Je voudrais d'abord préciser ce qui peut être ou non attendu d'un rapport de la Cour des comptes. Je sais qu'on ne prête qu'aux riches mais, tout de même, ne nous prêtons pas des intentions ou des capacités que nous n'avons pas.
Notre rôle n'est pas de faire de la politique à la place du Gouvernement ou du Parlement. Nous n'avons pas d'idéologie cachée, nous ne sommes pas le deus ex machina des grandes décisions dans ce pays. Nous ne sommes pas non plus de vulgaires comptables austéritaires. Nous ne faisons pas que de la comptabilité et nos travaux reposent sur des évaluations, des analyses de politiques publiques assez approfondies, en dialogue avec les administrations concernées et les autorités publiques. Nous avons l'ambition d'élargir progressivement notre regard, d'y introduire davantage d'économie. Nous ne sommes pas non plus indifférents au sort de la société. Nous ne vivons pas à côté de la société et notre institution est l'une de ses composantes.
Les commentaires que j'ai entendus sur je ne sais quelle logique austéritaire ne me paraissent en réalité pas faire grand sens. Rappelons que nous vivons dans un pays dont la dette publique atteindra l'année prochaine 115 % du PIB et risque d'augmenter un peu dans les années qui suivent. Je ne me réfère absolument pas à des notions de finances publiques ou à des règles qui me paraissent devoir être réformées mais à de simples comparaisons. Nous sommes quelque 15 points au-dessus de la moyenne de l'Union européenne, 45 points au-dessus de notre grand partenaire allemand. Dans une zone monétaire comme l'euro, avoir trois grandes économies dont l'une a une dette autour de 160 % du PIB, l'autre autour de 120 % et la troisième à 65 % est difficile. Cela finit par créer des tensions.
Nous avons vécu et nous vivons encore dans une situation exceptionnelle. Nous en sortons, heureusement, mais ces différences se verront et finiront par créer des contradictions qui peuvent être dommageables. Voilà la raison pour laquelle réduire la dette est tout simplement un impératif d'autant plus que, lorsque la charge de la dette augmente, c'est autant en moins pour l'éducation, pour la justice, pour la cohésion sociale, pour cette cause de la protection sociale et de la solidarité à laquelle vous êtes attachés.
De même, avec près de 60 % de dépenses publiques dans le PIB et des prélèvements obligatoires parmi les plus élevés d'Europe, soit près de 45 % du PIB, il n'est pas possible de parler d'austérité. Gardons tout de même quelques boussoles. J'ai entendu que l'ancre était ce qui nous attache au fond ; c'est aussi parfois ce qui nous empêche de dériver mais je ne veux pas entrer dans des considérations nautiques. Je ne suis pas un grand expert en la matière.
Notre philosophie n'est absolument pas de taper sur la dépense publique, de proposer tout de suite de revenir à je ne sais quel statu quo ante. La démarche que nous proposons est progressive et systémique. Il s'agit de modérer progressivement les dépenses tout en préservant celles qui sont utiles et en garantissant une prise en charge de qualité, en améliorant la justice sociale lorsque nécessaire, en ciblant sur les populations concernées, le tout dans une trajectoire de moyen terme. Encore une fois, ne nous prêtez pas des intentions que nous n'avons pas.
J'ai par exemple été interrogé sur les retraites et la maladie. Nous ne proposons pas de relever les impôts. Je crois qu'il faut veiller à la bonne dépense et toute vision réaliste conviendra qu'il existe tout de même des marges significatives. Celles-ci doivent être utilisées.
Dans le rapport que j'ai remis au Président de la République et au Premier ministre, j'évoquais deux pistes. L'une est la croissance et il faut des investissements. Nous sommes en déficit d'investissements. Ce déficit doit être comblé et il faut en même temps maîtriser la dépense. Nous devons marcher sur ces deux pieds.
Après ces précisions sur notre philosophie qui, encore une fois, n'est pas celle de la réduction des droits, de l'austérité ou de la traque de chaque euro de dépense publique mais celle de réformes favorisant une meilleure gestion, plus efficace et plus juste, associées à une réduction de la dette qui nous rende des marges pour plus de solidarité, j'en viens aux questions posées. Je laisserai ensuite la parole à Denis Morin sur des sujets connexes au rapport qu'il connaît infiniment mieux que quiconque.
Sur l'évolution des textes organiques, la Cour a évidemment suivi avec grand intérêt la proposition de loi organique dont vous êtes l'initiateur, monsieur le rapporteur général, ainsi que les travaux des commissions des affaires sociales de l'Assemblée puis du Sénat. Nous n'avons cependant pas à nous introduire dans le débat entre les deux assemblées.
