2018 ni en emploi ni en retraite, ce qui coûterait 1,5 milliard d'euros par an à l'Unédic et à la solidarité nationale. Ces chiffres sont inquiétants. Sur ce point, nous sommes d'accord avec vos constats et avec les enjeux dégagés par vos travaux qui témoignent d'un potentiel gaspillé.
Sur l'âge de départ à la retraite, il est inadapté au vieillissement de la population. Aux Pays-Bas, il est question de le porter à 67 ans à partir de 2022. Qu'en pensez-vous ? Quels mécanismes de surcote et décote pourrions-nous mettre en place pour augmenter la durée du travail ?
Alors que l'allongement de la durée du travail est inévitable, il n'est plus possible de stigmatiser les travailleurs de plus de 50 ans. Le regard de la société doit changer et vos propositions vont dans ce sens, mais les entreprises sont-elles prêtes à appliquer vos recommandations ? Quel équilibre trouver entre incitation et obligation ? En avez-vous discuté avec les acteurs économiques ?
Vous nous interrogez sur la création de contrats de mission de service public qui permettraient de profiter de l'expérience des retraités, au service de l'intérêt général, dans des secteurs en tension. Pourquoi ne pas faire appel à des volontaires en contrepartie d'une indemnisation ? Cela supposerait de créer des contrats de solidarité intergénérationnelle, notamment pour des missions d'insertion ou de formation. Plus largement, comment valoriser l'utilité sociale des seniors qui s'investissent auprès de leurs petits-enfants ou dans le tissu associatif, où ils sont indispensables ? Enfin, nos collègues sénateurs ont publié un rapport proposant un allégement des cotisations sociales à l'embauche de travailleurs âgés, ainsi qu'un congé mobilité pour les seniors dans les petites et moyennes entreprises. Qu'en pensez‑vous ?
Au nom de mon groupe, je veux dire à la présidente et aux rapporteurs de la mission d'information que leur travail est de grande qualité : cela montre que le Parlement sait se saisir de questions extrêmement prégnantes. Les chiffres montrent que nous sommes les premiers en Europe pour le rebond de l'activité mais aussi les derniers s'agissant de l'employabilité des seniors. Les freins existants paraissent liés à des éléments de défiance dans notre société, puisque comme le disait très bien Stéphane Viry, quand les travailleurs commencent à être vieux, se pose la question de leur avenir.
J'ai cinq questions très simples à vous poser. Premièrement, pour simplifier les étapes de la VAE, quels chemins souhaitez-vous emprunter ? Deuxièmement, sur la proposition n° 9, à savoir expérimenter sur plusieurs territoires avec Pôle emploi, quelle serait la participation des régions et celle des entreprises ? Troisièmement, dans la proposition n° 28, la contribution financière des entreprises à la rupture conventionnelle a-t-elle été qualifiée ? Quatrièmement, que pensent les partenaires sociaux de votre proposition n° 31 visant à rendre les cotisations issues du cumul emploi-retraite créatrices de droits dans tous les régimes ? Cinquièmement, ne faudrait-il pas un volet spécifique aux femmes, qui sont les personnes les plus éloignées de l'emploi et celles qui bénéficient le moins de la VAE ou de la formation ?
Les demandeurs d'emploi expérimentés sont plus exposés que les autres. Notre politique doit répondre à trois enjeux majeurs : maintenir les seniors dans l'emploi ; accompagner ceux qui sont au chômage ; faciliter la transition entre vie professionnelle et retraite. Sur ce dernier point, vous constatez l'échec relatif des dispositifs de cumul emploi-retraite et de la retraite progressive. En effet, ils ne concernent qu'une minorité restreinte de retraités et des profils hétérogènes : cadre supérieur souhaitant maximiser une retraite confortable, femme souhaitant compenser une faible pension due à une carrière hachée. Pourtant, ces dispositifs font bel et bien partie de l'équation. Avez-vous identifié des pistes d'amélioration pour rendre ces dispositifs de transition entre vie active et retraite plus opérationnels ?
Nous parlons souvent dans l'espace public des jeunes en mal d'insertion professionnelle et moins des travailleurs expérimentés, dont les situations sont très hétérogènes, entre demandeurs d'emploi de longue durée ou personnes ayant subi soudainement une perte d'emploi. Nous rencontrons aussi de nombreuses personnes souffrant d'usure professionnelle. Aujourd'hui, les missions locales se concentrent sur les moins de 25 ans. Ne faudrait-il pas un pôle spécialisé au sein de Pôle emploi concernant les travailleurs expérimentés ? Quant à la retraite progressive, quels sont les freins qui s'opposent à son déploiement et, le cas échéant, comment pourrait-on y remédier au niveau législatif ?
Le rapport du Conseil d'orientation des retraites insiste sur l'élaboration d'une véritable stratégie, à l'instar du plan « Un jeune, une solution ». De ce point de vue, l'anticipation est un maître mot. Quels enseignements tirez-vous des expériences à l'étranger ? Comment capitaliser sur les bonnes pratiques locales ? Comment mettre en lumière l'employabilité des seniors, et en particulier ceux en situation de handicap ? Quelle mesure serait-elle prioritaire parmi toutes vos propositions ?
