La séance est ouverte à seize heures dix.
– Table ronde réunissant les représentants syndicaux de General Electric, avec M. Yvan Kouskoff, secrétaire adjoint de l'inter CFDT et secrétaire adjoint au comité de groupe France ; M. Jean-Bernard Harnay, délégué syndical CFDT au comité de groupe France ; M. François Trinquet, délégué syndical CFDT d'établissement et membre titulaire du comité central de l'entreprise Alstom Power Systems ; M. Karim Matoug, observateur syndical CGT au comité de groupe France ; Mme Rosa Mendès, membre CGT de l'intersyndicale GE Hydro ; M. Laurent Santoire, délégué syndical central CGT d'Alstom Power Systems SAS ; Mme Nadine Boux, observatrice syndicale CFE-CGC au comité de groupe France et membre de l'intersyndicale GE « Hydro ».
Nous recevons aujourd'hui les représentants syndicaux de General Electric France. Cette audition nous a paru indispensable au regard des conditions de la cession intervenue il y a bientôt trois ans de la branche « Énergie » d'Alstom à General Electric (GE) et de ses conséquences jusqu'à aujourd'hui.
Cette opération, dont on peut penser qu'elle a été suivie de près par le gouvernement de l'époque, a eu pour effet de créer trois coentreprises distinctes, chacune réunissant les activités nucléaires pour l'une, celles liées aux énergies renouvelables pour la deuxième et les activités de réseaux pour la troisième. Ces coentreprises ont été créées sur la base d'un accord global signé le 4 novembre 2014. L'accord comportait quatorze documents contractuels ou lettres d'engagement, qui semblent pour la plupart avoir été exclusivement rédigés en anglais, le Gouvernement ayant ainsi signé des documents en anglais, alors que, aux termes de la Constitution, la langue de notre République est le français.
Notre commission d'enquête a vocation à connaître le contenu précis de cet ensemble documentaire. Elle entend découvrir ce qu'il est advenu des engagements pris publiquement par General Electric, parmi lesquels la promesse notamment de créer mille emplois dans les trois ans, soit au terme de l'année 2018, sur « le périmètre des activités industrielles de General Electric en France ».
Notre mission est également de nous assurer que les engagements pris par les gouvernements successifs auprès de la représentation nationale, engagements qui ont justifié le fait que l'État donne son accord à l'opération de rachat de la branche « Énergie » d'Alstom par General Electric, sont bien tenus.
Nous nous intéresserons tout particulièrement à l'engagement pris par GE de maintenir en France, pour dix ans au moins, les quartiers généraux de quatre grandes entités, sachant qu'il s'agit moins de constater la véracité de cette promesse que son effectivité, en d'autres termes d'observer la réalité des liens entre le management supérieur et la base industrielle française.
Il n'est pas possible d'éluder une telle question lorsque l'on sait que des suppressions d'emploi viennent d'être annoncées, notamment dans l'entité de Grenoble, longtemps connue sous le nom de Neyrpic avant d'être intégrée à Alstom, et spécialisée dans les turbines hydroélectriques. Cette entité est en effet leader mondial dans son domaine, avec près de 25 % de parts de marché.
D'autres questions se posent : Qu'en est-il du comité de pilotage et de suivi qui, aux termes des engagements de General Electric, devait être installé et produire un rapport annuel, avec, en outre, l'intervention d'un cabinet d'expertise externe chargé d'auditer la mise en oeuvre des rapprochements d'activités ? Qu'en est-il également de l'engagement de maintenir la recherche et le développement sur les programmes en cours et de la développer sur des programmes dont il était dit qu'ils seraient mieux intégrés aux écosystèmes locaux de recherche et d'innovation ?
Sur ces différents points, nous avons souhaité entendre les organisations syndicales. Nous auditionnerons également, dès la semaine prochaine, les actuels dirigeants de GE comme nous auditionnerons les anciens dirigeants et les dirigeants actuels d'Alstom investis dans les trois coentreprises.
Mesdames et Messieurs, nous souhaitons connaître vos analyses sur le climat général dans chacune des coentreprises, ainsi que les perspectives qui se dessinent, selon vous, au regard de la stratégie de General Electric, pour autant que vous la connaissiez.
Bien évidemment, tous ceux qui s'intéressent à ce dossier ont été étonnés d'apprendre que le nouveau président de GE, John Flannery, estimait récemment que l'opération avec Alstom s'était révélée « très décevante, en dessous des attentes », propos d'autant plus surprenants que ce dirigeant a été le principal pilote des négociations quand il était à la tête des fusions-acquisitions de General Electric.
Il est vrai que GE vient d'annoncer d'importantes restructurations concernant plusieurs grosses divisions du groupe, y compris sur certains sites historiques américains. Cette révision stratégique au niveau mondial peut légitimement inquiéter les salariés des activités présentes en France, d'autant que GE a rendu publique hier sa décision de procéder à un gigantesque plan social en Europe, menaçant 4 500 postes sur les activités d'Alstom.
Élu CFDT sur le site General Electric « Power Conversion » de Belfort, ancienne entité d'Alstom rachetée en 2011, je commencerai par l'essentiel, ce que GE essaie de vous cacher, à savoir qu'elle est une entreprise saine et rentable.
Selon les chiffres de 2016, les commandes se sont élevées à 110 milliards, les ventes à 113 milliards et les bénéfices à 17 milliards, soit un taux de profitabilité de 15,6 %, ce qui ne l'empêche pourtant pas de lancer des plans sociaux.
GE ne tient pas les promesses à ses actionnaires en matière de versement de dividendes, d'où les restructurations massives annoncées par John Flannery.
GE n'a pas de stratégie industrielle, sa seule boussole étant financière, et l'on pourrait résumer sa politique au fait de faire du chiffre pour pouvoir, chaque fin de trimestre, verser des dividendes à l'actionnariat.
Vous avez déjà évoqué, Monsieur le président, l'accord de 2014, aux termes duquel GE s'engageait à créer mille emplois nets, c'est-à-dire départs compris, ces derniers étant estimés, hors créations de poste au sein d'EDF Offshore, à quatre mille d'ici à la fin 2018. Les autres engagements inclus dans le contrat concernaient le maintien et le développement des sites de fabrication existants, en l'occurrence Grenoble ; le maintien et le développement de la recherche et du développement en France ; l'obligation d'informer les comités d'entreprise concernés après le rachat, celui-ci remontant déjà au 2 novembre 2015 ; l'installation en France des quartiers généraux des grandes entités ; enfin, la production d'un rapport annuel remis à l'État, avant le 15 février.
Or les organisations syndicales ne sont pas parties prenantes de l'accord et ne sont pas invitées au comité de pilotage et de suivi de cet accord. Elles dénoncent un manque de transparence, puisque la direction générale refuse de fournir aux organisations syndicales les rapports annuellement rédigées et n'informe pas les comités d'entreprise ainsi que le stipulait pourtant l'accord.
La CFDT demande donc un accès à l'information, en ce qui concerne notamment le nombre de créations d'emploi projetées, ventilé selon les entités business et les entités juridiques.
Nous demandons également à être conviés aux réunions entre General Electric et l'État, ainsi qu'en a fait la demande à Bercy le secrétaire général de la CFDT FGMM, M. Philippe Portier. M. Bruno Le Maire a déclaré aux élus de Belfort, le 26 octobre dernier, qu'il veillerait aux engagements pris par General Electric et qu'il présiderait lui-même la prochaine commission de suivi de l'accord au début décembre : nous ignorons si cette réunion s'est déjà tenue. Nous demandons enfin communication des rapports remis à l'État.
En ce qui concerne la situation actuelle, elle est marquée par l'annonce de 350 suppressions de poste chez Hydro Grenoble. John Flannery a également fait savoir aux investisseurs, le 13 novembre dernier, qu'il envisageait d'importantes restructurations partout dans le monde. Je rappelle la charge existante : 11 tranches nucléaires signées à l'exportation, 1 tranche au Vietnam. Dans ces conditions et compte tenu des informations obtenues au plan local, la CFDT considère que la création de 1 000 emplois nets semble inatteignable fin 2018.
Du côté de l'État, on s'intéresse au sujet. M. Le Maire a demandé à rencontrer M. Flannery et a donc convoqué le comité de pilotage. L'État s'intéresse également à l'éolien offshore des contrats EDF et a soutenu le projet de l'usine de Cherbourg en apportant sa garantie à hauteur de 1 milliard d'euros, tandis que la région offrait une subvention de 70 millions d'euros. Bercy enfin a exprimé le souhait de négocier un nouvel accord après 2018.
General Electric est un acteur majeur de l'énergie électrique en France, en Europe et à travers le monde. Au-delà de la filière nucléaire, qui nous intéresse plus particulièrement ici, il assure également la maintenance et joue un rôle majeur à l'exportation. L'Assemblée nationale et le Gouvernement ne peuvent donc examiner son cas en le dissociant de la question globale de l'énergie dans notre pays, notamment au regard de la transition énergétique, qui, selon la CFDT, doit également être une transition en termes d'emplois, sans renoncer aux compétences et aux savoir-faire essentiels que GE maîtrise dans l'hydraulique, la vapeur (steam), l'éolien, le gaz, le transport de l'énergie et le contrôle-commande. Les pouvoirs publics doivent également s'interroger sur l'avenir du mix énergétique, qui doit nous permettre de ne pas mettre tous nos oeufs dans le même panier, mais de produire à la fois de l'énergie nucléaire et des énergies renouvelables.
En rachetant la partie énergie d'Alstom, le groupe GE s'est doté d'une capacité d'ensemblier, ce qui signifie qu'elle ne se réduit pas à un fabricant de produits, mais vend des centrales électriques « clé en main », en assure la maîtrise d'oeuvre, c'est-à-dire la maîtrise de gestion de projets afférents à une centrale.