La Cour est favorable à l'institution d'une loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale discutée avant l'été, ce qui était d'ailleurs l'une de ses recommandations dans le passé. Elle saura, de son côté, agencer le calendrier de ses travaux pour une remise du présent rapport au moment de cette loi d'approbation des comptes.
En revanche, sans progrès majeur dans le calendrier d'arrêté des comptes de l'ensemble des régimes de sécurité sociale, la Cour ne serait plus en état de fournir au Parlement les avis qu'elle doit rendre sur les tableaux d'équilibre et les tableaux patrimoniaux de la sécurité sociale. Nous estimons que le calendrier réglementaire d'arrêté des comptes devrait être avancé de quinze jours et que la direction de la sécurité sociale doit mettre en œuvre un contrôle beaucoup plus ferme des caisses pour que ce calendrier soit respecté. Il en va de la qualité de l'information dont disposera le Parlement lors de l'examen des futures lois d'approbation des comptes.
La Cour n'a aucune objection à l'encadrement dans un délai de huit mois de la remise des rapports demandés par les commissions des affaires sociales, à l'instar de ce qui est prévu pour les rapports demandés par les commissions des finances.
Toutefois, j'attire votre attention sur le fait que, si le calendrier est vraiment très anticipé, nous ne dirons rien sur le PLFSS et, d'un certain point de vue, cela me paraît dommage. Je crois que le bon moment est celui dans lequel nous sommes plutôt qu'une anticipation trop importante. Je fais ainsi ce que j'avais dit que je ne ferai pas, c'est-à-dire que j'interviens dans le débat, mais j'ai tout de même un avis et je suis obligé de le donner.
Sur le risque de non-recouvrement, la priorité du Gouvernement pendant la crise était de maintenir à flot l'économie et de sauvegarder la trésorerie des entreprises. C'est compréhensible. La crise s'éloignant, nous pouvons espérer que le retour à la situation normale soit mené à bien en matière de recouvrement des impayés de cotisations également. Il ne s'agit pas de poursuivre le recouvrement des créances sans discernement mais en prenant en compte la situation particulière de chaque secteur d'activité, de chaque entreprise. Notre rapport fournit des recommandations à cet effet.
Vous préconisez d'accompagner le développement de la télésanté par des modes de financement autres que le paiement à l'acte. Vous avez raison de souligner l'intérêt d'aller vers de nouveaux modes de financement des actes de santé. Le financement n'est pas favorable à l'apparition de coopérations entre professionnels de santé ou entre secteurs de soin, de ville, hospitaliers ou médico‑sociaux. Ce sont pourtant des évolutions qui me paraissent porteuses de gains de qualité et d'efficience.
Plusieurs modèles alternatifs constituent des pistes intéressantes comme le financement d'un épisode global de soins, l'intéressement au regroupement de professionnels de santé libéraux ou la rémunération des coûts de fonctionnement d'une structure telle qu'une maison de santé en fonction de la qualité de prise en charge. Nous pensons que la prise en charge de la télésurveillance par un forfait est une évolution qui va clairement dans le sens de nos recommandations.
Sur les effets d'aubaine créés par l'essor des téléconsultations, la Cour a fait trois préconisations. La première est de mettre un terme au plus tôt à la prise en charge à 100 % des téléconsultations ou télésoins parce que cela facilite la facturation d'actes fictifs. La CNAM doit aussi intégrer dans ses plans de contrôle les risques spécifiques de fraude. Enfin, l'interdiction de facturer des honoraires pour de simples avis ou conseils devrait être rappelée par le Conseil national de l'ordre des médecins aux médecins.
Le rôle des dotations populationnelles pour le financement des établissements de santé des différentes régions est bien, pour nous, de favoriser une répartition plus équitable des financements entre régions et territoires de santé, en meilleure adéquation avec les besoins de la population. Toutefois, les outils financiers ne sont évidemment pas l'alpha et l'omega. Les autorisations d'activité, les contrats d'objectifs et de moyens sont des outils complémentaires indispensables. Je voulais vous rassurer sur ce point.
Monsieur le rapporteur général, vous m'avez transmis les questions votre collègue, Mme Limon, sur la branche famille. Je souligne tout d'abord que la priorité de notre pays est la maîtrise de ses dépenses publiques, à commencer par les dépenses sociales. J'ajoute, s'agissant de la branche famille, que deux aspects doivent être pris en compte et incitent à la prudence.