Je souhaite à mon tour remercier la présidente et les rapporteurs et saluer le travail qu'ils ont accompli. Ce travail était très attendu sur cette problématique capitale, car le chômage des seniors, dès lors qu'il dure plus longtemps, bascule plus fréquemment vers le revenu de solidarité active, ce qui comporte des conséquences lourdes pour les familles. Dans le même temps, le chômage est en diminution et toutes les entreprises rencontrent des problèmes de recrutement.
La prévention de la désinsertion professionnelle est par ailleurs une problématique en tant que telle et je vous remercie d'avoir pris en compte les avancées de la loi pour la prévention en santé au travail adoptée il y a quelques semaines. Je soutiens la démarche consistant à faire le lien entre visite de mi‑carrière et entretien professionnel. Vous avez bien fait aussi de revenir sur le parcours longévité de l'Institut Pasteur, notamment déployé à Lille, qui apporte des enseignements riches.
Ma question porte sur les cadres : quelles sont selon vous les spécificités de ce public ? Il me semble frappé par une perte de confiance et fait face à la frilosité de certaines entreprises.
Pour ce qui est des aidants seniors, nombre d'entre eux abandonnent leur activité professionnelle pour accompagner durant des années un membre de leur famille. Il s'agit de personnes expérimentées qui pourraient être recrutées dans le secteur de l'aide à domicile. Or nombre d'aidants sont aujourd'hui dans une grande précarité du fait des difficultés à faire reconnaître leur expérience, compte tenu des lourdeurs administratives de la procédure.
En ce qui concerne l'index seniors évoqué par Catherine Fabre, la mission d'information n'est pas allée jusqu'à la définition d'un tel indicateur. De fait, il nous semble qu'il faut aller davantage vers une labellisation comprenant plusieurs indicateurs. Pour ma part, je considère que les branches devraient être sollicitées en priorité pour construire une telle labellisation. Pour sensibiliser les salariés sur le rôle du CPF, la médecine du travail a à mon sens un rôle à jouer.
Nous avons auditionné des spécialistes des systèmes européens – Allemagne, Pays‑Bas... – et constatons que la situation des pays est différente, qu'il s'agisse de la place des seniors dans la population active, des rythmes et horaires de travail, de la culture – notamment en matière d'égalité hommes-femmes et de politiques de l'emploi. Je retiens deux mesures : l'accompagnement spécifique des demandeurs d'emploi expérimentés d'une part, et l'accompagnement – y compris financier – du temps partiel libre – ou « choisi ». Dans la culture française, la retraite représente une barrière avant un autre monde, sans progressivité ni transition.
Nous n'avons pas envisagé spécifiquement la situation des personnes handicapées, mais un regard doit être porté sur cette catégorie. Nous n'avons pas non plus abordé la question des aidants seniors, qui est pourtant importante, il est vrai. Enfin, sur les ruptures conventionnelles, il y en a à partir de 59-60 ans, prises en charge par la solidarité nationale. Nous souhaitons dans ce cas non pas interdire la rupture, mais augmenter le montant de l'indemnité afin que l'entreprise soit encline à adopter une autre stratégie. Ainsi, pour cette catégorie de personnes qui attend la retraite grâce la prise en charge par l'assurance chômage, nous proposons d'augmenter le montant de la rupture, ce qui constituerait une charge supplémentaire pour l'entreprise, tout en évitant l'effet seuil qui inciterait cette dernière à licencier le salarié deux ans avant son départ possible en retraite. La contribution exceptionnelle de l'entreprise servirait alors à la catégorie la moins favorisée des personnes percevant les minimas sociaux, et ayant besoin d'aides spécifiques. C'est une question de solidarité.
En complément des observations de Didier Martin, j'ajouterai, sur l'âge de départ à la retraite, que cette question est en lien avec l'emploi et le taux d'emploi des travailleurs expérimentés. Tous les « plans seniors » esquissés jadis ont précédé une réforme des retraites. Pour autant, nous avons refusé de qualifier ce qui pourrait constituer une « bonne » réforme des retraites. Nous avons jugé que notre sujet était suffisamment large, complexe et fondamental, même si, en effet, les deux questions sont connectées. Sous l'effet de la « réforme Touraine », le nombre des annuités pour atteindre un taux plein augmente chaque année. C'est pourquoi, à l'évidence, il faut anticiper certaines conséquences inévitables du vieillissement et de l'allongement de la vie active, ce qui implique de réfléchir aux meilleures conditions en termes d'emploi. C'est la condition pour qu'une future réforme des retraites ne se traduise pas par une augmentation du chômage, ou bien un accroissement du nombre des bénéficiaires de l'invalidité ou des minimas sociaux.
Vis-à-vis du monde économique, nous pensons que les mesures ne reposeront pas principalement sur la loi, mais sur le dialogue social et les accords de branche, ceci sur presque tous les sujets. C'est une question économique, mais aussi de cohésion sociale. Autant que possible, il faut éviter la contrainte et favoriser les discussions branche par branche, au plus près des métiers. Globalement, les auditions que nous avons menées nous ont laissé penser que les organisations d'employeurs sont prêtes à s'engager sur ce terrain.