En matière de politique industrielle dans le secteur de l'énergie, la filière hydraulique de GE est cruciale, puisqu'elle couvre l'entretien et la maintenance de l'ensemble du parc EDF français et de la Compagnie Nationale du Rhône. Il faut également mentionner la filière Hydro d'EDF pour les gros contrats à l'exportation – je pense en particulier au contrat Nachtigal au Cameroun –, tandis qu'en matière de régulation des réseaux électriques, nous sommes spécialistes des centrales de turbinage et de pompage qui permettent par exemple de pallier l'insuffisance de vent dans le cas de l'énergie éolienne, ou de compenser l'alternance jour-nuit dans le cas des centrales nucléaires. Je citerai enfin la filière éolienne offshore avec les contrats EDF de Cherbourg, et la filière nucléaire, puisque nous assurons l'entretien et la maintenance du parc français, et sommes également présents à l'exportation. On comprend donc pourquoi le dernier comité central d'entreprise (CCE) d'EDF, qui est un client majeur, s'est inquiété des annonces de GE et pourquoi la direction de l'électricien a fait savoir qu'elle voulait rencontrer ses dirigeants et obtenir des garanties.
Selon la CFDT, la France doit conduire une politique volontariste de développement de sa filière hydraulique. Un pôle d'excellence « Hydro » pourrait être mis en place : il regrouperait les différentes entreprises de la filière pour leur permettre de répondre collectivement aux appels d'offres. Engagé dans la transition énergétique, notre pays ne peut faire une croix sur l'hydraulique, qui est la première des énergies électriques renouvelables. Des perspectives existent à l'exportation mais aussi sur le sol national, qu'il s'agisse de l'amélioration de la performance installée ou du développement de la micro-hydraulique et de l'énergie marémotrice.
Je suis représentant local de la CFDT dans un établissement de Massy qui fait du contrôle-commande pour tous les types de centrales. Je siège également au comité central d'établissement d'une entité française qui regroupe les activités vapeur, contrôle-commande et nucléaire. J'en terminerai avec quelques mots sur les annonces qui viennent d'être faites au sujet des projets de restructuration qu'envisage M. Flannery pour la branche européenne de GE.
Avant-hier donc, la direction des relations sociales Europe de GE a annoncé devant le comité d'entreprise européen (IRS) la suppression de 4 551 postes en Europe sur le seul périmètre des activités ex-Alstom, ainsi que la fermeture de sites de production des entités de GE « Gaz Power » et GE « Grid Solutions ».
La France semble épargnée par ces annonces, du moins directement, mais croire que chaque maillon de la chaîne est indépendant est illusoire. Cette deuxième vague de suppressions de poste touche environ 25 % des emplois en Europe, plus particulièrement dans le domaine de la production mais également dans l'ingénierie, les services et la R&D. C'est le coeur de nos activités qui est systématiquement attaqué, comme cela avait été le cas le cas lors du précédent plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) qui a touché la France.
Une fois passée l'échéance des trois ans, la France sera touchée à son tour, car elle ne pourra tenir l'objectif des résultats financiers exorbitants requis chaque trimestre par les dirigeants de GE. De plus, si la France devrait être épargnée en 2018, compte tenu de l'accord de 2014, qu'adviendra-t-il en 2019 ? C'est cette incertitude qui rend impératif à nos yeux le fait qu'un nouvel accord soit signé entre l'État et GE, impliquant cette fois-ci les syndicats représentatifs.
Par ailleurs, le comité européen de GE « Power Conversion » tient en ce moment même une séance extraordinaire pour acter une procédure de restructuration, qui va se traduire par la fermeture de deux sites, l'un à Berlin, en Allemagne, et l'autre à Rugby, en Angleterre, et la suppression de 1 042 postes en Europe.
Dans ces conditions, IndustriAll, la Fédération syndicale européenne de l'industrie demande à GE la tenue d'une réunion générale au niveau européen ; la CFDT demande pour sa part à la représentation nationale et au Gouvernement d'interpeller la Commission européenne sur la problématique de l'énergie en Europe, secteur dans lequel GE emploie 95 000 personnes. Nous demanderons également au Parlement européen de se saisir de la question.
La CFDT propose enfin que les organisations syndicales puissent contribuer aux actions et aux discussions en cours sur la transition énergétique, sur la création des mille emplois promis ainsi que sur le futur accord souhaité par Bercy.
Au vu de l'enjeu que constitue l'énergie au niveau national et en Europe, il est paradoxal que GE, qui dispose de toutes les capacités d'un ensemblier et d'un fournisseur de produits de première importance – turbines à vapeur, turbine à gaz, alternateurs, etc. –, gagne de l'argent mais licencie, supprime des outils de production et de réalisation de projets, ce qui, in fine, aura nécessairement un impact négatif sur ses marges. Nous ne pouvons qu'en conclure que la stratégie de GE est une stratégie de court terme, uniquement dirigée vers la valorisation des dividendes et extrêmement dangereuse à tous égards.
Je travaille pour ma part sur le site de Belfort, au sein de la division turbines à gaz rachetée en 1991 par GE et anciennement « Alsthom Turbine Gaz ».
Le rachat de la branche énergie d'Alstom sous contrôle du Gouvernement devait assurer le développement de la filière, en lien avec les enjeux de la transition énergétique. GE devait amener les financements qui manquaient cruellement au groupe Alstom, très endetté.
Mais il est bon de rappeler que, dès le rachat de la branche énergie d'Alstom, GE a commencé par mettre en oeuvre un plan de restructuration conduisant à la suppression de 6 000 emplois en Europe courant 2016, dont 700 emplois en France, avec la fermeture de la dernière entité « Chaudières ». À cela il faut ajouter un nombre très important de départs non remplacés dans l'activité de services, qui intervient pourtant en support à l'exploitation de nos centrales nucléaires, situation qu'aggrave encore le dernier projet du groupe qui envisage la création d'une société de « services » pour externaliser ses intervenants sur site et faire jouer la concurrence européenne dans ce domaine pourtant sensible.
Comme vous le savez, les dirigeants du conglomérat GE, par l'intermédiaire de leur P-DG John Flannery, ont annoncé, le 13 novembre, un vaste plan de restructuration qui, outre un volet d'économies de plus de deux milliards de dollars et une forte réduction de ses efforts de recherche, envisage la vente de 20 milliards de dollars d'actifs, y compris dans le domaine pourtant hyper rentable de la santé.
Le plan du P-DG est de recentrer le conglomérat sur trois activités : l'énergie (Power), la santé (Healthcare) et l'aviation. Le nombre total de salariés du groupe passerait de 300 000 à 200 000. Le groupe réduirait ainsi son empreinte industrielle de 30 % d'ici à 2020.
Au-delà de cette période nous savons aussi que la direction envisage de remettre en cause ses participations dans l'activité Oil and Gaz, qui concerne en France trois entreprises : Thermodyn au Creusot, Lufkin à Fougerolles et Dresser à Condé-sur-Noireau.
D'autres annonces concernant l'Europe et la France seront bientôt faites. Il ne nous appartient pas de nous substituer au groupe pour en communiquer le détail, mais des milliers d'emplois, des sites de production, des entités de R&D sont menacés. Cela ne concernera pas seulement les activités héritées d'Alstom mais plus généralement toute la branche « Power » représentée en France par GE EPF et Power Conversion. C'est bien l'ensemble de ce périmètre qui est visé.
GE est impliqué dans 30 % de la production d'électricité mondiale. Il est donc légitime de s'inquiéter de l'impact que ce plan de cession d'actifs pourrait avoir sur notre politique énergétique publique.
Nous rejetons ces pratiques. Les diverses représentations du personnel en Europe ont été tenues à l'écart de toute information sur les choix stratégiques du groupe. Elles ne seront réunies que pour avaliser un processus de casse de l'outil industriel
Pourtant, malgré l'agitation de ses actionnaires, GE continue d'être une entreprise rentable et solide économiquement. En 2015, année du rachat de la partie énergie d'Alstom, GE affichait un carnet de commandes de 315 milliards de dollars, ce qui représentait déjà un point haut historique. La même année, les ventes des segments industriels ont représenté 106 milliards de dollars, les profits opérationnels des activités industrielles s'établissaient à 18 milliards de dollars, et 33 milliards de cash ont été retournés aux investisseurs. Dans la dernière période, les niveaux de profits restent élevés, avec 3,5 milliards de dollars de bénéfices pour le troisième trimestre 2017. GE aura cette année redistribué 1 dollar par action, soit plus de 5 % pour une action cotée à 18 dollars.
Ce vaste plan, s'il était mis en oeuvre, aboutirait à redessiner les contours d'un groupe industriel intervenant dans des secteurs aussi déterminants pour notre économie que la santé, le transport ou l'énergie. C'est pour éviter que cela ne se produise que l'ensemble des syndicats européens, par l'intermédiaire de leur fédération IndustriAll, demandent une rencontre avec le PDG du groupe.
La CGT dénonce ici le fait qu'il a été impossible jusqu'à présent d'avoir un vrai débat sur la stratégie industrielle du groupe, alors même que les mesures envisagées affaibliraient un outil industriel pourtant indispensable pour mener à bien la transition énergétique.
L'existence d'éventuelles garanties protégeant les effectifs basés en France ne nous rassure aucunement. En effet, nous travaillons au sein d'activités transnationales, et l'affaiblissement des uns affaiblit l'ensemble. De plus, au-delà de 2018, terme de l'accord signé avec le Gouvernement et après une éventuelle dissolution des joint ventures du groupe, plus rien n'empêchera GE d'amplifier le mouvement de destruction des entités un temps épargnées en France.
Les activités de projets issues du groupe Alstom ne sont pas toutes compatibles avec la norme de rentabilité opérationnelle de 18 % imposée par le groupe. L'avenir de ses activités est menacé par cette exigence.
Nous nous interrogeons tout particulièrement sur une activité essentielle à la réussite de la transition énergétique, à savoir les énergies renouvelables, dont font partie GE « Hydro » et GE « Éoliennes ». Or la direction projette de restructurer lourdement le secteur de l'hydro. À Grenoble elle veut procéder à la suppression de 345 postes sur 800 et arrêter la fabrication, considérant que les 8 % de marge dégagés sont insuffisants. Ce site centenaire est donc clairement en danger, alors que ses expertises sont vitales pour la bonne réalisation des objectifs de la transition énergétique. Nous aurons l'occasion de développer nos propositions pour rejeter ce plan et dynamiser cette entité.
