Intervention de Stéphane Viry rapporteur

Réunion du mercredi 15 septembre 2021 à 9h30
Commission des affaires sociales

Stéphane Viry rapporteur :

Pour ma part, je poursuivrai ce propos en en venant aux outils à notre disposition pour faire progresser l'activité des travailleurs expérimentés. De ce point de vue, cinq enjeux me tiennent particulièrement à cœur.

Le premier enjeu consiste à développer les échanges intergénérationnels. Le principe est le suivant : l'expérience doit être transmise, et la transmission de cette expérience doit être valorisée. Sur ce point, quatre pistes de travail nous paraissent devoir être explorées. La première piste de travail est la valorisation des salariés s'engageant dans une démarche de mentorat, avec bien souvent une formation adéquate en amont. La branche nous semble être la bonne échelle pour définir les modalités de cette valorisation. La deuxième piste tient compte du besoin d'une meilleure appréhension des outils informatiques par les travailleurs expérimentés. C'est pourquoi le rapport met en exergue le « mentorat inversé ». La troisième piste est la mise en place d'un « index seniors » pour mieux connaître les pratiques des entreprises, valoriser les meilleures d'entre elles et identifier les moins bonnes. Il serait conçu en même temps qu'un label permettant de souligner les meilleures pratiques. Enfin, la quatrième piste provient d'une interrogation en profondeur sur le contrat de génération. Pour beaucoup de personnes auditionnées, cette bonne idée a été mal exécutée. La mission estime que tout nouveau contrat devrait être négocié par les partenaires sociaux dans le cadre d'une négociation interprofessionnelle, afin d'en garantir l'appropriation par les salariés et par les entreprises

Le deuxième enjeu majeur tient aux contrats spécifiques. Sur ce point, la mission estime que les dispositifs existants et – CDD senior, CDI inclusion – n'ont pas encore montré tout leur potentiel. Un nouveau contrat ajouterait à la confusion, même si une marge de manœuvre existe dans l'intérim, où aucune forme spécifique n'est prévue pour les travailleurs expérimentés. Même si le travail temporaire n'a pas vocation à être majoritaire, un assouplissement du recours au contrat de mission pourrait compléter la palette des solutions disponibles. Nous proposons donc deux ajustements paramétriques pour les travailleurs proches de l'âge de retraite, à savoir les travailleurs de plus de 60 ans : le relèvement de la durée maximale de la mission d'intérim à trente‑six mois, ainsi que l'abrogation du délai de carence entre deux contrats.

Le troisième enjeu est celui des conditions de travail et de la mobilité en fin de carrière. Maintenir l'activité des travailleurs expérimentés suppose dans certains cas des aménagements, qui tardent à être mis en place dans la réalité. De fait, les pays présentant un bon taux d'emploi des travailleurs âgés – Pays-Bas, Allemagne... – sont ceux proposant le plus de souplesse en la matière. De ce point de vue, le télétravail ou le temps partiel choisi doivent être encouragés dans les entreprises. La mobilité interne, mais aussi le prêt de main‑d'œuvre entre entreprises, peuvent également faciliter des transitions. J'insisterai enfin, au titre du troisième enjeu, sur le développement d'un nouveau dispositif particulièrement prometteur : les transitions collectives. Il faudra à la fois soutenir financièrement ce dispositif et être vigilant sur son apport pour les travailleurs expérimentés.

Le quatrième enjeu tient à la reprise d'emploi pour les travailleurs expérimentés au chômage. Après 55 ans, et encore plus après 60 ans, le retour à l'emploi est difficile, du fait de l'« effet horizon », mais aussi de l'insuffisance des incitations à l'embauche. La mission privilégie une réponse globale à la question en agissant sur trois leviers : inciter le chômeur âgé à reprendre un emploi, même moins rémunéré, en intensifiant les possibilités de cumul allocation-revenu d'activité ; soutenir les entreprises à travers, d'une part, une diminution des cotisations chômage en cas de recrutement d'un chômeur de longue durée âgé, et d'autre part, une révision du calcul de la tarification accidents du travail‑maladies professionnelles pour éviter que le dernier employeur soit excessivement pénalisé ; organiser le financement d'un fonds de retour à l'emploi à partir des ruptures conventionnelles intervenant en fin de carrière.

Sur le quatrième enjeu, c'est bien l'équilibre global des mesures qui doit être recherché, par un soutien significatif aux comportements vertueux facilitant le retour à l'activité, et en favorisant l'internalisation par les entreprises des coûts qu'elles causent pour la collectivité en signant des ruptures conventionnelles à un ou deux ans de la retraite. L'ensemble des mesures aurait un coût, au moins apparent, qui peut dépendre des modalités retenues. L'idée est néanmoins de déclencher un cercle vertueux profitable pour les entreprises, les travailleurs expérimentés et les comptes publics.

Le cinquième enjeu a trait à une meilleure articulation entre emploi et retraite pour assurer de meilleures transitions et de meilleures incitations à l'activité. Deux dispositifs ont retenu notre attention : la retraite progressive et le cumul emploi-retraite.

La retraite progressive permet de liquider une partie de sa retraite en conservant une activité partielle à partir de 60 ans. Cette solution intermédiaire serait intéressante pour les publics voulant réduire la voilure en fin de carrière, sans s'arrêter brutalement. Or ce précieux « entre-deux » est sous-utilisé et même exclu pour certains : fonctionnaires, salariés au forfait jour, bénéficiaires des régimes spéciaux de retraite. Nous préconisons une meilleure information à ce sujet. Il est également préconisé que son usage soit étendu à tous les salariés voire à tous les actifs. Une proposition en ce sens dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale serait d'autant plus bienvenue que l'exclusion du forfait jours a été censurée par le Conseil constitutionnel, qui a laissé jusqu'au 1er janvier au Gouvernement pour bâtir un nouveau dispositif.

S'agissant du cumul emploi-retraite, il souffre ici aussi d'un manque d'information et d'une mauvaise mesure prise en 2014 pour des questions purement financières. En effet, depuis lors, les cotisations versées au titre des activités exercées après la liquidation de la retraite ne donnent plus lieu à des droits nouveaux pour les salariés. La France est le seul pays à avoir fait ce choix, qui n'est pas conforme à la philosophie du système des retraites pas plus qu'à l'économie du pays. La proposition de revenir sur cette décision a fait consensus auprès de l'ensemble des acteurs auditionnés. La mission est convaincue qu'il faut rétablir le caractère créateur de droits des cotisations versées après le départ en retraite.

Nous espérons que nous pourrons traduire rapidement tout ou partie de ces préconisations en mesures concrètes. La France a besoin de ses travailleurs expérimentés. C'est pourquoi il faudra un plan national, fédérateur, ambitieux et concerté avec les partenaires sociaux en faveur des travailleurs expérimentés.

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