Tout d'abord, les excédents de la branche famille sont en partie liés au ralentissement, depuis 2014, du nombre de naissances et personne ne sait si cette tendance se poursuivra ou non dans les années qui viennent. Par ailleurs, à dépenses constantes, d'importants enjeux d'efficience existent dans le domaine des politiques familiales. Nous les avons illustrés l'an dernier en analysant l'action sociale de la branche famille.
Votre rapporteure s'interroge sur notre recommandation de renforcer la condition de ressources et de mieux moduler le montant de l'allocation en fonction de l'âge des enfants. Nous partageons absolument cet objectif. L'allocation de rentrée scolaire doit rester un mécanisme simple et c'est pourquoi, selon nous, il ne faut pas envisager de la transformer en dispositif de bons d'achat. La recommandation que nous faisons est purement paramétrique ; elle ne modifie pas la structure de l'allocation.
Madame Janvier, vous m'interrogez sur les perspectives de la nouvelle branche autonomie et les mesures prévues au PLFSS en faveur du secteur médico‑social. Nous avons devant nous des enjeux démographiques considérables, avec près de 300 000 personnes dépendantes de plus attendues en 2030 et un accroissement de la dépendance qui pourrait représenter un surcroît de dépenses de plusieurs milliards d'euros d'ici 2030.
Ce n'est pas à la Cour seule qu'il revient de tracer les voies du financement. Il reste largement à organiser une fois qu'aura été pris en compte le transfert de CSG à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) prévu en 2024.
Je souhaite par ailleurs insister sur l'importance des chantiers engagés pour la réorganisation du secteur, qu'il s'agisse de l'implication des ARS, de la mise en synergie des acteurs ou du virage domiciliaire. Avec la crise sanitaire, ces chantiers ont pris une impulsion nouvelle qu'il convient d'entretenir. Elle est porteuse non seulement de réponses aux besoins mais également de plus grande efficience.
En ce qui concerne les mesures portées par le PLFSS, je note qu'une mesure pèsera significativement sur les comptes 2022. Il s'agit de l'instauration d'un tarif national plancher pour l'heure d'intervention des services d'aide et d'accompagnement, fixé à 22 euros dès le 1er janvier 2022. L'effet des autres mesures sera, à notre sens, plus étalé dans le temps.
Vous revenez également sur l'analyse conduite par la Cour des différentes réformes du financement dans le secteur des établissements et services médico‑sociaux. La réforme du financement des EHPAD, interrompue plusieurs fois comme je l'ai souligné, est enfin sur le point d'aboutir, telle qu'elle avait été envisagée – je n'ose pas le dire – en 2009 ! Ces retards s'expliquent notamment par l'insuffisante prise en compte dans les années 2016‑2017 des effets de gagnant-perdant sur les ressources de la section dépendance.
En outre, à plusieurs reprises récemment, les financements des conseils départementaux sur la section dépendance ont été complétés par la CNSA pour parer à des inégalités trop fortes. Face à ce constat, la Cour préconise d'étendre au secteur médico‑social le mécanisme de dotation régionale populationnelle pour corriger sur des critères transparents les inégalités territoriales.
J'ai été interrogé sur les perspectives financières de la branche vieillesse. La Cour est convaincue que la maîtrise durable des dépenses de retraite est indispensable. Je rappelle que la prévision à moyen terme montre à ce stade, en l'absence de mesures de redressement, une dégradation régulière des comptes de la branche vieillesse, dont le déficit passerait de 4,1 milliards d'euros en 2022 à 8 milliards d'euros en 2025.
Les motifs de pilotage d'une telle réforme ne sont pas uniquement financiers et les conditions ne sont évidemment pas uniquement financières mais des mesures de redressement sont rapidement inévitables. Même si nous excluons des hausses de cotisations en raison du niveau très élevé des prélèvements obligatoires en France, ce que je peux comprendre, les paramètres sont nombreux. Il n'appartient pas à la Cour de prendre position sur les leviers à mobiliser mais nous avons souligné dans le rapport que j'ai remis au Président de la République et au Premier ministre la question du temps, la question du dialogue social et aussi, bien sûr, les conditions d'équité entre catégories sociales et entre générations, qui sont très présentes dans notre esprit. Ces conditions ne doivent absolument pas être ignorées. Il y a là matière à débat, à un grand débat et à des décisions. Il faut les deux à notre sens ; je pense que c'est incontournable.
Sur le minimum vieillesse, il faut souligner la très grande complexité des règles de l'ASPA qui ont des effets dommageables. Une simplification des procédures de gestion doit être recherchée avec la récupération en ligne des informations relatives aux ressources, notamment auprès des autres administrations telles que la direction générale des finances publiques et la caisse d'allocations familiales ainsi que la vérification de la condition de résidence en France et de la réglementation. Vous trouverez les détails dans le chapitre X de notre rapport.