GE est une entreprise rentable, qui fait des bénéfices. Elle devrait mener une véritable politique d'investissement et arrêter la casse des collectifs de travail, du savoir-faire des femmes et des hommes, en maintenant leur compétitivité par la formation et l'embauche, en investissant dans la R&D et les moyens de production. Force est de constater cependant qu'elle tient plus du conglomérat financier dont l'objectif principal est d'atteindre un niveau de rentabilité hors norme pour ses actionnaires.
Dans ces conditions, la CGT considère que l'État doit renforcer son contrôle industriel sur les actifs liés à l'énergie, notamment dans les secteurs du nucléaire et de l'hydraulique. C'est la raison pour laquelle nous appelons l'État à se substituer à Alstom en tant qu'actionnaire de référence dans les joint ventures constituées au moment de la vente. Il pourrait ainsi peser plus fortement sur les choix stratégiques, en lien avec tous les autres acteurs de la filière. Une véritable stratégie énergétique nécessite coordination et méthode, qualités que l'on ne peut visiblement pas attendre aujourd'hui d'un groupe comme General Electric.
La situation de GE « Hydro » à Grenoble illustre les conséquences de la fusion des activités d'Alstom et de GE. Tout d'abord, je souhaiterais vous rappeler ce que représente le site de Grenoble. C'est un site centenaire, qui a vu le jour en 1917. Il est le berceau de l'expertise sur l'hydraulique en France, et couvre l'ensemble de la chaîne de valeur, depuis la conception jusqu'au montage et la mise en service des turbines hydrauliques, des vannes et des conduites forcées.
Le site de Grenoble possède un centre de recherche mondial, qui apporte son appui à tous les centres de recherche de GE. Il est doté d'un laboratoire d'essai de six plateformes où sont testés les produits les plus complexes, d'un atelier de mécanique lourde servant à construire les équipements les plus critiques et d'un atelier de modèles réduits. Il s'agit donc d'un site industriel mais également d'un site de très haute technologie, où s'exercent des métiers-clés, des compétences-clés que l'on ne retrouverait pas ailleurs, si jamais elles venaient à être détruites.
Nous sommes présents en France mais aussi à l'exportation, qui représente 85 % de notre chiffre d'affaires.
Nous sommes positionnés sur divers segments, qui vont des machines neuves à la réhabilitation des centrales, et couvrons l'ensemble du spectre hydraulique, grande, moyenne, et petite hydro, ainsi que les services afférents.
Renouvelable et propre, l'énergie hydraulique présente l'avantage d'être stockable à très grande échelle. Nous maîtrisons parfaitement les turbines-pompes et les stations de transfert d'énergie par pompage (STEP), qui sont des équipements essentiels pour le mix-énergétique et pour l'indépendance de la France.
Enfin, tout en étant leader, nous travaillons au niveau régional avec les entreprises locales et les universités. Citons « Hydro'like », la chaire dédiée à la conception des machines du futur avec l'Institut national polytechnique de Grenoble (INPG) et les programmes Tenerrdis, Penelop 2, et bien d'autres que nous aimerions beaucoup développer à l'avenir.
Dans le monde, une centrale sur trois a été conçue par General Electric, ex-Alstom, sans parler de la base installée qui représente 20 % du parc mondial des centrales électriques ou de l'énorme potentiel des centrales à réhabiliter en France. Vous savez tous qu'il est d'autant plus important de maintenir et de réhabiliter ces centrales qu'elles sont essentielles pour assurer la sécurité des centrales nucléaires.
Nous n'avons que deux réels concurrents – Andritz en Autriche et Voith en Allemagne – qui possèdent des sites de fabrication industriels.
Le marché – qui obéit à des cycles longs d'une durée de trois à sept ans – est plutôt en croissance même s'il est passé par un creux de vague en 2016. GE est optimiste car les perspectives de croissance varient entre 2 % et 3 % par an. Aux dires des experts, le groupe s'attend à un doublement des commandes d'ici à 2020 et à une croissance à deux chiffres de son résultat net avant impôt en 2018.
Pour rappel, l'État a cédé la branche hydroélectricité à General Electric. Le décret de 2014 avait pour objectif de protéger la souveraineté de l'énergie via un accord entre Alstom et General Electric. L'État avait exigé d'avoir des représentants au conseil d'administration, et un accord sur l'emploi avait été signé. Cependant, selon les travaux de nos experts, l'État n'a pas joué son rôle et Alstom est un actionnaire dormant qui attend sa sortie en 2018. Du fait de cette absence, GE est seul aux manettes.
Ce plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) est un projet global et mondial qui prévoit la suppression de 345 postes à Grenoble. Il est fondé sur un scénario du passé qui occulte complètement la situation présente et à venir. La feuille de route présentée par la direction est vierge. Ce plan vise à augmenter la valeur de la coentreprise dans une optique de cession.
L'activité hydroélectrique n'est absolument pas stratégique pour General Electric qui propose, en réalité, un plan de délocalisation massif sans logique nationale et sans logique d'emploi. Quand on veut doubler le chiffre d'affaires tout en réduisant l'effectif de 46 %, cela implique forcément une délocalisation parce qu'il faut bien que le travail soit fait quelque part ! Or, selon les experts, le site de Grenoble n'est perçu que comme une base de coûts.
L'hydroélectricité est sacrifiée au profit de l'éolien. La branche « Énergies renouvelables », qui inclut l'hydroélectricité, l'éolien et le solaire, doit créer 200 postes dans le cadre des 1 000 créations promises. Or le groupe prétend créer 550 emplois à Cherbourg où seront construites les pales des éoliennes en mer, pour compenser la perte d'emplois de la branche hydroélectricité. Sachant que l'offshore ne fait pas partie de l'accord sur l'emploi, un simple calcul mathématique permet de comprendre que les 345 emplois supprimés à Grenoble résultent, grosso modo, d'une soustraction : 550 emplois créés à Cherbourg moins 200 emplois annoncés dans la branche énergies renouvelables. Le chiffre 345 n'a donc aucune logique économique, c'est ce qu'on appelle un droit de tirage qui résulte d'un simple calcul mathématique. GE ne se comporte pas comme un industriel et fait fi des accords signés avec l'État. Les conséquences de ce plan, s'il entre en vigueur à Grenoble, seront absolument catastrophiques.
Les conséquences se feront sentir à plusieurs niveaux. Pour la région, le plan se traduit par la perte de 345 emplois directs et de 1 200 emplois indirects. En termes de compétences, on ne peut pas comparer les emplois de Grenoble et ceux qui seraient créés à Cherbourg.
En outre, GE « Hydro » bénéficie d'un savoir-faire unique : 100 ans de transmission d'expertise et de compétences ; un système de production complexe et haut de gamme ; des métiers d'une technicité comparable à celle requise pour construire des fusées.
Ce plan fait aussi planer une menace sur l'indépendance énergétique car nous considérons qu'il ne s'agit que d'un habillage en vue d'une éventuelle vente. Nous avons acquis cette conviction lorsque nous avons constaté qu'il n'y avait pas de vision d'avenir dans le rapport qui nous a été présenté. Selon nos experts, les acteurs asiatiques seraient très intéressés par nos activités. On peut les comprendre : les brevets, les références et la base installée sont effectivement très convoités.
La France est-elle prête à laisser filer de telles compétences ? Est-elle prête à laisser un fleuron de l'industrie partir ailleurs ? Peut-on laisser cet héritage à quelqu'un d'autre ? Sommes-nous prêts à accepter que des Asiatiques ou des investisseurs, dont la priorité est de réaliser des profits, puissent réhabiliter nos centrales en France ? Qui livrera les pièces de rechange pour ces centrales ? L'État doit mesurer le rôle primordial qu'il doit jouer dans ce dossier.
Ce plan est également catastrophique au niveau de la politique industrielle car il implique la fermeture de l'atelier de mécanique lourde dans lequel on usine, on soude, on contrôle des roues et des vannes. Rappelons que les roues du barrage des Trois-Gorges font dix mètres de diamètre !
L'intersyndicale demande à l'État d'intervenir. Nous avons déjà interpellé l'État à plusieurs reprises. Nous attendons toujours des informations et des réponses à nos questions.
Nous demandons que l'État fasse respecter les engagements pris par GE, lors du rachat de la branche des énergies renouvelables d'Alstom, en termes de créations d'emplois mais aussi de développement industriel. On ne peut pas laisser les multinationales agir lorsqu'elles ne respectent pas les intérêts de l'État, des salariés et de l'industrie française.
Nous demandons que GE suspendre le plan de sauvegarde annoncé pour Grenoble. Les salariés se sont massivement regroupés pour proposer d'autres solutions. GE n'agit pas comme un industriel.
Nous demandons solennellement à l'État et à tous les acteurs d'organiser une table ronde pour que nous puissions tous discuter des choix industriels qui s'offrent à nous, pour que nous débattions de l'avenir de la filière hydraulique en France et en Europe.
Nous souhaitons une solution française.
Merci à tous pour vos interventions. Sans plus attendre, je vais donner la parole à mes collègues.
Merci pour cette présentation de la situation.
On a beaucoup parlé de l'accord, parrainé par l'État, qui a été passé entre GE et Alstom. Il y était question de trois coentreprises mais on n'entend parler que de GE. Quel rôle joue Alstom ? Quel rôle joue l'État qui pouvait encore utiliser un droit de véto dans divers domaines ?
Comme vous l'avez bien expliqué, vos entreprises occupent une position centrale dans le maintien en condition des centrales électriques de ce pays, de quelque type qu'elles soient. Depuis le rachat par GE, les rapports de votre entreprise avec EDF ont-ils évolué ? Les conditions faites à EDF pour le maintien des centrales ont-elles changé ?
