Intervention de Jean-Bernard Harnay

Réunion du mercredi 6 décembre 2017 à 16h00
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Jean-Bernard Harnay, délégué syndical CFDT au comité de groupe GE France :

Je ne sais pas mais, s'ils interviennent, ça ne transpire pas au niveau des salariés et de leurs organisations syndicales. S'ils actionnent, ils le font discrètement. En tout cas, ces informations n'arrivent pas sur la place publique.

S'agissant de nos rapports avec EDF, mon collègue vient de vous donner quelques informations. En ce moment, les PSE et les réorganisations font que les gens sont tellement « emballés » de travailler pour General Electric … qu'ils quittent le groupe ! Un projet prévoit de regrouper les activités de service en comptant sur une certaine flexibilité du personnel, pour dire les choses poliment. Un salarié pourrait être envoyé, du jour au lendemain, sur un site hydraulique ou sur un site nucléaire, sachant que ces équipements sont quand même très spécifiques. Nos spécialistes de maintenance et des services sont parfois à demeure depuis des années, voire des décennies, sur des sites qu'ils connaissent parfaitement et où ils sont d'ailleurs intégrés aux équipes de réalisation.

Cela rejoint la question de la sécurité. Quand les gens sortent d'un chapeau et ne connaissent pas le site, la sécurité est profondément compromise. Ce n'est pas sérieux. On ne peut pas réorganiser n'importe comment, il faut avoir des compétences ; c'est tout le problème.

Vous avez auditionné nos amis d'Alstom Transport, qui vous ont dit qu'il fallait un siècle pour créer un savoir-faire et deux ans pour le détruire. Il en est de même dans nos activités. Nous avons une culture, des formations. J'ai quarante ans de métier : si je me compare à mes débuts, c'est le jour et la nuit. Ce n'est pas l'école qui m'a appris mon métier et je ne suis pas non plus devenu expert du jour au lendemain. Il existe un déni de savoir-faire dans ces sociétés modernes où l'on remplace des personnes en considérant simplement le coût.

En ce qui concerne la charge de travail, le taux à Grenoble a augmenté de 28 % en six mois. Je vous rassure, nos salaires n'ont pas augmenté de 28 % en six mois ! Par quel miracle est-ce possible ? Eh bien, vous jouez sur le plan de charge : vous retirez de la charge et vous ne jouez pas sur la masse salariale. Masse salariale fixe, charge en diminution : vous augmentez le taux. Et dès lors, vous n'êtes plus compétitifs. Vous êtes mis devant le fait accompli. Qui veut tuer son chien l'accuse de la rage : on est en plein dedans. Il faut être très clair en ce qui concerne les manipulations de nos dirigeants.

Je ne me bats pas contre GE, parce que GE, c'est nous. Ce sont des Américains, des Canadiens, des Brésiliens, des Chinois, des Indiens, des Européens ; c'est cela qui fait le corps de GE mais, malheureusement, les sirènes auxquelles on répond aujourd'hui, ce sont les actionnaires – et, même, pas tous les actionnaires : les actionnaires sont nécessaires, à condition que ce soient de vrais investisseurs. Ce que nous avons aujourd'hui, ce sont des spéculateurs, qui en veulent toujours plus et nous vampirisent !

Ce n'est pas un groupe industriel au sens où nous l'entendons. Ce sont des personnes qui s'intéressent à l'industrie parce qu'elles survivent en vampirisant le groupe et, une fois vampirisé, le jetteront comme un mouchoir en papier. C'est un gâchis monumental. Il commence, bien sûr, par un maillon faible de l'Europe, qui possède pourtant la technologie : la France. Nous sommes fiers de nos TGV : on a vu ce que c'est devenu avec Alstom Transport et Siemens. Nous sommes fiers de notre technologie nucléaire, développée par Areva et Alstom, devenue GE. Nous sommes fiers de notre hydro, avec un siècle d'existence. Si nous continuons dans cette dérive et ce laisser-aller, nous n'aurons plus que des chômeurs. J'ai, comme beaucoup, un bulletin de paye avec un taux qui augmente : celui de la CSG. Je préférerais que notre énergie et notre intelligence soient employées à réduire le chômage, à garantir l'emploi et à favoriser ce en quoi j'ai toujours cru, le progrès technique, qui permet d'améliorer la condition humaine. Pour cela, il faut avoir des politiques fortes, un gouvernement fort, une Europe forte, qui puissent replacer les groupes devant leur responsabilité sociétale.

J'ai appartenu à CGEE Alstom, à Cegelec, à ABB Alstom, à Alcatel Alstom, Alstom, à GEC- Alstom puis à GE. J'ai toujours travaillé dans le même bureau, avec le même numéro de téléphone, et j'ai toujours eu les mêmes clients. Quel que soit notre employeur, nous avons un marché, un savoir-faire. Quel que soit notre nom, nous servons notre employeur, à condition qu'il nous respecte et qu'il n'oublie pas que la finalité est la satisfaction de nos clients, car un client satisfait ce sont des affaires futures, des actionnaires qui reçoivent le retour de leur investissement et non le fruit de la spéculation. C'est ce que nous sommes en train de perdre.

J'ai été écoeuré par le comportement du Board de GE le 16 novembre. Je vous invite à regarder la vidéo. Pour gagner 20 milliards d'ici à 2020 – pour resituer, le rachat d'Alstom Énergie, c'est 13 milliards –, GE va se séparer d'une centaine de milliers de salariés. Eh bien au cours de cette réunion, les membres du Board plaisantaient, ils étaient écroulés de rire ! C'était écoeurant. Les salariés attendaient des détails sur la stratégie mais il n'y a rien eu. Phénomène de non-annonce. Si vous regardez cette vidéo, cela vous en dira long sur les dirigeants de notre groupe. Pas sur notre groupe, car le groupe c'est nous.

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