En réponse à la question de M. Christophe, les travaux de la Cour n'ont pas porté sur la reconnaissance de la covid-19 comme maladie professionnelle. Peu d'éléments étaient disponibles sur le sujet durant les travaux d'instruction des rapporteurs. Néanmoins, je vous invite à vous reporter le moment venu aux éléments que la CNAM publiera certainement dans son rapport de gestion AT-MP 2020.
Sur la proposition que nous avons faite quant à la possibilité de modifier les libellés des tableaux de maladies professionnelles existantes, les différents chapitres du RALFSS sont soumis aux administrations comme tous les travaux de la Cour et nous avons donc transmis ceux‑ci à la CNAM. Les réponses sont publiées en annexe à notre rapport : en l'espèce, vous trouverez la réponse du directeur général de la CNAM en page 405.
Le chapitre IX du RALFSS ne développe pas la question du fonctionnement des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles, en effet, mais nous avons cependant noté dans le rapport qu'il conviendrait de rechercher une plus grande homogénéité des décisions de ces comités. Elles sont très hétérogènes, trop hétérogènes d'une région à l'autre.
La commission que vous évoquez est en effet présidée par un magistrat de la Cour des comptes, naturellement membre de la sixième chambre, mais ses travaux sont menés en toute indépendance vis-à-vis de la Cour des comptes, qui ne saurait être engagée par les travaux de toutes les commissions que ses membres président. Je rappelle également que l'avis rendu par la commission a pour l'État avant tout une finalité financière, c'est-à-dire qu'il sert à fixer le niveau du transfert financier de la branche AT‑MP à la branche maladie.
Je remercie Mme Vidal pour ses commentaires positifs sur le rapport. Sur les finances sociales, nous proposons en effet l'extension du champ des lois de financement de la sécurité sociale au chômage et aux retraites complémentaires. Ce n'est pas dans une logique d'étatisation : il s'agit de permettre un débat démocratique sur ces sujets comme sur les autres risques. Je ne vois vraiment pas pourquoi ces sujets en seraient soustraits et, compte tenu de leur importance, je pense que ce serait tout à fait regrettable.
En réponse à M. Door, j'ai indiqué que le déficit devrait être fin 2025 de quelque 15 milliards d'euros. Le sujet CADES n'est donc effectivement pas réglé et il restera de la dette sociale. Il faudra sans doute rouvrir la CADES ce qui pose d'ailleurs, de façon générale, le problème de la dette dans notre pays.
Sur la prévention, nous souhaitons une information plus claire. La Cour produira à la fin de l'année un rapport sur le sujet, à la demande du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale.
Sur l'avenant 9, vous avez porté un jugement positif ; notre jugement n'est pas négatif mais il est aussi financier. Nous considérons que cet avenant 9 coûte tout de même assez cher et que les conditions offertes en matière de télésanté sont assez favorables, pour ne pas dire trop mais je ne suis pas président de la sixième chambre.
Pour répondre à M. Vigier, nous sommes favorables à l'accréditation. Nous pensons en revanche qu'un ORDAM serait sans doute compliqué car les leviers de régulation des dépenses restent à ce stade nationaux. Il faudrait donc modifier l'ensemble de la gestion du système, ce qui est très ambitieux.
Pour les téléconsultations, nous prévoyons de revenir à 70 %. L'interopérabilité est absolument nécessaire pour aller vers la dématérialisation, par exemple pour prendre en compte les prescriptions à l'hôpital.
Mme Six nous a appelés à la souplesse. Vous pouvez bien sûr compter sur la Cour pour y veiller.
Mme Firmin Le Bodo nous a interrogés sur les génériques. Il reste sans doute des marges si nous comparons aux pays étrangers. Sur le 100 % Santé, le bilan est difficile car nous sommes en période de crise mais nous ferons sur ce sujet un audit flash. Les audits flash sont de nouveaux rapports que j'ai lancés, qui sont réalisés en trois ou quatre mois et non en une dizaine de mois. Ils permettent d'avoir une vision quasiment en temps réel d'une mesure ou d'une politique publique.
J'ai été interrogé sur la cinquième branche et j'ai déjà partiellement répondu. Elle sera sans doute en déficit, madame Dubié, mais il est prévu de basculer 0,15 point de CSG en 2024. Même si le déficit reste modeste, cela n'épuise pas le sujet des besoins à couvrir dans ce secteur et il faudra faire des choix.
Je laisse le président de la sixième chambre répondre pour ce qui concerne les GHT et les autres questions. Ces sujets ont été évoqués dans différents rapports au moins autant que dans le RALFSS.