Notre commission enquête porte sur l'action de l'État. Et nous ne pouvons pas dissocier les événements qui surviennent sur le site de Grenoble de sa vente à GE. Qu'a entrepris le gouvernement actuel pour que la France respecte sa parole dans les accords de Paris selon lesquels 50 % de l'électricité sera d'origine hydraulique en 2040 ? Comment respecter cet accord si le site de Grenoble ne fonctionne plus ?
Que fait le Gouvernement sur les questions qui touchent à la sécurité nationale ? Comme vous l'avez indiqué, les centrales hydrauliques sont essentielles à la sécurisation de certaines centrales nucléaires. Nous ne pouvons pas prendre de risque dans ce domaine. Mais cette entreprise fabrique aussi les propulseurs dont sont équipés nos sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) ou Le Charles-de-Gaulle. Qu'a entrepris le Gouvernement pour répondre à ces questions de souveraineté nationale ?
Puisque cette commission d'enquête existe, faisons en sorte qu'elle agisse et soit utile, dès maintenant.
Avant tout, je voulais vous remercier pour la qualité de vos interventions très complémentaires.
Alors que GE avait promis de créer 1 000 emplois en 2018, nous assistons à des suppressions de postes. D'après vous, comment serait-il possible de s'assurer de la sincérité des entreprises qui investissent dans notre industrie ? Pensez-vous qu'il existe des moyens, des outils qui permettraient de s'assurer que les promesses seront tenues ? Va-t-on en rester à la célèbre formule selon laquelle les promesses n'engagent que ceux qui y croient ?
Que suggérez-vous pour limiter ces situations où les repreneurs suppriment des emplois quelques années après leur acquisition, en dépit des promesses qu'ils avaient faites au départ ? Ne faudrait-il pas renforcer l'autorisation préalable ? Quelles sont vos préconisations en la matière ? Pensez-vous que les dispositions actuelles sont suffisantes ?
À mon tour, je vous remercie pour vos présentations particulièrement riches.
Sur le site de Belfort, les nouvelles turbines mises au point sont destinées à la propulsion maritime électrique. On peut imaginer que ce type de propulseurs trouvera des applications bien au-delà de la marine marchande et des pétroliers, ce qui pose aussi des questions relatives à notre indépendance.
Vous avez qualifié Alstom d'« actionnaire dormant ». Pourriez-vous nous expliquer un peu plus en détail ce que vous entendez par là ? Les Chinois sont très intéressés par la technologie développée à Grenoble, un site qui a une longue histoire et des compétences qui équivalent à celles de l'industrie spatiale, dites-vous. Cette caractéristique les rend difficilement transférables. Si l'on suit votre raisonnement, même si des investisseurs étrangers prenaient le contrôle de cette entreprise, on imagine mal comment ils pourraient transférer ailleurs des technologies d'un tel niveau.
Cela n'exclut pas vos remarques sur l'indépendance et l'ambition dont la France doit faire preuve en matière de développement des énergies renouvelables. J'aimerais bien y voir un peu plus clair sur ce sujet, sachant que cette entreprise possède des technologies extrêmement importantes pour les Chinois. S'ils ont réalisé leur croissance grâce au charbon au cours des trente dernières années, les Chinois sont en train de prendre un virage considérable : l'hydroélectrique fait partie de leurs choix stratégiques. Ils investissent des milliards de dollars dans ce secteur, que ce soit en production directe ou en R&D où des milliers d'ingénieurs sont mobilisés. On peut comprendre que le site de Grenoble les intéresse tout en ayant du mal à imaginer le transfert de technologie. Ce n'est pas une industrie où l'on construit en série comme dans l'automobile ou autres.
À mon tour, je vous remercie pour vos exposés liminaires.
Sur le plan factuel, pourriez-vous détailler les éventuels échanges récents avec le Gouvernement : ce que vous demandez, ce que l'on vous répond, etc.
Pour avoir inauguré le centre mondial de R&D de Grenoble, je connais cette entreprise. Lors des discussions avec l'État, une éventuelle incidence de la privatisation des barrages sur le plan de charge de l'usine de Grenoble aurait-elle été évoquée ? Pensez-vous, au contraire, que les bruits qui sont venus à mes oreilles à cet égard sont infondés ?
Vous avez tous bien décrit l'absence de politique industrielle – française et européenne – de l'énergie et, a fortiori, l'absence de politique industrielle accompagnant la transition énergétique. Sans vouloir opposer les organisations syndicales, j'aimerais être sûre de bien comprendre ce que chacune préconise à ce stade. J'ai compris que certaines demandent un nouvel accord entre l'État et GE, auquel les organisations syndicales seraient parties prenantes. D'autres prônent une reprise en main de ces entreprises par l'État. Je ne cherche pas à mettre en lumière les différences mais je veux comprendre la nature de vos revendications à cette étape.
Mesdames, Messieurs, vous n'êtes pas tous tenus de répondre à toutes les questions ; vous pouvez vous répartir la tâche.
Je peux répondre, au moins partiellement, à la question sur les coentreprises dans lesquels GE détient 50 % des droits de vote plus une voix et Alstom 50 % des droits de vote moins une voix. Il est clair que le groupe GE a la maîtrise de l'opérationnel, qu'il décide de tout, que tous les salariés dépendent de lui. En outre, Alstom ne s'implique pas du tout.
Quant à l'État, qui pouvait reprendre les actions détenues par Bouygues, il n'utilise son droit de véto que dans la seule coentreprise GE Alstom Steam (GEAST) qui fabrique la turbine Arabelle destinée aux centrales nucléaires. Cette coentreprise est détenue à 80 % par GE et à 20 % par Alstom mais l'État dispose d'un droit de véto.
Que faire pour que les promesses soient respectées ? Toutes les organisations syndicales se battent à l'unisson pour obtenir un maximum d'informations de la part de la direction. Lors du comité de groupe France, dont je suis le secrétaire adjoint, nous avons demandé officiellement à la direction le rapport qu'elle communique annuellement à l'État. Elle nous l'a catégoriquement refusé. On aimerait bien le récupérer par le biais de l'État, par Bercy, si possible. Nous voudrions savoir ce qui se trame dans notre dos sans que nous en soyons informés officiellement. S'agissant des promesses sur le maintien des sites de production, l'exemple d'Hydro à Grenoble montre qu'elles ne sont pas tenues puisque, si j'ai bien compris, c'est la production qui est principalement touchée.
Madame Batho, les demandes des organisations syndicales ne sont pas incompatibles. Mes camarades de la CGT demandent une prise en main par l'État des actions Alstom dans les coentreprises, mais ces structures ne représentent qu'une partie de GE en France. Pour notre part, nous souhaitons participer aux négociations entre l'État et GE et obtenir une plus grande transparence sur ce qui se passe réellement en France.
Pour ma part, je peux apporter une petite réponse sur notre lien avec EDF. À plusieurs niveaux et dans différents secteurs, la direction nous a dit qu'EDF était un client essentiel et même vital pour GE. Les dirigeants l'ont compris et nous le disent comme ça. En revanche, comme nous vous l'avons indiqué dans notre propos liminaire, EDF s'inquiète de notre capacité à maintenir les compétences et les techniques que nous avons utilisées en hydraulique, nucléaire et thermique dans toutes les centrales qu'il a construites en France et à l'étranger. Il ne faut pas oublier que nous travaillons essentiellement à l'exportation. Certains clients n'ont qu'une ou deux centrales ; EDF en construit en France, en Angleterre, en Afrique, en Chine.
Le climat se tend avec EDF comme en témoigne l'annulation de certains accords financiers concernant des prestations de services que nous devions assurer. EDF considère que nous n'avons plus les compétences techniques nécessaires pour le faire. À la suite de son rachat par GE, Alstom a malheureusement perdu des compétences à l'occasion du PSE appliqué en France et en Europe. En raison de cette perte dans les effectifs, nous ne pouvons plus faire sereinement notre travail. Cela illustre, une fois encore, le manque de vision stratégique de GE dans les différents secteurs, en particulier dans le domaine de l'énergie qui est vital pour tous les pays et donc pour la France.
Je vais aussi répondre sur les coentreprises pour que les choses soient bien claires. Les coentreprises sont détenues à 50-50 par GE et Alstom, à plus ou moins une action. Alstom avait un partenaire important, Bouygues, qui détenait 30 % de son capital. Les deux-tiers de cette participation, c'est-à-dire 20 %, étaient rétrocédés à l'État sous forme de prêt d'actions. Dans la coentreprise, cette part a été ramenée à 10 %. L'État et Alstom peuvent donc se prononcer sur les décisions prises. Dans la pratique, c'est General Electric qui dirige et qui emploie les salariés. Les deux autres parties sont-elles intervenues ? Non. Les organisations syndicales et les salariés n'ont pas vu Alstom et l'État se prononcer sur le PSE ni sur l'évolution des coentreprises. Comme cela a été rappelé, l'État avait jusqu'au 17 octobre pour racheter les actions prêtées par Bouygues. Il n'a pas exercé ces options d'achat.
Vous nous dites clairement que les administrateurs qui représentent l'État, grâce au prêt des actions de Bouygues, restent silencieux dans les réunions de conseil d'administration des coentreprises.
Je ne sais pas mais, s'ils interviennent, ça ne transpire pas au niveau des salariés et de leurs organisations syndicales. S'ils actionnent, ils le font discrètement. En tout cas, ces informations n'arrivent pas sur la place publique.
S'agissant de nos rapports avec EDF, mon collègue vient de vous donner quelques informations. En ce moment, les PSE et les réorganisations font que les gens sont tellement « emballés » de travailler pour General Electric … qu'ils quittent le groupe ! Un projet prévoit de regrouper les activités de service en comptant sur une certaine flexibilité du personnel, pour dire les choses poliment. Un salarié pourrait être envoyé, du jour au lendemain, sur un site hydraulique ou sur un site nucléaire, sachant que ces équipements sont quand même très spécifiques. Nos spécialistes de maintenance et des services sont parfois à demeure depuis des années, voire des décennies, sur des sites qu'ils connaissent parfaitement et où ils sont d'ailleurs intégrés aux équipes de réalisation.
