Intervention de Laurent Santoire

Réunion du mercredi 6 décembre 2017 à 16h00
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Laurent Santoire, délégué syndical central CGT d'Alstom « Power Systems » :

Je voudrais tout d'abord rappeler que nous ne sommes pas les représentants du Gouvernement. C'est important car la plupart des questions que vous nous avez posées ont porté sur les rapports entre le Gouvernement et l'entreprise General Electric.

Le Gouvernement nous a privés de tout moyen de savoir ce que sont ses relations avec GE ; il ne nous fait aucun rapport, il nous refuse toute information. Or, s'il y a démission de l'État, il y a aussi démission de GE. Nous parlons même de scandale d'État. C'est le titre d'un film, c'est aussi le titre d'une récente déclaration de la CGT. La filière est en train d'être détruite. Demandez à l'État ce qu'il dit à ce sujet ; nous n'avons, quant à nous, aucune réponse. Cela fait plusieurs semaines que la CFDT demande une rencontre avec le ministre; en vain. Le Président français et le président de GE se sont rencontrés trimestriellement ; cela fait partie des accords. Que se disent-ils ? J'espère que nos députés pourront obtenir quelques informations sur ce qui se passe.

Au sujet de la restructuration à l'oeuvre en Europe, on découvre comme vous par des fuites dans la presse, puis, au sein des instances, dans le document confidentiel, qu'un arrangement a probablement été passé car il n'y a pas d'emplois directement détruits en France. Mais l'outil industriel est dans une situation catastrophique. Demandez à GE combien ils ont investi en R&D en France, et combien ils ont touché d'aides de l'État, notamment du crédit impôt recherche…

Je vais vous faire un gros plan sur une filière qui doit particulièrement nous intéresser, nous Français : la filière nucléaire. On a annoncé treize tranches nucléaires dans le carnet de commandes, principalement à Belfort, à Boulogne pour l'ingénierie, et à Massy pour les automatismes. Une des commandes s'appelle Hinkley Point, une des références clés pour l'EPR. J'appelle votre attention sur le fait qu'à l'heure actuelle GE n'a rien fait pour se mettre en état d'honorer ces commandes. Les directions locales travaillent d'arrache-pied à tenter de convaincre GE de réaliser un minimum d'investissements. Ce montant de commandes n'était pas parvenu dans le groupe Alstom depuis plus de trente ans. La filière nucléaire a une grande amplitude cyclique. Après la dernière construction d'une centrale française, nous avons repris avec Flamanville. Or vous savez que ça ne s'est pas trop bien passé, mais c'était un prototype et ça peut se comprendre car il y a une courbe d'apprentissage. Demandez à GE comment ils gèrent cette courbe d'apprentissage. Je vais vous répondre tout de suite : le PSE de 2016, c'est 200 suppressions d'emplois sur le site de Boulogne, tous spécialistes du nucléaire.

On nous dit que les collègues de Belfort ont moins de travail dans le charbon. Je rappelle que nous sommes les experts mondiaux en la matière. On peut me répliquer : « Le charbon, c'est sale, il ne faut plus en produire », mais on continue d'en produire un peu partout et il existe des technologies propres, dans lesquelles Alstom a énormément investi. Tous les programmes de R&D dans ces technologies propres ont été gelés, mis en cocon ou purement et simplement arrêtés. Or nos amis allemands, qui ont arrêté leurs centrales nucléaires, ont été obligés de redémarrer les centrales à charbon. Si des centrales à charbon tournent, il faudrait au moins que l'on puisse leur adjoindre des technologies de nettoyage, d'apurement des fumées, de capture du CO2. Demandez à GE ce qu'il investit dans ce domaine.