En ce qui concerne un éventuel nouveau contrat, nous n'y sommes pas favorables, mais nous sommes partisans de l'esprit du contrat de génération, quand bien même il a échoué, pour les raisons que j'ai expliquées.
Sur la VAE, en effet, c'est un dispositif insuffisamment exploré. Le chemin à suivre est complexe en raison des paramètres techniques en présence. Nous ne sommes pas entrés dans ces modalités techniques et nous nous confions ici comme ailleurs au dialogue social. Au sujet de l'accompagnement spécifique, la position de Pôle emploi est claire : il n'existe pas d'instruction et de prise en charge spécifique des demandeurs d'emploi expérimentés. Il existe des dispositifs pour les jeunes, mais aucune solution nationale pour les plus de 50 ans. Je le déplore à titre personnel. Jean Bassères n'est d'ailleurs pas convaincu de la nécessité d'une telle approche. À Lille, cependant, nous avons pris connaissance d'actions locales, avec la région et des acteurs privés, qui fonctionnent à merveille. Nous devrions envisager de les répliquer, si possible.
Pour les ruptures conventionnelles, la pratique fonctionne, comme le montrent les statistiques. Cela représente un coût pour la collectivité. Certaines propositions visent à mieux indemniser ceux qui reprennent un emploi moins rémunéré. En tout état de cause, la massification de la rupture et le pic atteint dans la tranche 59-61 ans ne sont pas sans poser problème. Des économistes ont avancé une solution radicale que nous ne pouvons reprendre à notre compte : mettre fin à la durée d'indemnisation allongée à partir de 53 ans. De notre côté, nous prônons plutôt une approche de responsabilisation des employeurs.
En outre, la retraite progressive et le cumul emploi-retraite sont pertinents dans leurs principes, mais ne fonctionnent pas à pleine puissance car ils sont méconnus. Il se peut également que les règles soient trop restrictives et contraignantes. Un allégement des règles pourrait donc les rendre plus attractifs. Par ailleurs, la question des aidants représente un sujet à part entière.
Ma réponse à Charlotte Parmentier‑Lecocq reposera sur la nécessité d'un accompagnement spécifique, que nous appelons tous de nos vœux – sujet sur lequel nous avons interpellé Pôle emploi et moult structures associatives. Le cumul emploi-retraite, l'acquisition de nouveaux droits et le CPF déplafonné sont les derniers pans de ma réponse pour ce qui concerne la reconversion professionnelle. En outre, la compensation éventuelle de la perte de salaire au moment de la reprise d'un emploi peut être à la charge de la solidarité nationale, à condition que les entreprises apportent des contreparties.
Concernant la question de l'index, un mélange de critères est possible : taux de formation, taux d'emploi... En tout état de cause, les trois axes prioritaires doivent être reliés : formation, emploi et mobilité. Au sujet de la VAE, les partenaires sociaux se sont engagés à travailler sur l'évaluation de la loi sur l'avenir professionnel. Dans ce cadre, une concertation sur la VAE est en cours. Je propose d'aller plus loin, quitte à paraître utopique : une personne ayant exercé le même métier pendant quatre ou cinq ans ne devrait-elle pas automatiquement bénéficier d'une VAE, sans passer par procédure administrative lourde ?
Pour ce qui est de l'accompagnement renforcé par Pôle emploi, dans les faits, sur le terrain, les expériences du type « Territoires zéro chômeur de longue durée » répondent à une telle problématique. C'est une initiative locale qu'il faudra généraliser autant que possible. Je remercie Charlotte Parmentier‑Lecocq car c'est à partir de la loi pour la prévention en santé au travail que nous avons élaboré un certain nombre de nos préconisations.
S'agissant de la population des cadres, une expérimentation de l'APEC, « Talents Seniors », mérite d'être mentionnée.
Je remercie les co-rapporteurs pour s'être emparés avec autant d'envie et de détermination d'une question qui nous concerne tous dans nos circonscriptions, où nous sommes souvent interpellés par des travailleurs expérimentés ayant envie de reprendre un emploi. Sur ce point, la marge est importante par rapport à d'autres pays européens.
En application de l'article 145, alinéa 7 du Règlement, la commission autorise la publication du rapport de la mission d'information.
La séance s'achève à dix heures cinquante.
Présences en réunion
Réunion du mercredi 15 septembre 2021 à 9 heures 30
Présents. - Mme Stéphanie Atger, M. Didier Baichère, M. Thibault Bazin, M. Sébastien Chenu, Mme Josiane Corneloup, Mme Catherine Fabre, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Caroline Janvier, Mme Fadila Khattabi, Mme Monique Limon, M. Sylvain Maillard, M. Didier Martin, Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, M. Bernard Perrut, Mme Bénédicte Pételle, Mme Valérie Six, M. Jean‑Louis Touraine, M. Boris Vallaud, Mme Laurence Vanceunebrock, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier, M. Stéphane Viry
Excusés. - Mme Pascale Fontenel-Personne, M. Jean-Carles Grelier, Mme Myriane Houplain, M. Nicolas Turquois