Cela rejoint la question de la sécurité. Quand les gens sortent d'un chapeau et ne connaissent pas le site, la sécurité est profondément compromise. Ce n'est pas sérieux. On ne peut pas réorganiser n'importe comment, il faut avoir des compétences ; c'est tout le problème.
Vous avez auditionné nos amis d'Alstom Transport, qui vous ont dit qu'il fallait un siècle pour créer un savoir-faire et deux ans pour le détruire. Il en est de même dans nos activités. Nous avons une culture, des formations. J'ai quarante ans de métier : si je me compare à mes débuts, c'est le jour et la nuit. Ce n'est pas l'école qui m'a appris mon métier et je ne suis pas non plus devenu expert du jour au lendemain. Il existe un déni de savoir-faire dans ces sociétés modernes où l'on remplace des personnes en considérant simplement le coût.
En ce qui concerne la charge de travail, le taux à Grenoble a augmenté de 28 % en six mois. Je vous rassure, nos salaires n'ont pas augmenté de 28 % en six mois ! Par quel miracle est-ce possible ? Eh bien, vous jouez sur le plan de charge : vous retirez de la charge et vous ne jouez pas sur la masse salariale. Masse salariale fixe, charge en diminution : vous augmentez le taux. Et dès lors, vous n'êtes plus compétitifs. Vous êtes mis devant le fait accompli. Qui veut tuer son chien l'accuse de la rage : on est en plein dedans. Il faut être très clair en ce qui concerne les manipulations de nos dirigeants.
Je ne me bats pas contre GE, parce que GE, c'est nous. Ce sont des Américains, des Canadiens, des Brésiliens, des Chinois, des Indiens, des Européens ; c'est cela qui fait le corps de GE mais, malheureusement, les sirènes auxquelles on répond aujourd'hui, ce sont les actionnaires – et, même, pas tous les actionnaires : les actionnaires sont nécessaires, à condition que ce soient de vrais investisseurs. Ce que nous avons aujourd'hui, ce sont des spéculateurs, qui en veulent toujours plus et nous vampirisent !
Ce n'est pas un groupe industriel au sens où nous l'entendons. Ce sont des personnes qui s'intéressent à l'industrie parce qu'elles survivent en vampirisant le groupe et, une fois vampirisé, le jetteront comme un mouchoir en papier. C'est un gâchis monumental. Il commence, bien sûr, par un maillon faible de l'Europe, qui possède pourtant la technologie : la France. Nous sommes fiers de nos TGV : on a vu ce que c'est devenu avec Alstom Transport et Siemens. Nous sommes fiers de notre technologie nucléaire, développée par Areva et Alstom, devenue GE. Nous sommes fiers de notre hydro, avec un siècle d'existence. Si nous continuons dans cette dérive et ce laisser-aller, nous n'aurons plus que des chômeurs. J'ai, comme beaucoup, un bulletin de paye avec un taux qui augmente : celui de la CSG. Je préférerais que notre énergie et notre intelligence soient employées à réduire le chômage, à garantir l'emploi et à favoriser ce en quoi j'ai toujours cru, le progrès technique, qui permet d'améliorer la condition humaine. Pour cela, il faut avoir des politiques fortes, un gouvernement fort, une Europe forte, qui puissent replacer les groupes devant leur responsabilité sociétale.
J'ai appartenu à CGEE Alstom, à Cegelec, à ABB Alstom, à Alcatel Alstom, Alstom, à GEC- Alstom puis à GE. J'ai toujours travaillé dans le même bureau, avec le même numéro de téléphone, et j'ai toujours eu les mêmes clients. Quel que soit notre employeur, nous avons un marché, un savoir-faire. Quel que soit notre nom, nous servons notre employeur, à condition qu'il nous respecte et qu'il n'oublie pas que la finalité est la satisfaction de nos clients, car un client satisfait ce sont des affaires futures, des actionnaires qui reçoivent le retour de leur investissement et non le fruit de la spéculation. C'est ce que nous sommes en train de perdre.
J'ai été écoeuré par le comportement du Board de GE le 16 novembre. Je vous invite à regarder la vidéo. Pour gagner 20 milliards d'ici à 2020 – pour resituer, le rachat d'Alstom Énergie, c'est 13 milliards –, GE va se séparer d'une centaine de milliers de salariés. Eh bien au cours de cette réunion, les membres du Board plaisantaient, ils étaient écroulés de rire ! C'était écoeurant. Les salariés attendaient des détails sur la stratégie mais il n'y a rien eu. Phénomène de non-annonce. Si vous regardez cette vidéo, cela vous en dira long sur les dirigeants de notre groupe. Pas sur notre groupe, car le groupe c'est nous.
Je voudrais tout d'abord rappeler que nous ne sommes pas les représentants du Gouvernement. C'est important car la plupart des questions que vous nous avez posées ont porté sur les rapports entre le Gouvernement et l'entreprise General Electric.
Le Gouvernement nous a privés de tout moyen de savoir ce que sont ses relations avec GE ; il ne nous fait aucun rapport, il nous refuse toute information. Or, s'il y a démission de l'État, il y a aussi démission de GE. Nous parlons même de scandale d'État. C'est le titre d'un film, c'est aussi le titre d'une récente déclaration de la CGT. La filière est en train d'être détruite. Demandez à l'État ce qu'il dit à ce sujet ; nous n'avons, quant à nous, aucune réponse. Cela fait plusieurs semaines que la CFDT demande une rencontre avec le ministre; en vain. Le Président français et le président de GE se sont rencontrés trimestriellement ; cela fait partie des accords. Que se disent-ils ? J'espère que nos députés pourront obtenir quelques informations sur ce qui se passe.
Au sujet de la restructuration à l'oeuvre en Europe, on découvre comme vous par des fuites dans la presse, puis, au sein des instances, dans le document confidentiel, qu'un arrangement a probablement été passé car il n'y a pas d'emplois directement détruits en France. Mais l'outil industriel est dans une situation catastrophique. Demandez à GE combien ils ont investi en R&D en France, et combien ils ont touché d'aides de l'État, notamment du crédit impôt recherche…
Je vais vous faire un gros plan sur une filière qui doit particulièrement nous intéresser, nous Français : la filière nucléaire. On a annoncé treize tranches nucléaires dans le carnet de commandes, principalement à Belfort, à Boulogne pour l'ingénierie, et à Massy pour les automatismes. Une des commandes s'appelle Hinkley Point, une des références clés pour l'EPR. J'appelle votre attention sur le fait qu'à l'heure actuelle GE n'a rien fait pour se mettre en état d'honorer ces commandes. Les directions locales travaillent d'arrache-pied à tenter de convaincre GE de réaliser un minimum d'investissements. Ce montant de commandes n'était pas parvenu dans le groupe Alstom depuis plus de trente ans. La filière nucléaire a une grande amplitude cyclique. Après la dernière construction d'une centrale française, nous avons repris avec Flamanville. Or vous savez que ça ne s'est pas trop bien passé, mais c'était un prototype et ça peut se comprendre car il y a une courbe d'apprentissage. Demandez à GE comment ils gèrent cette courbe d'apprentissage. Je vais vous répondre tout de suite : le PSE de 2016, c'est 200 suppressions d'emplois sur le site de Boulogne, tous spécialistes du nucléaire.
On nous dit que les collègues de Belfort ont moins de travail dans le charbon. Je rappelle que nous sommes les experts mondiaux en la matière. On peut me répliquer : « Le charbon, c'est sale, il ne faut plus en produire », mais on continue d'en produire un peu partout et il existe des technologies propres, dans lesquelles Alstom a énormément investi. Tous les programmes de R&D dans ces technologies propres ont été gelés, mis en cocon ou purement et simplement arrêtés. Or nos amis allemands, qui ont arrêté leurs centrales nucléaires, ont été obligés de redémarrer les centrales à charbon. Si des centrales à charbon tournent, il faudrait au moins que l'on puisse leur adjoindre des technologies de nettoyage, d'apurement des fumées, de capture du CO2. Demandez à GE ce qu'il investit dans ce domaine.
Nos collègues de Belfort et de Boulogne sont considérablement affaiblis par le plan social. Il n'y a pas d'embauches de prévu. L'« usine Arabelle » à Belfort a certes récupéré une partie des équipements de Chattanooga – Alstom avait construit une usine aux États-Unis pour attaquer le marché américain du nucléaire, elle a été fermée par GE et des éléments-clés ont été rapatriés – mais nous ne sommes pas en mesure de produire treize tranches nucléaires à la file. La chaîne de montage n'est pas comme une chaîne de voitures, ce n'est pas une toutes les heures mais une tous les x mois et le moindre retard, faute des ouvriers ou des technologies nécessaires, pénalise l'ensemble du contrat. Cela peut d'ailleurs poser question au niveau de la joint-venture (JV) que nous avons avec Rosatom, un client qui nous fait énormément confiance, et nous nous retrouverons dans des difficultés majeures. La CGT a mis en cause le Board de GE sur cette situation. Il n'existe pas aujourd'hui de plan d'investissement, dans les hommes, dans les métiers, qui permette de tenir le carnet de commandes. Notre conviction est faite que nous allons, sur ces projets, enregistrer des pertes colossales. Vous voyez ce que l'on a perdu sur Flamanville : ce sera treize fois la même chose !
On ne gère pas une filière industrielle par petits morceaux. Dans le secteur « Power », ils ont réintroduit une espèce de sous-ensemble « Vapeur » (Steam), à la fois charbon, nucléaire et automatismes. Nous en sommes arrivés à la conclusion que GE, qui n'est pas très intéressée par le nucléaire, s'apprête soit à vendre soit à s'adosser à un partenaire, peut-être chinois ou coréen. Selon moi, une filière industrielle peut se monter aussi bien avec des Chinois qu'avec des Américains ou des Français.
GE n'est plus un groupe français. Nous sommes Américains : les capitaux sont américains, toutes les décisions se prennent aux États-Unis, et les brevets sont en Suisse dans une société à part. Tous les brevets « Hydro » qui rapportent ne rapportent cependant pas sur Grenoble mais dans cette entité suisse, qui bénéficie de tout le savoir-faire de l'hydro, du nucléaire, des automatismes. L'État a démissionné sur la gestion de la filière.