Nos collègues de Belfort et de Boulogne sont considérablement affaiblis par le plan social. Il n'y a pas d'embauches de prévu. L'« usine Arabelle » à Belfort a certes récupéré une partie des équipements de Chattanooga – Alstom avait construit une usine aux États-Unis pour attaquer le marché américain du nucléaire, elle a été fermée par GE et des éléments-clés ont été rapatriés – mais nous ne sommes pas en mesure de produire treize tranches nucléaires à la file. La chaîne de montage n'est pas comme une chaîne de voitures, ce n'est pas une toutes les heures mais une tous les x mois et le moindre retard, faute des ouvriers ou des technologies nécessaires, pénalise l'ensemble du contrat. Cela peut d'ailleurs poser question au niveau de la joint-venture (JV) que nous avons avec Rosatom, un client qui nous fait énormément confiance, et nous nous retrouverons dans des difficultés majeures. La CGT a mis en cause le Board de GE sur cette situation. Il n'existe pas aujourd'hui de plan d'investissement, dans les hommes, dans les métiers, qui permette de tenir le carnet de commandes. Notre conviction est faite que nous allons, sur ces projets, enregistrer des pertes colossales. Vous voyez ce que l'on a perdu sur Flamanville : ce sera treize fois la même chose !

On ne gère pas une filière industrielle par petits morceaux. Dans le secteur « Power », ils ont réintroduit une espèce de sous-ensemble « Vapeur » (Steam), à la fois charbon, nucléaire et automatismes. Nous en sommes arrivés à la conclusion que GE, qui n'est pas très intéressée par le nucléaire, s'apprête soit à vendre soit à s'adosser à un partenaire, peut-être chinois ou coréen. Selon moi, une filière industrielle peut se monter aussi bien avec des Chinois qu'avec des Américains ou des Français.

GE n'est plus un groupe français. Nous sommes Américains : les capitaux sont américains, toutes les décisions se prennent aux États-Unis, et les brevets sont en Suisse dans une société à part. Tous les brevets « Hydro » qui rapportent ne rapportent cependant pas sur Grenoble mais dans cette entité suisse, qui bénéficie de tout le savoir-faire de l'hydro, du nucléaire, des automatismes. L'État a démissionné sur la gestion de la filière.

Que pouvez-vous donc faire pour aider la filière ? Comment mettre en place une politique de filière ? Nous avons Areva, EDF en restructuration, et de l'autre côté des prises de contrats phénoménales. Une filiale de GE, commune avec Hitachi, travaille dans le domaine nucléaire aux États-Unis : aucun moyen de savoir pourquoi nos deux filiales ne travaillent pas ensemble ! Cela renforce l'idée que les Américains ne s'intéressent pas à nous et s'apprêtent, peut-être, à nous céder. Il faut un débat entre l'État et GE sur la politique de R&D, la politique de filières, la feuille de route pour chaque item implanté en France.

Sur les turbines et barrages, si j'ai bien compris, on est sur une fin de concession et EDF, qui a placé sa priorité sur le nucléaire et qui est endettée, ne fait pas le travail. De toute façon, elle ne pourra pas obtenir la concession car la Commission européenne lui a interdit de commissionner, au titre de l'ouverture. Il faudra donc céder ces barrages à d'autres. C'est un peu comme Veolia : le nouvel acquéreur des concessions réalise les travaux et ensuite augmente le tarif. C'est ce qu'on a vu aussi avec les autoroutes. Eh bien, les « autoroutes de l'énergie » vont nous coûter plus cher. Nos collègues de l'hydro en font aujourd'hui les frais car, dans cet « entre-deux portes », des contrats qui pourraient être passés tout de suite ne le sont pas.

Le rôle de l'État est là prépondérant. La JV dans le nucléaire, c'est Alstom, GE et l'État. Même si Alstom cédait toutes ses actions, l'État serait toujours actionnaire dans une coentreprise, avec une golden share offrant un droit de véto sur un certain nombre d'activités. On nous a informés que des discussions avaient lieu avec l'État présent autour de la table, mais nous ne savons pas ce qui s'y dit.

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