Que pouvez-vous donc faire pour aider la filière ? Comment mettre en place une politique de filière ? Nous avons Areva, EDF en restructuration, et de l'autre côté des prises de contrats phénoménales. Une filiale de GE, commune avec Hitachi, travaille dans le domaine nucléaire aux États-Unis : aucun moyen de savoir pourquoi nos deux filiales ne travaillent pas ensemble ! Cela renforce l'idée que les Américains ne s'intéressent pas à nous et s'apprêtent, peut-être, à nous céder. Il faut un débat entre l'État et GE sur la politique de R&D, la politique de filières, la feuille de route pour chaque item implanté en France.
Sur les turbines et barrages, si j'ai bien compris, on est sur une fin de concession et EDF, qui a placé sa priorité sur le nucléaire et qui est endettée, ne fait pas le travail. De toute façon, elle ne pourra pas obtenir la concession car la Commission européenne lui a interdit de commissionner, au titre de l'ouverture. Il faudra donc céder ces barrages à d'autres. C'est un peu comme Veolia : le nouvel acquéreur des concessions réalise les travaux et ensuite augmente le tarif. C'est ce qu'on a vu aussi avec les autoroutes. Eh bien, les « autoroutes de l'énergie » vont nous coûter plus cher. Nos collègues de l'hydro en font aujourd'hui les frais car, dans cet « entre-deux portes », des contrats qui pourraient être passés tout de suite ne le sont pas.
Le rôle de l'État est là prépondérant. La JV dans le nucléaire, c'est Alstom, GE et l'État. Même si Alstom cédait toutes ses actions, l'État serait toujours actionnaire dans une coentreprise, avec une golden share offrant un droit de véto sur un certain nombre d'activités. On nous a informés que des discussions avaient lieu avec l'État présent autour de la table, mais nous ne savons pas ce qui s'y dit.
S'agissant des acteurs asiatiques, il en existe deux types : ceux qui ont les infrastructures et les technologies et peuvent se positionner sur les mêmes marchés que GE, Andritz et Voith, et les autres fournisseurs qui n'ont pas forcément les références et doivent s'adosser à des entreprises européennes ou passer des accords pour les obtenir.
La Chine est très présente sur les marchés africains. Le marché africain est en effet très prometteur mais ces pays manquent de financements. Or les Chinois sont en mesure d'apporter des financements. En revanche, sur de grands marchés, ils n'ont pas les références. Par exemple, il existe un contrat au Cameroun qui s'appelle Nachtigal. Quatre soumissionnaires s'étaient présentés, dont un candidat japonais qui, pourtant en consortium avec une entreprise française, a finalement décidé, au vu des cahiers des charges et de la complexité du site, de retirer sa candidature. très difficile pour certaines sociétés de se pré-qualifier, d'attester par des certificats de satisfaction qu'elles ont effectué telle et telle fourniture dans les cinq ou dix dernières années. C'est pourquoi une entreprise asiatique peut être très intéressée par Alstom, ou plutôt GE. Si GE « Hydro » était à vendre demain, nous savons, par des sources non officielles, que certains groupes chinois seraient très intéressés. Certains possèdent déjà le génie civil, les équipements électromécaniques. Une société de ce type, avec en plus les références pour se placer sur les marchés africains, aurait de quoi inquiéter des sociétés comme Andritz ou Voith.
Ce sont des concurrents qui ont des compétences et nous sommes d'ailleurs parfois présents sur les mêmes marchés et parfois en consortium, comme avec Sinohydro. Il existe des passerelles, des accords de collaboration, dans lesquels des idées peuvent germer entre les uns et les autres. Certes, il faut un certain temps pour acquérir la technologie mais nos amis chinois vont très vite. Il faut être vigilant si l'on ne veut pas être dépassé.
La direction en place aujourd'hui a une expérience très limitée en matière de turbines. Certains pensent que l'on peut concevoir une turbine sur la base d'une simple procédure et souhaitent standardiser les produits mais, comme l'a dit Jean-Bernard Harnay, on ne peut pas standardiser les montagnes et les rivières. Ils ont du mal à assimiler cela.
Ce qu'ils veulent délocaliser, c'est surtout l'ingénierie, le design, c'est-à-dire les études. Ils sont en pourparlers avec Tata Consulting, par exemple ; cela montre à quel modèle ils se réfèrent. La direction pense que l'on peut délocaliser les métiers vers l'Inde ou la Chine, qui n'ont pas les mêmes compétences que nous, mais avec ce transfert nous aurons, nous, perdu ces compétences. Chez Tata, ce sont de gros bureaux d'études, qui ne font même pas forcément la différence entre une pièce de voiture et une pièce de turbine.
La délocalisation concernera également la fabrication. Ils ont prévu de fermer l'atelier, dont tout le personnel est licencié. Ils ont d'ailleurs bien noté dans leur Livre II qu'ils entendaient ouvrir un hub au Kenya et un autre en Turquie. Les 345 postes supprimés sont des postes-clés, avec des compétences-clés. Les départs en retraite ne seront pas non plus remplacés.
Notre JV « Hydro » a une particularité. Il y a ce qu'on appelle le call et le push. Alstom a annoncé officiellement qu'elle réclamerait l'autre moitié de la somme de la JV en novembre mais pourrait aussi ne pas la demander et racheter « Hydro ». L'État peut encore intervenir et pousser dans ce sens. Ne venez pas nous dire que cela coûte trop cher car ce n'est pas vrai : la JV vaut moins de 700 millions.
Ce qui vaut pour Hydro vaut aussi pour les turbines Arabelle. Si demain a lieu une cession, nous avons peur que la stratégie énergétique de la France soit gérée par des acteurs étrangers. Nous avons qualifié Alstom d'actionnaire dormant car, depuis le rachat, nous ne les entendons, ne les voyons plus. Notre expert nous a dit que GE n'avait pas informé Alstom de la restructuration, ne lui a pas demandé son avis, alors qu'elle a un droit de véto. Le nom même a disparu : effacer le nom d'Alstom est d'ailleurs la première chose qui a été faite, alors pourtant que nous sommes dans une JV. Quand l'expert a souhaité rencontrer Alstom pour connaître son opinion concernant cette restructuration, on lui a rétorqué que c'était GE, et non Alstom, qui décidait.
S'agissant de l'État, nous avons rencontré Bercy à trois reprises. Nous avons été écoutés religieusement.
M. Walckenaer, le directeur du cabinet, à trois reprises. M. Griveaux est venu la première fois passer une petite heure avec nous.
La première rencontre a eu lieu au mois d'août, la deuxième fin septembre, et la troisième en novembre.
Entre l'annonce du rachat par GE en novembre 2014 et ces rencontres récentes, il n'y a pas eu d'échanges avec le Gouvernement ?
Pas que je sache.
Il y a eu une rencontre avec le ministre de l'économie, Monsieur Macron à l'époque, en octobre 2015, au cours de laquelle tous les syndicats ont fait part de leur inquiétude. Nos experts avaient compris, dès le mois de mai 2015, qu'un plan social aurait lieu très rapidement concernant 10 000 salariés à travers le monde et 6 600 en Europe. Il était même question que cela touche la France mais, pour des raisons probablement politiques, le secteur des énergies renouvelables, notamment le business de l'hydro, n'a pas été touché lors de la première vague de licenciements, le 4 janvier 2016, soit deux mois à peine après la cession.
Monsieur Macron avait aussi promis de nous recevoir à l'issue de la cession mais cette promesse n'a jamais été tenue.
Nous avons exposé à Bercy les problématiques de l'entreprise, dont 85 % de l'activité se réalisent pour l'exportation. Nous avons apporté les rapports d'expertise et le projet de restructuration vu par les salariés et l'intersyndicale – les salariés sont très actifs. Ils proposent des solutions afin de redynamiser l'entreprise. Nous avons posé des questions sur la position de l'État vis-à-vis de la stratégie énergétique de la France. Nous avons demandé qui avait validé le PSE à Grenoble, qui avait validé l'« échange » entre l'offshore et l'hydraulique pour les emplois. Nous n'avons pas reçu de réponses. On nous a écoutés mais on ne nous a pas répondu.
Nous poserons toutes ces questions au ministre, rassurez-vous. Pouvez-vous répondre à la question relative au plan de charge ? On entend souvent dire que dans le secteur de l'hydroélectrique, le marché chinois serait désormais fermé et que le marché européen serait mûr et saturé – bref, que ce secteur n'aurait pas d'avenir. Pourriez-vous nous donner des éléments plus précis pour contredire cet argument ?
L'atelier de Grenoble est essentiellement dédié à la fabrication de turbines très techniques, que nous avons l'habitude d'appeler dans notre jargon des « moutons à cinq pattes ». Les produits plus « classiques », qui sont issus de technologies plus mûres – même si chaque projet est unique –, peuvent en revanche être fabriqués en Inde ou en Chine. En tout état de cause, l'entreprise est libre d'ajuster sa charge et de la répartir dans ses différents ateliers. Mais dès lors que nous fabriquons à Grenoble des produits nécessitant beaucoup d'heures de fabrication et de suivi et que les coûts fixes restent les mêmes, si nous ne rentrons pas aussi des produits plus standards, le rapport économique n'est pas aussi viable à Grenoble qu'en Inde ou en Chine, où on fabrique très rapidement un grand volume. La charge dépend donc de la stratégie de l'entreprise. En outre, les nombreux produits fabriqués en Inde ou en Chine qui posent des problèmes de non-qualité sont rapatriés dans l'atelier de Grenoble et c'est sur ce site que sont imputés les coûts de non-qualité. Les données financières fluctuent et tout dépend sur lequel des centres d'activités les coûts sont affectés. Lorsque nous interrogeons la direction pour avoir une répartition la plus claire possible de ce qui est affecté à Grenoble, en Inde ou en Chine, il nous est difficile d'avoir le détail. On nous dit que la charge est la même partout mais il y a des faits que nous, organisations syndicales, n'arrivons pas à nous expliquer. Ainsi, comment est-il possible qu'un atelier dont les machines sont amorties depuis des années ait un taux horaire aussi important que d'autres plus récents ? De plus, ces derniers temps, ce taux horaire a extrêmement augmenté à Grenoble et simultanément – peut-être est-ce une coïncidence ? –, il a baissé à Baroda en Inde. Bref, nous nous posons beaucoup de questions sur ces plans de charge.
On dit qu'il n'y a pas de marché européen mais d'après les rapports d'experts, il y a un pour quelque 450 millions d'euros en 2018. Certes, il y a aussi un marché en Chine mais on ne peut pas s'affranchir du marché européen D'ailleurs, pourquoi le ferait-on ? General Electric est un marché centenaire et nous sommes présents à l'export depuis les années 1940-1950 ? Nous n'avons jamais concentré toute notre activité seulement sur la France. Aujourd'hui, on nous juge sur le seul marché français alors que le plan social est fondé sur une vision globale. C'est incompréhensible. Pour comparer ce qui est comparable, il faut tout analyser au plan global. On ne peut pas parler d'un taux horaire très cher en France et prétendre qu'il n'y a pas de charge et, en même temps, ne faire fabriquer dans notre pays que ce qui coûte très cher. Il faut rétablir l'équilibre si on veut vraiment faire des comparaisons pertinentes.
Je vous parlais d'une augmentation de 28 % : elle est due à un transfert de plan de charge. Si GE le veut, il peut faire en sorte qu'il n'y ait pas charge à Grenoble. Il y avait déjà une différence évidente entre le coût d'un salarié français et celui d'un salarié indien mais si le premier n'a plus de charge de travail, son taux horaire augmentera tandis que le celui du second diminuera s'il récupère sa charge – C.Q.F.D.
M'étant rendu en Chine en avril dernier pour donner un coup de main à mes collègues chinois, j'ai pu constater que le marché chinois avait des plans de charge décennaux. Cinquante-deux machines turbines-pompes viennent ainsi d'arriver pour dix centrales. Le marché n'est donc pas amorphe – il est même en croissance – mais par nature cyclique. Il y a des années de creux, juste avant le déclenchement d'un plan décennal puis tout d'un coup, les commandes arrivent et bien sûr, nous postulons. Dire que le marché chinois est amorphe, c'est du grand n'importe quoi ! Deux grandes régions du monde ont une capacité hydraulique non équipée : la Chine et l'Amérique du Sud. Les Chinois ont besoin de développer cette source d'énergie. Ils savent très bien que leurs usines à charbon polluent. Chacun a pu le constater pendant les Jeux olympiques de Pékin. Le sujet est d'ailleurs à la une des journaux télévisés : la ville de Pékin est asphyxiée – et Delhi connaît aujourd'hui la même situation. Pour avoir énormément travaillé en Chine, je peux vous dire que les clients chinois sont très intéressés par les énergies renouvelables. Qui plus est, les turbines-pompes des machines hydroélectriques permettent de réguler les réseaux : en cas de demande importante, on peut produire de l'électricité en turbinant et, inversement, pomper et stocker l'énergie lorsqu'il y en a trop sur le réseau. Imaginez que demain, on ait un parc d'éoliennes représentant 30 à 50 % de l'énergie produite : que faites-vous le jour où il n'y a pas de vent ? Vous n'allez pas demander aux consommateurs de décongeler les produits qu'ils conservent et de cesser d'utiliser leur voiture électrique. Il faut bien, à un moment donné, compenser le manque de vent. Les centrales hydroélectriques à turbines-pompes offrent précisément une solution à grande échelle. Certes, la production d'énergie nucléaire se fait jour et nuit mais si le vent s'arrête de souffler, il faut être en mesure de réagir très vite et donc avoir une centrale que l'on peut faire démarrer et arrêter ponctuellement. Bien sûr, on peut adapter les centrales existantes mais il faudra de toute façon répondre aux besoins du marché.
Pourriez-vous nous aider à faire la part des choses entre la situation globale du marché hydroélectrique et le comportement des dirigeants d'une entreprise pour laquelle vous avez eu des mots assez durs ? Les concurrents que vous avez évoqués – Andritz et Voith – procèdent-ils à des réductions d'emplois et à des fermetures de sites ?
D'autre part, quelle serait la situation de GE aujourd'hui, sans l'accord avec l'État ? Je voudrais qu'on revienne sur la contribution française aux différents plans de restructuration. Vous avez évoqué un premier plan qui avait relativement épargné la France et je crois comprendre que le plan du 13 novembre nous épargne aussi dans une certaine mesure, du fait de compensations sur d'autres sites comme Nantes, Saint-Nazaire ou Cherbourg.
Vous estimez que c'est le transfert de plan de charge qui a entraîné un déficit de charge sur le site de Grenoble et un constat de non rentabilité, qui conduit aujourd'hui les dirigeants à procéder à un plan social. Pourtant, un plan de charge s'apprécie sur plusieurs années, en particulier pour ce type de production qui est cyclique.
M. Santoire a évoqué les concessions hydroélectriques d'EDF. Je suis, comme vous, radicalement opposée à la mise en concurrence des ouvrages hydroélectriques. D'abord, parce que ces ouvrages font partie du patrimoine national. Ensuite, parce qu'ils ont toute leur place dans le système électrique français : demain, l'hydroélectricité va constituer un enjeu majeur pour atteindre les objectifs du nouveau mix énergétique. Enfin, parce que la remise en cause de la maîtrise quasi publique de ces ouvrages risque d'entraîner une déstructuration de la filière d'excellence de l'hydraulique française.
En revanche, je ne fais pas tout à fait le même constat que vous s'agissant de l'arrêt de la maintenance d'EDF car lorsqu'on arrive en fin de concession, on a obligation de rendre les ouvrages dans l'état où on les a pris, c'est-à-dire en bon état de fonctionnement et d'entretien. Confirmez-vous que vous constatez une baisse des commandes d'entretien ? Vous disiez aussi qu'EDF ne pourrait pas concourir en cas de mise en concurrence. Je le répète, je ne la souhaite pas. Dans la loi de transition énergétique pour la croissance verte, nous avons précisément prévu plusieurs outils pour y échapper : le calcul barycentrique des chaînes hydroélectriques, la prolongation de concessions sous conditions de travaux et la création de sociétés d'économie mixte (SEM) hydroélectriques. Mais si on devait mettre un ouvrage en concurrence, EDF aurait le droit de concourir. Nous y tenons. Il serait aberrant d'interdire à une entreprise européenne de concourir sur un marché ouvert à l'ensemble de l'Europe. Je serai la première – et pas la seule – à le dire. Ayant, comme vous, des inquiétudes quant à l'avenir des ouvrages et de l'exploitation par les opérateurs français que sont EDF et ENGIE, à travers la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et la SHEM (Société hydroélectrique du Midi), je voudrais que vous précisiez le sens de votre remarque sur la baisse d'activité de GE due à la fin des concessions sur les ouvrages EDF.
Je vous répondrai sur le plan de charge. Je travaille chez GE « Power Conversion », anciennement « Converteam », anciennement Alstom « Power Conversion ». GE nous a rachetés en 2011 et à l'époque, nous avions quatre usines de production de convertisseurs en Europe : une à Massy – à Villebon, désormais –, une à Glasgow, une à Kidsgrove et une à Berlin. Depuis cette date, GE a fermé Glasgow et Kidsgrove. Ce qui est bizarre, c'est qu'alors qu'un mois avant, le plan de charge était plein, le jour de cette annonce en comité européen, il n'y avait plus de charge dans les ateliers. Mme Mendès l'a très bien expliqué : GE fait ce qu'il veut du plan de charge et lorsque le coût horaire augmente sur un site qu'il n'y a plus travail, il est « obligé » de le fermer. Comme le disait M. Harney, pour se débarrasser de son chien, on l'accuse de la rage. C'est une stratégie globale de GE, chez Hydro comme chez nous. Nous en sommes à la troisième fermeture. Je participais aujourd'hui même à un comité européen : nous étions consultés sur la fermeture de Berlin, avant-dernier site de construction des convertisseurs, et sur celle d'une usine de machines tournantes. GE continue donc à nettoyer.
Il faut d'abord que nous nous entendions. Dans le document de 500 pages que j'ai en main, on ne trouve pas un seul plan de charge mais 5 000 emplois en moins. Comment le groupe GE travaille-t-il ? C'est très simple : pendant ces trois dernières années, on n'a pas cessé de nous expliquer que c'était plus dur, que la rentabilité diminuait … Or le taux de rentabilité opérationnelle atteint 12 %, un chiffre qui rendrait heureuse n'importe quelle PME concurrente, mais pas GE : il lui faut un taux de 18 % et, pour cela, le groupe doit réduire les coûts fixes et les coûts variables et donc fermer un tiers de ses usines de production. Prenez la communication aux actionnaires de John Flannery – 47 pages – disponible depuis le 13 novembre dernier sur le site de GE, et examinez donc la manière dont elle est construite…
J'ai un document sur le droit de tirage pour supprimer des postes. Si nous exerçons la même activité avec 20 ou 30 % de personnels en moins, nous sommes 20 ou 30 % plus rentables. Voilà quelle est la « stratégie » industrielle de GE et voilà ce que nous voulons signifier quand nous vous disons que nous n'avons pas affaire à un groupe industriel !
Nous exigeons d'obtenir les prévisions de commandes pour les trois prochaines années. Or pour GE « Hydro », elles sont en totale contradiction, pour 2018, avec le plan de restructuration imposé – un document posé sur la table du comité d'entreprise européen. Et il est impossible d'avoir le détail des commandes pour les trois prochaines années !
Je vais prendre un exemple pour que nous nous comprenions bien : treize tranches nucléaires, c'est de quoi occuper largement plus de salariés qu'il n'y en a en France dans ce secteur. Or en 2016, comment le plan a-t-il été conçu ? « Ah, nous n'avons pas de contrat, Hinkley Point n'est pas encore conclu, deux prochains contrats pourraient bien être signés mais nous n'en sommes pas certains… » Ils ont viré tout le monde parce qu'il risquait d'y avoir un petit problème de charge – nous allons bien finir par sortir la centrale de Flamanville. Quand l'expert a demandé aux dirigeants de GE comment ils construiraient la centrale de Hinkley Point, si le contrat était signé, et comment ils feraient face deuxième commande, ils lui ont répondu qu'ils n'étaient pas chargés de traiter cette question mais qu'ils étaient obligés d'adapter les effectifs à la charge instantanée car l'actionnaire exigeait un taux de rentabilité de 18 %.
Or, et c'est ce que nous souhaitons faire entendre à la représentation nationale, on ne peut pas gérer des cycles longs, comme le nucléaire, de cette façon, faute de quoi on va détruire la filière.
Demandez à GE quelle est la pyramide des âges dans ses entreprises françaises. Je travaille pour ma part dans l'automatisme, à savoir le contrôle-commande des centrales : il s'agit de ceux qui sont derrière les pupitres, là où se trouve le tableau de bord. C'est un rôle de « porte-clefs » mais qui reste important car mobilisant une technologie de pointe. Eh bien, la moyenne d'âge des personnels en question est, en France, de cinquante-trois ans. ! La pyramide des âges ne ressemble même pas à un dos de chameau, avec une bosse représentant les vieux et l'autre les jeunes, le creux au milieu d'elles figurant la période de vingt ans pendant laquelle on n'a pas embauché. Or, ici, nous avons les vieux d'un côté et, de l'autre, presque personne de moins de quarante ans et carrément plus personne en deçà de trente ans – et donc une répartition des âges en dos de dromadaire, syndrome d'une entreprise qui va fermer.
Structurellement, les entreprises, en France, sont orientées non pas pour développer la filière mais pour gérer du cash très rapidement, et être éventuellement vendues. Je serais patron de GE, je ne m'embêterais pas : j'ai plein de commandes, je ne suis pas capable de les exécuter mais comme cela ne se voit pas, je les refile à un partenaire qui, six mois plus tard, s'exclamera : « Oh, mais vous m'avez menti, le carnet de commandes n'est pas si bon que ça ! » Tout cela n'a l'air de rien, mais que vient de dire GE sur Alstom ? Il a découvert qu'il y avait un certain nombre de projets inscrits sur le carnet de commandes… Je prendrai l'exemple de l'énorme centrale solaire d'Ashalim, très pointue sur le plan technique, et en cours de construction en Israël. GE a provisionné 150 millions de pertes, c'est-à-dire plus que la moitié de sa part dans le contrat lui-même, soit 300 millions d'euros pour 600 millions au total. Le rendement promis par Alstom, à l'époque, sera en effet difficile à atteindre et si l'on n'y parvient pas, au bout de trois ans, il faudra payer des pénalités – que GE a, donc, provisionnées. Je ne suis pas en train de dire que GE truque ses comptes, mais bien que le groupe a créé une situation dans laquelle nos coentreprises ne valent plus rien.
Aussi, si l'on veut s'assurer la maîtrise d'une filière, j'y insiste, il faut que l'État soit aux manettes. Mes collègues m'objectent alors : « Mais ce que vous demandez-là, monsieur Santoire, avec la CGT, est impossible : l'État n'a pas d'argent. » Mais si, on a l'argent de l'Agence des participations de l'État (APE). C'est son rôle. Il s'agit d'un secteur crucial et de plus nous ne sommes pas seuls : l'Europe aussi peut s'occuper de tout cela.
Nous appelons donc vraiment votre attention sur le fait que GE est un groupe financier qui gère son capital en fonction de critères boursiers et non des carnets de commandes.
J'en viens aux suppressions d'emplois. Vous avez dit qu'elles étaient moindres en France. Vous nous avez mal entendus : 700 postes supprimés officiellement dès le premier plan. Ensuite, mon collègue l'a mentionné : plus de 3 000 emplois détruits. Depuis quatre mois – on ne vous a peut-être pas signalé cette technique – les embauches sont gelées dans toutes les entreprises GE en France. Ainsi, à chaque fois que quelqu'un quitte l'entreprise pour partir à la retraite, pour passer à la concurrence ou pour aller ailleurs, on ne le remplace pas. Vous avez eu raison de nous poser la question car nous n'avons pas été assez clairs : oui, l'impact des plans de restructuration a été très fort sur les réductions d'effectifs ! C'est pourquoi nous sommes fondés à vous affirmer que, hors quelques opérations de communication séduisantes, on est en train de détruire des milliers d'emplois en France.
On a créé à Belfort un centre de services partagés. Nous ne contesterons pas la création de 185 postes à cette occasion, mais ils correspondent à 185 emplois supprimés ailleurs en Europe – et donc à un transfert. Nous ajouterons qu'il ne s'agit pas d'emplois industriels et qu'ils ne compensent donc pas le départ de mes 400 collègues. Nous vous dirons enfin qu'il y avait un certain nombre de contrats illégaux de sous-traitance – nous avons été condamnés pour cela. Eh bien nous sommes en train d'internaliser des dizaines et des dizaines d'emplois de prestataires de services qui ne contribuent pas au renforcement de la filière mais sont seulement un effet comptable.
Toutes ces méthodes aujourd'hui à l'oeuvre pour faire semblant de créer les mille emplois promis dans la filière industrielle, en détruisent en fait bien plus de mille et le Gouvernement – je le dis clairement – est complice d'un jeu d'écriture comptable et cela depuis le début.
Je reviens sur le jeu de passe-passe évoqué par mes collègues. On ne devait pas compter les emplois de Cherbourg. La construction du champ d'éoliennes est régie par un contrat français. Il se trouve que, pour des raisons de procédures, de qualifications, ce chantier a été retardé. GE a alors décidé que la charge serait assurée, pendant deux ou trois ans, depuis les États-Unis et a demandé que les 350 postes concernés soient comptabilisés comme autant de créations d'emplois – ce qui n'était pas prévu par le contrat initial. C'est bel et bien un tour de passe-passe.
Nous sommes tout à fait solidaires de nos collègues allemands et suisses : on ne construit pas des filières en silos ; il ne s'agit pas de défendre son pré-carré. Hier, nous sommes allés aider ces collègues parce que nous savons très bien que leur affaiblissement sera ensuite le nôtre. Le mot employé par mon collègue de « Power Service » est celui de « sursis ». À la fin du peu d'engagements tenus auprès de nous et qui courent jusqu'en 2018, il n'y aura plus rien. D'où la demande, et nous pouvons sur ce point être d'accord avec nos collègues de la CFDT, de garanties supplémentaires pour après 2018 – or 2018, c'est demain.
Pour finir, s'agissant des barrages, je me suis montré maladroit, madame Battistel. Si nous voulons, comme le disait Jean-Bernard Harnay, gérer la charge, il faut améliorer le rendement et utiliser des turbines-pompes, il faut travailler sur les PSP (pumped storage power plants) – stations de transfert d'énergie par pompage (STEP) en français. L'expertise en matière de PSP est vitale en France et à l'exportation. Nous pourrons ainsi traiter avec les Chinois qui vont investir des centaines de milliards d'euros. Ils ont besoin de partenaires, sont prêts à nous aider à nous développer. Nous pouvons également passer des accords avec les Américains – Airbus l'a fait avec GE dans le secteur des turbines d'avion et la coentreprise, créée à cette occasion, fonctionne plutôt bien ; or ce n'est pas GE qui pilote, ce qui montre assez bien qu'il faut, en cas d'accord avec GE, garder la main.
Il faut donc que l'État s'implique dans la filière, l'organise, demeure l'arbitre ; c'est vital pour notre avenir. Face à nous, les Chinois, je l'ai dit, sont prêts à investir des centaines de milliards. Ceux qui passeront leur tour mourront.
J'ajouterai, à propos des concessions EDF et de la CNR, que, datant de quelques dizaines d'années, elles sont technologiquement obsolètes et leur rendement est à l'avenant. Il s'agit donc d'entretenir l'outil mais aussi de le moderniser.
L'un des contrats EDF de modernisation d'une turbine-pompe à Le Cheylas, où l'on a proposé une technologie à vitesse variable avec le soutien de l'Union européenne, a été rompu pour diverses raisons, probablement internes, de disponibilité, sans doute parce qu'il fallait bien terminer l'EPR et que c'est un gouffre financier. Voilà ce que nous disons, Madame Battistel : on déshabille Pierre pour habiller Paul. ! Or il y a bien un avenir et même la nécessité de le garantir.
Je vous invite tous, individuellement ou collectivement, à nous éclairer sur l'engagement à créer mille emplois, en nous communiquant, par exemple, un tableau récapitulatif.
Ensuite, si la présente commission d'enquête a été créée, c'est bien parce que nous sommes un certain nombre à l'Assemblée nationale à considérer que la vente d'Alstom à GE n'a pas clos le dossier. Des engagements ont été pris par GE, cautionnés par l'État qui a apposé sa signature, autorisé cet investissement étranger en France. Aux termes de la loi, l'État jouit d'un certain nombre de prérogatives par le truchement du ministre de l'économie, prérogatives qui vont même au-delà des sanctions financières prévues. Nous entendons donc bien être comptables de ce que fera l'État dans les prochains mois où il négociera, le cas échéant, les droits de retour.
Mesdames, Messieurs, je vous remercie.
La table ronde s'achève à dix-huit heures dix.
La séance est levée à xxxxx.
Membres présents ou excusés
Réunion du mercredi 6 décembre 2017 à 16 heures
Présents. - M. Damien Adam, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Dominique David, Mme Audrey Dufeu Schubert, M. Bruno Duvergé, Mme Sarah El Haïry, Mme Olga Givernet, M. Loïc Kervran, M. Bastien Lachaud, M. Olivier Marleix, M. Hervé Pellois, M. Jean-Bernard Sempastous, M. Denis Sommer, M. Michel Zumkeller
Excusés. - M. Éric Girardin, M. Guillaume Kasbarian
Assistait également à la réunion. - Mme Émilie Chalas